Révélations. Incroyable mais vraie : La folle, folle, histoire de la famille Bourequat
(à suivre )
Ali Bourequat (g.) en compagnie du prince Moulay Hassan, en 1957 (DR).
Proches du roi, voire confidents chouchoutés, puis ennemis jurés, les Bourequat ont tout connu : les fastes et la misère, la vie de pacha et l’enfer de Tazmamart. C’est qu’ils ont été, comme d’autres (les Oufkir, avant eux) de la terrible “philosophie” hassanienne : des punitions collectives qui n’épargnaient personne. Et brisaient des vies, pour toujours. Pourquoi ? Comment ? Retour sur cette histoire incroyable mais vraie.
Tout a commencé le 8 juillet 1973, rue Villemin dans l’actuel quartier huppé du Souissi et juste en face de la villa de Raymond Sasia, l’architecte de la sécurité rapprochée de Hassan II. Le monarque s’apprête à fêter, le lendemain, son 44ème anniversaire après avoir échappé à deux attentats. La famille Bourequat, qui a toujours été dans les grâces du Palais, ne s’attendait pas à vivre l’enfer qui allait être le sien depuis que le roi en décida ainsi. à 3 h du matin, une vingtaine d’hommes, armes au poing, investissent leur villa. Ali Bourequat, qui dormait dans une chambre avec sa compagne française et leur fille de cinq ans, est emmené par les assaillants. Au petit matin, c’est au tour de ses deux frères Midhat et Bayazid d’être embarqués.
Tout a commencé le 8 juillet 1973, rue Villemin dans l’actuel quartier huppé du Souissi et juste en face de la villa de Raymond Sasia, l’architecte de la sécurité rapprochée de Hassan II. Le monarque s’apprête à fêter, le lendemain, son 44ème anniversaire après avoir échappé à deux attentats. La famille Bourequat, qui a toujours été dans les grâces du Palais, ne s’attendait pas à vivre l’enfer qui allait être le sien depuis que le roi en décida ainsi. à 3 h du matin, une vingtaine d’hommes, armes au poing, investissent leur villa. Ali Bourequat, qui dormait dans une chambre avec sa compagne française et leur fille de cinq ans, est emmené par les assaillants. Au petit matin, c’est au tour de ses deux frères Midhat et Bayazid d’être embarqués.
Enfermés puis “oubliés”
Commence alors une lente descente aux enfers. Les trois frères Bourequat, à qui on explique d’abord qu’ils vont être interrogés par le roi, sont ballottés entre divers centres de détention de la Gendarmerie avant de finir, en avril 1974, au sinistre PF3 (Point fixe 3, l’un des plus terribles centres de torture et de détention secrète) à Rabat, où les hommes du général Ahmed Dlimi font la loi. Et quelle loi ! Ils ont à peu près droit de vie et de mort sur les ennemis (réels ou imaginaires) du régime, qui finissent entre leurs mains.
Au PF3, les frères Bourequat côtoient ainsi Mohamed Ababou, le frère de l’homme du putsch de Skhirat en 1971, et Houcine Manouzi, célèbre syndicaliste dont le sort n’a jamais été élucidé, entre autres prisonniers. Ensemble, ils planifient la célèbre évasion, avortée, du 13 juillet 1975, qui leur vaut de nouvelles années de détention, toujours dans le secret et en l’absence de tout jugement. En 1981, les trois frères atterrissent au mouroir de Tazmamart, essentiellement peuplé par d’anciens putschistes. Le pire, c’est que, contrairement à leurs compagnons d’infortune, les Bourequat ne savent même pas de quoi on les accuse au juste. Et aujourd’hui encore, les versions diffèrent sur la raison exacte qui a poussé Hassan II à les enfermer, ensuite à les “oublier” pendant plus de 18 ans. Voire, pire encore, à aller jusqu’à séquestrer leur maman, pourtant cousine lointaine de Mohammed V, ainsi que leur sœur, pendant près de deux ans.
Quand Moulay Hassan faisait le chauffeur…
Au départ, rien ne pouvait laisser penser que cette famille allait subir, un jour ou l’autre, les foudres du Palais. De solides liens étaient tissés, en effet, entre les Bourequat et la famille royale. Fin des années 1940, début des années 1950, le père, Mohamed Abderrahmane, transmet régulièrement de précieuses notes de renseignements à Mohammed V. Il l’informe de tout et de rien. “Avec ma mère, ils allaient souvent à la rencontre du sultan, près de l’Agdal, et c’est Moulay Hassan, alors prince héritier, qui faisait parfois le chauffeur !”, se souvient Midhat, l’aîné de frères Bourequat. La mère, Amina Alaoui, est souvent invitée au palais où elle a libre accès aux appartements réservés aux femmes. Avec l’établissement du gouvernement de Vichy, quand le père Bourequat, sanctionné, se retrouve sans rentrée d’argent, c’est Mohammed V en personne qui subvient aux besoins de la famille et pousse la bienveillance jusqu’à acheter une bicyclette à Bayazid.
Bien entendu, “l’amitié” entre les deux pères rejaillit sur leurs enfants, qui se fréquentent au lycée. Ali et Midhat, notamment, partagent les virées de Moulay Hassan dans les boîtes de nuit de Témara et Skhirat. Les “gosses” se côtoient longuement à Paris, aussi, lors des négociations ayant précédé l’indépendance, tout au long des années 1950. Après le retour d’exil de Mohammed V, le père Bourequat est même chargé d’opérer une sorte de purge dans les milieux de la police, preuve de la confiance que lui accorde alors le sultan.
La belle vie se prolonge pour les Bourequat. Ils obtiennent un quasi-monopole sur l’importation de plusieurs produits et leur commerce est plus que florissant (pneus, marbre, biens d’équipements). Ali devient inséparable de la princesse Lalla Nezha, au point qu’on le prend pour son secrétaire particulier. Bayazid s’associe avec le mari d’une autre princesse, et les deux hommes réussissent à obtenir l’accord des Anglais pour installer une chaîne de montage de la célèbre marque automobile Austin au Maroc. La mère, elle, est partout reçue avec les égards dus à une princesse. “Elle ne craignait rien ni personne, et elle n’a jamais été tendre avec de hauts responsables, comme Moulay Hafid Alaoui qu’elle traitait de tous les noms et en public”, se rappelle Midhat. Le puissant général aurait-il voulu se venger, des années plus tard, au moment où Ahmed Dlimi a cherché à piéger le père Bourequat, coupable d’être proche, trop proche, du Palais ? Tout porte à le croire. Mais une chose est sûre, après des années fastes, c’est un long cauchemar qui attend toute la famille Bourequat.
La main de Dlimi
Dans son livre Notre ami le roi (Gallimard, 1990), Gilles Perrault consacre un chapitre aux frères Bourequat, ces golden boys de nationalité française qui, d’intimes des princes, se sont retrouvés parmi les emmurés de Tazmamart. L’auteur émet plusieurs hypothèses pour tenter d’expliquer l’acharnement de Hassan II à leur égard. La première évoque une embrouille financière impliquant le Palais, avec les Bourequat dans le rôle de mauvais témoins. Hassan II, pour faire oublier une affaire embarrassante, aurait décidé d’emprisonner les trois frères. La deuxième hypothèse parle carrément d’un complot fomenté par Oum Sidi (la mère du roi) pour l’éloigner de Latifa, son épouse, et où il aurait été question de magie noire. Mis au courant par les Bourequat, Hassan II aurait vu rouge et décidé, sur le champ, de “retirer de la circulation” les trois frères et de manière définitive.
Mais Perrault n’est pas le seul à émettre des hypothèses. Les compagnons des Bourequat, et témoins de l’époque, aussi. L’un d’eux, qui a refusé d’être cité, nous explique : “Tout cette histoire est éminemment personnelle. Entre le prince héritier (Moulay Hassan) et les frères Bourequat, il y avait des histoires comme il peut y en avoir entre des jeunes gens bien nés. Et puis, du vivant de Mohammed V, le père Bourequat était chargé de consigner des rapports sur les fréquentations du prince héritier. Tous ces rapports, auxquels au moins l’un des fils Bourequat a apporté sa contribution, n’étaient pas favorables à Moulay Hassan, qui a dû s’en rappeler à un moment ou à un autre”.
Le rapport qui change tout
Pour sa part, Midhat Bourequat insiste sur la version du “complot”. Découvrant un coup d’Etat en préparation (par le tout-puissant Dlimi, devenu pratiquement le numéro 2 du régime depuis la liquidation d’Oufkir) contre Hassan II, l’aîné des Bourequat décide d’avertir le Palais. Sur la base des informations fournies par l’ancien gouverneur d’Agadir, Hassan Zemmouri, il transmet d’abord un premier rapport au roi par le biais de son frère, Ali.
“Dans ce rapport, j’avais codé des noms et, par la suite, Hassan II avait rencontré mon frère (Ali) près de la petite villa qui servait de clinique dans l’enceinte du Méchouar. Pourquoi le Méchouar ? Parce que nous nous méfiions des bureaux et même des voitures que Dlimi avait l’habitude de truffer de micros”, nous explique l’aîné des Bourequat. Hassan II demande plus de détails et un deuxième rapport lui est adressé quelques jours plus tard. Sauf que, cette fois, le protocole a changé : Ali Bourequat se rend au palais de Skhirat et il est conduit par le “valet de pied” du roi. Passé le premier barrage, il remet le rapport au domestique de Hassan II et on le prie, alors, d’attendre au “Calypso”, un célèbre café du coin. Trois heures plus tard, Ali est obligé de faire du stop pour regagner Rabat. Ce qui s’est passé entre-temps ? Personne ne le sait exactement. On ne saura jamais si le fameux rapport a été remis au roi ou intercepté par les hommes du général Dlimi. Toujours est-il que les Bourequat, Ali et Midhat en tête, commencent à faire l’objet d’une surveillance étroite. Alors que, à la base, il a cru bien faire en alertant son “ami” le roi, Midhat, principal auteur des rapports, comprend que le vent est en train de tourner. Excédé (et stressé) par la surveillance policière quotidienne, il tente même de quitter le Maroc pour Gibraltar. A Tanger, un de ses amis l’en dissuade. Moins d’un mois plus tard, il est arrêté ou, plus exactement, enlevé, lui comme ses frères Ali et Bayazid.
Commence alors une lente descente aux enfers. Les trois frères Bourequat, à qui on explique d’abord qu’ils vont être interrogés par le roi, sont ballottés entre divers centres de détention de la Gendarmerie avant de finir, en avril 1974, au sinistre PF3 (Point fixe 3, l’un des plus terribles centres de torture et de détention secrète) à Rabat, où les hommes du général Ahmed Dlimi font la loi. Et quelle loi ! Ils ont à peu près droit de vie et de mort sur les ennemis (réels ou imaginaires) du régime, qui finissent entre leurs mains.
Au PF3, les frères Bourequat côtoient ainsi Mohamed Ababou, le frère de l’homme du putsch de Skhirat en 1971, et Houcine Manouzi, célèbre syndicaliste dont le sort n’a jamais été élucidé, entre autres prisonniers. Ensemble, ils planifient la célèbre évasion, avortée, du 13 juillet 1975, qui leur vaut de nouvelles années de détention, toujours dans le secret et en l’absence de tout jugement. En 1981, les trois frères atterrissent au mouroir de Tazmamart, essentiellement peuplé par d’anciens putschistes. Le pire, c’est que, contrairement à leurs compagnons d’infortune, les Bourequat ne savent même pas de quoi on les accuse au juste. Et aujourd’hui encore, les versions diffèrent sur la raison exacte qui a poussé Hassan II à les enfermer, ensuite à les “oublier” pendant plus de 18 ans. Voire, pire encore, à aller jusqu’à séquestrer leur maman, pourtant cousine lointaine de Mohammed V, ainsi que leur sœur, pendant près de deux ans.
Quand Moulay Hassan faisait le chauffeur…
Au départ, rien ne pouvait laisser penser que cette famille allait subir, un jour ou l’autre, les foudres du Palais. De solides liens étaient tissés, en effet, entre les Bourequat et la famille royale. Fin des années 1940, début des années 1950, le père, Mohamed Abderrahmane, transmet régulièrement de précieuses notes de renseignements à Mohammed V. Il l’informe de tout et de rien. “Avec ma mère, ils allaient souvent à la rencontre du sultan, près de l’Agdal, et c’est Moulay Hassan, alors prince héritier, qui faisait parfois le chauffeur !”, se souvient Midhat, l’aîné de frères Bourequat. La mère, Amina Alaoui, est souvent invitée au palais où elle a libre accès aux appartements réservés aux femmes. Avec l’établissement du gouvernement de Vichy, quand le père Bourequat, sanctionné, se retrouve sans rentrée d’argent, c’est Mohammed V en personne qui subvient aux besoins de la famille et pousse la bienveillance jusqu’à acheter une bicyclette à Bayazid.
Bien entendu, “l’amitié” entre les deux pères rejaillit sur leurs enfants, qui se fréquentent au lycée. Ali et Midhat, notamment, partagent les virées de Moulay Hassan dans les boîtes de nuit de Témara et Skhirat. Les “gosses” se côtoient longuement à Paris, aussi, lors des négociations ayant précédé l’indépendance, tout au long des années 1950. Après le retour d’exil de Mohammed V, le père Bourequat est même chargé d’opérer une sorte de purge dans les milieux de la police, preuve de la confiance que lui accorde alors le sultan.
La belle vie se prolonge pour les Bourequat. Ils obtiennent un quasi-monopole sur l’importation de plusieurs produits et leur commerce est plus que florissant (pneus, marbre, biens d’équipements). Ali devient inséparable de la princesse Lalla Nezha, au point qu’on le prend pour son secrétaire particulier. Bayazid s’associe avec le mari d’une autre princesse, et les deux hommes réussissent à obtenir l’accord des Anglais pour installer une chaîne de montage de la célèbre marque automobile Austin au Maroc. La mère, elle, est partout reçue avec les égards dus à une princesse. “Elle ne craignait rien ni personne, et elle n’a jamais été tendre avec de hauts responsables, comme Moulay Hafid Alaoui qu’elle traitait de tous les noms et en public”, se rappelle Midhat. Le puissant général aurait-il voulu se venger, des années plus tard, au moment où Ahmed Dlimi a cherché à piéger le père Bourequat, coupable d’être proche, trop proche, du Palais ? Tout porte à le croire. Mais une chose est sûre, après des années fastes, c’est un long cauchemar qui attend toute la famille Bourequat.
La main de Dlimi
Dans son livre Notre ami le roi (Gallimard, 1990), Gilles Perrault consacre un chapitre aux frères Bourequat, ces golden boys de nationalité française qui, d’intimes des princes, se sont retrouvés parmi les emmurés de Tazmamart. L’auteur émet plusieurs hypothèses pour tenter d’expliquer l’acharnement de Hassan II à leur égard. La première évoque une embrouille financière impliquant le Palais, avec les Bourequat dans le rôle de mauvais témoins. Hassan II, pour faire oublier une affaire embarrassante, aurait décidé d’emprisonner les trois frères. La deuxième hypothèse parle carrément d’un complot fomenté par Oum Sidi (la mère du roi) pour l’éloigner de Latifa, son épouse, et où il aurait été question de magie noire. Mis au courant par les Bourequat, Hassan II aurait vu rouge et décidé, sur le champ, de “retirer de la circulation” les trois frères et de manière définitive.
Mais Perrault n’est pas le seul à émettre des hypothèses. Les compagnons des Bourequat, et témoins de l’époque, aussi. L’un d’eux, qui a refusé d’être cité, nous explique : “Tout cette histoire est éminemment personnelle. Entre le prince héritier (Moulay Hassan) et les frères Bourequat, il y avait des histoires comme il peut y en avoir entre des jeunes gens bien nés. Et puis, du vivant de Mohammed V, le père Bourequat était chargé de consigner des rapports sur les fréquentations du prince héritier. Tous ces rapports, auxquels au moins l’un des fils Bourequat a apporté sa contribution, n’étaient pas favorables à Moulay Hassan, qui a dû s’en rappeler à un moment ou à un autre”.
Le rapport qui change tout
Pour sa part, Midhat Bourequat insiste sur la version du “complot”. Découvrant un coup d’Etat en préparation (par le tout-puissant Dlimi, devenu pratiquement le numéro 2 du régime depuis la liquidation d’Oufkir) contre Hassan II, l’aîné des Bourequat décide d’avertir le Palais. Sur la base des informations fournies par l’ancien gouverneur d’Agadir, Hassan Zemmouri, il transmet d’abord un premier rapport au roi par le biais de son frère, Ali.
“Dans ce rapport, j’avais codé des noms et, par la suite, Hassan II avait rencontré mon frère (Ali) près de la petite villa qui servait de clinique dans l’enceinte du Méchouar. Pourquoi le Méchouar ? Parce que nous nous méfiions des bureaux et même des voitures que Dlimi avait l’habitude de truffer de micros”, nous explique l’aîné des Bourequat. Hassan II demande plus de détails et un deuxième rapport lui est adressé quelques jours plus tard. Sauf que, cette fois, le protocole a changé : Ali Bourequat se rend au palais de Skhirat et il est conduit par le “valet de pied” du roi. Passé le premier barrage, il remet le rapport au domestique de Hassan II et on le prie, alors, d’attendre au “Calypso”, un célèbre café du coin. Trois heures plus tard, Ali est obligé de faire du stop pour regagner Rabat. Ce qui s’est passé entre-temps ? Personne ne le sait exactement. On ne saura jamais si le fameux rapport a été remis au roi ou intercepté par les hommes du général Dlimi. Toujours est-il que les Bourequat, Ali et Midhat en tête, commencent à faire l’objet d’une surveillance étroite. Alors que, à la base, il a cru bien faire en alertant son “ami” le roi, Midhat, principal auteur des rapports, comprend que le vent est en train de tourner. Excédé (et stressé) par la surveillance policière quotidienne, il tente même de quitter le Maroc pour Gibraltar. A Tanger, un de ses amis l’en dissuade. Moins d’un mois plus tard, il est arrêté ou, plus exactement, enlevé, lui comme ses frères Ali et Bayazid.
(à suivre )
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