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Quel printemps arabe au Maroc ?

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  • Quel printemps arabe au Maroc ?

    J'ai eu la chance de passer quelques jours dernièrement au Maroc pour débattre avec des intellectuels engagés dans le mouvement du Printemps arabe, à l'invitation du délégué général de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui est, pour le dire vite, « l'ambassadeur » de la Communauté française de Belgique au Maroc.

    Ce qui m'a d'abord frappé, c'est la soif de débat et de parole des jeunes Marocains. Certes, je n'ai pas été dans les campagnes ou les villes reculées, dans le Rif ou dans l'Atlas ; mais à Rabat et à Casablanca, j'ai vu des étudiants extrêmement attentifs, posant et se posant mille questions sur l'avenir de leur pays et du monde.

    Il y a un paradoxe marocain du Printemps arabe. Le paradoxe, c'est qu'avant les révoltes de 2011, le Maroc passait pour le pays démocratiquement le plus avancé du Maghreb, peut-être même de tout le monde arabe. Mais après les révoltes en Tunisie et en Égypte, le Maroc paraît à la traîne.

    Certes, le roi a lâché du lest et a réformé la Constitution cet été mais, enfin, il a gardé ses prérogatives essentielles. Certes, il y a bien un mouvement local des Indignés, le mouvement dit du « 20 février », mais il s'essouffle et il n'y avait pas grand monde la semaine dernière -quelques centaines de personnes tout au plus-, pour célébrer le premier anniversaire du mouvement. Donc, on ne peut pas parler de réelle révolution démocratique au Maroc.

    Mais pas de révolution islamiste non plus. Certes, les élections ont été remportées par le parti islamiste Justice et Développement, dont le leader, Benkirane, est devenu Premier ministre. Mais enfin, Benkirane n'est pas un agité du bocal, et il joue -pour le moment en tout cas- la carte de la modération, mettant surtout en avant la lutte contre la corruption et la bonne entente avec Mohammed VI.

    Bref, entre le pouvoir royal, les forces islamistes et le mouvement du Printemps arabe, on a l'impression que le peuple marocain attend de voir. Mais j'ai été surpris par trois choses.

    La première, c'est que les intellectuels avec qui j'ai discuté osaient tout mettre en question publiquement, même le pouvoir du roi, ce qui était impensable il y a quelques années encore. La deuxième chose, c'est que pour ces intellectuels athées et progressistes, l'islamisme n'est pas vraiment vécu comme un péril majeur.

    Je leur ai posé la question, notamment concernant les droits des femmes. Et telle ne fut pas ma surprise d'entendre une des leaders du mouvement du 20 Février, une jeune femme d'une trentaine d'années parfaitement occidentalisée, répondre qu'elle était « post-féministe » (je la cite), au sens où, pour elle, la condition féminine progressait au Maroc, et que les islamistes n'y changeraient rien. Pour elle, le principal problème du Maroc, c'est la corruption et les inégalités.

    La troisième chose qui m'a frappé, c'est que la France et l'Europe ne sont plus du tout le modèle absolu. Les jeunes du mouvement du 20 Février, branchés en permanence sur les réseaux sociaux, lorgnent vers le monde anglo-saxon et contestent ouvertement la prééminence de la langue française dans les élites marocaines -tout cela, rassurez-vous, dans un français absolument impeccable !. Mais enfin c'est un fait : Voltaire fait moins rêver que Facebook !

    Bref, je retire de cette (courte) expérience que les questions que les gens se posent dans leur propre pays ne sont pas celles que nous avons, nous, en tête. Le Maroc que j'ai vu ne vit ni un printemps arabe ni un hiver islamiste, pour reprendre les clichés tout faits des éditorialistes européens.

    Je n'ai pas vu un pays tiraillé entre le désir de faire la révolution et celui de se replier sur un islam rétrograde, mais un pays qui bouge, qui cherche, non sans hésitations et difficultés, sa propre voie dans un monde de plus en plus incertain.

    Par Edouard Delruelle
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