En 1949, après la création d'Israël, l'Etat libanais a fait don aux réfugiés palestiniens de terrains sur lesquels ont été dressés douze camps de réfugiés répartis entre Beyrouth, le nord, le sud et l'est du pays. Il subsistent cinq camps, composés très majoritairement de Palestiniens, à la periphérie de beyrouth, dans un total abandon oublié de tous, dénué de tout.
Le reportage est long mais comment les oublier encore?
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Pour loger son fils qu'il venait de marier, Farhat Farhat a trouvé une astuce : couvrir la venelle attenante à son domicile pour en faire le plancher d'une annexe destinée aux jeunes époux. Il loue à deux ouvriers syriens la minuscule chambre du rez-de-ruelle qui ne voit jamais la lumière du jour. Cela permet de couvrir les frais de la construction et de mettre du beurre dans les épinards. L'imagination doit être au pouvoir lorsque l'on est réfugié palestinien, que l'on est au chômage et que l'on vit dans le camp surpeuplé de Chatila, à la périphérie sud de Beyrouth. Ici, les immeubles s'alignent comme des sardines en boîte, des deux côtés de ruelles si étroites que le vis-à-vis est à portée de bras. Partout, le linge pend aux balcons et fenêtres, entre les câbles, les fils électriques et les tuyaux en caoutchouc qui, d'un immeuble crasseux et délabré à l'autre, rejoignent les compteurs électriques, réservoirs d'eau et antennes de télévision.
Farhat Farhat a fait comme les autres, il a construit pour gagner un peu d'espace vital, mais il aurait souhaité que ce soit interdit "parce que tous ces immeubles n'ont pas de fondations, dit-il, et qu'ils risquent de s'écrouler un jour". Mounir Maarouf, "directeur" du camp pour l'UNRWA (l'Office de secours et de travaux de l'ONU pour les réfugiés palestiniens), vit dans la terreur d'un possible tremblement de terre qui provoquerait une catastrophe humanitaire. "N'ayez crainte, commente avec un humour noir Souleiman Abdel Hadi, qui dirige le comité populaire du camp, les immeubles sont si mitoyens qu'ils se soutiendront les uns les autres."
En 1949, après la création d'Israël, l'Etat libanais a fait don aux réfugiés de terrains sur lesquels ont été dressés douze camps de réfugiés répartis entre Beyrouth, le nord, le sud et l'est du pays. Officiellement, la construction y est interdite, mais l'interdiction n'est pas appliquée. Du reste, aucun gouvernement ne s'est jamais soucié des conditions de vie dans ces camps. Alors qu'elle l'a obtenue pour d'autres camps palestiniens du pays du Cèdre, l'UNRWA, qui assure dans la mesure de ses maigres possibilités les services sociaux et d'infrastructure, n'a jamais eu l'autorisation des autorités libanaises pour faire les travaux de réfection nécessaires dans les cinq camps de la périphérie de Beyrouth. Le Liban n'a fourni aucune explication à son attitude et l'UNRWA, étant une agence apolitique, ne pouvait protester.
Dans un brusque sursaut de sollicitude pour les "frères" palestiniens, le gouvernement libanais actuel a décidé de leur accorder les droits les plus élémentaires d'une vie décente. Les autorités ont beau s'en défendre, leur décision n'est pas sans arrière-pensées, et les Palestiniens ne s'y sont pas trompés. L'objectif est d'obtenir leur désarmement à l'extérieur des camps et "l'organisation" de leur armement à l'intérieur, en vue de garantir leur sécurité. Il faut dire qu'au fil des ans et de la tutelle syrienne, certaines de ces agglomérations ont vu naître ou se renforcer des groupes, parfois islamistes extrémistes, que la Syrie n'a pas hésité à manipuler à sa guise pour contrer l'OLP.
Les Libanais, autorités et populations confondues, vivent dans la hantise d'une installation définitive des réfugiés dans le cadre d'un règlement de paix israélo-palestinien qui exclurait leur "droit au retour" prévu par la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU. Tous les Palestiniens interrogés affirment qu'ils n'accepteraient pas, pour tout l'or du monde, d'être "implantés" au Liban, selon l'expression en usage. Quel que soit leur âge, ils se présentent tous systématiquement comme "originaires d'Acca", "Safad" ou ailleurs dans la Palestine du Mandat, et se définissent comme "habitants" de tel ou tel camp du Liban. De fait, l'un des premiers soucis des parents palestiniens est de transmettre cette filiation aux enfants.
D'après les estimations de l'UNRWA, entre 12 000 et 13 000 personnes - dont un tiers de miséreux non palestiniens, Egyptiens, Soudanais, Syriens, Kurdes - habitent actuellement dans le camp de Chatila. "Ici, ce sont les Nations unies", ironise Farhat. La superficie de l'agglomération est difficile à évaluer, tant elle se fond dans le camp de Sabra, au sud, et les premiers immeubles des quartiers libanais, au nord. Les habitants l'estiment à 2 km2. Pour l'UNRWA, 8 000 des 400 000 réfugiés immatriculés auprès de l'Office le sont au titre d'habitants de Chatila. Ce qui n'empêche pas certains d'entre eux de vivre dans d'autres camps, ou même d'avoir émigré, précise Hoda Samra Souaiby, directrice du bureau d'information de l'UNRWA pour le Liban. Parce qu'ils veulent ménager l'avenir, notamment dans le cas où Israël et l'OLP concluraient la paix, "aucun Palestinien ne se désinscrira de son propre chef", ajoute-t-elle.
Une fois franchi le tunnel formé par l'"annexe" de Farhat, la venelle se rétrécit au point de n'autoriser le passage que d'une personne à la fois. Bien que le printemps soit déjà là et que la dernière pluie remonte à plusieurs jours déjà, une eau trouble stagne dans des rigoles. Oum Nazem vit dans une studette, une marche en contrebas. Seule la porte grande ouverte laisse entrer un rai de lumière. Deux des fils d'Oum Nazem ont été tués sur les champs de bataille de la guerre du Liban. Un troisième, "par les Syriens". Oum Hazem est doublement réfugiée. Elle habitait le camp de Tall el-Zaatar, à l'est de Beyrouth, attaqué et vidé de ses habitants par la milice des Forces libanaises (chrétiennes) dans les premières années de la guerre civile libanaise (1975-1990). Elle est alors venue s'installer ici, sans un sou. "Une vraie soeur des hommes !" - comme on appelle ici les fortes femmes -, s'exclame Souleiman Abdel Hadi. Mais Oum Hazem est d'abord originaire "du caza d'Acca" Saint-Jean-d'Acre, qu'elle a dû abandonner en 1948, lors de la création d'Israël. "J'avais 12 ans, se souvient-elle. Je dis encore aujourd'hui que j'ai 12 ans, parce que ce sont mes seules années de vraie vie."
A la clinique du Croissant-Rouge, le docteur Saleh Maarouf vient de terminer son tour de garde. Il est un peu plus de midi, il va passer le relais à un autre médecin, qu'un troisième viendra relayer cinq heures plus tard, jusqu'à 21 h 30. "Les habitations ici ne voient pas le soleil, explique-t-il. Les égouts et autres infrastructures sont en piteux état. Les gens souffrent de pneumonies, parfois de tuberculose, de diabète aussi, à cause d'une mauvaise alimentation, et d'anémie. Nous constatons pas mal de cas de cancer. Notre clinique, qui inclut un service de radiologie, un autre de soins dentaires et un laboratoire d'examens médicaux, ne traite que les cas simples ou les urgences. Nous soignons les gens du camp, mais aussi d'ailleurs, qui viennent ici parce qu'ils ne peuvent pas payer un médecin en ville. Nous leur demandons, lorsqu'ils le peuvent, une contribution symbolique de 10 dollars."
Le reportage est long mais comment les oublier encore?
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Pour loger son fils qu'il venait de marier, Farhat Farhat a trouvé une astuce : couvrir la venelle attenante à son domicile pour en faire le plancher d'une annexe destinée aux jeunes époux. Il loue à deux ouvriers syriens la minuscule chambre du rez-de-ruelle qui ne voit jamais la lumière du jour. Cela permet de couvrir les frais de la construction et de mettre du beurre dans les épinards. L'imagination doit être au pouvoir lorsque l'on est réfugié palestinien, que l'on est au chômage et que l'on vit dans le camp surpeuplé de Chatila, à la périphérie sud de Beyrouth. Ici, les immeubles s'alignent comme des sardines en boîte, des deux côtés de ruelles si étroites que le vis-à-vis est à portée de bras. Partout, le linge pend aux balcons et fenêtres, entre les câbles, les fils électriques et les tuyaux en caoutchouc qui, d'un immeuble crasseux et délabré à l'autre, rejoignent les compteurs électriques, réservoirs d'eau et antennes de télévision.
Farhat Farhat a fait comme les autres, il a construit pour gagner un peu d'espace vital, mais il aurait souhaité que ce soit interdit "parce que tous ces immeubles n'ont pas de fondations, dit-il, et qu'ils risquent de s'écrouler un jour". Mounir Maarouf, "directeur" du camp pour l'UNRWA (l'Office de secours et de travaux de l'ONU pour les réfugiés palestiniens), vit dans la terreur d'un possible tremblement de terre qui provoquerait une catastrophe humanitaire. "N'ayez crainte, commente avec un humour noir Souleiman Abdel Hadi, qui dirige le comité populaire du camp, les immeubles sont si mitoyens qu'ils se soutiendront les uns les autres."
En 1949, après la création d'Israël, l'Etat libanais a fait don aux réfugiés de terrains sur lesquels ont été dressés douze camps de réfugiés répartis entre Beyrouth, le nord, le sud et l'est du pays. Officiellement, la construction y est interdite, mais l'interdiction n'est pas appliquée. Du reste, aucun gouvernement ne s'est jamais soucié des conditions de vie dans ces camps. Alors qu'elle l'a obtenue pour d'autres camps palestiniens du pays du Cèdre, l'UNRWA, qui assure dans la mesure de ses maigres possibilités les services sociaux et d'infrastructure, n'a jamais eu l'autorisation des autorités libanaises pour faire les travaux de réfection nécessaires dans les cinq camps de la périphérie de Beyrouth. Le Liban n'a fourni aucune explication à son attitude et l'UNRWA, étant une agence apolitique, ne pouvait protester.
Dans un brusque sursaut de sollicitude pour les "frères" palestiniens, le gouvernement libanais actuel a décidé de leur accorder les droits les plus élémentaires d'une vie décente. Les autorités ont beau s'en défendre, leur décision n'est pas sans arrière-pensées, et les Palestiniens ne s'y sont pas trompés. L'objectif est d'obtenir leur désarmement à l'extérieur des camps et "l'organisation" de leur armement à l'intérieur, en vue de garantir leur sécurité. Il faut dire qu'au fil des ans et de la tutelle syrienne, certaines de ces agglomérations ont vu naître ou se renforcer des groupes, parfois islamistes extrémistes, que la Syrie n'a pas hésité à manipuler à sa guise pour contrer l'OLP.
Les Libanais, autorités et populations confondues, vivent dans la hantise d'une installation définitive des réfugiés dans le cadre d'un règlement de paix israélo-palestinien qui exclurait leur "droit au retour" prévu par la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU. Tous les Palestiniens interrogés affirment qu'ils n'accepteraient pas, pour tout l'or du monde, d'être "implantés" au Liban, selon l'expression en usage. Quel que soit leur âge, ils se présentent tous systématiquement comme "originaires d'Acca", "Safad" ou ailleurs dans la Palestine du Mandat, et se définissent comme "habitants" de tel ou tel camp du Liban. De fait, l'un des premiers soucis des parents palestiniens est de transmettre cette filiation aux enfants.
D'après les estimations de l'UNRWA, entre 12 000 et 13 000 personnes - dont un tiers de miséreux non palestiniens, Egyptiens, Soudanais, Syriens, Kurdes - habitent actuellement dans le camp de Chatila. "Ici, ce sont les Nations unies", ironise Farhat. La superficie de l'agglomération est difficile à évaluer, tant elle se fond dans le camp de Sabra, au sud, et les premiers immeubles des quartiers libanais, au nord. Les habitants l'estiment à 2 km2. Pour l'UNRWA, 8 000 des 400 000 réfugiés immatriculés auprès de l'Office le sont au titre d'habitants de Chatila. Ce qui n'empêche pas certains d'entre eux de vivre dans d'autres camps, ou même d'avoir émigré, précise Hoda Samra Souaiby, directrice du bureau d'information de l'UNRWA pour le Liban. Parce qu'ils veulent ménager l'avenir, notamment dans le cas où Israël et l'OLP concluraient la paix, "aucun Palestinien ne se désinscrira de son propre chef", ajoute-t-elle.
Une fois franchi le tunnel formé par l'"annexe" de Farhat, la venelle se rétrécit au point de n'autoriser le passage que d'une personne à la fois. Bien que le printemps soit déjà là et que la dernière pluie remonte à plusieurs jours déjà, une eau trouble stagne dans des rigoles. Oum Nazem vit dans une studette, une marche en contrebas. Seule la porte grande ouverte laisse entrer un rai de lumière. Deux des fils d'Oum Nazem ont été tués sur les champs de bataille de la guerre du Liban. Un troisième, "par les Syriens". Oum Hazem est doublement réfugiée. Elle habitait le camp de Tall el-Zaatar, à l'est de Beyrouth, attaqué et vidé de ses habitants par la milice des Forces libanaises (chrétiennes) dans les premières années de la guerre civile libanaise (1975-1990). Elle est alors venue s'installer ici, sans un sou. "Une vraie soeur des hommes !" - comme on appelle ici les fortes femmes -, s'exclame Souleiman Abdel Hadi. Mais Oum Hazem est d'abord originaire "du caza d'Acca" Saint-Jean-d'Acre, qu'elle a dû abandonner en 1948, lors de la création d'Israël. "J'avais 12 ans, se souvient-elle. Je dis encore aujourd'hui que j'ai 12 ans, parce que ce sont mes seules années de vraie vie."
A la clinique du Croissant-Rouge, le docteur Saleh Maarouf vient de terminer son tour de garde. Il est un peu plus de midi, il va passer le relais à un autre médecin, qu'un troisième viendra relayer cinq heures plus tard, jusqu'à 21 h 30. "Les habitations ici ne voient pas le soleil, explique-t-il. Les égouts et autres infrastructures sont en piteux état. Les gens souffrent de pneumonies, parfois de tuberculose, de diabète aussi, à cause d'une mauvaise alimentation, et d'anémie. Nous constatons pas mal de cas de cancer. Notre clinique, qui inclut un service de radiologie, un autre de soins dentaires et un laboratoire d'examens médicaux, ne traite que les cas simples ou les urgences. Nous soignons les gens du camp, mais aussi d'ailleurs, qui viennent ici parce qu'ils ne peuvent pas payer un médecin en ville. Nous leur demandons, lorsqu'ils le peuvent, une contribution symbolique de 10 dollars."
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