Samedi 19 juin 1965, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, est renversé par un coup d’Etat organisé et fomenté par son ministre de la Défense Houari Boumediene, aidé par une poignée de conjurés dont Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères. DNA raconte dans cette enquête les coulisses du complot qui a renversé Ahmed Ben Bella qui vient de décéder à l’âge de 95 ans.
Episode 1 : Ben Bella- Bouteflika, vielles connaissances
Parmi tous les facteurs qui ont concouru au déclenchement du coup d’Etat du 19 juin 1965, il y en a un qui fait l’unanimité : la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires étrangères entre 1963 et 1979 aura été l’élément déterminant qui a fait précipiter les événements.
Pourtant, rien, absolument rien, ne dispose ces deux hommes, Ben Bella et Bouteflika, à devenir ennemis. Le capitaine Bouteflika n'avait-il pas rencontré, sur recommandation de Boumediene, en décembre 1961, Ahmed Ben Bella, alors détenu au Château d'Aulnoy, en région parisienne, pour lui proposer de devenir président avec le concours des militaires de l'état-major?
Bouteflika, fringuant ministre
Bouteflika ne doit-il pas carrière politique à Ben Bella ? Jeune député de Tlemcen, dans l'ouest d'Algérie, il entre dans le premier gouvernement algérien le 27 septembre 1962 comme ministre de la Jeunesse.
Cette nomination n’est pas faite pour satisfaire le colonel Boumediene qui aurait souhaité que son ami et protégé Bouteflika soit plutôt placé à la tête du ministère de la Défense.
De cela, Ben Bella n’en pas fera pas cas. Pour autant, Bouteflika, l’un des plus jeunes ministres de gouvernement, fait bonne figure. Mieux, il épatera.
Intelligent, rusé et grand charmeur, Abdelaziz Bouteflika sait épater ses amis et séduire ses adversaires. S’il ne réalise pas de miracles au sein de son département, il réussira à attirer la sympathie de tout le monde, ou presque. A plus forte raison, celle de son président.
Si bien que, moins d’une année plus tard, le 18 septembre 1963, il hérite du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères, à la mort de Mohamed Khemisti, officiellement assassiné par un déséquilibré mental le 5 mai 1963. Thèse qui demeure jusqu’à l’heure sujette à caution.
Un remaniement qui passe mal
A la grande surprise du président Ben Bella, ce remaniement ministériel va susciter des petites tempêtes dans le microcosme politique algérien.
C'est que la désignation d’Abdelaziz Bouteflika au Affaires étrangères crée remous et contestations parmi les ministres, les députés et les proches de Ben Bella.
On s’offusque qu’un fringant jeune homme de 26 ans, dépourvu de toute expérience dans le domaine, soit désigné pour diriger la diplomatie d’un pays qui souhaite jouer un grand rôle sur la scène internationale.
Lorsqu’il apprendra la nouvelle, le président de l’Assemblée nationale, Hadj Ben Alla, manque de s'étouffer de rage. « Bouteflika n’est pas digne d’occuper une fonction aussi importante », tranche-t-il.
Kaïd Ahmed lorgne les Affaires étrangères
Un avis partagé par d’autres personnalités. Kaïd Ahmed, par exemple, premier responsable de la commission des affaires étrangères de l’assemblée. Lui estime que le poste lui revient de droit. Alors, il prendra les devants pour tenter de court-circuiter la décision de la présidence.
Avant même que le changement ministériel ne soit opéré, Kaïd Ahmed s’installe dans les locaux du ministère des Affaires étrangères tant considère-t-il être dans son bon droit.
Il s’y voit tellement que, dit-on, il dicte ses ordres aux différents responsables de ce département. Mais Kaïd Ahmed finira par se rendre à l’évidence. Le président ne reviendra pas sur sa décision : Bouteflika sera bel et bien le ministre des Affaires étrangères.
Dépité, Kaïd Ahmed quittera les locaux pour diriger le ministère du Tourisme.
« Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
Kaïd Ahmed et Hadj Ben Alla ne seront pas les seuls à contester la nomination de Bouteflika. D’autres ténors de la politique, notamment Mhamed Yazid, ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et Saad Dahleb, chargé du département des affaires étrangères dans le même exécutif, ne manquent pas de ricaner.
Comment Ben Bella réagit-il devant tant de désapprobation? Il restera impassible.
A ceux qui lui reprochent la confiance placée en la personne de Abdelaziz Bouteflika, il répond avec une grande assurance : « Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
« Le patron nous fait honte »
Les diplomates qui ont fait leurs preuves durant la guerre de libération pensent le contraire. Quelques semaines après les prises de fonctions de Bouteflika, raconte l'hebdomadaire Jeune Afrique dans sa livraison du 18 juillet 1967, ils ne se gênent pas pour lancer des remarques perfides en direction du nouveau ministre. « Le patron nous fait honte », persiflent-ils.
Le président devra très vite déchanter devant ce chef de la diplomatie qu’il a tenu à imposer à ses pairs, au risque de subir leurs courroux. Parce qu’au fil des mois, Bouteflika s’émancipe de la tutelle de Ben Bella A tel point qu’il devient gênant, voire indésirable. Désormais, Ben Bella ne veut plus de lui dans le staff gouvernemental.
Objectif : Contraindre Bouteflika à la démission
Ahmed Ben Bella est de plus en plus obsédé par une seule idée : obtenir le départ de Bouteflika. Les relations entre les deux hommes se détériorent de jour en jour.
Le président n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef de la diplomatie. Devant des personnalités étrangères, il déclare que « Bouteflika n’en fait qu’à sa tête. Alors que moi, pour voir un ambassadeur, je dois passer par lui.»
On raconte volontiers que Bouteflika consulte rarement le chef de l’Etat. Il lui arrive même de réunir les ambassadeurs algériens sans l’informer. Une attitude insupportable pour Ben Bella qui aspire de plus en plus à contrôler les différents centres du pouvoir.
A son tour, Ahmed Ben Bella n’est pas avare en piques et remontrances à son égard. A l’occasion, il lance des flèches assassines à l’endroit de Bouteflika.
Exemple cet cet incident diplomatique survenu lors du voyage à Moscou en mai 1964. A l’issue de longs entretiens entre Russes et Algériens, Bouteflika et Boris Ponomarev, ministre chargé des relations avec les partis étrangers, sont appelés à rédiger le communiqué final sanctionnant les discussions.
Kroutchev réveille Ben Bella à 2 heures du matin
Les deux ministres érgotent pendant des heures. Bouteflika pinaille, chipote et se montre inflexible sur les termes du document. La séance de travail s’éternise jusqu’à deux heures du matin. Et le communiqué ne tombe pas.
Excédé, le diplomate russe informe son président, Nikita Kroutchev, lequel piquant une grosse colère après une de ses monumentales beuveries à la vodka, réveille Ben Bella pour l’informer de cet incident.
Que fait Ben Bella?
Le président algérien se fait un malin plaisir de sermonner Bouteflika en lui ordonnant de se calmer. Cet incident ne manquera pas de nourrir davantage l’animosité qui lie désormais les deux hommes.
Si les antagonismes pouvaient se limiter à ces états d’âmes et à ces sautes d’humeur…
Les points de divergences entre les deux hommes tournent essentiellement autour de la politique extérieure du pays. Bouteflika, tout comme son ami Boumediene, voit d’un mauvais œil l’influence de plus en plus grandissante qu’exercent certains hommes politiques égyptiens sur Ben Bella. Une influence qui date.
Episode 1 : Ben Bella- Bouteflika, vielles connaissances
Parmi tous les facteurs qui ont concouru au déclenchement du coup d’Etat du 19 juin 1965, il y en a un qui fait l’unanimité : la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires étrangères entre 1963 et 1979 aura été l’élément déterminant qui a fait précipiter les événements.
Pourtant, rien, absolument rien, ne dispose ces deux hommes, Ben Bella et Bouteflika, à devenir ennemis. Le capitaine Bouteflika n'avait-il pas rencontré, sur recommandation de Boumediene, en décembre 1961, Ahmed Ben Bella, alors détenu au Château d'Aulnoy, en région parisienne, pour lui proposer de devenir président avec le concours des militaires de l'état-major?
Bouteflika, fringuant ministre
Bouteflika ne doit-il pas carrière politique à Ben Bella ? Jeune député de Tlemcen, dans l'ouest d'Algérie, il entre dans le premier gouvernement algérien le 27 septembre 1962 comme ministre de la Jeunesse.
Cette nomination n’est pas faite pour satisfaire le colonel Boumediene qui aurait souhaité que son ami et protégé Bouteflika soit plutôt placé à la tête du ministère de la Défense.
De cela, Ben Bella n’en pas fera pas cas. Pour autant, Bouteflika, l’un des plus jeunes ministres de gouvernement, fait bonne figure. Mieux, il épatera.
Intelligent, rusé et grand charmeur, Abdelaziz Bouteflika sait épater ses amis et séduire ses adversaires. S’il ne réalise pas de miracles au sein de son département, il réussira à attirer la sympathie de tout le monde, ou presque. A plus forte raison, celle de son président.
Si bien que, moins d’une année plus tard, le 18 septembre 1963, il hérite du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères, à la mort de Mohamed Khemisti, officiellement assassiné par un déséquilibré mental le 5 mai 1963. Thèse qui demeure jusqu’à l’heure sujette à caution.
Un remaniement qui passe mal
A la grande surprise du président Ben Bella, ce remaniement ministériel va susciter des petites tempêtes dans le microcosme politique algérien.
C'est que la désignation d’Abdelaziz Bouteflika au Affaires étrangères crée remous et contestations parmi les ministres, les députés et les proches de Ben Bella.
On s’offusque qu’un fringant jeune homme de 26 ans, dépourvu de toute expérience dans le domaine, soit désigné pour diriger la diplomatie d’un pays qui souhaite jouer un grand rôle sur la scène internationale.
Lorsqu’il apprendra la nouvelle, le président de l’Assemblée nationale, Hadj Ben Alla, manque de s'étouffer de rage. « Bouteflika n’est pas digne d’occuper une fonction aussi importante », tranche-t-il.
Kaïd Ahmed lorgne les Affaires étrangères
Un avis partagé par d’autres personnalités. Kaïd Ahmed, par exemple, premier responsable de la commission des affaires étrangères de l’assemblée. Lui estime que le poste lui revient de droit. Alors, il prendra les devants pour tenter de court-circuiter la décision de la présidence.
Avant même que le changement ministériel ne soit opéré, Kaïd Ahmed s’installe dans les locaux du ministère des Affaires étrangères tant considère-t-il être dans son bon droit.
Il s’y voit tellement que, dit-on, il dicte ses ordres aux différents responsables de ce département. Mais Kaïd Ahmed finira par se rendre à l’évidence. Le président ne reviendra pas sur sa décision : Bouteflika sera bel et bien le ministre des Affaires étrangères.
Dépité, Kaïd Ahmed quittera les locaux pour diriger le ministère du Tourisme.
« Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
Kaïd Ahmed et Hadj Ben Alla ne seront pas les seuls à contester la nomination de Bouteflika. D’autres ténors de la politique, notamment Mhamed Yazid, ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et Saad Dahleb, chargé du département des affaires étrangères dans le même exécutif, ne manquent pas de ricaner.
Comment Ben Bella réagit-il devant tant de désapprobation? Il restera impassible.
A ceux qui lui reprochent la confiance placée en la personne de Abdelaziz Bouteflika, il répond avec une grande assurance : « Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
« Le patron nous fait honte »
Les diplomates qui ont fait leurs preuves durant la guerre de libération pensent le contraire. Quelques semaines après les prises de fonctions de Bouteflika, raconte l'hebdomadaire Jeune Afrique dans sa livraison du 18 juillet 1967, ils ne se gênent pas pour lancer des remarques perfides en direction du nouveau ministre. « Le patron nous fait honte », persiflent-ils.
Le président devra très vite déchanter devant ce chef de la diplomatie qu’il a tenu à imposer à ses pairs, au risque de subir leurs courroux. Parce qu’au fil des mois, Bouteflika s’émancipe de la tutelle de Ben Bella A tel point qu’il devient gênant, voire indésirable. Désormais, Ben Bella ne veut plus de lui dans le staff gouvernemental.
Objectif : Contraindre Bouteflika à la démission
Ahmed Ben Bella est de plus en plus obsédé par une seule idée : obtenir le départ de Bouteflika. Les relations entre les deux hommes se détériorent de jour en jour.
Le président n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef de la diplomatie. Devant des personnalités étrangères, il déclare que « Bouteflika n’en fait qu’à sa tête. Alors que moi, pour voir un ambassadeur, je dois passer par lui.»
On raconte volontiers que Bouteflika consulte rarement le chef de l’Etat. Il lui arrive même de réunir les ambassadeurs algériens sans l’informer. Une attitude insupportable pour Ben Bella qui aspire de plus en plus à contrôler les différents centres du pouvoir.
A son tour, Ahmed Ben Bella n’est pas avare en piques et remontrances à son égard. A l’occasion, il lance des flèches assassines à l’endroit de Bouteflika.
Exemple cet cet incident diplomatique survenu lors du voyage à Moscou en mai 1964. A l’issue de longs entretiens entre Russes et Algériens, Bouteflika et Boris Ponomarev, ministre chargé des relations avec les partis étrangers, sont appelés à rédiger le communiqué final sanctionnant les discussions.
Kroutchev réveille Ben Bella à 2 heures du matin
Les deux ministres érgotent pendant des heures. Bouteflika pinaille, chipote et se montre inflexible sur les termes du document. La séance de travail s’éternise jusqu’à deux heures du matin. Et le communiqué ne tombe pas.
Excédé, le diplomate russe informe son président, Nikita Kroutchev, lequel piquant une grosse colère après une de ses monumentales beuveries à la vodka, réveille Ben Bella pour l’informer de cet incident.
Que fait Ben Bella?
Le président algérien se fait un malin plaisir de sermonner Bouteflika en lui ordonnant de se calmer. Cet incident ne manquera pas de nourrir davantage l’animosité qui lie désormais les deux hommes.
Si les antagonismes pouvaient se limiter à ces états d’âmes et à ces sautes d’humeur…
Les points de divergences entre les deux hommes tournent essentiellement autour de la politique extérieure du pays. Bouteflika, tout comme son ami Boumediene, voit d’un mauvais œil l’influence de plus en plus grandissante qu’exercent certains hommes politiques égyptiens sur Ben Bella. Une influence qui date.
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