Dans cette ville de 4 millions d'habitants, l'eau a longtemps été une denrée rare. Depuis dix ans, l'Etat en fait une priorité et a recours aux compétences du secteur privé. Avec succès.
Employée au standard d'une grande entreprise publique, Baya Herroug, 54 ans, habite au troisième étage d'un vieil immeuble de la rue Burdeau, en plein coeur d'Alger. Elle n'a pas oublié les nuits blanches qu'elle passait à attendre que l'eau coule, enfin, du robinet. "Les mauvaises nuits, raconte-t-elle, je n'avais qu'un filet pour remplir la moitié de la baignoire. Aux meilleures, en une demi-heure mes bidons étaient pleins à ras bord. Mais il suffisait qu'un voisin lance sa machine à laver pour que je sois obligée de rester éveillée jusqu'à l'heure du muezzin, à l'aube !"
Au début des années 2000, les pénuries d'eau étaient si sévères qu'elles avaient provoqué dans la capitale des "émeutes de la soif". Quelques stigmates de cette époque subsistent encore, comme ces citernes en étain qui alourdissent et enlaidissent les terrasses et les loggias. Aujourd'hui, les choses ont changé. Pour les Algérois comme pour les habitants des autres grandes villes du pays, l'eau est devenue du "H24".
Derrière cette formule bien locale, fièrement brandie pour désigner le miracle d'une eau qui coule désormais sans relâche, se cache une politique que l'Etat algérien, soucieux d'éviter des troubles dans un pays socialement nerveux, poursuit depuis plusieurs années à marche forcée. Depuis 2001, et grâce aux revenus du pétrole, 28 milliards de dollars (21,3 milliards d'euros) ont été dépensés pour régler ce que le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, appelle une "question de sécurité nationale". "Avec un ratio de 600 mètres cubes par habitant et par an, bien inférieur au seuil de rareté de 1 000 mètres cubes fixé par la Banque mondiale, l'Algérie, note-t-il, n'avait pas d'autre choix que d'investir massivement." Une part du budget a été allouée à la construction d'infrastructures et d'équipements, parmi lesquels 69 barrages et 15 usines de dessalement, une autre a été affectée à la mise en place d'une "gestion pragmatique" de la ressource et du service.
En sus de la création d'agences publiques, pour suppléer aux carences financières et techniques des communes, l'Etat a, pour la première fois, recouru au partenariat avec le secteur privé, sous la forme originale de la "gestion déléguée" à des opérateurs internationaux. Dès 2006, le marché algérien de la distribution d'eau a vu débarquer des professionnels européens, tels que l'espagnol Agbar Agua à Oran, la Marseillaise des eaux (groupe Veolia environnement) à Constantine, ou encore l'allemand Gelssenwasser, dont le contrat à Annaba a été résilié pour "défaillance" en 2011. Une arrivée à l'origine de véritables success stories, comme celle de Suez environnement à Alger.
Un numéro d'appel unique pour les usagers
Le groupe français, dont le contrat obtenu il y a six ans vient d'être reconduit jusqu'en 2016 pour un montant de 107 millions d'euros, passe pour être un modèle de "gestionnaire délégué". Il supervise le réseau de la capitale algérienne selon les standards internationaux, et ses réalisations à la tête de la Société des eaux et de l'assainissement d'Alger (SEAAL) - qui appartient à deux des principales agences publiques de l'eau, l'Algérienne des eaux (ADE) et l'Office national de l'assainissement (ONA) - ont, de l'avis du ministre algérien des Ressources en eau, "bouleversé le niveau d'équipement et de gestion". "Il ne s'agit, explique le directeur général, Jean-Marc Jahn, ni d'une concession ni d'une privatisation, mais d'une coentreprise." Elle engage Suez environnement à "développer chez les cadres algériens de la SEAAL une compétence managériale et opérationnelle" dans un environnement industriel et technologique de "dernière génération".
Depuis 2006, la SEAAL a intégré plus de 120 000 nouveaux clients dans son système de facturation et ramené le taux de fuite de 30 à 17 % grâce notamment à un centre de télécontrôle high-tech. Elle dispose aussi, sur le site de Birmandreis, dans la grande banlieue d'Alger, d'un centre d'accueil téléphonique devenu, selon Vincent Ruf, un des 26 experts de Suez présents à Alger, une "plate-forme de référence internationale". Pour le responsable, Haouache Belarbi, et la chargée du marketing et de la communication, Shahenaz Zighemi - tous deux ont bénéficié, comme d'autres cadres algériens, d'une formation en France -, cette nouvelle structure, qui devrait traiter plus de 600 000 clients à la fin de 2012, a "radicalement changé la relation aux consommateurs". "Nous faisons des sondages réguliers pour identifier leurs besoins et les conseiller", explique Haouache Belarbi. Par ailleurs, un numéro d'appel unique et accessible en permanence - le 1594 - permet aux usagers de signaler la moindre coupure dans le service.
A la station d'assainissement de Beni Messous, dans la banlieue ouest, que dirige Saleha Tamzalit, on affirme aussi que la "gestion déléguée" de Suez "a modifié les méthodes de diagnostic et de traitement des eaux usées". "La chaîne d'intervention, ajoute Fatima-Zohra Louhab, senior manager chargée de plusieurs stations d'épuration, a été totalement professionnalisée."
Dans un environnement concurrentiel, un déploiement aussi important d'équipements, de formation et de transfert de compétences aurait rendu l'eau plus chère.
Mais en Algérie, l'or bleu n'est pas un produit marchand comme un autre. "C'est l'Etat qui fixe le prix". Un Etat suffisamment riche pour accorder de généreuses subventions en échange de la paix sociale. Le consommateur algérien paie aujourd'hui 11 dinars (0,01 centime d'euro) 1 mètre cube d'eau qui revient à 32 dinars (3,2 centimes d'euro) pour les eaux superficielles et à 48 dinars (4,2 centimes d'euro) pour l'eau dessalée. Un tarif qui ferait rêver de l'autre côté de la Méditerranée.
Lexpress.fr
Employée au standard d'une grande entreprise publique, Baya Herroug, 54 ans, habite au troisième étage d'un vieil immeuble de la rue Burdeau, en plein coeur d'Alger. Elle n'a pas oublié les nuits blanches qu'elle passait à attendre que l'eau coule, enfin, du robinet. "Les mauvaises nuits, raconte-t-elle, je n'avais qu'un filet pour remplir la moitié de la baignoire. Aux meilleures, en une demi-heure mes bidons étaient pleins à ras bord. Mais il suffisait qu'un voisin lance sa machine à laver pour que je sois obligée de rester éveillée jusqu'à l'heure du muezzin, à l'aube !"
Au début des années 2000, les pénuries d'eau étaient si sévères qu'elles avaient provoqué dans la capitale des "émeutes de la soif". Quelques stigmates de cette époque subsistent encore, comme ces citernes en étain qui alourdissent et enlaidissent les terrasses et les loggias. Aujourd'hui, les choses ont changé. Pour les Algérois comme pour les habitants des autres grandes villes du pays, l'eau est devenue du "H24".
Derrière cette formule bien locale, fièrement brandie pour désigner le miracle d'une eau qui coule désormais sans relâche, se cache une politique que l'Etat algérien, soucieux d'éviter des troubles dans un pays socialement nerveux, poursuit depuis plusieurs années à marche forcée. Depuis 2001, et grâce aux revenus du pétrole, 28 milliards de dollars (21,3 milliards d'euros) ont été dépensés pour régler ce que le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, appelle une "question de sécurité nationale". "Avec un ratio de 600 mètres cubes par habitant et par an, bien inférieur au seuil de rareté de 1 000 mètres cubes fixé par la Banque mondiale, l'Algérie, note-t-il, n'avait pas d'autre choix que d'investir massivement." Une part du budget a été allouée à la construction d'infrastructures et d'équipements, parmi lesquels 69 barrages et 15 usines de dessalement, une autre a été affectée à la mise en place d'une "gestion pragmatique" de la ressource et du service.
En sus de la création d'agences publiques, pour suppléer aux carences financières et techniques des communes, l'Etat a, pour la première fois, recouru au partenariat avec le secteur privé, sous la forme originale de la "gestion déléguée" à des opérateurs internationaux. Dès 2006, le marché algérien de la distribution d'eau a vu débarquer des professionnels européens, tels que l'espagnol Agbar Agua à Oran, la Marseillaise des eaux (groupe Veolia environnement) à Constantine, ou encore l'allemand Gelssenwasser, dont le contrat à Annaba a été résilié pour "défaillance" en 2011. Une arrivée à l'origine de véritables success stories, comme celle de Suez environnement à Alger.
Un numéro d'appel unique pour les usagers
Le groupe français, dont le contrat obtenu il y a six ans vient d'être reconduit jusqu'en 2016 pour un montant de 107 millions d'euros, passe pour être un modèle de "gestionnaire délégué". Il supervise le réseau de la capitale algérienne selon les standards internationaux, et ses réalisations à la tête de la Société des eaux et de l'assainissement d'Alger (SEAAL) - qui appartient à deux des principales agences publiques de l'eau, l'Algérienne des eaux (ADE) et l'Office national de l'assainissement (ONA) - ont, de l'avis du ministre algérien des Ressources en eau, "bouleversé le niveau d'équipement et de gestion". "Il ne s'agit, explique le directeur général, Jean-Marc Jahn, ni d'une concession ni d'une privatisation, mais d'une coentreprise." Elle engage Suez environnement à "développer chez les cadres algériens de la SEAAL une compétence managériale et opérationnelle" dans un environnement industriel et technologique de "dernière génération".
Depuis 2006, la SEAAL a intégré plus de 120 000 nouveaux clients dans son système de facturation et ramené le taux de fuite de 30 à 17 % grâce notamment à un centre de télécontrôle high-tech. Elle dispose aussi, sur le site de Birmandreis, dans la grande banlieue d'Alger, d'un centre d'accueil téléphonique devenu, selon Vincent Ruf, un des 26 experts de Suez présents à Alger, une "plate-forme de référence internationale". Pour le responsable, Haouache Belarbi, et la chargée du marketing et de la communication, Shahenaz Zighemi - tous deux ont bénéficié, comme d'autres cadres algériens, d'une formation en France -, cette nouvelle structure, qui devrait traiter plus de 600 000 clients à la fin de 2012, a "radicalement changé la relation aux consommateurs". "Nous faisons des sondages réguliers pour identifier leurs besoins et les conseiller", explique Haouache Belarbi. Par ailleurs, un numéro d'appel unique et accessible en permanence - le 1594 - permet aux usagers de signaler la moindre coupure dans le service.
A la station d'assainissement de Beni Messous, dans la banlieue ouest, que dirige Saleha Tamzalit, on affirme aussi que la "gestion déléguée" de Suez "a modifié les méthodes de diagnostic et de traitement des eaux usées". "La chaîne d'intervention, ajoute Fatima-Zohra Louhab, senior manager chargée de plusieurs stations d'épuration, a été totalement professionnalisée."
Dans un environnement concurrentiel, un déploiement aussi important d'équipements, de formation et de transfert de compétences aurait rendu l'eau plus chère.
Mais en Algérie, l'or bleu n'est pas un produit marchand comme un autre. "C'est l'Etat qui fixe le prix". Un Etat suffisamment riche pour accorder de généreuses subventions en échange de la paix sociale. Le consommateur algérien paie aujourd'hui 11 dinars (0,01 centime d'euro) 1 mètre cube d'eau qui revient à 32 dinars (3,2 centimes d'euro) pour les eaux superficielles et à 48 dinars (4,2 centimes d'euro) pour l'eau dessalée. Un tarif qui ferait rêver de l'autre côté de la Méditerranée.
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