Jean Clavel, soldat du refus. Alfred Gerson, un des responsables en Algérie de la Voix du soldat. Raphaël Grégoire, soldat du refus. François Hilsum, dirigeant des Jeunesses communistes en charge de la confection
et de la diffusion des journaux clandestins.
Rappel des faits
L’activité des communistes auprès des soldats du contingent français pendant la guerre d’Algérie est partie intégrante de la lutte du PCF contre le fait colonial.
En grande partie clandestin pour des raisons imputables au contexte répressif de l’époque, le travail politique a pris diverses formes : édition et distribution de journaux interdits, organisation de mouvements de résistance dans les casernes, refus d’aller combattre en Algérie… De nombreux jeunes communistes se sont engagés pleinement dans ce combat, souvent au prix de dures années d’emprisonnement, de tortures, de pressions psychologiques. Comme nos interlocuteurs de cette table ronde. Cinquante ans après, les débats de l’époque resurgissent. De même que l’ensemble de cette activité particulière du PCF, qui est restée ignorée jusqu’à ces dernières années parce que non rendue publique par ses protagonistes. Il est temps aujourd’hui de recueillir et faire connaître les témoignages de ces militants. Cette histoire est à écrire.
Durant la guerre d’Algérie, le PCF a conduit un important travail politique en direction des soldats. Pour une grande part, cette action était clandestine. En quoi consistait-elle ?
François Hilsum. Ce travail était dans la droite ligne d’une tradition qui remonte à la création du PCF, héritière du concept de l’armée nationale cher à Jean Jaurès. Les jeunes communistes s’adressaient aux conscrits et les organisaient en « amicales ». À chaque départ de classe, un numéro spécial d’Avant-Garde, journal des Jeunesses communistes, appelé « Le conscrit », était édité. De leur côté, élus communistes et sections syndicales de la CGT avaient l’habitude de manifester leur solidarité matérielle et morale avec les appelés. Ce sont autant d’actions qui, au moment où éclatent les guerres coloniales, servent de point d’appui pour organiser dans l’armée des mouvements de résistance. Dans cette même période, Henri Martin, Claude Lecomte et d’autres ont été emprisonnés pour avoir mené sous les drapeaux des actions dénonçant ces guerres et la répression en Indochine et au Maghreb.
Alfred Gerson. Nous sommes une génération de la guerre et de l’après-guerre. La lutte pour la libération nationale est un concept naturellement acquis dans le prolongement du combat de la résistance. Ce qui est loin à l’époque d’être le cas pour la majorité de l’opinion publique, particulièrement pour l’Algérie… Dès les événements en Indochine, le travail spécifique en direction de l’armée avait été relancé autour de Soldat de France, une publication clandestine créée en 1950.
En quoi consiste cette réactivation ?
Alfred Gerson. La seule possibilité dont dispose le PCF pour développer un mouvement de masse dans l’armée est l’activité clandestine, ce qui n’a rien à voir avec une entreprise de subversion. Elle est dans les conditions de l’époque partie intégrante des luttes menées par le PCF contre les guerres coloniales et étroitement liées à celles du mouvement social. L’Humanité est interdite dans les casernes. Il fallait trouver dans l’armée des formes de travail adéquates.
François Hilsum. Nous sommes dans une période d’extrême tension. Lors du soi-disant « complot des pigeons » en 1952, le juge d’instruction voulait trouver un chef d’inculpation dans ce travail des Jeunesses communistes parmi les conscrits. Nous sommes un certain nombre, dont moi-même, à plonger pour le coup dans la complète clandestinité. La direction du PCF demanda à un groupe de militants de commencer à structurer le travail parmi les soldats en mettant sur pied un « appareil », à côté du Parti et des JC, qui fonctionnerait de façon distincte pour ainsi dire autonome au plan organisationnel. La structure principale était dirigée, par un « triangle », selon le schéma qui prévalait dans la résistance, composé par un dirigeant du Parti, un des Jeunesses communistes et le responsable de l’appareil, « le technique », selon les expressions héritées de la clandestinité de la Résistance. Ce triangle était composé de Raymond Guyot, Paul Laurent et de moi-même à partir de 1957.
Quel était le travail de cet appareil ?
François Hilsum. À ce niveau national se discutaient l’analyse et l’évolution de la guerre, du mouvement pour la paix en Algérie et surtout de l’état d’esprit du contingent. Partant de là se définissaient l’orientation et les mots d’ordre s’adressant aux militaires. Un responsable de l’appareil – le technique – était désigné au niveau de chaque région militaire ; dans l’est, le régional couvrait les unités cantonnées en Allemagne. Ces régionaux étaient en relation avec un triangle en place dans chaque département. Le technique départemental était en contact avec une équipe en charge d’une caserne. La structure au plan national s’occupait de la rédaction, de l’édition, du transport et de la diffusion du journal, à partir de Paris. Soldat de France était distribué dans tout le pays et en Allemagne soit par des soldats communistes, soit par des militants qui faisaient le mur la nuit à l’envers. Des cheminots, des dockers, des marins, laissaient aussi des journaux sur les banquettes de train ou de bateau transportant des permissionnaires. Au moins, 250 militants ont été impliqués dans l’appareil les cinq dernières années de la guerre.
Alfred Gerson. J’ai été engagé dans ce réseau depuis le début des années 1950. J’ai d’abord milité au niveau du 18e arrondissement sur la caserne de Clignancourt, puis j’ai été en charge de la 1re région militaire. Le travail consistait essentiellement à prendre contact avec les soldats communistes, à faire entrer les tracts et Soldat de France dans les casernes… Susciter toute dénonciation des guerres coloniales mais toujours en étroite relation avec l’activité générale du Parti.
François Hilsum. Lorsqu’en 1955 le gouvernement décide de rappeler les réservistes, éclatent de forts mouvements dans de nombreuses casernes. L’un des plus connus est celui de la caserne Richepanse, à Rouen, où des soldats communistes dont l’unité part pour l’Algérie refusent de monter dans un camion, entraînant une action collective soutenue par la population.
Jean Clavel. Je suis de quelques années plus jeune que François et Fredo mais je peux témoigner qu’en tant que jeune militant de base j’étais partie prenante du combat anticolonial. J’ai participé en 1956 aux manifestations pour aider les soldats à la caserne Charasse, à Courbevoie, qui en avaient pris le contrôle durant quelques jours.
Raphaël Grégoire. De même pour moi. Fin 1955, j’étais à la manifestation au fort de Nogent avec le lycée de Montreuil pour soutenir le refus des rappelés de partir en Algérie. Mais la compréhension du problème algérien est alors très confuse.
Rappel des faits
L’activité des communistes auprès des soldats du contingent français pendant la guerre d’Algérie est partie intégrante de la lutte du PCF contre le fait colonial.
En grande partie clandestin pour des raisons imputables au contexte répressif de l’époque, le travail politique a pris diverses formes : édition et distribution de journaux interdits, organisation de mouvements de résistance dans les casernes, refus d’aller combattre en Algérie… De nombreux jeunes communistes se sont engagés pleinement dans ce combat, souvent au prix de dures années d’emprisonnement, de tortures, de pressions psychologiques. Comme nos interlocuteurs de cette table ronde. Cinquante ans après, les débats de l’époque resurgissent. De même que l’ensemble de cette activité particulière du PCF, qui est restée ignorée jusqu’à ces dernières années parce que non rendue publique par ses protagonistes. Il est temps aujourd’hui de recueillir et faire connaître les témoignages de ces militants. Cette histoire est à écrire.
Durant la guerre d’Algérie, le PCF a conduit un important travail politique en direction des soldats. Pour une grande part, cette action était clandestine. En quoi consistait-elle ?
François Hilsum. Ce travail était dans la droite ligne d’une tradition qui remonte à la création du PCF, héritière du concept de l’armée nationale cher à Jean Jaurès. Les jeunes communistes s’adressaient aux conscrits et les organisaient en « amicales ». À chaque départ de classe, un numéro spécial d’Avant-Garde, journal des Jeunesses communistes, appelé « Le conscrit », était édité. De leur côté, élus communistes et sections syndicales de la CGT avaient l’habitude de manifester leur solidarité matérielle et morale avec les appelés. Ce sont autant d’actions qui, au moment où éclatent les guerres coloniales, servent de point d’appui pour organiser dans l’armée des mouvements de résistance. Dans cette même période, Henri Martin, Claude Lecomte et d’autres ont été emprisonnés pour avoir mené sous les drapeaux des actions dénonçant ces guerres et la répression en Indochine et au Maghreb.
Alfred Gerson. Nous sommes une génération de la guerre et de l’après-guerre. La lutte pour la libération nationale est un concept naturellement acquis dans le prolongement du combat de la résistance. Ce qui est loin à l’époque d’être le cas pour la majorité de l’opinion publique, particulièrement pour l’Algérie… Dès les événements en Indochine, le travail spécifique en direction de l’armée avait été relancé autour de Soldat de France, une publication clandestine créée en 1950.
En quoi consiste cette réactivation ?
Alfred Gerson. La seule possibilité dont dispose le PCF pour développer un mouvement de masse dans l’armée est l’activité clandestine, ce qui n’a rien à voir avec une entreprise de subversion. Elle est dans les conditions de l’époque partie intégrante des luttes menées par le PCF contre les guerres coloniales et étroitement liées à celles du mouvement social. L’Humanité est interdite dans les casernes. Il fallait trouver dans l’armée des formes de travail adéquates.
François Hilsum. Nous sommes dans une période d’extrême tension. Lors du soi-disant « complot des pigeons » en 1952, le juge d’instruction voulait trouver un chef d’inculpation dans ce travail des Jeunesses communistes parmi les conscrits. Nous sommes un certain nombre, dont moi-même, à plonger pour le coup dans la complète clandestinité. La direction du PCF demanda à un groupe de militants de commencer à structurer le travail parmi les soldats en mettant sur pied un « appareil », à côté du Parti et des JC, qui fonctionnerait de façon distincte pour ainsi dire autonome au plan organisationnel. La structure principale était dirigée, par un « triangle », selon le schéma qui prévalait dans la résistance, composé par un dirigeant du Parti, un des Jeunesses communistes et le responsable de l’appareil, « le technique », selon les expressions héritées de la clandestinité de la Résistance. Ce triangle était composé de Raymond Guyot, Paul Laurent et de moi-même à partir de 1957.
Quel était le travail de cet appareil ?
François Hilsum. À ce niveau national se discutaient l’analyse et l’évolution de la guerre, du mouvement pour la paix en Algérie et surtout de l’état d’esprit du contingent. Partant de là se définissaient l’orientation et les mots d’ordre s’adressant aux militaires. Un responsable de l’appareil – le technique – était désigné au niveau de chaque région militaire ; dans l’est, le régional couvrait les unités cantonnées en Allemagne. Ces régionaux étaient en relation avec un triangle en place dans chaque département. Le technique départemental était en contact avec une équipe en charge d’une caserne. La structure au plan national s’occupait de la rédaction, de l’édition, du transport et de la diffusion du journal, à partir de Paris. Soldat de France était distribué dans tout le pays et en Allemagne soit par des soldats communistes, soit par des militants qui faisaient le mur la nuit à l’envers. Des cheminots, des dockers, des marins, laissaient aussi des journaux sur les banquettes de train ou de bateau transportant des permissionnaires. Au moins, 250 militants ont été impliqués dans l’appareil les cinq dernières années de la guerre.
Alfred Gerson. J’ai été engagé dans ce réseau depuis le début des années 1950. J’ai d’abord milité au niveau du 18e arrondissement sur la caserne de Clignancourt, puis j’ai été en charge de la 1re région militaire. Le travail consistait essentiellement à prendre contact avec les soldats communistes, à faire entrer les tracts et Soldat de France dans les casernes… Susciter toute dénonciation des guerres coloniales mais toujours en étroite relation avec l’activité générale du Parti.
François Hilsum. Lorsqu’en 1955 le gouvernement décide de rappeler les réservistes, éclatent de forts mouvements dans de nombreuses casernes. L’un des plus connus est celui de la caserne Richepanse, à Rouen, où des soldats communistes dont l’unité part pour l’Algérie refusent de monter dans un camion, entraînant une action collective soutenue par la population.
Jean Clavel. Je suis de quelques années plus jeune que François et Fredo mais je peux témoigner qu’en tant que jeune militant de base j’étais partie prenante du combat anticolonial. J’ai participé en 1956 aux manifestations pour aider les soldats à la caserne Charasse, à Courbevoie, qui en avaient pris le contrôle durant quelques jours.
Raphaël Grégoire. De même pour moi. Fin 1955, j’étais à la manifestation au fort de Nogent avec le lycée de Montreuil pour soutenir le refus des rappelés de partir en Algérie. Mais la compréhension du problème algérien est alors très confuse.
Commentaire