Pour la première fois depuis 27 ans, un politique est nommé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Zoom sur une administration pas comme les autres, longtemps considérée comme le domaine réservé des rois du Maroc.
Il court, il court, Saâd-Eddine El Othmani ! En moins de cinq semaines, le nouveau chef de la diplomatie marocaine a déjà parcouru 70 000 kilomètres, rencontré une dizaine de chefs d’Etat etreçu une flopée d’officiels étrangers et d’ambassadeurs accrédités à Rabat. Comment expliquer une telle hyperactivité ? “La machine diplomatique ne doit pas s’arrêter. Il y a une cause à défendre et des relations à entretenir”, explique sobrement un haut cadre du ministère.
En réalité, le numéro 2 du PJD a un sérieux défi à relever : occuper pleinement son nouveau poste et faire oublier son prédécesseur, Taïeb Fassi Fihri, devenu conseiller royal. Tout un programme ! Pendant près de 30 ans, le département des Affaires étrangères (AE) a en effet été considéré comme un ministère de souveraineté, dirigé par des technocrates directement rattachés au Palais. Leurs mandats, d’une durée moyenne de dix ans, résistaient aux remaniements ministériels et échappaient presque totalement à la tutelle de la primature. Une anomalie démocratique, et pas n’importe laquelle.
Lors de ses tout premiers contacts avec Mohammed VI, le Chef de gouvernement islamiste, Abdelilah Benkriane, a obtenu le feu vert royal pour proposer des politiques à la tête des départements de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Mais à une condition : accepter de les faire seconder par des “hommes de métier”, que ce soit au cabinet royal ou au sein même de leurs ministères. C’est ainsi que Charki Draiss et Youssef Amrani ont respectivement été nommés ministres délégués à l’Intérieur et aux Affaires étrangères. Ce qui ne manque pas de créer (déjà) quelques frictions sur le terrain.
Un fauteuil pour trois
Cela s’est d’ailleurs vérifié lors de la récente visite de Hillary Clinton au Maroc. La secrétaire d’Etat américaine a d’abord été reçue par Taïeb Fassi Fihri avant de déjeuner à la table de Saad Eddine El Othmani et Youssef Amrani. Diplomatie à trois têtes ? La question fait sourire ce vieux routier des Affaires étrangères. “C’est plus une question d’agenda et de logistique, explique-t-il. Les attributions de chaque intervenant sont clairement établies. Au final, c’est l’intérêt du pays qui est en jeu. S’il est servi par autant d’expertises, nous ne pouvons que nous en féliciter”.
La réponse est assez diplomatique, mais dans les couloirs de l’imposante bâtisse du ministère à Rabat, El Othmani dégage plutôt une bonne impression. “C’est difficile de le comparer à Fassi Fihri, qui a fait toute sa carrière dans la diplomatie, avoue ce haut fonctionnaire. Mais c’est une tête bien faite, il apprend vite et bien”.
En fait, le nouveau chef de la diplomatie marocaine n’a pas de grandes marges de manœuvres. Les orientations stratégiques du pays ne changent pas, ses alliances à l’international non plus. Tout au plus, El Othmani imprimera un nouveau style à la fonction de ministre des Affaires étrangères. Pour le reste, il se laissera guider (au moins pendant les premiers mois) par une machine complexe, assez bien rodée et de plus en plus efficace.
En tout, les AE emploient 2779 personnes, dont 1155 au niveau de l’administration centrale, réparties sur de grandes directions géographiques, thématiques et logistiques. Depuis quelques années, c’est également une machine qui, malgré quelques bourdes, a enregistré certains succès. Accord de libre-échange avec les USA, statut avancé avec l’Europe, Accord agricole… Sans oublier l’élection du Maroc au Conseil de sécurité des Nations Unies (voir encadré). A l’annonce des résultats du vote, des membres de la délégation marocaine avaient fondu en larmes. D’autres ont carrément sauté de joie. “C’est un évènement qui ne se produit pas deux fois dans la vie d’un diplomate. Ce vote est le résultat de trois ans de travail diplomatique intense et de tractations difficiles avec des pays pas toujours acquis à notre cause”, indique un membre de la délégation qui s’est déplacé à New York.
“Notre cause”, en voici une expression et un concept qui reviennent souvent dans les rayons de la diplomatie marocaine. Ils renvoient évidemment à la question du Sahara qui conditionne, depuis plus de 30 ans, notre relation au reste du monde. “Le Maroc a une cause à défendre, c’est ce qui permet à sa diplomatie de rester active et militante”, indique ce diplomate qui a déjà servi au sein de la représentation marocaine à l’ONU. Selon lui, la présentation par le Maroc du plan d’autonomie pour le Sahara en 2003 a agi comme un catalyseur pour la machine diplomatique nationale. Pour la première fois depuis le déclenchement du conflit, en effet, le Maroc ne se contentait plus de rejeter le référendum d’autodétermination. Il passait désormais à l’offensive, proposant une solution concrète, jugée “réaliste et constructive” par les principales puissances mondiales. “à côté de cela, le Maroc est un produit de moins en moins difficile à vendre à l’international”, ironise à peine notre haut cadre aux Affaires étrangères.
Il était une fois…
La diplomatie marocaine revient, pour ainsi dire, de loin. Récapitulons. Le ministère des Affaires étrangères voit le jour en avril 1956, quelques mois à peine après l’indépendance du royaume. Mohammed V y coopte alors les rares cadres marocains que comptait la toute jeune administration du pays.
“Je voulais poursuivre une carrière de médecin mais Mohammed V m’a dit ceci : pour me soigner, je peux toujours faire appel à des médecins français ou espagnols. Mais je ne peux pas me faire représenter par des étrangers à l’international”, raconte Moulay Ahmed Laraki, ministre des Affaires étrangères en 1967 puis en 1977. Le département compte alors une poignée de fonctionnaires, des nationalistes pour la plupart, regroupés dans une modeste villa du quartier Agdal à Rabat. Le recrutement se fait par cooptation, dans les grandes familles rbaties et slaouies. Le Maroc ouvre ses premières ambassades vers la fin des années 50. “Le royaume a une longue tradition diplomatique. Des émissaires des sultans ont déjà sillonné le monde mais les débuts de la diplomatie dite moderne ont été timides et très difficiles”, reconnaît ce cadre à la retraite. à cette époque, le portefeuille des AE change souvent de main mais reste un domaine réservé du monarque. “Hassan II était tourné vers l’international. Il avait cette hantise de donner au royaume une place dans le monde. Et pour cela, il n’hésitait pas à donner de sa propre personne”, explique Laraki. Au milieu des années 80, Abdellatif Filali est nommé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Il entame un travail de modernisation et d’organisation d’un département aux missions et aux attributions encore assez floues. Durant cette période, les AE se dotent donc d’un nouvel organigramme et entament une vaste opération de recrutement. A l’issue de concours nationaux, des centaines de jeunes licenciés intègrent le département. Parmi eux, un certain Taïeb Fassi Fihri, proche du prince héritier et promu à un bel avenir. Le rythme d’ouverture des ambassades du Maroc à l’étranger s’accélère également. Mais les ambassadeurs “de Sa Majesté” sont souvent cooptés au sein des partis politiques, ou font partie des grands commis de l’Etat. Nous sommes à la fin des années 80, et malgré cet effort de modernisation, la réputation du royaume dans le monde n’est pas des plus flatteuses. Droits de l’homme, répression, bagnes secrets… Hassan II doit user de tout son charisme et son réseau à l’international pour colmater les brèches et préserver un minimum de crédibilité et d’attrait pour son royaume. A cette époque, la tentation sécuritaire est à son comble également. Au lieu de les servir, les consulats surveillent les Marocains résidant à l’étranger, et traquent les opposants de Sa Majesté. Et le Sahara dans tout cela ? “C’est le ministère de l’Intérieur qui gérait cette affaire, et ce, malgré les efforts inlassables de Filali pour rapatrier le dossier aux Affaires étrangères”, confie un diplomate.
Il court, il court, Saâd-Eddine El Othmani ! En moins de cinq semaines, le nouveau chef de la diplomatie marocaine a déjà parcouru 70 000 kilomètres, rencontré une dizaine de chefs d’Etat etreçu une flopée d’officiels étrangers et d’ambassadeurs accrédités à Rabat. Comment expliquer une telle hyperactivité ? “La machine diplomatique ne doit pas s’arrêter. Il y a une cause à défendre et des relations à entretenir”, explique sobrement un haut cadre du ministère.
En réalité, le numéro 2 du PJD a un sérieux défi à relever : occuper pleinement son nouveau poste et faire oublier son prédécesseur, Taïeb Fassi Fihri, devenu conseiller royal. Tout un programme ! Pendant près de 30 ans, le département des Affaires étrangères (AE) a en effet été considéré comme un ministère de souveraineté, dirigé par des technocrates directement rattachés au Palais. Leurs mandats, d’une durée moyenne de dix ans, résistaient aux remaniements ministériels et échappaient presque totalement à la tutelle de la primature. Une anomalie démocratique, et pas n’importe laquelle.
Lors de ses tout premiers contacts avec Mohammed VI, le Chef de gouvernement islamiste, Abdelilah Benkriane, a obtenu le feu vert royal pour proposer des politiques à la tête des départements de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Mais à une condition : accepter de les faire seconder par des “hommes de métier”, que ce soit au cabinet royal ou au sein même de leurs ministères. C’est ainsi que Charki Draiss et Youssef Amrani ont respectivement été nommés ministres délégués à l’Intérieur et aux Affaires étrangères. Ce qui ne manque pas de créer (déjà) quelques frictions sur le terrain.
Un fauteuil pour trois
Cela s’est d’ailleurs vérifié lors de la récente visite de Hillary Clinton au Maroc. La secrétaire d’Etat américaine a d’abord été reçue par Taïeb Fassi Fihri avant de déjeuner à la table de Saad Eddine El Othmani et Youssef Amrani. Diplomatie à trois têtes ? La question fait sourire ce vieux routier des Affaires étrangères. “C’est plus une question d’agenda et de logistique, explique-t-il. Les attributions de chaque intervenant sont clairement établies. Au final, c’est l’intérêt du pays qui est en jeu. S’il est servi par autant d’expertises, nous ne pouvons que nous en féliciter”.
La réponse est assez diplomatique, mais dans les couloirs de l’imposante bâtisse du ministère à Rabat, El Othmani dégage plutôt une bonne impression. “C’est difficile de le comparer à Fassi Fihri, qui a fait toute sa carrière dans la diplomatie, avoue ce haut fonctionnaire. Mais c’est une tête bien faite, il apprend vite et bien”.
En fait, le nouveau chef de la diplomatie marocaine n’a pas de grandes marges de manœuvres. Les orientations stratégiques du pays ne changent pas, ses alliances à l’international non plus. Tout au plus, El Othmani imprimera un nouveau style à la fonction de ministre des Affaires étrangères. Pour le reste, il se laissera guider (au moins pendant les premiers mois) par une machine complexe, assez bien rodée et de plus en plus efficace.
En tout, les AE emploient 2779 personnes, dont 1155 au niveau de l’administration centrale, réparties sur de grandes directions géographiques, thématiques et logistiques. Depuis quelques années, c’est également une machine qui, malgré quelques bourdes, a enregistré certains succès. Accord de libre-échange avec les USA, statut avancé avec l’Europe, Accord agricole… Sans oublier l’élection du Maroc au Conseil de sécurité des Nations Unies (voir encadré). A l’annonce des résultats du vote, des membres de la délégation marocaine avaient fondu en larmes. D’autres ont carrément sauté de joie. “C’est un évènement qui ne se produit pas deux fois dans la vie d’un diplomate. Ce vote est le résultat de trois ans de travail diplomatique intense et de tractations difficiles avec des pays pas toujours acquis à notre cause”, indique un membre de la délégation qui s’est déplacé à New York.
“Notre cause”, en voici une expression et un concept qui reviennent souvent dans les rayons de la diplomatie marocaine. Ils renvoient évidemment à la question du Sahara qui conditionne, depuis plus de 30 ans, notre relation au reste du monde. “Le Maroc a une cause à défendre, c’est ce qui permet à sa diplomatie de rester active et militante”, indique ce diplomate qui a déjà servi au sein de la représentation marocaine à l’ONU. Selon lui, la présentation par le Maroc du plan d’autonomie pour le Sahara en 2003 a agi comme un catalyseur pour la machine diplomatique nationale. Pour la première fois depuis le déclenchement du conflit, en effet, le Maroc ne se contentait plus de rejeter le référendum d’autodétermination. Il passait désormais à l’offensive, proposant une solution concrète, jugée “réaliste et constructive” par les principales puissances mondiales. “à côté de cela, le Maroc est un produit de moins en moins difficile à vendre à l’international”, ironise à peine notre haut cadre aux Affaires étrangères.
Il était une fois…
La diplomatie marocaine revient, pour ainsi dire, de loin. Récapitulons. Le ministère des Affaires étrangères voit le jour en avril 1956, quelques mois à peine après l’indépendance du royaume. Mohammed V y coopte alors les rares cadres marocains que comptait la toute jeune administration du pays.
“Je voulais poursuivre une carrière de médecin mais Mohammed V m’a dit ceci : pour me soigner, je peux toujours faire appel à des médecins français ou espagnols. Mais je ne peux pas me faire représenter par des étrangers à l’international”, raconte Moulay Ahmed Laraki, ministre des Affaires étrangères en 1967 puis en 1977. Le département compte alors une poignée de fonctionnaires, des nationalistes pour la plupart, regroupés dans une modeste villa du quartier Agdal à Rabat. Le recrutement se fait par cooptation, dans les grandes familles rbaties et slaouies. Le Maroc ouvre ses premières ambassades vers la fin des années 50. “Le royaume a une longue tradition diplomatique. Des émissaires des sultans ont déjà sillonné le monde mais les débuts de la diplomatie dite moderne ont été timides et très difficiles”, reconnaît ce cadre à la retraite. à cette époque, le portefeuille des AE change souvent de main mais reste un domaine réservé du monarque. “Hassan II était tourné vers l’international. Il avait cette hantise de donner au royaume une place dans le monde. Et pour cela, il n’hésitait pas à donner de sa propre personne”, explique Laraki. Au milieu des années 80, Abdellatif Filali est nommé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Il entame un travail de modernisation et d’organisation d’un département aux missions et aux attributions encore assez floues. Durant cette période, les AE se dotent donc d’un nouvel organigramme et entament une vaste opération de recrutement. A l’issue de concours nationaux, des centaines de jeunes licenciés intègrent le département. Parmi eux, un certain Taïeb Fassi Fihri, proche du prince héritier et promu à un bel avenir. Le rythme d’ouverture des ambassades du Maroc à l’étranger s’accélère également. Mais les ambassadeurs “de Sa Majesté” sont souvent cooptés au sein des partis politiques, ou font partie des grands commis de l’Etat. Nous sommes à la fin des années 80, et malgré cet effort de modernisation, la réputation du royaume dans le monde n’est pas des plus flatteuses. Droits de l’homme, répression, bagnes secrets… Hassan II doit user de tout son charisme et son réseau à l’international pour colmater les brèches et préserver un minimum de crédibilité et d’attrait pour son royaume. A cette époque, la tentation sécuritaire est à son comble également. Au lieu de les servir, les consulats surveillent les Marocains résidant à l’étranger, et traquent les opposants de Sa Majesté. Et le Sahara dans tout cela ? “C’est le ministère de l’Intérieur qui gérait cette affaire, et ce, malgré les efforts inlassables de Filali pour rapatrier le dossier aux Affaires étrangères”, confie un diplomate.
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