Doha, envoyé spécial - La scène se déroule le 23 juin 2009 dans le salon d'apparat de la mairie de Paris. Le tapis rouge est déroulé devant son Altesse Sérénissime Hamad Ben Khalifa Al-Thani, le monumental émir du Qatar. Dehors, la police parisienne est sur les dents. Des hélicoptères sillonnent le ciel de la capitale et les voies sur berge sont cadenassées. La conversation entre Bertrand Delanoë et son hôte glisse sur la boulimie d'investissements du micro-Etat qui, en l'espace de quelques mois, est entré au capital de poids lourds européens comme Porsche, Suez et la banque Barclays. Tamim, le prince héritier, fils chéri de l'émir, intervient avec un sourire sibyllin : "Il faut que vous compreniez, en ce moment nous rachetons nos chevaux aux Egyptiens et nos perles aux Indiens."
Le Qatar : un nabot par la taille (11 500 km2) et la population (1,7 million d'habitants, dont 85 % d'expatriés), un mammouth par la force de frappe diplomatique et économique. Gavé de devises par son industrie gazière, l'une des plus performantes au monde, la presqu'île du golfe Arabo-Persique pratique une politique d'intervention tous azimuts.
Ces derniers mois, il a non seulement raflé l'organisation de la Coupe du monde de foot 2022 et racheté le PSG, ses deux faits d'armes les plus connus en France, mais il a aussi investi un milliard de dollars (755 millions d'euros) dans des mines d'or en Grèce, pris 5 % de la banque Santander au Brésil, le plus gros établissement financier d'Amérique latine, renfloué les studios de cinéma Miramax mis en vente par Disney et placé un autre milliard de dollars dans un fonds d'investissement en Indonésie.
Parallèlement, le Petit Poucet qatari montait au front des révolutions arabes, en envoyant ses avions de chasse Mirage et ses forces spéciales à la rescousse des rebelles libyens et en sonnant la charge contre Bachar Al-Assad, le tyran de Damas. Un activisme débordant, avec dans le rôle du porte-voix, la chaîne Al-Jazira, rouleau compresseur médiatique, à l'avant-garde de la stratégie d'influence développée par Doha.
PLUS GRAND GISEMENT DE GAZ NATUREL
Pour comprendre ce qui fait courir la dynastie Al-Thani, il faudrait donc, comme le soufflait Tamim, remonter à l'époque des perles et des chevaux, les deux "mamelles" historiques du pays. "Dans la psyché des Qataris, la perle est quelque chose de fondamental, explique un conseiller du maire de Paris. Il y a, chez eux, un vrai ressentiment historique, un besoin de revanche sur ces voisins, cheikhs arabes ou maharajas indiens, qui l'ont copieusement pillé." Dans les années 1980, alors jeune prince héritier, le cheikh Hamad fait une autre expérience amère. Lors d'un voyage en Europe, un douanier à l'aéroport lui agite son passeport sous le nez, goguenard : "Mais c'est où ça, le Qatar ? Ça existe vraiment ?" Mortifié, le futur émir aurait juré de faire très vite connaître son confetti de terre.
Son arme sera le North-Dome, le plus grand gisement mondial de gaz naturel, à cheval sur les eaux territoriales du Qatar et de l'Iran. Son père, l'émir Khalifa, redoutait que la mise en valeur de cette manne n'agace justement la République islamique. Il craignait aussi de braquer l'Arabie saoudite, sourcilleux patron des micro-Etats de la péninsule.
En 1995, à l'âge de 43 ans, l'impétueux Hamad profite d'un séjour en Suisse de son pusillanime de père pour le déposer et lancer son royaume dans un processus de modernisation à marche forcée. Instruit par les déboires du Koweït, le jumeau pétrolier du Qatar envahi par les troupes de Saddam Hussein en 1990, le jeune monarque veille à assurer ses arrières.
Un an après son putsch de palais, il lance Al-Jazira. A la fois professionnelle et populiste, bête noire des rivaux du régime, comme l'Egypte de Hosni Moubarak et l'Arabie du roi Fahd qui avaient critiqué le coup d'Etat de 1995, mais beaucoup plus conciliante avec ses alliés comme la Libye de Mouammar Kadhafi -, avec qui l'émir partage une même détestation des Saoud - la nouvelle venue s'impose comme la caisse de résonance planétaire de la diplomatie de Doha.
ÉQUILIBRISME DIPLOMATIQUE
En 2003, nouvelle rupture : le Cheikh Al-Thani ouvre son pays au Pentagone, qui installe dans les sables du Qatar ce qui va devenir la plus grande base aérienne américaine en dehors des Etats-Unis. La tête de pont de ses opérations en Irak et en Afghanistan. Dans les années 1990, l'émir avait aussi noué un début de lien diplomatique avec Israël, pays avec lequel il restera en contact jusqu'à l'offensive de Tsahal contre la bande de Gaza, en janvier 2009.
Soucieux de ne froisser personne, le Qatar se transforme dans le même temps en terre d'accueil des opposants islamistes aux régimes en place dans le monde arabe : du prédicateur libyen Ali Al-Salibi à l'Algérien Abassi Madani, en passant par le télé-coraniste égyptien Qaradawi et le Tunisien Rached Ghannouchi, le patron d'Ennahda, futur vainqueur des législatives tunisiennes... Sans oublier Oussama Ben Laden, l'ennemi public numéro un de l'Oncle Sam, dont les messages audio sont retransmis sur Al-Jazira.
Objectif de ce jeu d'alliance à 360 degrés : tenir à bonne distance Riyad et Téhéran, et surtout s'assurer un accès ininterrompu au détroit d'Ormuz, passage obligé de ses exportations de gaz naturel liquéfié. "Le Qatar est assis sur un tas d'or mais il se sait très fragile, analyse un diplomate français. Pour continuer à exister, il a compris qu'il doit se faire connaître et reconnaître."
Le Qatar aurait pu en rester là. Continuer son numéro d'équilibriste diplomatique tout en plaçant sa fortune dans des bons du trésor américain ou des projets immobiliers sans valeur ajoutée, comme dans l'ex-Europe de l'Est, où il achète des morceaux de ville entiers. Une stratégie de bon père de famille, avisé mais sans aucun rayonnement dans les capitales occidentales. Témoin, la morgue de Bertrand Delanoë, en 2006, lorsque le Qatar Investment Authority (QIA), bras financier de l'émirat, classé au douzième rang des fonds souverains les plus riches de la planète, avait tenté une première approche du PSG. Le maire de Paris avait fustigé "ces fonds exotiques ", allant jusqu'à émettre des doutes sur "l'origine des capitaux".
Le Qatar : un nabot par la taille (11 500 km2) et la population (1,7 million d'habitants, dont 85 % d'expatriés), un mammouth par la force de frappe diplomatique et économique. Gavé de devises par son industrie gazière, l'une des plus performantes au monde, la presqu'île du golfe Arabo-Persique pratique une politique d'intervention tous azimuts.
Ces derniers mois, il a non seulement raflé l'organisation de la Coupe du monde de foot 2022 et racheté le PSG, ses deux faits d'armes les plus connus en France, mais il a aussi investi un milliard de dollars (755 millions d'euros) dans des mines d'or en Grèce, pris 5 % de la banque Santander au Brésil, le plus gros établissement financier d'Amérique latine, renfloué les studios de cinéma Miramax mis en vente par Disney et placé un autre milliard de dollars dans un fonds d'investissement en Indonésie.
Parallèlement, le Petit Poucet qatari montait au front des révolutions arabes, en envoyant ses avions de chasse Mirage et ses forces spéciales à la rescousse des rebelles libyens et en sonnant la charge contre Bachar Al-Assad, le tyran de Damas. Un activisme débordant, avec dans le rôle du porte-voix, la chaîne Al-Jazira, rouleau compresseur médiatique, à l'avant-garde de la stratégie d'influence développée par Doha.
PLUS GRAND GISEMENT DE GAZ NATUREL
Pour comprendre ce qui fait courir la dynastie Al-Thani, il faudrait donc, comme le soufflait Tamim, remonter à l'époque des perles et des chevaux, les deux "mamelles" historiques du pays. "Dans la psyché des Qataris, la perle est quelque chose de fondamental, explique un conseiller du maire de Paris. Il y a, chez eux, un vrai ressentiment historique, un besoin de revanche sur ces voisins, cheikhs arabes ou maharajas indiens, qui l'ont copieusement pillé." Dans les années 1980, alors jeune prince héritier, le cheikh Hamad fait une autre expérience amère. Lors d'un voyage en Europe, un douanier à l'aéroport lui agite son passeport sous le nez, goguenard : "Mais c'est où ça, le Qatar ? Ça existe vraiment ?" Mortifié, le futur émir aurait juré de faire très vite connaître son confetti de terre.
Son arme sera le North-Dome, le plus grand gisement mondial de gaz naturel, à cheval sur les eaux territoriales du Qatar et de l'Iran. Son père, l'émir Khalifa, redoutait que la mise en valeur de cette manne n'agace justement la République islamique. Il craignait aussi de braquer l'Arabie saoudite, sourcilleux patron des micro-Etats de la péninsule.
En 1995, à l'âge de 43 ans, l'impétueux Hamad profite d'un séjour en Suisse de son pusillanime de père pour le déposer et lancer son royaume dans un processus de modernisation à marche forcée. Instruit par les déboires du Koweït, le jumeau pétrolier du Qatar envahi par les troupes de Saddam Hussein en 1990, le jeune monarque veille à assurer ses arrières.
Un an après son putsch de palais, il lance Al-Jazira. A la fois professionnelle et populiste, bête noire des rivaux du régime, comme l'Egypte de Hosni Moubarak et l'Arabie du roi Fahd qui avaient critiqué le coup d'Etat de 1995, mais beaucoup plus conciliante avec ses alliés comme la Libye de Mouammar Kadhafi -, avec qui l'émir partage une même détestation des Saoud - la nouvelle venue s'impose comme la caisse de résonance planétaire de la diplomatie de Doha.
ÉQUILIBRISME DIPLOMATIQUE
En 2003, nouvelle rupture : le Cheikh Al-Thani ouvre son pays au Pentagone, qui installe dans les sables du Qatar ce qui va devenir la plus grande base aérienne américaine en dehors des Etats-Unis. La tête de pont de ses opérations en Irak et en Afghanistan. Dans les années 1990, l'émir avait aussi noué un début de lien diplomatique avec Israël, pays avec lequel il restera en contact jusqu'à l'offensive de Tsahal contre la bande de Gaza, en janvier 2009.
Soucieux de ne froisser personne, le Qatar se transforme dans le même temps en terre d'accueil des opposants islamistes aux régimes en place dans le monde arabe : du prédicateur libyen Ali Al-Salibi à l'Algérien Abassi Madani, en passant par le télé-coraniste égyptien Qaradawi et le Tunisien Rached Ghannouchi, le patron d'Ennahda, futur vainqueur des législatives tunisiennes... Sans oublier Oussama Ben Laden, l'ennemi public numéro un de l'Oncle Sam, dont les messages audio sont retransmis sur Al-Jazira.
Objectif de ce jeu d'alliance à 360 degrés : tenir à bonne distance Riyad et Téhéran, et surtout s'assurer un accès ininterrompu au détroit d'Ormuz, passage obligé de ses exportations de gaz naturel liquéfié. "Le Qatar est assis sur un tas d'or mais il se sait très fragile, analyse un diplomate français. Pour continuer à exister, il a compris qu'il doit se faire connaître et reconnaître."
Le Qatar aurait pu en rester là. Continuer son numéro d'équilibriste diplomatique tout en plaçant sa fortune dans des bons du trésor américain ou des projets immobiliers sans valeur ajoutée, comme dans l'ex-Europe de l'Est, où il achète des morceaux de ville entiers. Une stratégie de bon père de famille, avisé mais sans aucun rayonnement dans les capitales occidentales. Témoin, la morgue de Bertrand Delanoë, en 2006, lorsque le Qatar Investment Authority (QIA), bras financier de l'émirat, classé au douzième rang des fonds souverains les plus riches de la planète, avait tenté une première approche du PSG. Le maire de Paris avait fustigé "ces fonds exotiques ", allant jusqu'à émettre des doutes sur "l'origine des capitaux".
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