On appelle « islamiste » un partisan de l’islam politique ou fondamentaliste. Les autres croyants, qui forment la majorité de la population, sont des « musulmans ». L’objectif premier d’un islamiste est l’instauration d’un Etat Islamique ou le rétablissement du Califat. Il existe deux tendances : certains pensent y arriver par la voie politique de la démocratie, tandis que d’autres sont persuadés que seule la lutte armée permet de réaliser cet objectif.
J’entreprends dans cette suite de posts de faire l’histoire de l’islamisme algérien, principalement à l’attention des citoyens arabes, qui ignorent ce qui s’est passé dans ce pays. Internet, mis à part les ressources « qui-tue-quistes » (cf. plus loin pour ce terme), est particulièrement pauvre en cette matière. Or, il faut que les gens sachent ce que les populations ont enduré, ce que les années de sang ont apporté, ce que les discours ont distordus, ce que les victimes ont subis et la tragédie dans laquelle « l’idéologie » a jeté les Algériens. J’écris cela pour dire que tout n’est pas confus, qu’il est possible de comprendre ! L’histoire ici exposée a un fil directeur, sa logique est claire et ne souffre pas d’ambiguïté. C’est un devoir quand on est Maghrébin de chercher à s’informer sur le drame du voisin. Personne n’a le droit de dire, au Maghreb comme au Machreq, « nous ne le savions pas ». Personne n’a le droit de dire « ça n’arrive qu’aux autres ! ». Le déroulement ici exposé pourrait se reproduire dans d’autres sociétés. Je crois faire une œuvre utile en l’exposant avec le maximum d’objectivité dont je suis capable. Je laisserai une bibliographie à la fin, avec notamment un film extraordinaire, Algérie, autopsie d’une tragédie (1988-2000), de Malek Aït Aoudia et Séverine Labat. Que ceux qui n’ont pas le temps de lire voient le film, que ceux qui ont lu les mots, voient les images ! Que tombent l’ignorance et la désinformation sur le phénomène « islamiste » ! Que ceux qui n’aiment pas les images ou ne lisent pas « la politique » lisent les romans de Waciny Laredj ou de Yasmina Khadra (cf. bibliographie)…
Je préviens que certains des posts qui vont suivre seront difficiles à lire. C’est parce que les réalités sont souvent elles-mêmes insupportables. Je vous prierais de m’excuser si mon exposé comporte des approximations et des erreurs chronologiques ou si, le « point de vue » adopté, qui est celui d’une personne concernée par ces « évènements », pèche par un côté ou un autre. J’ai essayé de faire preuve d’objectivité et d’esprit critique par rapport aux « versions » en circulation, souvent établies par des politiques…
Introduction
Après sept années d’une guerre atroce, l’Algérie accède à l’indépendance en 1962. Les héros de la guerre et les chefs politiques de la révolution (Krim Belkacem, Ferhat Abbas, etc.) sont vite écartés. Tandis que les combattants de l’intérieur étaient épuisés, l’armée des frontières, stationnée du côté du Maroc et de la Tunisie, empêchée de participer aux combats par les lignes Maurice et Challes, retrouve sa liberté de mouvement. Son chef, le colonel Boumédiène, fait alliance avec un civil, Ahmed Ben Bella, et marche sur Alger, en tuant au passage 2000 Algériens. Il prend le pouvoir en « détournant » la révolution et Ben Bella est proclamé président. Trois ans plus tard, Boumèdiène renverse son ancien allié, se proclame lui-même président (1965-1979), instaure ce que les Algériens appellent « le système » et engage le pays dans la voie du socialisme. « Le système » consiste en un type de gouvernement autoritaire dominé par le parti unique, le FLN (Front de Libération Nationale) et l’Armée. La disparition de Boumédiène en 1979 porte à la tête de l’état un nouveau colonel obscur, Chadli Bendjédid (1979-1992), qui se singularisera par son laxisme envers les fondamentalistes et son ignorance de sa propre société.
I. Les prémisses du mouvement islamiste (1962-1988)
1) colonisation, arabisation, islamisation
La dénégation et l’infériorisation de l’Algérien pendant l’époque coloniale a conduit certaines élites à trouver refuge dans l’islam. L’association des ulémas d’Ibn Badis s’est voulue rigoriste. Elle s’est donnée pour objectif la lutte contre ce qu’elle considère comme de l’obscurantisme (l’islam rural et le maraboutisme), la réforme des mœurs et l’enseignement de la langue arabe. A l’indépendance, le pouvoir a intégré son idéologie et récupéré tant bien que mal ses membres. Son leader, El Bachîr El Ibrahimi, a pu placer ses pupilles dans les rouages de l’état, tout en dénonçant au passage la mixité ou « l’occidentalisation ».
Mais une partie des islamistes n’étaient pas contente de cette dissolution dans les appareils d’état. Ils se sont mis à créer une nouvelle association dans le même sillage, dénommée Al Qiam (Les Valeurs). Ses membres fondateurs sont entre autres Tidjani Hachemi, Abassi Madani, Abdellatif Soltani, Ahmed Sahnoun et Omar al-Arbaoui (chef spirituel d’Ali Benhadj). Epris par l’organisation des Frères musulmans d’Egypte, ils entendaient réhabiliter le patrimoine islamique mis à mal par l’occupant français. L’organisation fut dissoute par Boumédiène suite à ses prises de position virulentes contre l’exécution de Sayyid Qotb par Nacer en Egypte. Mais ses membres ont continué leur action en publiant des pamphlets et en signant plus tard (1982) des plates-formes pour l’application de la charia (Loi Islamique).
L’état continue à sa manière l’action des ulémas en décrétant l’islam religion d’état et en dotant le pays d’un formidable réseau de mosquées. Il lance le controversé projet de l’arabisation des institutions et surtout de l’éducation. Vu que l’encadrement algérien était essentiellement francophone, des enseignants sont importés de Syrie et d’Egypte. Les enfants sont alors livrés aux discours de propagande panislamiste d’Egyptiens venus propager les idées de Hassan El Banna. Les cours de maths sont transformés en cours d’éducation religieuse. Les cultures populaires algériennes et la dimension berbère du patrimoine national sont abandonnées au profit d’idéologies moyen-orientales.
Les années 1980 ont vu se développer plusieurs groupes intégristes (hommes barbus et femmes voilées) au sein des universités algériennes et (comme en Turquie) des klashs étaient fréquents avec les étudiants de gauche et les progressistes. Le système éducatif algérien est resté jusqu’à présent noyauté par l’idéologie fanatique : le flux d’échec faramineux qu’il génère débouche vers la rue, où les enfants/adolescents trouvent pour seul encadrement les réseaux islamistes informels des quartiers populaires. En proie à l’injustice et à la hogra (notion intraduisible : mépris) quotidiennes, exclu de la manne pétrolière et acculé à la pauvreté par les classes au pouvoir (FLN et Armée) qui organisent une corruption généralisée à leur profit, le jeune Algérien trouve son compte dans l’entre-aide, l’appui et le soutien actifs mis en place par les tenants de l’idéologie islamiste.
2) Les trois « S » de l’islamisme ou les « pieux ancêtres »
Trois « cheikhs » ont bravé l’islam officiel dés les premières années de l’indépendance en se posant comme les héritiers légitimes des Ulémas. A la différence de leurs aînés (Bachir Ibrahimi), ils ont refusé d’être enrôlés dans les appareils d’état. Nous les désignerons par les trois « S » (initiale de leur nom). Il s’agit de Soltani, Sahraoui et Sahnoun, qui se sont illustrés depuis 1962 par leur action prédicative qui leur assura une large clientèle, par leur combat islamiste et par leur rejet virulent du pouvoir. Ayant vécu la colonisation et la guerre d’indépendance, membres de l’association d’Ibn Bâdis, ils forment pour les intégristes des ancêtres révérés. Les mosquées où ils ont enseigné sont devenues des bastions de l’activisme fondamentaliste. Deux d’entre eux furent maîtres d’Ali Benhadj.
J’entreprends dans cette suite de posts de faire l’histoire de l’islamisme algérien, principalement à l’attention des citoyens arabes, qui ignorent ce qui s’est passé dans ce pays. Internet, mis à part les ressources « qui-tue-quistes » (cf. plus loin pour ce terme), est particulièrement pauvre en cette matière. Or, il faut que les gens sachent ce que les populations ont enduré, ce que les années de sang ont apporté, ce que les discours ont distordus, ce que les victimes ont subis et la tragédie dans laquelle « l’idéologie » a jeté les Algériens. J’écris cela pour dire que tout n’est pas confus, qu’il est possible de comprendre ! L’histoire ici exposée a un fil directeur, sa logique est claire et ne souffre pas d’ambiguïté. C’est un devoir quand on est Maghrébin de chercher à s’informer sur le drame du voisin. Personne n’a le droit de dire, au Maghreb comme au Machreq, « nous ne le savions pas ». Personne n’a le droit de dire « ça n’arrive qu’aux autres ! ». Le déroulement ici exposé pourrait se reproduire dans d’autres sociétés. Je crois faire une œuvre utile en l’exposant avec le maximum d’objectivité dont je suis capable. Je laisserai une bibliographie à la fin, avec notamment un film extraordinaire, Algérie, autopsie d’une tragédie (1988-2000), de Malek Aït Aoudia et Séverine Labat. Que ceux qui n’ont pas le temps de lire voient le film, que ceux qui ont lu les mots, voient les images ! Que tombent l’ignorance et la désinformation sur le phénomène « islamiste » ! Que ceux qui n’aiment pas les images ou ne lisent pas « la politique » lisent les romans de Waciny Laredj ou de Yasmina Khadra (cf. bibliographie)…
Je préviens que certains des posts qui vont suivre seront difficiles à lire. C’est parce que les réalités sont souvent elles-mêmes insupportables. Je vous prierais de m’excuser si mon exposé comporte des approximations et des erreurs chronologiques ou si, le « point de vue » adopté, qui est celui d’une personne concernée par ces « évènements », pèche par un côté ou un autre. J’ai essayé de faire preuve d’objectivité et d’esprit critique par rapport aux « versions » en circulation, souvent établies par des politiques…
Introduction
Après sept années d’une guerre atroce, l’Algérie accède à l’indépendance en 1962. Les héros de la guerre et les chefs politiques de la révolution (Krim Belkacem, Ferhat Abbas, etc.) sont vite écartés. Tandis que les combattants de l’intérieur étaient épuisés, l’armée des frontières, stationnée du côté du Maroc et de la Tunisie, empêchée de participer aux combats par les lignes Maurice et Challes, retrouve sa liberté de mouvement. Son chef, le colonel Boumédiène, fait alliance avec un civil, Ahmed Ben Bella, et marche sur Alger, en tuant au passage 2000 Algériens. Il prend le pouvoir en « détournant » la révolution et Ben Bella est proclamé président. Trois ans plus tard, Boumèdiène renverse son ancien allié, se proclame lui-même président (1965-1979), instaure ce que les Algériens appellent « le système » et engage le pays dans la voie du socialisme. « Le système » consiste en un type de gouvernement autoritaire dominé par le parti unique, le FLN (Front de Libération Nationale) et l’Armée. La disparition de Boumédiène en 1979 porte à la tête de l’état un nouveau colonel obscur, Chadli Bendjédid (1979-1992), qui se singularisera par son laxisme envers les fondamentalistes et son ignorance de sa propre société.
I. Les prémisses du mouvement islamiste (1962-1988)
1) colonisation, arabisation, islamisation
La dénégation et l’infériorisation de l’Algérien pendant l’époque coloniale a conduit certaines élites à trouver refuge dans l’islam. L’association des ulémas d’Ibn Badis s’est voulue rigoriste. Elle s’est donnée pour objectif la lutte contre ce qu’elle considère comme de l’obscurantisme (l’islam rural et le maraboutisme), la réforme des mœurs et l’enseignement de la langue arabe. A l’indépendance, le pouvoir a intégré son idéologie et récupéré tant bien que mal ses membres. Son leader, El Bachîr El Ibrahimi, a pu placer ses pupilles dans les rouages de l’état, tout en dénonçant au passage la mixité ou « l’occidentalisation ».
Mais une partie des islamistes n’étaient pas contente de cette dissolution dans les appareils d’état. Ils se sont mis à créer une nouvelle association dans le même sillage, dénommée Al Qiam (Les Valeurs). Ses membres fondateurs sont entre autres Tidjani Hachemi, Abassi Madani, Abdellatif Soltani, Ahmed Sahnoun et Omar al-Arbaoui (chef spirituel d’Ali Benhadj). Epris par l’organisation des Frères musulmans d’Egypte, ils entendaient réhabiliter le patrimoine islamique mis à mal par l’occupant français. L’organisation fut dissoute par Boumédiène suite à ses prises de position virulentes contre l’exécution de Sayyid Qotb par Nacer en Egypte. Mais ses membres ont continué leur action en publiant des pamphlets et en signant plus tard (1982) des plates-formes pour l’application de la charia (Loi Islamique).
L’état continue à sa manière l’action des ulémas en décrétant l’islam religion d’état et en dotant le pays d’un formidable réseau de mosquées. Il lance le controversé projet de l’arabisation des institutions et surtout de l’éducation. Vu que l’encadrement algérien était essentiellement francophone, des enseignants sont importés de Syrie et d’Egypte. Les enfants sont alors livrés aux discours de propagande panislamiste d’Egyptiens venus propager les idées de Hassan El Banna. Les cours de maths sont transformés en cours d’éducation religieuse. Les cultures populaires algériennes et la dimension berbère du patrimoine national sont abandonnées au profit d’idéologies moyen-orientales.
Les années 1980 ont vu se développer plusieurs groupes intégristes (hommes barbus et femmes voilées) au sein des universités algériennes et (comme en Turquie) des klashs étaient fréquents avec les étudiants de gauche et les progressistes. Le système éducatif algérien est resté jusqu’à présent noyauté par l’idéologie fanatique : le flux d’échec faramineux qu’il génère débouche vers la rue, où les enfants/adolescents trouvent pour seul encadrement les réseaux islamistes informels des quartiers populaires. En proie à l’injustice et à la hogra (notion intraduisible : mépris) quotidiennes, exclu de la manne pétrolière et acculé à la pauvreté par les classes au pouvoir (FLN et Armée) qui organisent une corruption généralisée à leur profit, le jeune Algérien trouve son compte dans l’entre-aide, l’appui et le soutien actifs mis en place par les tenants de l’idéologie islamiste.
2) Les trois « S » de l’islamisme ou les « pieux ancêtres »
Trois « cheikhs » ont bravé l’islam officiel dés les premières années de l’indépendance en se posant comme les héritiers légitimes des Ulémas. A la différence de leurs aînés (Bachir Ibrahimi), ils ont refusé d’être enrôlés dans les appareils d’état. Nous les désignerons par les trois « S » (initiale de leur nom). Il s’agit de Soltani, Sahraoui et Sahnoun, qui se sont illustrés depuis 1962 par leur action prédicative qui leur assura une large clientèle, par leur combat islamiste et par leur rejet virulent du pouvoir. Ayant vécu la colonisation et la guerre d’indépendance, membres de l’association d’Ibn Bâdis, ils forment pour les intégristes des ancêtres révérés. Les mosquées où ils ont enseigné sont devenues des bastions de l’activisme fondamentaliste. Deux d’entre eux furent maîtres d’Ali Benhadj.
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