Histoire : L'ESPAGNE ET LE RIF
C'est le titre du livre publié par l'historienne Maria Rosa de Madariaga (éditions UNED Centro Asociado de Melilla) révélateur d'une réalité ignorée sur les deux rives du détroit : celle d'une longue guerre coloniale commencée dès 1909 et culminant par un soulèvement généralisé des populations rifaines durant les années 1921-1926. Pour tenter de comprendre les motivations et les ressorts d'un conflit, la guerre du Rif, que les jeunes générations ignorent complètement, l'auteur commence, avec pédagogie, par rappeler le contexte historique et international de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, quand les puissances européennes se disputaient la conquête du continent africain sous couvert parfois d'y mener une œuvre civilisatrice.
Elle rappelle d'ailleurs comment, jeune étudiante, elle entendit parler pour la première fois de la guerre du Rif en 1963, en lisant le quotidien franquiste ABC annonçant la mort de Mohamed Ben Abdelkrim au Caire le 6 février 1963. Le portrait tracé par la presse franquiste est alors très péjoratif pour le héros rifain. Mais issue d'une famille progressiste, elle apprend la vérité sur les événements par la bouche de sa mère qui, par "un raccourci historique" non dénué de bon sens, lui avoue que si Mohamed Ben Abdelkrim (Abdelkrim pour l'Histoire) l'avait emporté, l'Espagne n'aurait sans doute pas connu le franquisme. Sa sympathie pour la cause rifaine naît à partir de ce moment. Historienne scrupuleuse, elle décortiquera les archives pour leur faire cracher toutes les vérités même les moins avouées, sans se laisser emporter par la moindre complaisance. Exercice ardu pour une militante antifranquiste revendiquant en plus sa part de l'héritage andalou légué par la civilisation arabo-islamique.
Un raccourci sans histoire
C'est en 1969, à l'occasion d'un périple sur le théâtre des événements pour recueillir auprès des survivants des témoignages de cet épisode des guerres coloniales, qu'elle se rend compte de la difficulté de la tâche. Elle est frappée par le prestige immense dont jouit Abdelkrim dans le Rif, présent dans toutes les mémoires, non seulement auprès des anciens qui l'ont connu ou ont combattu à ses côtés, mais également auprès des jeunes qui en ont entendu parler à la maison par leurs parents ou grands-parents.
Sa recherche sur le terrain va se heurter à la difficulté qu'éprouvera l'historienne à faire la part des choses entre les témoignages fiables et la fiction d'une représentation qui a fortement marqué l'imaginaire populaire. Les amateurs de randonnées montagnardes étaient d'ailleurs toujours frappés de découvrir le portrait de Abdelkrim accroché à l'intérieur des masures juchées sur les pitons isolés dans le fin fond du Rif, sans voie d'accès, sans électricité, sans aucune trace de civilisation hormis cette photographie défraîchie témoin de la ferveur et du souvenir reconnaissant des habitants de cette région.
Cet amour que les gens portent toujours à Abdelkrim, remarque l'historienne, contraste avec le silence des manuels scolaires qui ne retiendront de l'épopée rifaine que la révolte de Abdelkrim "humilié par un camouflet du général Silvestre" alors que, soutient-elle, un simple coup d'œil sur le calendrier de l'époque aurait suffi d'établir qu'à l'arrivée du général Silvestre à Melilla en février 1920, Abdelkrim avait déjà quitté ces lieux depuis décembre 1918.
Non, les véritables causes, l'auteur les a trouvées dans les convoitises suscitées par les richesses minières réelles ou supposées du Rif qui expliquaient les visées des grandes puissances. A tel point que la France n'attendit même pas de traiter avec le pouvoir central d'un Etat toujours indépendant, mais s'empressa, dès 1904, de se faire octroyer par Bouhmara une concession de 99 ans pour l'exploitation des mines de fer de Bou Ifrour. Suivie par l'Espagne en 1907 au profit de la "Compagnie Espagnole des Mines du Rif". De 1914 à 1925 on ne compta pas moins de 403 permis de recherche couvrant le Rif central et oriental, 89 les Ghomaras et 182 les secteurs Tétouan-Larache, même si les exploitations n'ont finalement concerné que les minerais de fer, de plomb et de zinc. Le livre ne consacre pas moins de 123 pages à décortiquer par le détail les prétentions des puissances industrielles de l'époque, les intérêts en jeu, les pressions et les tractations visant à l'accaparement des potentialités supposées du "nouvel Eldorado ".
Avec la légitimité des Sultans
Ce fut d'ailleurs le chantier de construction du chemin de fer devant faciliter l'exportation des minerais vers le port de Melillia qui devint la cible des assauts répétés des tribus Gueleiya et se trouvait ainsi continuellement interrompu. En 1909, une série d'accrochages ponctuée par des batailles rangées dont celle de Khandak Adib firent, dans les rangs de l'armée espagnole, plus de 200 morts dont deux généraux et près de 2000 blessés. Un tournant dans les affrontements entre les tribus Gueleiya et l'armée espagnole qui y connut une première défaite prémonitoire pour ce qui allait être la débandade d'Anoual. Ces hostilités furent à l'origine d'une crise diplomatique ouverte entre les deux pays marquée par la volonté désespérée de Moulay Hafid de sauvegarder l'intégrité territoriale du Maroc sérieusement menacée par le débarquement stigmatisé par la diplomatie marocaine de 60.000 soldats. Ce fut par contre la première tentative du Chérif Mohamed Ameziane d'unifier les rangs des harkas des tribus Gueleiya et celles du Rif central notamment les Beni Ouraighel qui devait préfigurer du soulèvement généralisé de 1921.
Ne voulant pas se laisser confiner dans un rôle de spectatrice passive face à ces velléités unificatrices, l'autorité militaire espagnole s'ingénia, dès lors, à fomenter des dissensions permanentes entre tribus. En particulier par l'interdiction de la pratique des amendes qui permettait de régler par ce biais les dettes de sang au sein d'une même tribu. Ceci eut pour effet d'exacerber les luttes intestines entre tribus, entre familles et même entre individus du même clan. Le chaos organisé grâce à la complicité des notables amis de l'Espagne chargés de mener sur le terrain cette politique, allait bientôt se retourner contre ces derniers démasqués par les partisans du Cadi Abdelkrim.
C'est le titre du livre publié par l'historienne Maria Rosa de Madariaga (éditions UNED Centro Asociado de Melilla) révélateur d'une réalité ignorée sur les deux rives du détroit : celle d'une longue guerre coloniale commencée dès 1909 et culminant par un soulèvement généralisé des populations rifaines durant les années 1921-1926. Pour tenter de comprendre les motivations et les ressorts d'un conflit, la guerre du Rif, que les jeunes générations ignorent complètement, l'auteur commence, avec pédagogie, par rappeler le contexte historique et international de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, quand les puissances européennes se disputaient la conquête du continent africain sous couvert parfois d'y mener une œuvre civilisatrice.
Elle rappelle d'ailleurs comment, jeune étudiante, elle entendit parler pour la première fois de la guerre du Rif en 1963, en lisant le quotidien franquiste ABC annonçant la mort de Mohamed Ben Abdelkrim au Caire le 6 février 1963. Le portrait tracé par la presse franquiste est alors très péjoratif pour le héros rifain. Mais issue d'une famille progressiste, elle apprend la vérité sur les événements par la bouche de sa mère qui, par "un raccourci historique" non dénué de bon sens, lui avoue que si Mohamed Ben Abdelkrim (Abdelkrim pour l'Histoire) l'avait emporté, l'Espagne n'aurait sans doute pas connu le franquisme. Sa sympathie pour la cause rifaine naît à partir de ce moment. Historienne scrupuleuse, elle décortiquera les archives pour leur faire cracher toutes les vérités même les moins avouées, sans se laisser emporter par la moindre complaisance. Exercice ardu pour une militante antifranquiste revendiquant en plus sa part de l'héritage andalou légué par la civilisation arabo-islamique.
Un raccourci sans histoire
C'est en 1969, à l'occasion d'un périple sur le théâtre des événements pour recueillir auprès des survivants des témoignages de cet épisode des guerres coloniales, qu'elle se rend compte de la difficulté de la tâche. Elle est frappée par le prestige immense dont jouit Abdelkrim dans le Rif, présent dans toutes les mémoires, non seulement auprès des anciens qui l'ont connu ou ont combattu à ses côtés, mais également auprès des jeunes qui en ont entendu parler à la maison par leurs parents ou grands-parents.
Sa recherche sur le terrain va se heurter à la difficulté qu'éprouvera l'historienne à faire la part des choses entre les témoignages fiables et la fiction d'une représentation qui a fortement marqué l'imaginaire populaire. Les amateurs de randonnées montagnardes étaient d'ailleurs toujours frappés de découvrir le portrait de Abdelkrim accroché à l'intérieur des masures juchées sur les pitons isolés dans le fin fond du Rif, sans voie d'accès, sans électricité, sans aucune trace de civilisation hormis cette photographie défraîchie témoin de la ferveur et du souvenir reconnaissant des habitants de cette région.
Cet amour que les gens portent toujours à Abdelkrim, remarque l'historienne, contraste avec le silence des manuels scolaires qui ne retiendront de l'épopée rifaine que la révolte de Abdelkrim "humilié par un camouflet du général Silvestre" alors que, soutient-elle, un simple coup d'œil sur le calendrier de l'époque aurait suffi d'établir qu'à l'arrivée du général Silvestre à Melilla en février 1920, Abdelkrim avait déjà quitté ces lieux depuis décembre 1918.
Non, les véritables causes, l'auteur les a trouvées dans les convoitises suscitées par les richesses minières réelles ou supposées du Rif qui expliquaient les visées des grandes puissances. A tel point que la France n'attendit même pas de traiter avec le pouvoir central d'un Etat toujours indépendant, mais s'empressa, dès 1904, de se faire octroyer par Bouhmara une concession de 99 ans pour l'exploitation des mines de fer de Bou Ifrour. Suivie par l'Espagne en 1907 au profit de la "Compagnie Espagnole des Mines du Rif". De 1914 à 1925 on ne compta pas moins de 403 permis de recherche couvrant le Rif central et oriental, 89 les Ghomaras et 182 les secteurs Tétouan-Larache, même si les exploitations n'ont finalement concerné que les minerais de fer, de plomb et de zinc. Le livre ne consacre pas moins de 123 pages à décortiquer par le détail les prétentions des puissances industrielles de l'époque, les intérêts en jeu, les pressions et les tractations visant à l'accaparement des potentialités supposées du "nouvel Eldorado ".
Avec la légitimité des Sultans
Ce fut d'ailleurs le chantier de construction du chemin de fer devant faciliter l'exportation des minerais vers le port de Melillia qui devint la cible des assauts répétés des tribus Gueleiya et se trouvait ainsi continuellement interrompu. En 1909, une série d'accrochages ponctuée par des batailles rangées dont celle de Khandak Adib firent, dans les rangs de l'armée espagnole, plus de 200 morts dont deux généraux et près de 2000 blessés. Un tournant dans les affrontements entre les tribus Gueleiya et l'armée espagnole qui y connut une première défaite prémonitoire pour ce qui allait être la débandade d'Anoual. Ces hostilités furent à l'origine d'une crise diplomatique ouverte entre les deux pays marquée par la volonté désespérée de Moulay Hafid de sauvegarder l'intégrité territoriale du Maroc sérieusement menacée par le débarquement stigmatisé par la diplomatie marocaine de 60.000 soldats. Ce fut par contre la première tentative du Chérif Mohamed Ameziane d'unifier les rangs des harkas des tribus Gueleiya et celles du Rif central notamment les Beni Ouraighel qui devait préfigurer du soulèvement généralisé de 1921.
Ne voulant pas se laisser confiner dans un rôle de spectatrice passive face à ces velléités unificatrices, l'autorité militaire espagnole s'ingénia, dès lors, à fomenter des dissensions permanentes entre tribus. En particulier par l'interdiction de la pratique des amendes qui permettait de régler par ce biais les dettes de sang au sein d'une même tribu. Ceci eut pour effet d'exacerber les luttes intestines entre tribus, entre familles et même entre individus du même clan. Le chaos organisé grâce à la complicité des notables amis de l'Espagne chargés de mener sur le terrain cette politique, allait bientôt se retourner contre ces derniers démasqués par les partisans du Cadi Abdelkrim.
Commentaire