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Des navires occidentaux impliqués dans le trafic d'armes

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  • Des navires occidentaux impliqués dans le trafic d'armes

    Stockholm, correspondance - Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les propriétaires de navires marchands impliqués dans le transport d'armes, de drogues, et autres produits prohibés sont, dans la plupart des cas, établis dans des pays occidentaux. Première surprise : l'Allemagne arrive largement en tête. Telle est la conclusion de l'enquête menée par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), réputé pour son travail sur le commerce des armes, licite et illicite. Toutefois, "les capitaines de ces bateaux ignorent souvent ce qu'ils transportent", constate Hugh Griffiths, coauteur du rapport qui porte sur 2 500 cas relevés depuis le début des années 1980.

    Il suffit de se pencher sur un événement intervenu au Nigeria, en octobre 2010, pour comprendre la complexité du problème. Les forces de sécurité ont alors saisi 240 tonnes de missiles, d'obus et de munitions. L'Everest, un bâtiment allemand affrété par la compagnie française, CMA-CGM, battant pavillon des îles Marshall (Micronésie), avait chargé ces conteneurs en provenance d'Iran en juillet. Selon une résolution des Nations unies datant de mars 2007, l'Iran n'a pas le droit d'exporter des armes. Les conteneurs devaient poursuivre leur route vers la Gambie et, de là, vers une destination inconnue. Les déclarations faisaient état de "matériel de construction".

    Basé à Marseille, CMA-CGM, troisième groupe mondial de transport maritime par conteneurs, dispose d'un système d'alerte informatique où sont référencées toutes les sociétés et personnes mises sur liste noire par les Nations unies, l'Union européenne et l'OFAC (Office of Foreign Assets Control), l'agence américaine de contrôle. "S'il y a une alerte, nous refusons la réservation. Dans le cas de L'Everest, aucune alerte n'a été déclenchée", explique au Monde le général Pierre de Saqui de Sannes, conseiller du groupe CMA-CGM.

    La compagnie iranienne impliquée n'apparaissait pas sur la liste des Nations unies des armateurs interdits. "Les Israéliens savaient que cette compagnie était impliquée dans le trafic d'armes, mais ils n'ont pas transmis cette information à la CMA-CGM", relève Hugh Griffiths.

    Pour le Sipri, l'affaire de L'Everest aurait pu être évitée s'il existait un système de partage des informations sur les navires suspects, à l'instar de ce qui se fait dans le domaine aérien où, il est vrai, les engins impliqués sont bien moins nombreux.

    CONSTAT SANS ÉQUIVOQUE

    Alors que plus de 80 % du commerce mondial s'effectue par voie maritime, le rapport du Sipri dresse un constat sans équivoque. "Nous avons perdu la capacité de surveiller efficacement ce qui arrive dans nos pays et cela n'est pas évoqué au niveau mondial. On contrôle au mieux 2 % des conteneurs qui arrivent dans les ports. Les propriétaires de navires et même les agents des douanes ne peuvent souvent que croire sur parole que ce qui est à l'intérieur du conteneur correspond effectivement à ce qui est indiqué sur les documents de fret", constate Hugh Griffiths.

    Et, sur les 2 %, on peut estimer que la moitié est examinée car les autorités ont déjà des soupçons précis sur la cargaison. En outre, dans les cas où les services de renseignement sont au courant de chargements prohibés, ils hésitent parfois à intervenir car cela les empêcherait ensuite de remonter une filière.

    Lorsque quelqu'un envoie un colis par la poste et indique qu'il contient un livre alors qu'il s'agit de drogue, la poste est-elle responsable ?, interroge la CMA-CGM. "Les gens pensent que si des armes sont envoyées sur nos navires, nous sommes au courant. Mais nous recevons les conteneurs scellés avec les documents de transport. Si nous avons des soupçons, nous pouvons ouvrir le conteneur, mais uniquement en présence du client", explique Pierre de Saqui de Sannes. Si le client refuse, la compagnie peut alors ne pas accepter le chargement.

    "La CMA-CGM transporte dix millions de conteneurs par an, note Pierre de Saqui de Sannes. Il est techniquement impossible de les scanner tous.

    Même les Etats-Unis y ont renoncé." Les trafiquants le savent bien et choisissent logiquement de s'abriter derrière des armateurs de renommée mondiale, moins suspects que d'autres. Pour exporter clandestinement des armes, mieux vaut les expédier sur un navire d'un des pays les plus riches du monde, de façon à moins attirer l'attention.

    MULTIPLIER LES INSPECTIONS

    Voilà le réel talon d'Achille : la plupart des marchandises qui transitent par mer, et qui constituent l'immense majorité du commerce mondial, ne subissent aucun contrôle. Pesticides prohibés, armes clandestines, drogues, contrefaçons de vêtements, de cigarettes, sont importés en Europe, et ailleurs en toute liberté.

    Au Danemark, pays d'origine de Maersk, premier transporteur maritime mondial, le rapport du Sipri a provoqué des remous. Un parti de la gauche radicale, soutien parlementaire de l'actuelle coalition de centre-gauche au pouvoir, a déposé un projet de loi qui a fait grand débat. Il visait à obliger les armateurs à être responsables de leur cargaison. La proposition a été rapidement rejetée par le gouvernement.

    De son côté, la CMA-CGM a pris une décision exceptionnelle en 2011, en suspendant son commerce avec l'Iran, une première dans l'histoire de la compagnie. Les pressions américaines n'y sont sans doute pas étrangères, d'autant que l'Iran est, avec la Corée du Nord, le pays le plus surveillé du monde. "Nous ne sortons plus un conteneur d'Iran. Et tout ce qui rentre en Iran est scanné depuis le port de Khor Fakkan, dans les Emirats arabes unis", explique le responsable de la CMA-CGM.

    Le rapport du Sipri montre également que plus les bateaux sont anciens, et en mauvais état, plus il y a de chances qu'ils transportent des marchandises illicites. Afin de les démasquer, les auteurs suggèrent aux autorités portuaires de multiplier les inspections en invoquant les normes de sécurité et environnementales. Ce qui est toujours possible dans le cadre de la prévention des pollutions en mer.

    Reste à savoir s'il existe la volonté politique d'engager une épreuve de force avec les armateurs qui rechignent à se voirimposer des règles trop contraignantes.

    Olivier Truc / Cahier Géo&Politique du "Monde", daté du dimanche 26 - lundi 27 février | LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 25.02.12 | 17h31
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