Par Par Natalie Nougayrède - Le Temps (Lausanne)Portrait de l'homme invisible qui a les pleins pouvoirs sur le nucléaire militaire iranien Mohsen Fakrizadeh est depuis plus de dix ans le patron invisible du programme militaire de Téhéran. Les experts de l'AIEA, qui entament ce lundi une nouvelle visite en Iran, n'ont jamais pu le rencontrer... Une enquête de notre partenaire suisse, Le Temps.
Il est l’homme mystère du programme nucléaire de l’Iran. Le «patron» invisible du volet militaire de cette entreprise d’une grande opacité, au cœur des tensions au Moyen-Orient. Il s’appelle Mohsen Fakrizadeh. Il a 50 ans. Depuis plus de dix ans, ce spécialiste de physique nucléaire, par ailleurs général de brigade des pasdaran, le corps des Gardiens de la révolution qui forme l’ossature du pouvoir actuel en Iran, a coiffé toutes les structures successives chargées de l’élaboration d’une ogive nucléaire. Autant dire que son existence se déroule dans une grande clandestinité, puisque l’Iran nie farouchement vouloir se doter d’un tel engin.
L'homme-cible du Mossad
Cheville ouvrière de la partie la plus sensible du programme nucléaire, Mohsen Fakrizadeh figure assurément en haut de la liste des «cibles» du Mossad, les renseignements israéliens, qui ont cherché ces dernières années à entraver le programme iranien en s’en prenant à ses «cerveaux», et en conduisant des actions de sabotage. Ce n’est, d’ailleurs, pas vraiment nouveau. Début 1981, l’Etat juif avait mené une politique similaire contre le programme nucléaire de Saddam Hussein, en Irak.
«Des scientifiques irakiens étaient kidnappés et disparaissaient; des explosions mystérieuses se produisaient», a raconté dans ses Mémoires Samuel Lewis, alors ambassadeur américain en poste en Israël. Les résultats de cette campagne furent manifestement jugés insuffisants du point de vue israélien, puisque le 6 juin 1981 le réacteur d’Osirak était détruit par un raid aérien dont, d’ailleurs, l’administration Reagan ne fut pas informée au préalable.
Quelle perception Mohsen Fakrizadeh peut-il avoir de la crise actuelle, à l’heure où les spéculations abondent sur une possible intervention militaire contre des sites nucléaires iraniens? Des experts occidentaux du dossier décrivent le personnage comme «un type coupé du monde extérieur, emmuré dans sa morgue, nourri de l’orgueil de tenir tête au «Grand Satan» [les Etats-Unis]». Certains soulignent qu’il est «placé sous haute surveillance», à la fois héros discret des réalisations scientifiques et prisonnier d’un système de pouvoir iranien de plus en plus militarisé.
Une insasissble araignée
Sa génération, c’est celle des puissants pasdaran, dont les réseaux et la vision du monde se sont forgés lors de l’effroyable boucherie que fut la guerre Iran-Irak, dans les années 1980, quand Bagdad était soutenu par les Occidentaux. C’est de cette époque que date la relance secrète du programme nucléaire iranien, interrompu après la révolution de 1979. Les dirigeants de la République islamique allaient lui donner, grâce à des aides clandestines pakistanaises, toutes les dimensions d’une quête de l’arme suprême, perçue comme la garantie ultime de la sauvegarde de l’Etat et du régime.
Mohsen Fakrizadeh est, depuis une décennie, l’insaisissable araignée au cœur de la toile nucléaire iranienne. Et nul n’a autant cherché à le rencontrer, pour une discussion approfondie, que Olli Heinonen, l’ancien chef des inspecteurs internationaux en Iran (de 2003 à 2010). De l’Université de Harvard, aux Etats-Unis, où il travaille désormais, l’expert finlandais nous explique par téléphone qu’«avoir accès au chef du programme est un must» si l’on veut faire toute la lumière sur les travaux iraniens.
Depuis des années, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le bras de vérification des Nations unies, demande en vain à pouvoir contacter Mohsen Fakrizadeh. Olli Heinonen dit qu’il serait «très surpris» que la mission envoyée par l’agence en Iran, du 29 janvier au 1er février, ne se heurte pas à un même mur de refus. «Surtout, observe-t-il, depuis que le régime s’est mis à accuser l’AIEA d’avoir exposé ses scientifiques à une campagne d’assassinats» en les mentionnant dans ses rapports.
En septembre 2008, révèle l’ancien inspecteur en chef, «j’ai cru que j’allais le voir. Ce fut mon dernier voyage en Iran. J’ai demandé: «Où est-il?» On m’a répondu: «Il attend de pouvoir vous parler.» Aghazadeh [le chef de l’organisation atomique iranienne, le volet non secret du programme] pensait avoir aligné de bons entretiens pour moi. Mais quelqu’un y a coupé court.» Dans la galaxie du pouvoir iranien, certains avaient manifestement jugé que l’homme-qui-en-sait-trop devait rester hors d’atteinte.
Il pilote le projet 111 de son bureau «Orchidée»
Dans son dernier rapport, l’AIEA montre, graphiques à l’appui, comment Mohsen Fakrizadeh, au fil des ans, a «conservé le rôle principal dans l’organisation» du programme nucléaire militaire. Cette organisation a été modifiée à chaque fois qu’il fallait mieux la camoufler. Ainsi, à partir de l’invasion de l’Irak en 2003, quand l’Iran s’inquiète des intentions de l’équipe Bush, décision est prise de suspendre certaines activités clandestines, et de mieux en dissimuler d’autres, qui se poursuivront. Il n’y a ainsi jamais eu d’arrêt complet et durable du programme militaire – juste une mue, après une brève interruption.
Il est l’homme mystère du programme nucléaire de l’Iran. Le «patron» invisible du volet militaire de cette entreprise d’une grande opacité, au cœur des tensions au Moyen-Orient. Il s’appelle Mohsen Fakrizadeh. Il a 50 ans. Depuis plus de dix ans, ce spécialiste de physique nucléaire, par ailleurs général de brigade des pasdaran, le corps des Gardiens de la révolution qui forme l’ossature du pouvoir actuel en Iran, a coiffé toutes les structures successives chargées de l’élaboration d’une ogive nucléaire. Autant dire que son existence se déroule dans une grande clandestinité, puisque l’Iran nie farouchement vouloir se doter d’un tel engin.
L'homme-cible du Mossad
Cheville ouvrière de la partie la plus sensible du programme nucléaire, Mohsen Fakrizadeh figure assurément en haut de la liste des «cibles» du Mossad, les renseignements israéliens, qui ont cherché ces dernières années à entraver le programme iranien en s’en prenant à ses «cerveaux», et en conduisant des actions de sabotage. Ce n’est, d’ailleurs, pas vraiment nouveau. Début 1981, l’Etat juif avait mené une politique similaire contre le programme nucléaire de Saddam Hussein, en Irak.
«Des scientifiques irakiens étaient kidnappés et disparaissaient; des explosions mystérieuses se produisaient», a raconté dans ses Mémoires Samuel Lewis, alors ambassadeur américain en poste en Israël. Les résultats de cette campagne furent manifestement jugés insuffisants du point de vue israélien, puisque le 6 juin 1981 le réacteur d’Osirak était détruit par un raid aérien dont, d’ailleurs, l’administration Reagan ne fut pas informée au préalable.
Quelle perception Mohsen Fakrizadeh peut-il avoir de la crise actuelle, à l’heure où les spéculations abondent sur une possible intervention militaire contre des sites nucléaires iraniens? Des experts occidentaux du dossier décrivent le personnage comme «un type coupé du monde extérieur, emmuré dans sa morgue, nourri de l’orgueil de tenir tête au «Grand Satan» [les Etats-Unis]». Certains soulignent qu’il est «placé sous haute surveillance», à la fois héros discret des réalisations scientifiques et prisonnier d’un système de pouvoir iranien de plus en plus militarisé.
Une insasissble araignée
Sa génération, c’est celle des puissants pasdaran, dont les réseaux et la vision du monde se sont forgés lors de l’effroyable boucherie que fut la guerre Iran-Irak, dans les années 1980, quand Bagdad était soutenu par les Occidentaux. C’est de cette époque que date la relance secrète du programme nucléaire iranien, interrompu après la révolution de 1979. Les dirigeants de la République islamique allaient lui donner, grâce à des aides clandestines pakistanaises, toutes les dimensions d’une quête de l’arme suprême, perçue comme la garantie ultime de la sauvegarde de l’Etat et du régime.
Mohsen Fakrizadeh est, depuis une décennie, l’insaisissable araignée au cœur de la toile nucléaire iranienne. Et nul n’a autant cherché à le rencontrer, pour une discussion approfondie, que Olli Heinonen, l’ancien chef des inspecteurs internationaux en Iran (de 2003 à 2010). De l’Université de Harvard, aux Etats-Unis, où il travaille désormais, l’expert finlandais nous explique par téléphone qu’«avoir accès au chef du programme est un must» si l’on veut faire toute la lumière sur les travaux iraniens.
Depuis des années, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le bras de vérification des Nations unies, demande en vain à pouvoir contacter Mohsen Fakrizadeh. Olli Heinonen dit qu’il serait «très surpris» que la mission envoyée par l’agence en Iran, du 29 janvier au 1er février, ne se heurte pas à un même mur de refus. «Surtout, observe-t-il, depuis que le régime s’est mis à accuser l’AIEA d’avoir exposé ses scientifiques à une campagne d’assassinats» en les mentionnant dans ses rapports.
En septembre 2008, révèle l’ancien inspecteur en chef, «j’ai cru que j’allais le voir. Ce fut mon dernier voyage en Iran. J’ai demandé: «Où est-il?» On m’a répondu: «Il attend de pouvoir vous parler.» Aghazadeh [le chef de l’organisation atomique iranienne, le volet non secret du programme] pensait avoir aligné de bons entretiens pour moi. Mais quelqu’un y a coupé court.» Dans la galaxie du pouvoir iranien, certains avaient manifestement jugé que l’homme-qui-en-sait-trop devait rester hors d’atteinte.
Il pilote le projet 111 de son bureau «Orchidée»
Dans son dernier rapport, l’AIEA montre, graphiques à l’appui, comment Mohsen Fakrizadeh, au fil des ans, a «conservé le rôle principal dans l’organisation» du programme nucléaire militaire. Cette organisation a été modifiée à chaque fois qu’il fallait mieux la camoufler. Ainsi, à partir de l’invasion de l’Irak en 2003, quand l’Iran s’inquiète des intentions de l’équipe Bush, décision est prise de suspendre certaines activités clandestines, et de mieux en dissimuler d’autres, qui se poursuivront. Il n’y a ainsi jamais eu d’arrêt complet et durable du programme militaire – juste une mue, après une brève interruption.
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