Les mauvaises langues disent qu’il «trust» l’histoire d’Algérie, d’autres que c’est «son année». Il reste, quoique l’on dise, que Benjamin Stora est l’historien incontournable dès lors qu’est abordée la guerre d’Algérie, que cela soit en Algérie ou en France. Il a d’ailleurs été partie prenante du comité d’organisation du colloque Marianne/ El Khabar, en marge duquel il explique qu’après la guerre sur le terrain, la guerre mémorielle a fait, et fait toujours rage. Il s’exprime aussi, l’air profondément affecté, quant aux différentes réactions suscitées par la diffusion du documentaire : Guerre d’Algérie, la déchirure.
- Un demi-siècle après l’indépendance et la fin de la guerre d’Algérie, les discussions, sur cet épisode «sensible» de l’histoire, sont toujours aussi passionnées, conflictuelles, voire même carrément chargées d’agressivité et d’animosité. Pourquoi cette «guerre mémorielle» ?
Cinquante ans après, il existe encore des groupes attachés à un temps révolu. Ils ne veulent pas que le temps passe. Ils refusent que l’histoire soit accomplie. Tout le problème pour les historiens est de prendre les faits historiques, de les contextualiser, et de considérer qu’une fois qu’ils sont connus et suffisamment appris, sans anachronisme, alors le temps est aussi venu d’avoir des projets d’avenir. C’est-à-dire qu’une histoire, pour qu’elle soit écrite, il est impératif qu’elle le soit dans un avenir. S’il n’y a pas d’avenir, les histoires ne s’écrivent pas, elles sont fossilisées. Il faut des projets d’avenir pour écrire l’histoire. C’est fondamental.
- Comment pourront réussir les deux peuples à écrire cette histoire et à vaincre cette «guerre mémorielle» ?
Mais ils le font déjà, par les échanges, par les journalistes, par les contradictions, etc. Les sociétés avancent, indépendamment des politiques. Maintenant, ce qu’il faudrait, c’ est que les politiques s’inspirent et puissent aboutir à ce que les sociétés réalisent. Et cela en termes d’implication dans les circulations, par les échanges culturels et par l’hybridation.
- Parlant politique, vous avez eu à débattre aux côtés de Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN. Qu’avez-vous pensé de son intervention qui avait essentiellement trait à l’histoire commune ?
Je ne peux pas me prononcer sur l’aspect politique de son intervention. Je ne peux pas avoir de point de vue politique sur un homme politique algérien. Mais en tant qu’historien, il est évident qu’il a la conception du nationalisme politique porté par le FLN de la guerre.
C’est le discours politique du FLN de la guerre contre le système colonial, et non pas un discours du FLN d’après l’indépendance. Or, le problème, c’est que 50 ans plus tard, l’Algérie est un Etat libre, et que cette question idéologique du combat contre le système colonial ne peut plus se poser dans les mêmes termes. L’histoire et le monde ont changé. Le mur de Berlin s’est effondré, l’Union soviétique n’existe plus, le monde géopolitique a profondément changé, la jeunesse n’a plus les mêmes points de repère, etc.
C’est un monde nouveau qui émerge sous nos yeux, et qui exige qu’on ne se satisfasse pas d’un discours ancien, et que ce discours serve dans les défis de l’avenir. Et tout le problème est là.
- Vous avez participé à l’élaboration du documentaire français Guerre d’Algérie, la déchirure, programmé sur une chaîne publique française. Avez-vous eu des échos suite à la diffusion de ce film ?
J’ai reçu énormément de soutien de gens, via facebook, via mon site, via les réseaux sociaux, qui étaient très contents «qu’on dise tout». Mais dans la presse algérienne, les gens n’étaient pas d’accord. Il y a eu des articles hostiles, mais c’est cela la démocratie, tout le monde peut s’exprimer.
Ce qui m’a fait chaud au cœur, c’est que grâce aux réseaux sociaux, il y a quand même des gens qui ne passent pas par le filtre idéologique et qui regardent les choses directement. Vous savez, c’est la première fois que dans un documentaire français, on montre le napalm utilisé par l’armée française.
- C’est la première fois que l’on parle du déplacement de deux millions de paysans algériens. C’est la première fois que les Français, le public français, voient des dirigeants politiques algériens, Krim Belkacem dans les maquis, Ferhat Abbas à Pékin, la voix de Messali Hadj, etc. Quel est le téléspectateur français qui connaissait tout cela ?
Aucun. C’est la première fois qu’un documentaire français dit au public français ce qu’a fait François Mitterrand, la question de Ahmed Zabana guillotiné, qui est le début de la Bataille d’Alger, ça a été dit dans le documentaire et dans le texte. J’ai l’impression malheureusement que certains commentateurs algériens n’ont pas vu cela. Ils n’en parlent pas. Et c’est dommage. Car le documentaire commence par la phrase de Messali El Hadj, dans son discours de Tlemcen de 1936, «cette terre est à nous et nous la vendrons à personne», et le documentaire se termine par la levée du drapeau algérien à l’ONU, avec le discours d’Ahmed Ben Bella.
Ces deux images-là, qui ouvrent et qui closent un film, encore une fois français, c’est quelque chose de nouveau, il faut au moins le signaler. Et ce même si l’on est pas d’accord, parce qu’il y a été abordé le problème des harkis, de Melouza, de la violence interalgérienne et intérieure. L’on peut dire qu’il ne fallait pas aborder tel ou tel sujet, l’on peut être en désaccord, discuter, débattre, de la méthode, du sens, mais il faut exposer les choses. Avoir au moins l’honnêteté intellectuelle de dire ce qui a été dit et montré. Ce sont des faits qui ont été montrés à un public qui n’avait jamais vu cela.
Et c’est aussi la première fois que les Algériens voyaient certaines images. Beaucoup d’amis français m’ont dit qu’ils n’auraient jamais pu imaginer que Ferhat Abbas avait reçu un tel accueil à Pékin, devant des centaines de milliers de Chinois, en 1960, deux ans avant l’indépendance de l’Algérie. Et ce qui est évident au visionnage de ces images, c’est que la France avait déjà perdu la guerre d’Algérie.
Ghania Lassal ( El watan)
- Un demi-siècle après l’indépendance et la fin de la guerre d’Algérie, les discussions, sur cet épisode «sensible» de l’histoire, sont toujours aussi passionnées, conflictuelles, voire même carrément chargées d’agressivité et d’animosité. Pourquoi cette «guerre mémorielle» ?
Cinquante ans après, il existe encore des groupes attachés à un temps révolu. Ils ne veulent pas que le temps passe. Ils refusent que l’histoire soit accomplie. Tout le problème pour les historiens est de prendre les faits historiques, de les contextualiser, et de considérer qu’une fois qu’ils sont connus et suffisamment appris, sans anachronisme, alors le temps est aussi venu d’avoir des projets d’avenir. C’est-à-dire qu’une histoire, pour qu’elle soit écrite, il est impératif qu’elle le soit dans un avenir. S’il n’y a pas d’avenir, les histoires ne s’écrivent pas, elles sont fossilisées. Il faut des projets d’avenir pour écrire l’histoire. C’est fondamental.
- Comment pourront réussir les deux peuples à écrire cette histoire et à vaincre cette «guerre mémorielle» ?
Mais ils le font déjà, par les échanges, par les journalistes, par les contradictions, etc. Les sociétés avancent, indépendamment des politiques. Maintenant, ce qu’il faudrait, c’ est que les politiques s’inspirent et puissent aboutir à ce que les sociétés réalisent. Et cela en termes d’implication dans les circulations, par les échanges culturels et par l’hybridation.
- Parlant politique, vous avez eu à débattre aux côtés de Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN. Qu’avez-vous pensé de son intervention qui avait essentiellement trait à l’histoire commune ?
Je ne peux pas me prononcer sur l’aspect politique de son intervention. Je ne peux pas avoir de point de vue politique sur un homme politique algérien. Mais en tant qu’historien, il est évident qu’il a la conception du nationalisme politique porté par le FLN de la guerre.
C’est le discours politique du FLN de la guerre contre le système colonial, et non pas un discours du FLN d’après l’indépendance. Or, le problème, c’est que 50 ans plus tard, l’Algérie est un Etat libre, et que cette question idéologique du combat contre le système colonial ne peut plus se poser dans les mêmes termes. L’histoire et le monde ont changé. Le mur de Berlin s’est effondré, l’Union soviétique n’existe plus, le monde géopolitique a profondément changé, la jeunesse n’a plus les mêmes points de repère, etc.
C’est un monde nouveau qui émerge sous nos yeux, et qui exige qu’on ne se satisfasse pas d’un discours ancien, et que ce discours serve dans les défis de l’avenir. Et tout le problème est là.
- Vous avez participé à l’élaboration du documentaire français Guerre d’Algérie, la déchirure, programmé sur une chaîne publique française. Avez-vous eu des échos suite à la diffusion de ce film ?
J’ai reçu énormément de soutien de gens, via facebook, via mon site, via les réseaux sociaux, qui étaient très contents «qu’on dise tout». Mais dans la presse algérienne, les gens n’étaient pas d’accord. Il y a eu des articles hostiles, mais c’est cela la démocratie, tout le monde peut s’exprimer.
Ce qui m’a fait chaud au cœur, c’est que grâce aux réseaux sociaux, il y a quand même des gens qui ne passent pas par le filtre idéologique et qui regardent les choses directement. Vous savez, c’est la première fois que dans un documentaire français, on montre le napalm utilisé par l’armée française.
- C’est la première fois que l’on parle du déplacement de deux millions de paysans algériens. C’est la première fois que les Français, le public français, voient des dirigeants politiques algériens, Krim Belkacem dans les maquis, Ferhat Abbas à Pékin, la voix de Messali Hadj, etc. Quel est le téléspectateur français qui connaissait tout cela ?
Aucun. C’est la première fois qu’un documentaire français dit au public français ce qu’a fait François Mitterrand, la question de Ahmed Zabana guillotiné, qui est le début de la Bataille d’Alger, ça a été dit dans le documentaire et dans le texte. J’ai l’impression malheureusement que certains commentateurs algériens n’ont pas vu cela. Ils n’en parlent pas. Et c’est dommage. Car le documentaire commence par la phrase de Messali El Hadj, dans son discours de Tlemcen de 1936, «cette terre est à nous et nous la vendrons à personne», et le documentaire se termine par la levée du drapeau algérien à l’ONU, avec le discours d’Ahmed Ben Bella.
Ces deux images-là, qui ouvrent et qui closent un film, encore une fois français, c’est quelque chose de nouveau, il faut au moins le signaler. Et ce même si l’on est pas d’accord, parce qu’il y a été abordé le problème des harkis, de Melouza, de la violence interalgérienne et intérieure. L’on peut dire qu’il ne fallait pas aborder tel ou tel sujet, l’on peut être en désaccord, discuter, débattre, de la méthode, du sens, mais il faut exposer les choses. Avoir au moins l’honnêteté intellectuelle de dire ce qui a été dit et montré. Ce sont des faits qui ont été montrés à un public qui n’avait jamais vu cela.
Et c’est aussi la première fois que les Algériens voyaient certaines images. Beaucoup d’amis français m’ont dit qu’ils n’auraient jamais pu imaginer que Ferhat Abbas avait reçu un tel accueil à Pékin, devant des centaines de milliers de Chinois, en 1960, deux ans avant l’indépendance de l’Algérie. Et ce qui est évident au visionnage de ces images, c’est que la France avait déjà perdu la guerre d’Algérie.
Ghania Lassal ( El watan)
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