Risque d’implosion de la Ligue arabe au sommet de Bagdad
Le monde arabe face à ses antagonismes
Les Arabes vont se réunir une fois de plus, non pas pour aplanir leurs divergences et dresser une feuille de route pour une action arabe commune, mais, comme d’habitude, pour étaler au grand jour leurs différends. Le sommet de Bagdad, les 27 et 28 mars, sera malheureusement une occasion pour consacrer leurs divisions, avec cette fois-ci un nouvel Etat, microscopique, aux ambitions démesurées car inféodé aux intérêts atlantistes, le Qatar, qui croit pouvoir se placer à la tête de la ligue pour en prendre le leadership laissé vacant par les poids lourds du monde arabe.
Après avoir donné l’impression de se ranger aux côtés du «front du refus» à la mainmise américano-israélienne au Proche-Orient, avec notamment le sommet de Doha en pleine agression israélienne contre la bande de Gaza en janvier 2009, le Qatar a dévoilé, à l’occasion des «révolutions» arabes, ses vraies ambitions : rouler pour les intérêts occidentaux quitte à cautionner le bombardement puis l’invasion d’un pays arabe souverain, la Libye en l’occurrence, et régler ses comptes à un ex-allié, devenu encombrant, le Syrien Bachar Al-Assad.
A Bagdad, lors de ce premier sommet qu’abrite l’Irak depuis 1990, l’équation arabe restera sans solution pour plusieurs raisons. La plus importante est peut-être celle relative à la polarisation inédite du système panarabe. En effet, nous sommes aujourd’hui loin de la bipolarisation front du refus versus axe modéré. Une nouvelle configuration tiraille le monde arabe entre trois pôles, parfaitement reconnaissables en raison de leurs positions sur la crise syrienne.
Les nouveaux faucons du monde arabe, ceux qui veulent en découdre avec le président Assad et l’accusent de commettre un génocide contre son peuple, se divisent eux aussi en trois catégories : il y a ceux qui considèrent la démocratie comme une hérésie et ne daignent pas accorder de Constitutions à leurs Etats, à savoir le Qatar, l’Arabie saoudite et le reste des pays du Golfe, ceux qui se sont récemment convertis aux vertus du système démocratique, de gré ou de force, comme la Tunisie, le Yémen et la Libye et, enfin, les deux monarchies arabes conviées à adhérer au CCG, le Maroc et la Jordanie.
Ces faucons font feu de tout bois lorsqu’il s’agit de la Syrie. Non seulement ils ont appelé au départ du président syrien, mais ils s’activent sur les plans diplomatiques et militaires pour déloger Assad, même au prix d’une guerre civile entre les institutions de l’Etat et une bande de terroristes autoproclamés armée syrienne libre. Le soutien de ces pays arabes à l’opposition syrienne composée d’un Conseil national syrien, une pâle copie du CNT libyen, dirigé par des intellectuels plus habitués aux salons de Saint-Germain-des-Prés qu’aux ruelles du vieux Damas, eux-mêmes débordés par les Frères musulmans syriens, est une évidence telle que les motivations de ce soutien sont perçues davantage comme faisant partie d’une manœuvre occidentale qui vise en réalité à isoler l’Iran de son allié syrien pour consolider la position d’Israël dans la région. Quand la démocratie aboutit à la compromission !
Le deuxième pôle qui gêne énormément la stratégie du premier est composé, lui, de pays qui refusent le diktat atlantiste concernant la Syrie. Ce groupe de pays représente ce qui reste des anciens alliés arabes de l’ex-Union soviétique : l’Algérie, le Soudan et l’Irak. Ces représentants du front du refus, auxquels s’ajoute le Liban pour des raisons historiques et géopolitiques, considèrent que la Syrie paie le prix de sa politique anti-israélienne et anti-américaine dans la région. De plus, son alliance avec l’Iran et les mouvements de résistance au Liban (Hezbollah) et en Palestine occupée (Hamas) déplaît fortement aux représentants arabes des intérêts atlantistes et/ou israéliens.
A ce propos, l’Irak, hôte du sommet arabe, risque de payer lui aussi son soutien à Damas. Les pays du Golfe ont menacé, dans un premier temps, de boycotter le sommet de Bagdad, signifiant à Nouri Al-Maliki leur désapprobation de sa politique syrienne. Pis, Ryad accuse Bagdad de rouler pour les intérêts de Téhéran, non seulement dans l’affaire syrienne mais également dans la contestation chiite qui secoue le Bahreïn. D’ailleurs, l’Arabie saoudite a déclaré que son ambassadeur auprès de la Ligue arabe représentera son pays au sommet de Bagdad. Il en est de même pour le roi de Jordanie, qui n’apprécie pas vraiment le Premier ministre irakien, laissant à son chef du gouvernement le soin du déplacement à Bagdad.
Par ailleurs, les pays du front du refus subissent une double pression : celle des tenants de l’ordre occidental, mais aussi celle de leurs séides dans le monde arabe. Le Premier ministre du Qatar n’a-t-il pas menacé l’Algérie lors d’une réunion de la Ligue au Caire ? L’épée de Damoclès ne plane-t-elle pas sur le président soudanais, contraint d’accepter la partition de son pays ? Le Koweït ne refuse-t-il pas la sortie de l’Irak des dispositions du chapitre VI de la charte des Nations unies ? Le Liban ne risque-t-il pas l’implosion à tout moment sous l’effet d’une radicalisation d’une de ses composantes ? Tout est mis en œuvre pour fragiliser au maximum ces pays, qui se réjouissent néanmoins du retour de Vladimir Poutine au Kremlin, question de rééquilibrage des forces dans les relations internationales.
Un troisième groupe de pays enfin, les attentistes, qui pratiquent la politique du wait and see pour prendre position. Il s’agit de la Mauritanie, de l’Autorité palestinienne et de… l’Egypte. Embourbée dans une phase de transition à haut risque, l’Egypte, sur laquelle plane la menace d’une gouvernance islamiste durable des Frères musulmans, temporise et essaye de tenir le manche par le milieu. Le Caire ne veut pas se brouiller définitivement avec Damas, mais il ménage ses alliés et bailleurs de fonds saoudiens et émiriens. A défaut d’une position claire et courageuse, et loin de sa tradition avant-gardiste, l’Egypte est devenue un nain politique dans la région.
Ces contradictions arabes mises en perspective, une question s’impose : le sommet de Bagdad sera-t-il un énième sommet de la division ? Tout porte à le croire, et les tiraillements actuels risquent de laminer profondément et dans la durée un éventuel rapprochement entre les pays arabes, car les facteurs de division sont plus nombreux que les facteurs d’union.
M’hamed Khodja
Le monde arabe face à ses antagonismes
Les Arabes vont se réunir une fois de plus, non pas pour aplanir leurs divergences et dresser une feuille de route pour une action arabe commune, mais, comme d’habitude, pour étaler au grand jour leurs différends. Le sommet de Bagdad, les 27 et 28 mars, sera malheureusement une occasion pour consacrer leurs divisions, avec cette fois-ci un nouvel Etat, microscopique, aux ambitions démesurées car inféodé aux intérêts atlantistes, le Qatar, qui croit pouvoir se placer à la tête de la ligue pour en prendre le leadership laissé vacant par les poids lourds du monde arabe.
Après avoir donné l’impression de se ranger aux côtés du «front du refus» à la mainmise américano-israélienne au Proche-Orient, avec notamment le sommet de Doha en pleine agression israélienne contre la bande de Gaza en janvier 2009, le Qatar a dévoilé, à l’occasion des «révolutions» arabes, ses vraies ambitions : rouler pour les intérêts occidentaux quitte à cautionner le bombardement puis l’invasion d’un pays arabe souverain, la Libye en l’occurrence, et régler ses comptes à un ex-allié, devenu encombrant, le Syrien Bachar Al-Assad.
A Bagdad, lors de ce premier sommet qu’abrite l’Irak depuis 1990, l’équation arabe restera sans solution pour plusieurs raisons. La plus importante est peut-être celle relative à la polarisation inédite du système panarabe. En effet, nous sommes aujourd’hui loin de la bipolarisation front du refus versus axe modéré. Une nouvelle configuration tiraille le monde arabe entre trois pôles, parfaitement reconnaissables en raison de leurs positions sur la crise syrienne.
Les nouveaux faucons du monde arabe, ceux qui veulent en découdre avec le président Assad et l’accusent de commettre un génocide contre son peuple, se divisent eux aussi en trois catégories : il y a ceux qui considèrent la démocratie comme une hérésie et ne daignent pas accorder de Constitutions à leurs Etats, à savoir le Qatar, l’Arabie saoudite et le reste des pays du Golfe, ceux qui se sont récemment convertis aux vertus du système démocratique, de gré ou de force, comme la Tunisie, le Yémen et la Libye et, enfin, les deux monarchies arabes conviées à adhérer au CCG, le Maroc et la Jordanie.
Ces faucons font feu de tout bois lorsqu’il s’agit de la Syrie. Non seulement ils ont appelé au départ du président syrien, mais ils s’activent sur les plans diplomatiques et militaires pour déloger Assad, même au prix d’une guerre civile entre les institutions de l’Etat et une bande de terroristes autoproclamés armée syrienne libre. Le soutien de ces pays arabes à l’opposition syrienne composée d’un Conseil national syrien, une pâle copie du CNT libyen, dirigé par des intellectuels plus habitués aux salons de Saint-Germain-des-Prés qu’aux ruelles du vieux Damas, eux-mêmes débordés par les Frères musulmans syriens, est une évidence telle que les motivations de ce soutien sont perçues davantage comme faisant partie d’une manœuvre occidentale qui vise en réalité à isoler l’Iran de son allié syrien pour consolider la position d’Israël dans la région. Quand la démocratie aboutit à la compromission !
Le deuxième pôle qui gêne énormément la stratégie du premier est composé, lui, de pays qui refusent le diktat atlantiste concernant la Syrie. Ce groupe de pays représente ce qui reste des anciens alliés arabes de l’ex-Union soviétique : l’Algérie, le Soudan et l’Irak. Ces représentants du front du refus, auxquels s’ajoute le Liban pour des raisons historiques et géopolitiques, considèrent que la Syrie paie le prix de sa politique anti-israélienne et anti-américaine dans la région. De plus, son alliance avec l’Iran et les mouvements de résistance au Liban (Hezbollah) et en Palestine occupée (Hamas) déplaît fortement aux représentants arabes des intérêts atlantistes et/ou israéliens.
A ce propos, l’Irak, hôte du sommet arabe, risque de payer lui aussi son soutien à Damas. Les pays du Golfe ont menacé, dans un premier temps, de boycotter le sommet de Bagdad, signifiant à Nouri Al-Maliki leur désapprobation de sa politique syrienne. Pis, Ryad accuse Bagdad de rouler pour les intérêts de Téhéran, non seulement dans l’affaire syrienne mais également dans la contestation chiite qui secoue le Bahreïn. D’ailleurs, l’Arabie saoudite a déclaré que son ambassadeur auprès de la Ligue arabe représentera son pays au sommet de Bagdad. Il en est de même pour le roi de Jordanie, qui n’apprécie pas vraiment le Premier ministre irakien, laissant à son chef du gouvernement le soin du déplacement à Bagdad.
Par ailleurs, les pays du front du refus subissent une double pression : celle des tenants de l’ordre occidental, mais aussi celle de leurs séides dans le monde arabe. Le Premier ministre du Qatar n’a-t-il pas menacé l’Algérie lors d’une réunion de la Ligue au Caire ? L’épée de Damoclès ne plane-t-elle pas sur le président soudanais, contraint d’accepter la partition de son pays ? Le Koweït ne refuse-t-il pas la sortie de l’Irak des dispositions du chapitre VI de la charte des Nations unies ? Le Liban ne risque-t-il pas l’implosion à tout moment sous l’effet d’une radicalisation d’une de ses composantes ? Tout est mis en œuvre pour fragiliser au maximum ces pays, qui se réjouissent néanmoins du retour de Vladimir Poutine au Kremlin, question de rééquilibrage des forces dans les relations internationales.
Un troisième groupe de pays enfin, les attentistes, qui pratiquent la politique du wait and see pour prendre position. Il s’agit de la Mauritanie, de l’Autorité palestinienne et de… l’Egypte. Embourbée dans une phase de transition à haut risque, l’Egypte, sur laquelle plane la menace d’une gouvernance islamiste durable des Frères musulmans, temporise et essaye de tenir le manche par le milieu. Le Caire ne veut pas se brouiller définitivement avec Damas, mais il ménage ses alliés et bailleurs de fonds saoudiens et émiriens. A défaut d’une position claire et courageuse, et loin de sa tradition avant-gardiste, l’Egypte est devenue un nain politique dans la région.
Ces contradictions arabes mises en perspective, une question s’impose : le sommet de Bagdad sera-t-il un énième sommet de la division ? Tout porte à le croire, et les tiraillements actuels risquent de laminer profondément et dans la durée un éventuel rapprochement entre les pays arabes, car les facteurs de division sont plus nombreux que les facteurs d’union.
M’hamed Khodja
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