Deux repentis et un ex-otage du GIA témoignent : Retour sur l’enlèvement des moines de Tibhirine
le 27.03.12 | 10h00
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Dans la nuit du 16 au 17 mars 1996, sept moines du monastère de Tibhirine, à Médéa, sont arrachés à leur sommeil par un groupe de terroristes. Durant les 53 jours de leur séquestration, ils subiront les pires épreuves de leur vie, rarement révélées, avant d’être exécutés. Pour la première fois, nous reconstituons le voyage au bout de l’enfer qu’ils ont dû faire à Médéa. Il s’agit là d’une première étape, avant celle de Bougara, à Blida, où leur sort a été scellé.
Il y a seize ans, dans la nuit du 16 au 17 mars 1996, sept moines de Tibhirine sont enlevés par un groupe de terroristes pour être exécutés presque deux mois après. Ce douloureux anniversaire coïncide avec la réception, en Algérie, de la commission rogatoire délivrée par le juge Marc Trévidic, qui instruit l’affaire en France. Le magistrat s’intéresse particulièrement à la première étape de l’enlèvement relative à la séquestration des otages dans la région de Médéa. Avec l’aide de deux repentis, Abdelkader Allali et Mohamed Mayouf, anciens guides et agents de liaison du GIA pour la région de Msennou et Guerouaou, ainsi que le récit d’un ex-otage, Larbi Benmouloud, qui a miraculeusement échappé à la mort cette nuit-là, nous avons refait le voyage des moines depuis leur enlèvement du monastère jusqu’à leur sortie de Médéa en direction de Bougara, vers le quartier général de Djamel Zitouni.
Allali et Mayouf connaissent la région comme leur poche. Ils étaient considérés comme les «yeux» du groupe de Chahba-Mouna Djamel, alors émir de la zone de Médéa. Ils se sont rendus aux services de sécurité pour échapper aux opérations de liquidation physique menées par Antar Zouabri, le successeur de Djamel Zitouni à la tête du GIA.
Les deux guides révèlent des détails hallucinants sur ce rapt, dont l’exécution a nécessité l’aide de plusieurs groupes de la région de Médéa. «Deux jours avant l’enlèvement, ou peut-être le jour même, un regroupement de 150 personnes a eu lieu à Ksar El Bey, à Guerouaou», révèle AbdelkaderAllali. Avec Mohamed Mayouf, il tente de reconstituer les faits de cet épisode et en même temps expliquer l’organisation du GIA à cette époque.
Notre voyage commence à partir du monastère, lieu de l’enlèvement. Les éléments se sont scindés en plusieurs groupes, chacun avec une mission bien précise. «C’est sous la direction de l’émir Djound (bataillon), Abou El Hareh, de son vrai nom Maiz Mohamed, et Chahba-Mouna Djamel, dit El Bosni (en référence au fait qu’il soit l’auteur de l’assassinat des Bosniaques à Tamezguida), que l’opération s’est déroulée. Les deux ont regroupé les phalanges de Ouezra, d’El Hamdania, de Ksar El Boukhari et de Guerouaou, avant de les scinder en trois sections. L’une composée de 16 éléments, à sa tête Meziane Baghdad, membre de la seriat Kheibar de la phalange Tabaria, auteur de l’enlèvement et de l’assassinat de deux membres de la famille Belahdjar, Serraj et Moulay Abderrahmane ; le deuxième chargé du rapt (échoué) de Hocine Slimani et le troisième, embusqué sur la RN1 devant assurer la protection du convoi des otages» explique Abdelkader Allali.
Après avoir investi le monastère, Abou El Hareth réveille les sept moines et leur intime l’ordre de le suivre. A pied, ils dévalent la descente et traversent, en quelques dizaines de minutes, la RN1 pour se diriger à travers le bois Oued Sidi Ali, où des véhicules les attendent. Au même moment, un autre groupe fait irruption à Moualdia, un quartier situé en contrebas du monastère, et pénètre dans les trois maisons de la famille Benmouloud (parents par alliance de Belhadjar, alors émir d’une katiba du GIA pour Médéa). Il tue un des membres, en blesse un et enlève les trois autres, qu’il dirige vers Oued Sidi Ali.
Larbi Benmouloud : «Mon retour sur les lieux est une thérapie»
L’un d’eux est Larbi Benmouloud. Il nous raconte : «Après nous avoir fait marcher jusqu’à Oued Sidi Ali, ils nous ont bandé les yeux et embarqués à bord d’une Mercedes et une Daewoo vers une direction inconnue.» En acceptant de revenir sur les lieux du rapt, Larbi espère «faire sa thérapie» et chasser, une fois pour toutes, les cauchemars qui rongent ses nuits depuis 16 ans. Il se rappelle de cette nuit du mardi 26 au mercredi 27 mars, durant laquelle lui, son frère et son cousin ont été enlevés par Missoum, le terroriste dont le nom faisait trembler les plus courageux. Il refait l’itinéraire par où il a rejoint Oued Sidi Ali, sous la menace des armes.
Une fois arrivés, les trois otages sont embarqués brusquement à bord d’une Daewoo et d’une Mercedes. «Ils nous poussés violemment à l’intérieur des véhicules et nous ont bandé les yeux. Je sais que nous avons roulé un bon moment, puisque que nous sommes arrivés vers le lever du jour», dit-il. Il se méfie beaucoup de Abdelkader et de Mohamed et évite même de s’attarder avec eux. Ils lui rappellent son cauchemar, nous confie-t-il.
A Sidi Ali, les deux repentis nous guident dans les virages sinueux des hauteurs pour arriver enfin au sommet de Gherfat Guerouaou. La région est désertique et la route très abîmée. Quelques patriotes occupent encore une école, abandonnée par une population poussée à l’exode. Quelques-uns préfèrent nous accompagner. «L’endroit a été traité par les éléments de l’ANP, mais on ne sait jamais…», nous lancent-ils.
Nous laissons les véhicules à quelques centaines de mètres pour poursuivre le chemin à pied. Larbi Benmouloud tremble de tous ses membres. Il reconnaît l’endroit et avance difficilement vers d’anciennes maisons dont les toits et quelques murs ont été détruits par des bombardements. Leur ossature est cependant intacte. Larbi s’arrête, murmure quelques mots, hésite, fait marche arrière puis avance vers la porte d’une d’entre elles. «C’est ici. Je me rappelle bien. Le film me revient. Lorsque nous sommes arrivés, il faisait jour. Ils nous ont enlevé le bandage des yeux. Ils nous ont installés dans cette pièce», raconte-t-il. De temps à autre, il lance des regards furtifs sur Mohamed et Abdelkader. Les larmes aux yeux, les mains tremblantes, Larbi Benmouloud nous emmène vers l’arrière des maisons, appelées Kasr El Bey, partiellement en ruine. «C’est ici que les terroristes s’étaient regroupés la veille de l’enlèvement. Parfois, ils y avait 400 à 500 hommes», lance Abdelkader. Mohamed, lui, se rappelle certains détails, comme la présence de Abderrazak El Para ou encore Guermezli, connu sous le nom de Benyekhlef. Les deux repentis se remémorent quelques souvenirs du passé. Ils connaissent parfaitement les lieux, mais également les terroristes qui y sont passés et dont l’écrasante majorité n’est plus de ce monde. «Regardez, sous cette pièce il y a une casemate où les terroristes se cachaient lorsque les militaires survolaient la région», explique Abdelkader. La casemate est bien visible. Elle est construite sous la maison et peut abriter plusieurs personnes en même temps.
En face, Larbi ne cesse de tourner autour de la chambre où il avait été séquestré avec son frère et son cousin. «Nous ne sommes pas restés très longtemps. Ils étaient nombreux et tous armés. Quelques heures après, ils nous ont fait descendre à quelques kilomètres, vers la plaine, dans les mêmes véhicules», poursuit-il. Abdelkader lui dit : «Vous avez été transférés vers Taghlalt.»
Nous ne pouvons y aller, la journée tire à sa fin. Il n’est pas question pour l’équipe d’être à cet endroit à la tombée de la nuit. Le lendemain matin, nous reprenons le chemin vers Kasr El Bey. Benmouloud est plus calme. Vu d’en haut, rien n’apparaît dans cette plaine entourée d’arbres. A l’époque, la route était carrossable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle est complètement défoncée.
Nous sommes obligés de marcher au moins 2,5 km. Quelques vieilles maisons apparaissent. Larbi s’arrête : «Les véhicules se sont arrêtés ici. Ils ne pouvaient plus continuer. Nous avions marché quelques centaines de mètres pour être mis dans ces maisons», dit-il. La peur ne se lit plus sur son visage ; il semble l’avoir vaincue. «Je me sens mieux qu’hier. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je reviendrais sur ces lieux maudits», murmure-t-il, en évitant le regard de Abdelkader et Mohamed.
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Dans la nuit du 16 au 17 mars 1996, sept moines du monastère de Tibhirine, à Médéa, sont arrachés à leur sommeil par un groupe de terroristes. Durant les 53 jours de leur séquestration, ils subiront les pires épreuves de leur vie, rarement révélées, avant d’être exécutés. Pour la première fois, nous reconstituons le voyage au bout de l’enfer qu’ils ont dû faire à Médéa. Il s’agit là d’une première étape, avant celle de Bougara, à Blida, où leur sort a été scellé.
Il y a seize ans, dans la nuit du 16 au 17 mars 1996, sept moines de Tibhirine sont enlevés par un groupe de terroristes pour être exécutés presque deux mois après. Ce douloureux anniversaire coïncide avec la réception, en Algérie, de la commission rogatoire délivrée par le juge Marc Trévidic, qui instruit l’affaire en France. Le magistrat s’intéresse particulièrement à la première étape de l’enlèvement relative à la séquestration des otages dans la région de Médéa. Avec l’aide de deux repentis, Abdelkader Allali et Mohamed Mayouf, anciens guides et agents de liaison du GIA pour la région de Msennou et Guerouaou, ainsi que le récit d’un ex-otage, Larbi Benmouloud, qui a miraculeusement échappé à la mort cette nuit-là, nous avons refait le voyage des moines depuis leur enlèvement du monastère jusqu’à leur sortie de Médéa en direction de Bougara, vers le quartier général de Djamel Zitouni.
Allali et Mayouf connaissent la région comme leur poche. Ils étaient considérés comme les «yeux» du groupe de Chahba-Mouna Djamel, alors émir de la zone de Médéa. Ils se sont rendus aux services de sécurité pour échapper aux opérations de liquidation physique menées par Antar Zouabri, le successeur de Djamel Zitouni à la tête du GIA.
Les deux guides révèlent des détails hallucinants sur ce rapt, dont l’exécution a nécessité l’aide de plusieurs groupes de la région de Médéa. «Deux jours avant l’enlèvement, ou peut-être le jour même, un regroupement de 150 personnes a eu lieu à Ksar El Bey, à Guerouaou», révèle AbdelkaderAllali. Avec Mohamed Mayouf, il tente de reconstituer les faits de cet épisode et en même temps expliquer l’organisation du GIA à cette époque.
Notre voyage commence à partir du monastère, lieu de l’enlèvement. Les éléments se sont scindés en plusieurs groupes, chacun avec une mission bien précise. «C’est sous la direction de l’émir Djound (bataillon), Abou El Hareh, de son vrai nom Maiz Mohamed, et Chahba-Mouna Djamel, dit El Bosni (en référence au fait qu’il soit l’auteur de l’assassinat des Bosniaques à Tamezguida), que l’opération s’est déroulée. Les deux ont regroupé les phalanges de Ouezra, d’El Hamdania, de Ksar El Boukhari et de Guerouaou, avant de les scinder en trois sections. L’une composée de 16 éléments, à sa tête Meziane Baghdad, membre de la seriat Kheibar de la phalange Tabaria, auteur de l’enlèvement et de l’assassinat de deux membres de la famille Belahdjar, Serraj et Moulay Abderrahmane ; le deuxième chargé du rapt (échoué) de Hocine Slimani et le troisième, embusqué sur la RN1 devant assurer la protection du convoi des otages» explique Abdelkader Allali.
Après avoir investi le monastère, Abou El Hareth réveille les sept moines et leur intime l’ordre de le suivre. A pied, ils dévalent la descente et traversent, en quelques dizaines de minutes, la RN1 pour se diriger à travers le bois Oued Sidi Ali, où des véhicules les attendent. Au même moment, un autre groupe fait irruption à Moualdia, un quartier situé en contrebas du monastère, et pénètre dans les trois maisons de la famille Benmouloud (parents par alliance de Belhadjar, alors émir d’une katiba du GIA pour Médéa). Il tue un des membres, en blesse un et enlève les trois autres, qu’il dirige vers Oued Sidi Ali.
Larbi Benmouloud : «Mon retour sur les lieux est une thérapie»
L’un d’eux est Larbi Benmouloud. Il nous raconte : «Après nous avoir fait marcher jusqu’à Oued Sidi Ali, ils nous ont bandé les yeux et embarqués à bord d’une Mercedes et une Daewoo vers une direction inconnue.» En acceptant de revenir sur les lieux du rapt, Larbi espère «faire sa thérapie» et chasser, une fois pour toutes, les cauchemars qui rongent ses nuits depuis 16 ans. Il se rappelle de cette nuit du mardi 26 au mercredi 27 mars, durant laquelle lui, son frère et son cousin ont été enlevés par Missoum, le terroriste dont le nom faisait trembler les plus courageux. Il refait l’itinéraire par où il a rejoint Oued Sidi Ali, sous la menace des armes.
Une fois arrivés, les trois otages sont embarqués brusquement à bord d’une Daewoo et d’une Mercedes. «Ils nous poussés violemment à l’intérieur des véhicules et nous ont bandé les yeux. Je sais que nous avons roulé un bon moment, puisque que nous sommes arrivés vers le lever du jour», dit-il. Il se méfie beaucoup de Abdelkader et de Mohamed et évite même de s’attarder avec eux. Ils lui rappellent son cauchemar, nous confie-t-il.
A Sidi Ali, les deux repentis nous guident dans les virages sinueux des hauteurs pour arriver enfin au sommet de Gherfat Guerouaou. La région est désertique et la route très abîmée. Quelques patriotes occupent encore une école, abandonnée par une population poussée à l’exode. Quelques-uns préfèrent nous accompagner. «L’endroit a été traité par les éléments de l’ANP, mais on ne sait jamais…», nous lancent-ils.
Nous laissons les véhicules à quelques centaines de mètres pour poursuivre le chemin à pied. Larbi Benmouloud tremble de tous ses membres. Il reconnaît l’endroit et avance difficilement vers d’anciennes maisons dont les toits et quelques murs ont été détruits par des bombardements. Leur ossature est cependant intacte. Larbi s’arrête, murmure quelques mots, hésite, fait marche arrière puis avance vers la porte d’une d’entre elles. «C’est ici. Je me rappelle bien. Le film me revient. Lorsque nous sommes arrivés, il faisait jour. Ils nous ont enlevé le bandage des yeux. Ils nous ont installés dans cette pièce», raconte-t-il. De temps à autre, il lance des regards furtifs sur Mohamed et Abdelkader. Les larmes aux yeux, les mains tremblantes, Larbi Benmouloud nous emmène vers l’arrière des maisons, appelées Kasr El Bey, partiellement en ruine. «C’est ici que les terroristes s’étaient regroupés la veille de l’enlèvement. Parfois, ils y avait 400 à 500 hommes», lance Abdelkader. Mohamed, lui, se rappelle certains détails, comme la présence de Abderrazak El Para ou encore Guermezli, connu sous le nom de Benyekhlef. Les deux repentis se remémorent quelques souvenirs du passé. Ils connaissent parfaitement les lieux, mais également les terroristes qui y sont passés et dont l’écrasante majorité n’est plus de ce monde. «Regardez, sous cette pièce il y a une casemate où les terroristes se cachaient lorsque les militaires survolaient la région», explique Abdelkader. La casemate est bien visible. Elle est construite sous la maison et peut abriter plusieurs personnes en même temps.
En face, Larbi ne cesse de tourner autour de la chambre où il avait été séquestré avec son frère et son cousin. «Nous ne sommes pas restés très longtemps. Ils étaient nombreux et tous armés. Quelques heures après, ils nous ont fait descendre à quelques kilomètres, vers la plaine, dans les mêmes véhicules», poursuit-il. Abdelkader lui dit : «Vous avez été transférés vers Taghlalt.»
Nous ne pouvons y aller, la journée tire à sa fin. Il n’est pas question pour l’équipe d’être à cet endroit à la tombée de la nuit. Le lendemain matin, nous reprenons le chemin vers Kasr El Bey. Benmouloud est plus calme. Vu d’en haut, rien n’apparaît dans cette plaine entourée d’arbres. A l’époque, la route était carrossable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle est complètement défoncée.
Nous sommes obligés de marcher au moins 2,5 km. Quelques vieilles maisons apparaissent. Larbi s’arrête : «Les véhicules se sont arrêtés ici. Ils ne pouvaient plus continuer. Nous avions marché quelques centaines de mètres pour être mis dans ces maisons», dit-il. La peur ne se lit plus sur son visage ; il semble l’avoir vaincue. «Je me sens mieux qu’hier. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je reviendrais sur ces lieux maudits», murmure-t-il, en évitant le regard de Abdelkader et Mohamed.
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