Kamel Bouchama avec le chasse-mouches et non pas
l'éventail comme l'appellent certains historiens
En septembre de l'année 2007, un des quotidiens nationaux a publié une information dans laquelle il faisait allusion au fameux «coup d'éventail», celui qui a été, d'après les informations tronquées qu'imposait la France coloniale à l'Histoire universelle, la cause de l'expédition militaire de 1830 en Algérie. Cet éventail, disait le quotidien, vient à peine d'être «rapatrié» et..., en catimini. C'était les termes de l'article. Ce en quoi, j'ai répondu pour avoir été celui qui, un certain mois de décembre de l'année 2003, alors que je me trouvais en poste, en qualité d'ambassadeur en Syrie, eut l'insigne honneur de rapatrier cet objet qui a fait couler tant d'encre et qui - et c'est le plus important -, fait partie de notre patrimoine historique et de notre mémoire collective. Cette clarification n'a pas été publiée, malheureusement...
Le long cheminement d'un «objet» historique
C'est pourquoi, aujourd'hui, j'ai le plaisir de confirmer que cet «éventail» - appelons-le ainsi pour l'instant, avant de donner de plus amples détails - est bel et bien en Algérie, dans son pays, et qu'il a été ramené par mes soins le 10 décembre 2003, après avoir déployé de grands efforts et consenti d'énormes sacrifices pour le récupérer ainsi que d'autres objets d'une valeur inestimable que j'ai rapatriés, quelques mois avant. Le président de la République, après un échange de correspondances, m'a instruit pour ramener «l'éventail» moi-même, et ne pas l'envoyer comme un courrier officiel, par voie diplomatique. C'est ce que j'ai fait d'ailleurs, en effectuant une mission à Alger pour le remettre à qui de droit, c'est-à-dire au Chef de l'Etat. Cet objet et d'autres, dont je garde minutieusement la liste, sont pour la plupart au Musée national de l'ANP.
Mais cet éventail, se disent d'aucuns, en posant la question suivante: où était-il, et quel chemin a-t-il emprunté pour revenir chez lui, en Algérie? C'est alors que je réponds clairement - en reprenant les termes de ma correspondance sous le numéro 201/S du 29/09/2003 concernant «l'éventail», transmise à la présidence de la République - qu'il se trouvait à la Sublime Porte, en Turquie. Ainsi, l'Emir Abdelkader, juste après son engagement dans la lutte opiniâtre contre l'envahisseur français, a décidé de récupérer tout ce qui pouvait constituer à l'avenir des repères pour revisiter l'Histoire du pays, entre autres cet objet, devenu «l'instrument» qui a déclenché la grande polémique et «l'alibi» qui a servi de détonateur pour une guerre qui a duré dans le temps et dans l'espace... Il a donc pris contact avec le Sultan de l'Empire ottoman, Mahmud II, qui a répondu favorablement à sa demande en récupérant «l'éventail» chez le Dey Hussein qui résidait à Naples où il avait choisi de s'installer après sa capitulation lors de la prise d'Alger en 1830. Ainsi, cet objet de tant de polémiques est revenu en son pays, et l'Emir, qui en faisait une légitime acquisition, l'a gardé précieusement avec d'autres objets de grande valeur, qui l'accompagnaient partout, depuis les années de lutte contre l'armée coloniale, en passant par l'exil à Amboise jusqu'à sa libération en 1853 par Louis Napoléon III, les deux années de résidence à Bursa ou Brousse au nord-ouest de l'Anatolie et, enfin, le long séjour à Damas, jusqu'à sa mort en 1883.
Mais peu avant cette date, et se sentant accablé sous le poids des ans, il fit venir l'un de ses fils, l'Emir Ali, et lui remit en dépôt de confiance (El Amana) ce qu'on appelait communément «l'éventail», non sans lui recommander de le garder soigneusement au sein de la famille en attendant que Dieu décidera pour ce qui sera de son avenir. Et c'est ainsi que ce dernier, peu avant sa mort, le remettra à son fils, l'Emir Mohamed Saïd El Djazaïri, qui fut le premier Chef du gouvernement de la République Arabe Syrienne en 1918, après la fin de règne des Ottomans et leur départ du Shâm. Ce petit-fils de l'Emir Abdelkader est, pour notre information, celui qui, avec les autorités algériennes d'alors, a grandement collaboré pour rapatrier les restes de son grand-père le 4 juillet 1966 à Alger, afin qu'il soit enterré auprès des martyrs de la Révolution.(1)
Enfin, après l'Emir Saïd, l'objet en question, a suivi cette voie de transmission d'«El-Amana» au sein de la famille El Hassani, la famille de l'Emir. Il est revenu en conséquence à l'un de ses fils, en l'occurrence l'Emir Mohamed El Fatah qui, à l'heure où j'écris ce papier, vit encore à Damas, dans le quartier de «Doummar», sur ce qui reste de la propriété de l'Emir Abdelkader. De ce fait, l'arrière-petit-fils, Mohamed El Fateh, a été le dernier maillon de la chaîne à travers le temps puisque, après lui, j'ai eu cet insigne honneur d'intervenir, en inscrivant, modestement, mon nom, dans le fabuleux voyage de cet éventail historique.
Mais comment ai-je eu vent de la présence de l'éventail à Damas et chez la famille de l'Emir? Je me pose des questions à la place du lecteur, pour lui faciliter la tâche. Eh bien, un certain jour de l'année 2003, à la chancellerie, lors d'une discussion concernant le pays, la lutte de l'Emir et de ses malheureuses conséquences après 1847, une des filles de l'Emir Mohamed El Fateh le dernier cité dans la lignée, qui se trouvait dans mon bureau, me dit d'une manière très anodine, mais surtout innocente:
-«Tonton, papa a quelque chose à la maison qu'il garde secrètement..., depuis très longtemps. Il a «El Mirwaha», celle de Hussein Pacha».
- «Es-tu sûre de ce que tu dis?» ai-je répondu..., perplexe et quelque peu sceptique.
- «Oui, il est chez nous, et c'est mon grand-père, l'Emir Saïd, qui le lui a donné...»
Il s'agit là d'un dialogue que j'ai eu avec Amira Zoulfa, une fille audacieuse, qui m'a été d'un grand soutien pour la récupération de ce qui revenait de droit à son pays... l'Algérie. Il reste entendu que, tout de suite après, j'ai eu à connaître ces inévitables étapes de la sensibilisation et ces incontournables méandres de la négociation, pour parvenir, grâce à Dieu, à cet inestimable éventail, plutôt à cet historique «chasse-mouches». Et là, mes mains touchaient le concret, elles touchaient le véritable «objet», pour lequel je me suis lancé, depuis, dans la déclinaison de sa juste nature, ou si vous voulez de sa juste forme, car sachant exactement comment est-il fait.
Une fois «l'objet» en ma possession, j'ai informé les autorités de mon pays pour que cette «Amana» poursuive son chemin jusqu'à son arrivée à bon port. Alors, je peux dire, honnêtement, que cette importante découverte n'était pas du tout le fait du hasard. Et, si j'ai pu avoir cet objet historique - et tant d'autres, auparavant - c'est parce que j'ai eu la main heureuse, en étant tout près de notre communauté algérienne et des descendants de l'Emir..., en toutes circonstances. C'est également, parce que je n'étais pas le rond-de-cuir, mais l'ambassadeur militant, qui faisait de sa fonction, une diplomatie active et concrète.
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