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Journée internationale de la langue maternelle: Le syndrome du flou linguistique algérien

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  • Journée internationale de la langue maternelle: Le syndrome du flou linguistique algérien

    Le 21 février coïncide avec la journée internationale de la langue maternelle. La journée est célébrée depuis maintenant douze ans à travers le monde et cette 13e édition est consacrée au "multilinguisme pour l'éducation inclusive".

    En Algérie, Si elles sont importantes pour l'identité de l'individu, les langues maternelles sont ignorées, voire dévalorisées.

    L’usage même des langues maternelles dans les institutions de l’Etat est banni. Les gouvernements ne fait rien pour les sauvegarder ou pour les promouvoir, il ne les protège pas.

    L’école algérienne a toujours ignoré l’enseignement des langues maternelles, plus proches de l’aspect affectif, émotionnel et identitaire des interlocuteurs.

    Et pourtant permettre aux populations d'apprendre, dès le plus jeune âge, dans leur langue maternelle puis dans d'autres langues, nationale, officielle ou autre, c'est promouvoir l'égalité et banir l'exclusion sociale.

    Une thèse que soutiennent d’ailleurs les psycholinguistes et les spécialistes depuis maintenant plusieurs années en affirmant que l’apprentissage des langues maternelles dès la première année de la scolarisation permet une meilleure capacité de compréhension et d’apprentissage pour les apprenants (voir entretien)


    De la complexité au complexe linguistique
    La langue maternelle de beaucoup d’algériens varie selon la région ou l’origine de la famille où on est nés. La langue amazighe avec ses variantes, l’arabe algérien qui est un mélange de français, d’arabe et de kabyle avec toutes ses variantes régionales et enfin le français
    avec ses accents, ses néologismes et surtout les « malformations » que les interlocuteurs algériens opèrent à loisirs sur cette langue.

    En Algérie quand on atteint un certain degré intellectuel dans la discussion, on utilise le français ou l’arabe classique ou encore le kabyle davantage présent dans notre quotidien que les autres variantes de tamazight. Les interlocuteurs algériens peinent souvent à s’imposer linguistiquement surtout les jeunes scolarisés.

    Fouad, jeune fonctionnaire, nous explique comment il appréhende la réalité linguistique en Algérie :
    « J’ai fait mes études en arabe classique mais je ne maîtrise pas l’arabe !»

    Notre réalité linguistique a même fait réagir des intellectuels et humoristes à travers les temps :

    Kateb Yacine disait à ce propos : « On croirait aujourd'hui, en Algérie et dans le monde, que les Algériens parlent l'arabe. Moi-même, je le croyais, jusqu'au jour où je me suis perdu en Kabylie. Pour retrouver mon chemin, je me suis adressé à un paysan sur la route. Je lui ai parlé en arabe. Il m'a répondu en tamazight. Impossible de se comprendre. Ce dialogue de sourds m'a donné à réfléchir. Je me suis demandé si le paysan kabyle aurait dû parler arabe, ou si, au contraire, j'aurais dû parler tamazight, la première langue du pays depuis les temps préhistoriques... »

    «Comment voulez-vous qu’on construise un pays ensemble…si on est même pas synchros ? »

    Fellag, le grand humoriste algérien a lui aussi traité la langue maternelle tout en mettant en scène un policier qui réprime. Il somme les révoltés «d’avoir mal » en langue arabe quand il les bastonne. Il ne s’agit pas d’un mot mais d’une interjection : le « aïe » dont l’intonation diffère d’une langue à une autre, il fallait le dire en arabe. L’humoriste y dépeint d’une façon subtile la répression dont est victime les langues maternelles en Algérie, notamment le kabyle.

    Amira, étudiante en sciences juridiques, nous explique tant bien son rapport aux langues et surtout le pêle-mêle linguistique où baignent les algériens :

    «Un Arabe incorrecte avec du français cassé… ! »

    Ainsi, peut-on dire que nous souffrons en Algérie d’une forme d’aliénation linguistique ou au contraire nous avons une richesse linguistique inestimable qu’il est enfin temps de valoriser?

    Le poète et médecin français du siècle dernier, Georges Duhamel en l’occurrence dira à propos de la langue maternelle ceci : « On demande volontiers au polyglotte : «En quelle langue pensez-vous ?» Je lui pose plutôt cette question : «En quelle langue souffrez-vous ?». Celle-là, c'est la vraie, la maternelle.

    Pourquoi le 21 février ?

    La date du 21 février a été choisie par l’UNESCO en 1999, en hommage aux étudiants tués le 21 février 1952, par la police à Dhaka (aujourd'hui la capitale du Bangladesh) alors qu'ils manifestaient pour que leur langue maternelle, le bengali, soit déclarée deuxième
    langue officielle du Pakistan oriental et qui est devenu le Bangladesh après la guerre de libération. Cette journée a été proclamée afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme.

    Hamida Mechaï

  • #2
    entretien avec Rabah Sebaa

    Rabah Sebaa, anthropologue: «La combativité est en train de gagner les autres idiomes»


    Rabah Sebaa, professeur d'Anthropologie culturelle sociolinguistique à l'Institut de Sociologie de l'Université d’Oran diagnostique la réalité des langues maternelles en Algérie. Selon lui « toutes les langues ont leur place en Algérie. C’est cette volonté de les mettre sur un échiquier artificiel qui n’a pas sa place » affrirme-t-il.


    La place des langues maternelles dans notre pays. Le cas du kabyle, notamment qui au fil des années s'est appropriée le statut de langue "revendicative"…

    Si le kabyle occupe une place particulière cela est dû à la dimension militante qui a toujours accompagné l’exigence de sa survie. Pour comprendre pourquoi la langue amazighe a fini par s’imposer comme langue nationale et qui sera forcément un jour officiel, il faut remonter à l’époque coloniale, aux luttes syndicales et bien évidemment au printemps berbère. C’est chaque fois le kabyle qui a été le fer de lance de la revendication et non pas l’ensemble des variantes amazighes. Mais cette combativité culturelle et linguistique est en train de gagner l’ensemble des idiomes algériens.


    Comment l'identité de l'Algérien se tisse-t-elle au fil du temps surtout que nous sommes "inhibés «quand il s'agit de faire référence à sa langue maternelle?

    Il y a lieu de constater que les langues algériennes se sont imposées comme composantes à part entière de l’identité nationale. La sinistre idéologie du monolinguisme véhiculée par la non moins sinistre programmatique arabisation est, à présent, frappée de caducité. Il existe, maintenant, des radios locales et quelques titres de presse dans les langues locales ou régionales ce qui était inimaginable il y a seulement une décennie.

    Les productions théâtrales, romanesques, cinématographiques...bref culturelles ne sont-ils pas freinés à cause des "balises linguistiques" dont nous portons aujourd'hui lourdement le poids?

    Elles sont surtout freinées par le double monopole politique et économique étatique. L’essentiel de ce qui s’est produit ces dernières années l’a été dans le cadre ou plus précisément dans le moule des grandes manifestations officielles telles l’année de l’Algérie en France (2003) Alger, capitale de la culture arabe (2007), le festival panafricain (2009) ou Tlemcen capitale de la culture islamique (2011). Cela fait plus d’une décennie que des budgets colossaux sont engloutis par des productions médiocres, sélectionnées et gérées par un encadrement plus que médiocre qui est en charge de la culture nationale. A l’extérieur de ce cénacle de la médiocrité officielle et solennel, l’imaginaire culturel algérien foisonne dans ses langues naturelles.

    Beaucoup de productions libres dans les domaines que vous venez de citer ont été produites en arabe algérien, en kabyle, en chaoui et en français et qui contredisent les nullités officielles. C’est donc en toute logique qu’on considère qu’il est dangereux de leur donner de la visibilité aussi bien en Algérie qu’à étranger

    Y a-t-il lieu de parler d'un "complexe linguistique" en Algérie?
    Dans le sens étymologique du terme complexus signifie un ensemble qui contient des éléments différents, ce qui est effectivement le cas pour l’Algérie qui est une société plurilingue, nonobstant la thèse officielle.

    Mais si vous faites allusion à la dimension ou à la signification psychanalytique de la notion de complexe, il est pour le moins évident qu’il existe, en Algérie un complexe linguistique dans le sens où la question est frappée par une scotomisation politique qui charrie un triple déni vis-à-vis de la langue amazighe, de l’arabe algérien et du français.

    Quelle est la place réelle du français?
    C’est une langue algérienne à part entière. Dans un ouvrage que j’ai intitulé, L’Algérie et la langue française, je parle d’altérité partagée voire d’altérité intérieure ou intériorisée.
    Le fameux butin de guerre de Kateb Yacine revêt, à présent, une signification sociale.
    La langue française est quotidiennement en actes dans l’habitus linguistique algérien


    Finalement aucune langue n'a vraiment sa place en Algérie?
    Bien au contraire toutes les langues ont leur place en Algérie. C’est cette volonté de les mettre sur un échiquier artificiel qui n’a pas sa place. Toutes les langues algériennes se sustentent les unes les autres et n’ont de sens que dans cette proximité qui fonde la substruction de leur existence dans ce continuum.

    Qu'entendez-vous de "notre société répond à une configuration linguistique quadridimensionnelle"?

    La quatrilinguité signifie l’existence de quatre grands ensembles linguistiques que composent l’arabe algérien, la langue amazighe, l’arabe conventionnel et le français. C’est bien de cela que se compose le réel linguistique en Algérie mais cette quatrilinguité recèle elle-même tout un faisceau de nuances. Dans la langue amazighe il y a bien sûr le kabyle mais il ya le chaoui, le targui, le mzabi et toutes les variantes du tachalhit qu’on parle aussi bien à Boussemghoun qu’à Oukda, près de Béchar ou à Béni Snouss.
    Cela est aussi valable pour le français que pour l’arabe officiel.

    Vous faites beaucoup référence dans vos contributions aux "thèses officielles" sur les langues en Algérie. Comment peut-on se libérer réellement de ce poids du "discours officiel" qui sanctionne finalement les langues minoritaires et les interlocuteurs aussi?

    C’est la société qui se charge de juguler ce volontarisme politique cherchant à la mutiler d’une partie de sa parole ou plus précisément de ces paroles et de ses conduites langagières. Il suffit d’observer ce que sont devenues toutes les mesures oppressives accompagnant la soi-disant« politique » d’arabisation. C’est le réel linguistique qui a pris le dessus sur le factice et le forcé.

    Hamida Mechaï

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