TEL QUEL
MAROC SA. Une ardoise de 500 milliards de dirhams
05 Avr 2012
A l’heure où les économies mondiales sont secouées par des crises de la dette et que des plans d’austérité sont menés dans l’urgence et la douleur, le royaume continue d’élaborer des budgets qui nous enfoncent dans le rouge. D’où vient l’argent public ? Comment est-il dépensé ? TelQuel épluche les comptes de la nation.
Maroc SA va mal. De plus en plus mal. C’est une boîte qui tourne à perte. Depuis toujours, elle dépense plus d’argent qu’elle n’en rapporte. Alors elle roule à crédit, s’endette et hypothèque l’avenir des générations futures de ses actionnaires citoyens. Quand elles ne servent pas à rembourser d’anciens crédits, ces dettes sont essentiellement englouties dans un système de subvention inéquitable et dans l’entretien du train de vie insoutenable de l’Etat. Le pays se voit ainsi entraîné, de plus en plus vite, dans le gouffre du surendettement et rien de vraiment conséquent n’est entrepris pour le sortir de cette spirale infernale.
Voilà, grosso modo, le triste constat qui ressort de l’examen de la loi de Finances 2012. Un budget qui s’est trop fait attendre : depuis son retrait du parlement (qui n’a pas encore révélé tous ses secrets) à la veille des élections législatives anticipées, ce projet de loi tient en haleine tous les opérateurs économiques. “C’est la première fois depuis l’indépendance qu’une Loi de Finances sera votée en avril”, signale l’économiste Najib Akesbi. Et de poursuivre : “Si le but était de laisser à la nouvelle équipe dirigeante le soin d’apporter sa touche, il aurait mieux fallu adopter l’ancienne mouture et la rectifier au courant de l’année, plutôt que de bloquer les nouveaux projets d’investissements avec les implications que cela induit sur la croissance”.
En effet, après plusieurs mois de suspense, la montagne a finalement accouché d’une souris : la “Benkirane Touch” ne s’est pas fait sentir. Le projet de budget reprend, en bonne partie, les hypothèses devenues obsolètes de l’ancienne mouture. En témoigne d’ailleurs la révision du taux de croissance à moins de 3% par Bank Al-Maghrib, alors que le gouvernement nous vend du 4,2% (voir encadré). Même dans ses projections les plus optimistes, le projet de budget 2012 laisse subodorer qu’il y a péril en la demeure.
100 milliards de dirhams à trouver
L’écart entre les recettes et les dépenses de l’Etat, selon les prévisions de la Loi de Finances 2012, devrait se chiffrer à 32,5 milliards de dirhams (voir infographie). Un trou abyssal qu’il va falloir combler par l’endettement.
Et ça ne s’arrête pas là : dans les ressources publiques budgétisées, il est déjà prévu d’emprunter 44,5 milliards de dirhams sur le marché intérieur et l’équivalent de 20 milliards sur le marché international. Faites le calcul, les besoins de financement du pays s’élèvent à près de 100 milliards de dirhams. Colossal !
Une bonne partie de ce montant devrait servir à rembourser les dettes du Trésor : 20 milliards pour payer les intérêts et 22,5 milliards pour éponger une partie du capital encore dû. Comprenez donc que l’encours de la dette va progresser de quelque 55 milliards de dirhams. C’est à peu près l’équivalent de ce que le Trésor a emprunté au cours des deux dernières années. Surtout, avec cette nouvelle ligne de crédit, la dette publique devrait flirter, d’ici la fin de l’année, avec le seuil symbolique des 500 milliards de dirhams.
Rapportée au Produit Intérieur Brut (PIB) espéré, le taux d’endettement de Maroc SA devrait ainsi bondir à 57%, soit un niveau comparable à celui de 2004. En d’autres termes, le pays est en train d’alourdir son ardoise, ce qui ne manquerait pas de fragiliser, à terme, ses équilibres macro-économiques, et de ternir sa réputation auprès des bailleurs de fonds. En effet, jusque-là, aux yeux des agences de notation, le Maroc a fait figure de bon élève solvable. Cependant, avec le gonflement futur de la dette publique et des charges qui vont avec, le royaume risque de perdre son BBB- : un rating qui lui vaut d’être classé “investissement grade” et lui ouvre grandes les portes du marché international des capitaux.
Merci Bank Al-Maghrib
Mais pour cette année, le royaume ne risque pas de se retrouver à la merci des marchés financiers étrangers. Aussi impressionnant soit-il, ce besoin de financement pourrait largement être couvert par le seul marché interne. En 2011 déjà, l’Etat avait levé plus de 100 milliards de dirhams (en vendant des bons du Trésor) dont les 2/3 ont été allouées à éponger d’anciennes dettes. Mais en récidivant cette année, Maroc SA va créer inéluctablement une tension sur le marché monétaire où le cash fait déjà cruellement défaut.
Depuis plusieurs mois déjà, c’est Bank Al-Maghrib qui injecte des liquidités (jusqu’à 50 milliards) pour renflouer les caisses des établissements bancaires, principaux créanciers de l’Etat. Aujourd’hui, et plus que jamais, la banque centrale va devoir augmenter ses interventions, surtout qu’elle vient de baisser son taux directeur à 3%, le niveau le plus bas jamais observé. Cette décision, qui a surpris les opérateurs du marché, est une sorte de cadeau fait au gouvernement pour l’épauler dans sa quête des 100 milliards. “En se finançant moins cher grâce à ce nouveau taux de référence, les banques vont pouvoir proposer des conditions plus avantageuses au Trésor alors que, sur les derniers mois, les prix de l’argent appliqués aux bons du Trésor ne cessaient d’augmenter”, nous explique Mounir Mellouk, directeur de l’activité marché des taux à CFG Group. Néanmoins, la gardienne du temple ne peut indéfiniment jouer sur ce paramètre. La baisse du taux directeur encourage la création monétaire et de facto l’inflation (prévue à 1,7%). Or, cette dernière doit logiquement se maintenir en dessous du prix plancher de l’argent. C’est ce que les experts appellent le taux d’intérêt réel, qui s’établit chez nous à 1,3%. Autrement dit, la marge de manœuvre se resserre de plus en plus et il n’est pas exclu qu’à moyen terme, les taux appliqués aux bons du Trésor repartent à la hausse. Il va falloir trouver un autre mécanisme pour freiner l’envol des dépenses au service de la dette.
Une paix sociale au prix fort
Au-delà du poids et du coût de la dette publique, c’est dans l’utilisation des ressources publiques que le bât blesse. Un des postes de dépenses les plus coûteux du budget général de Maroc SA est celui dédié à la Caisse de compensation, qui passe dans des subventions aux hydrocarbures, aux céréales et au sucre. En 2011, déjà, près de 49 milliards de dirhams ont été décaissés et l’Etat traîne toujours une ardoise de 14 milliards de dirhams que la Caisse devrait épurer. Comprenez donc que ce système de subvention a coûté réellement 63 milliards de dirhams l’année dernière. Pourtant, en 2012, on ne prévoit (hors arriérés) que la moitié de cette enveloppe. Une hypothèse complètement irréaliste, selon tous les observateurs. “Le gouvernement lui-même, entre le moment où il a déposé le projet de Loi de Finances et aujourd’hui, ne parle plus de 32,5 milliards mais de 60 milliards de dirhams”, s’insurge Najib Akesbi. Principale cause : les hypothèses d’élaboration du budget tablent sur un prix du baril à 100 dollars, alors qu’il plafonne désormais à 125 dollars…
(Et la suite sur TelQuel...)
MAROC SA. Une ardoise de 500 milliards de dirhams
05 Avr 2012
A l’heure où les économies mondiales sont secouées par des crises de la dette et que des plans d’austérité sont menés dans l’urgence et la douleur, le royaume continue d’élaborer des budgets qui nous enfoncent dans le rouge. D’où vient l’argent public ? Comment est-il dépensé ? TelQuel épluche les comptes de la nation.
Maroc SA va mal. De plus en plus mal. C’est une boîte qui tourne à perte. Depuis toujours, elle dépense plus d’argent qu’elle n’en rapporte. Alors elle roule à crédit, s’endette et hypothèque l’avenir des générations futures de ses actionnaires citoyens. Quand elles ne servent pas à rembourser d’anciens crédits, ces dettes sont essentiellement englouties dans un système de subvention inéquitable et dans l’entretien du train de vie insoutenable de l’Etat. Le pays se voit ainsi entraîné, de plus en plus vite, dans le gouffre du surendettement et rien de vraiment conséquent n’est entrepris pour le sortir de cette spirale infernale.
Voilà, grosso modo, le triste constat qui ressort de l’examen de la loi de Finances 2012. Un budget qui s’est trop fait attendre : depuis son retrait du parlement (qui n’a pas encore révélé tous ses secrets) à la veille des élections législatives anticipées, ce projet de loi tient en haleine tous les opérateurs économiques. “C’est la première fois depuis l’indépendance qu’une Loi de Finances sera votée en avril”, signale l’économiste Najib Akesbi. Et de poursuivre : “Si le but était de laisser à la nouvelle équipe dirigeante le soin d’apporter sa touche, il aurait mieux fallu adopter l’ancienne mouture et la rectifier au courant de l’année, plutôt que de bloquer les nouveaux projets d’investissements avec les implications que cela induit sur la croissance”.
En effet, après plusieurs mois de suspense, la montagne a finalement accouché d’une souris : la “Benkirane Touch” ne s’est pas fait sentir. Le projet de budget reprend, en bonne partie, les hypothèses devenues obsolètes de l’ancienne mouture. En témoigne d’ailleurs la révision du taux de croissance à moins de 3% par Bank Al-Maghrib, alors que le gouvernement nous vend du 4,2% (voir encadré). Même dans ses projections les plus optimistes, le projet de budget 2012 laisse subodorer qu’il y a péril en la demeure.
100 milliards de dirhams à trouver
L’écart entre les recettes et les dépenses de l’Etat, selon les prévisions de la Loi de Finances 2012, devrait se chiffrer à 32,5 milliards de dirhams (voir infographie). Un trou abyssal qu’il va falloir combler par l’endettement.
Et ça ne s’arrête pas là : dans les ressources publiques budgétisées, il est déjà prévu d’emprunter 44,5 milliards de dirhams sur le marché intérieur et l’équivalent de 20 milliards sur le marché international. Faites le calcul, les besoins de financement du pays s’élèvent à près de 100 milliards de dirhams. Colossal !
Une bonne partie de ce montant devrait servir à rembourser les dettes du Trésor : 20 milliards pour payer les intérêts et 22,5 milliards pour éponger une partie du capital encore dû. Comprenez donc que l’encours de la dette va progresser de quelque 55 milliards de dirhams. C’est à peu près l’équivalent de ce que le Trésor a emprunté au cours des deux dernières années. Surtout, avec cette nouvelle ligne de crédit, la dette publique devrait flirter, d’ici la fin de l’année, avec le seuil symbolique des 500 milliards de dirhams.
Rapportée au Produit Intérieur Brut (PIB) espéré, le taux d’endettement de Maroc SA devrait ainsi bondir à 57%, soit un niveau comparable à celui de 2004. En d’autres termes, le pays est en train d’alourdir son ardoise, ce qui ne manquerait pas de fragiliser, à terme, ses équilibres macro-économiques, et de ternir sa réputation auprès des bailleurs de fonds. En effet, jusque-là, aux yeux des agences de notation, le Maroc a fait figure de bon élève solvable. Cependant, avec le gonflement futur de la dette publique et des charges qui vont avec, le royaume risque de perdre son BBB- : un rating qui lui vaut d’être classé “investissement grade” et lui ouvre grandes les portes du marché international des capitaux.
Merci Bank Al-Maghrib
Mais pour cette année, le royaume ne risque pas de se retrouver à la merci des marchés financiers étrangers. Aussi impressionnant soit-il, ce besoin de financement pourrait largement être couvert par le seul marché interne. En 2011 déjà, l’Etat avait levé plus de 100 milliards de dirhams (en vendant des bons du Trésor) dont les 2/3 ont été allouées à éponger d’anciennes dettes. Mais en récidivant cette année, Maroc SA va créer inéluctablement une tension sur le marché monétaire où le cash fait déjà cruellement défaut.
Depuis plusieurs mois déjà, c’est Bank Al-Maghrib qui injecte des liquidités (jusqu’à 50 milliards) pour renflouer les caisses des établissements bancaires, principaux créanciers de l’Etat. Aujourd’hui, et plus que jamais, la banque centrale va devoir augmenter ses interventions, surtout qu’elle vient de baisser son taux directeur à 3%, le niveau le plus bas jamais observé. Cette décision, qui a surpris les opérateurs du marché, est une sorte de cadeau fait au gouvernement pour l’épauler dans sa quête des 100 milliards. “En se finançant moins cher grâce à ce nouveau taux de référence, les banques vont pouvoir proposer des conditions plus avantageuses au Trésor alors que, sur les derniers mois, les prix de l’argent appliqués aux bons du Trésor ne cessaient d’augmenter”, nous explique Mounir Mellouk, directeur de l’activité marché des taux à CFG Group. Néanmoins, la gardienne du temple ne peut indéfiniment jouer sur ce paramètre. La baisse du taux directeur encourage la création monétaire et de facto l’inflation (prévue à 1,7%). Or, cette dernière doit logiquement se maintenir en dessous du prix plancher de l’argent. C’est ce que les experts appellent le taux d’intérêt réel, qui s’établit chez nous à 1,3%. Autrement dit, la marge de manœuvre se resserre de plus en plus et il n’est pas exclu qu’à moyen terme, les taux appliqués aux bons du Trésor repartent à la hausse. Il va falloir trouver un autre mécanisme pour freiner l’envol des dépenses au service de la dette.
Une paix sociale au prix fort
Au-delà du poids et du coût de la dette publique, c’est dans l’utilisation des ressources publiques que le bât blesse. Un des postes de dépenses les plus coûteux du budget général de Maroc SA est celui dédié à la Caisse de compensation, qui passe dans des subventions aux hydrocarbures, aux céréales et au sucre. En 2011, déjà, près de 49 milliards de dirhams ont été décaissés et l’Etat traîne toujours une ardoise de 14 milliards de dirhams que la Caisse devrait épurer. Comprenez donc que ce système de subvention a coûté réellement 63 milliards de dirhams l’année dernière. Pourtant, en 2012, on ne prévoit (hors arriérés) que la moitié de cette enveloppe. Une hypothèse complètement irréaliste, selon tous les observateurs. “Le gouvernement lui-même, entre le moment où il a déposé le projet de Loi de Finances et aujourd’hui, ne parle plus de 32,5 milliards mais de 60 milliards de dirhams”, s’insurge Najib Akesbi. Principale cause : les hypothèses d’élaboration du budget tablent sur un prix du baril à 100 dollars, alors qu’il plafonne désormais à 125 dollars…
(Et la suite sur TelQuel...)
Commentaire