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Uludj Ali : La bataille de Lepante 1571

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  • Uludj Ali : La bataille de Lepante 1571

    Lépante, reine des victoires navales

    La bataille de Lépante, l’une des plus grandes de tous les temps, a été étudiée sous tous ses aspects par les historiens les plus éminents. On peut dire de suite que ceux qui voudraient combler Eudj’Ali de louanges trouveraient là une mine inépui-sable, car il n’y pas une voix qui ne le proclame le vainqueur moral de cette gigantesque lutte, pour l’intrépidité calme, le talent de commandement et la lucidité géniale, — pour cette fois du moins, on ne saurait dire moins — qu’il sut y déployer. On a peu d’exemples d’un chef gagnant la bataille sur toute l’envergure d’une aile, abattant les adversaires qui lui sont op-posés, poursuivant son avantage en attaquant ensuite les autres secteurs ennemis et ne subissant f nalement que des pertes mi-nimes. Ceci, pendant que l’autre aile et le centre de la force à laquelle il appartient sont battus et décimés — laissant, par suite, l’ennemi en situation de se concentrer contre l’aile vi-goureuse et d’en tenter la destruction avec des moyens incom-parablement supérieurs. Ce succès étonne moins celui qui a décomposé les res-sorts de cette âme et de ce cerveau puissants, faits pour les plus grands exploits, ne se montrant jamais inégaux aux cir-constances, se préparant à toutes les éventualités, mais sachant aussi, à force de clarté dans l’esprit et de promptitude dans la décision, braver l’inattendu, cas si fréquent dans toutes les batailles et, plus encore, dans les combats maritimes. L’inattendu ! Le coup de massue ! Ce que fut pour Eudj, l’effondrement total du corps de bataille et de l’aile droite de l’armée navale turque, qui empêchèrent certainement toutes les combinaisons qu’il avait pu édif er d’être praticables dé-sormais. Il lui fallut bâtir entièrement une solution nouvelle, avec la tactique correspondante, les ordres à distribuer, tout cela au milieu de la panique toute voisine qui a dispersé les frères d’armes, qui va gagner ceux qui restent invaincus. L’inattendu : c’était presque la règle en ce temps où l’on ne disposait pas des moyens de découverte comparables à ceux d’aujourd’hui, où les renseignements se transmettaient diff cilement, où les ordres s’exécutaient lentement. Mais en-core une fois, l’enfoncement de la droite et du centre turcs constituait plus qu’un incident, plus qu’un événement : c’était un fait capital qui renversait toutes les hypothèses, toutes les proportions, et détruisait l’édif ce des prévisions, menant pres-que fatalement au désastre.
    Quant aux préparatifs mêmes de la bataille, ils furent mis au point, de part et d’autre, dans des conseils où ne manquèrent pas de jouer les moyens mis en action par les grands chefs de guerre, lorsqu’il s’agit pour eux de faire triompher l’empire qu’ils servent, et de servir au mieux l’intérêt général et leur intérêt personnel tout à la fois. On peut dire qu’Eudj’Ali s’y f t remarquer de telle sorte que les jalousies qui s’élevèrent contre lui de ce fait f nirent par diminuer son inf uence : parmi ces hommes de cour, et malgré toute sa finesse, il eût fallu mieux doser les vérités, la façon de les présenter, les consé-quences à en tirer. Sans être le moins du monde un paysan du Danube, Eudj, — resté beglierbey de l’Afrique du Nord, bien que remplacé à Alger même, enrageait de voir les immenses intérêts de l’empire balancés par des rivalités, des intérêts mes-quins — le temps inestimablement précieux perdu dans des discussions sur les mérites et les responsabilités de chacun. Il n’a jamais changé d’avis et quand on l’attaquait (... « eaque omnia culpa Uluzalis fada esse... »), on ne le trouvait pas sans verd : « quibus Uluzalis... non in verbis res bellicas verti, neque disputationis, sed actionis prœsens tempus esse respondit ». Et ce n’est point ici un panégyriste qui rapporte le fait. On peut donner une idée de son rôle au cours de la ba-taille, par ces lignes de cet excellent historien, l’abbé Haëdo, qui n’avait, on le sait, rien d’un f atteur, tout spécialement pour les renégats : « Le jour où se donna la bataille entre les deux f ottes, il commandait l’aile gauche, et s’y montra si bon marin qu’il ne se laissa jamais investir ni aborder par les galères chrétiennes ; étant toujours prêt à se dérober quand cela était nécessaire. Plus tard, quand il vit que les galères de Malte, qui étaient de-vant lui, avaient beaucoup souffert, il les aborda, tua à coups d’arquebuses un grand nombre de chevaliers, et les chargea de telle sorte que ses soldats s’emparèrent de la Capitane de Malte. Mais ensuite, ne pouvant plus douter que la victoire ne se déclarât en faveur des chrétiens, il se retira, traînant à la remorque la capitane de Malte et emportant l’étendard de la Religion. Il n’osa pas s’arrêter à Lépante quand il fut cer-tain de la défaite complète de la f otte turque, et f t route vers Constantinople... » Ce résumé présente succinctement le rôle d’Eudj au cours de la bataille. Il ne peut permettre à l’admirateur du Grand Corsaire de se mettre à sa place, par la pensée, avant l’action, pendant la période de tâtonnements et de préparation qui la précèdent, ensuite au cours même de la rencontre quand tou-tes les considérations politiques ou personnelles cèdent de-vant la nécessité d’étreindre l’ennemi et de remporter la vic-toire. La guerre qui avait mis aux prises le Sultan de Constan-tinople et une Ligue de princes chrétiens, trouva certainement des causes dans les haines religieuses et dans les déprédations de toutes sortes auxquelles se livraient les marins des deux religions et plus particulièrement les Barbaresques. Les plus récentes provocations venaient certainement des Musulmans qui avaient attaqué Malte, soutenu les Morisques rebelles en Espagne, pris Tunis et enf n Chypre. Cet ensemble de faits de guerre, pour ne citer que les plus importants, était tellement fa-vorable aux Turcs que la crainte du pire gagna le Pape, Venise et le Roi d’Espagne. Le Souverain Pontife préconisait depuis longtemps, pour des intérêts en majeure partie spirituels, une action contre la puissance ottomane. L’Espagne était menacée en Afrique et chez elle-même par les entreprises musulmanes. Venise, la plus durement traitée jusque-là, était pourtant la plus hésitante. Nikosia, capitale de Chypre, était en effet occupée. Fama-gosta (Famagouste) tombée entre les mains du seraskier turc Mustapha et son défenseur, Bragadino, mené au supplice par les vainqueurs avec des raff nements de cruauté abominables, pour une réponse jugée par Mustapha trop audacieuse de la part d’un prisonnier. On lui avait d’abord coupé les oreilles et le nez. Dix jours après il fut hissé au grand mal de la galère du bey de Rhodes, puis plongé dans l’eau, retiré et plongé de nouveau. En-suite, on lui attacha au cou deux paniers qu’il dut porter remplis de terre sur les deux bastions, pour aider à leur rétablissement ; chaque fois qu’il arrivait auprès du seraskier, il devait s’incli-ner jusqu’à toucher le sol. Enf n, il fut conduit sur la place, attaché au poteau du pilori, couché par terre et écorché vif. Son corps fut écartelé et la peau, bourrée de foin, fut promenée dans le camp et dans les rues « Cette sorte de mannequin fut placé sur une vache et porté ainsi par la ville, sous le parasol rouge qui était tenu au-dessus de la tête de Bragadino quand il vint dans le camp, ensuite attaché à la vergue d’une galère pour servir d’épouvantail aux chrétiens. « Enf n, ces malheureuses dépouilles, avec les quatre tê-tes salées de Baglioni, de Bragadino, de Luigi Martinengo, (un autre Martinengo avait été ignominieusement torturé) et de Quirini, furent enfermées dans une caisse, et envoyées en présents au sultan... La dépouille parvint f nalement à Venise, où elle fut déposée au Panthéon des grands hommes de la ré-publique, dans une urne... » La chute de Famagosta, le supplice de Bragadino, la continuation probable des cruautés et des conquêtes turques étaient mises par le Sénat de Venise en balance avec les ins-tances françaises pour la paix, dont la France devait être la médiatrice, suivant des lettres du sultan à Charles IX bien que le siège de la Sérénissime République fût déjà fait. Le 25 mai 1571, la Sainte Alliance était signée, le 28 juillet, on la proclama. L’Histoire peut enregistrer la treizième ligue qui se formait entre des nations chrétiennes contre la puissance musulmane, depuis l’an 1344 sous le pape Urbain V. Don Juan d’Autriche, f ls naturel de Charles-Quint, était le général de cette Sain-te Ligue. « Parti D. Giovanni da Napoli nel vigesimo giorno d’Agosto, e giunse a ventiquattro in Messina, dové tovo dedici Galee del Pape col Generale Marc Antonio Colonna, cento e dodici Veneziane, sci Galezze e due Navi, col Generale Se-bastiano Veniero, e tre della Religione di Malta, col Generale Fr. Pietro Giustiniano Prior di Messina, a queste s’àccopiarno ventiquattro Navi del Ré, e ottantadue Galec, fra le quali si nu-meravano le tre di Genova sotto Ettore Spinola lor Generale, e altre tre di Savoia, solto’l General Monsignor di Ligni. » En tout, don Juan avait avec lui deux cent neuf galères, six ga-léasses, vingt-six naves et soixante-seize moindres bâtiments, lorsqu’il quitta Messine le 16 septembre. Il apprit bientôt que l’Armada ottomane était dans le golfe de Lépante. Il eut aus-si conf rmation de la chute de Famagosta, caduta f n da sette d’Agosto nelle niani de gl’Infedeli, che contro al tenore de’ patti, decapitarono Astore Baglione, e scorticarono vivo Marc’ Anionio Bragadino che l’havverano valorosamente difesa ». Ce dernier acte de cruauté fournissait à Don Juan le thème de proclamations qui enf ammeraient l’ardeur de ses équipages indignés de la barbarie des Turcs. Ses off ciers seraient, d’autre part, rassurés par les chiffres des effectifs passés en revue le 8 septembre, à Messine. 30.000 hommes de troupes sont embar-qués sur les galères, vieilles bandes espagnoles et allemandes des guerres d’Italie. Leur solidité est inégalable, l’expérience des batailles en a fait des soldats de premier ordre. La nécessi-té de combattre sur des navires supprimera l’immense danger de les voir se débander pour piller. De plus, là, on pourra les surveiller de près, brider leurs instincts d’ivrognerie. Enf n, la coalition étant formée sur l’initiative pressante du pape Pie V, le sentiment religieux domine, devient le meilleur liant entre des corps de troupes souvent rivaux et mêmes ennemis. La haine commune de l’inf dèle domine tout autre sentiment. Les troupes seront donc bien en main — et c’était là un diff cile problème à résoudre pour une coalition.
    Dernière modification par mezzo-morto, 23 mai 2012, 10h48.
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  • #2
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    Les chefs, du moins, rempliront-ils aussi ces conditions indispensables au succès ? On avait proposé pour le commandement suprême de l’Armada, le duc d’Anjou et le duc de Savoie. Le choix du premier était dû à de hautes considérations politiques, on craignait que son mariage avec la reine Élisabeth d’Angleterre, très sé-rieusement projeté par Charles IX, n’apportât à la France et aux Anglais un surcroît de puissance redoutable. Faite au duc d’Anjou, l’offre de commander la f otte de la Sainte-Ligue, semble bien n’avoir été qu’une diversion, Walsingham, ambas-sadeur d’Angleterre à Paris, écrit d’ailleurs le 28 janvier 1571, à propos de la coalition : « On croit que cette Ligue se fait contre tous ceux qu’ils voudront faire passer pour Turcs, quoi-que meilleurs chrétiens qu’eux. » Le mariage du duc d’Anjou avec la reine Élisabeth, tout à fait authentique comme projet, réellement pris en considération et poursuivi, se complétait du mariage également envisagé de Marie Stuart, alors prisonnière d’Élisabeth. De telles complications ne pouvaient aboutir qu’à un échec de la combinaison qui eût mis un prince français à la tête de la f otte chrétienne. Sur le refus des ducs d’Anjou et de Savoie l’on choisit don Juan d’Autriche, f ls de Charles-Quint et de la cantatrice Barbara Blomberg de Rastibonne. Alors âgé de vingt-quatre ans, il avait, trois années auparavant, mené à bien la guerre contre les Maures d’Espagne révoltés, malgré les tentatives de secours organisées par Eudj’Ali. Entraîné aux diff cultés du commandement sur mer par Requesens, qui avait déjà servi sous lui, il avait été nommé en Espagne capitaine général de la mer — ce qui décida f nalement les coalisés de la Sainte Ligue à le choisir pour chef de leur f otte. Le nonce du Pape Odescalchi, le moine confesseur Machuca — choisi par Phi-lippe II — seront ses conseillers spirituels, pourvus sans doute de bonnes instructions temporelles par leurs souverains res-pectifs. L’âge si peu avancé de Don Juan justif ait peut-être l’adjonction de ces personnages si expérimentés aux points de vue psychologique et moral. Techniquement, don Luis de Requesens était encore là — le grand commandeur de Castille avait sur son élève un ascendant considérable et justif é. En cas de défaillance de Don Juan, la f otte devait être commandée par Marc-Antoine Colonna, descendant de l’agres-seur du pape Boniface VIII et réconcilié avec la papauté après de longs dissentiments. Si don Juan n’a que vingt-quatre ans, lui en a trente-six, il est dans toute la force de l’âge. C’est un militaire plutôt qu’un homme de mer. II verra les faits sous un autre angle que les marins, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient. Enf n, Sebastian Veniero, qui commande les cent douze galères de Venise, est un septuagénaire ardent, un amiral de haute réputation. Il n’est pas mauvais qu’une tête blanche f -gure auprès de deux autres moins avancées en âge dans le su-prême conseil qui dirigera la f otte. Les autres membres de cet aréopage au nombre d’une dizaine — parmi lesquels le Vé-nitien Barbarigo, Alexandre Farnèse, Serbelloni, don Garcia de Toledo — n’auront que voix consultative, quels que soient leur valeur et leurs services passés. Du côté turc, Ali-Pacha montrait toute la fougue et aussi la présomption de la jeunesse et de l’ambition. L’empereur Sé-lim, qui l’avait choisi, était l’indigne successeur de Soliman, s’adonnant à la boisson et aux plus vulgaires débauches. Les titulaires des hautes charges, sous son règne, étaient trop souvent nommés après des intrigues de sérail, ou pour des raisons inadmissibles et même déplorables, telles que l’on n’en connaît que sous les monarques les plus absolus et les moins ouverts à la connaissance de la réalité. Les autocrates ottomans commençaient d’ailleurs leur règne sous le signe de la terreur, tous les frères du sultan — sans aucune exception — capables légalement d’occuper le trône en cas d’indignité du titulaire, étaient, par précaution, étranglés dès les premières heures de son avènement. C’est ainsi que quatre princes, à l’ac-cession de Sélim — et dix-neuf quand son f ls Mourad mon-ta sur le trône, furent étranglés par les muets du sérail. Cette preuve barbare d’atroce égoïsme montre combien le souci de l’intérêt personnel l’emportait chez les souverains ottomans sur toute considération nationale ou simplement morale. Elle explique l’inf uence sur le prince de son entourage privé de son harem, ignorant des véritables besoins de l’empire et de sa politique. Ali avait trouvé, heureusement, dans l’état-major légué par le grand Soliman à son f ls, Pertew-pascha (Pertau), se-cond vizir à l’avènement de Sélirn. en 1566. C’était un géné-ral éprouvé de l’armée de terre qui devait, comme Colonna du côté des chrétiens, s’occuper avant tout du personnel com-battant sur les galères. Mais, comme Ali pacha, Mohammed Scirocco, gouverneur d’Alexandrie, manquait de l’expérience spéciale de la grande guerre. Le naïf chroniqueur le représente, un peu plus tard, ayant perdu toute force morale. « Mahomet Sirocco wollte sich mit der Flucht salvieren. » Le seul salut dans la fuite ! Triste idée que l’on nous donne du commandant de l’aile droite otto-mane. Enf n, Eudj’ Ali ne devait s’imposer déf nitivement que dans le cours même de cette mémorable journée de Lépante, qui se préparait à cet instant précis, et qui consacra sa réputa-tion en répandant la conviction que, d’après les faits eux-mê-mes, seul don Juan d’Autriche, aurait pu balancer la victoire du Grand Corsaire si celui-ci avait commandé la f otte ottomane.** * Il faut le dire tout de suite, cette opinion sur Eudj a d’autant plus d’importance qu’il y a rigoureusement accord unanime, parmi les historiens de l’époque comme chez les modernes, sur la façon dont s’est déroulée la bataille et les causes géné-rales de l’échec turc. Érudits ou techniciens maritimes, Italiens, Anglais, Al-lemands ou Français, off ciers ou écrivains, tous ceux qui ont écrit avec quelque talent l’histoire de Lépante décrivent la ba-taille de la même façon, dans le temps et dans l’espace. Il faut avoir étudié dans tous leurs détails les récits qu’ils ont laissés pour se faire l’idée la plus exacte des causes du succès chré-tien — dû à un ensemble de raisons stratégiques et tactiques dont le groupement est la partie à la fois délicate et décisive du commentaire. Descendons, pendant qu’il en est temps, encore, dans le fond de la pensée des commandants en chef. Il y a encore pla-ce en eux, à cet instant, pour des réf exions visant la politique et la psychologie. Ils ne seront plus capables ensuite que de préoccupations stratégiques, pour se borner enf n à la tactique pure, lorsque le temps manquera pour tout autre genre de com-putation d’une application moins immédiate, lorsque le sort sera jeté, d’une aventure aussi terriblement décisive. Il a été convenu par les alliés que le territoire de chacun d’eux serait préservé des débarquements turcs, « fusse a tutti i Confederati reciproco l’obligo di defendere gli Stati de cias-cuno diloro, que fussero dà Turchi assaliti. » Les points mena-cés étaient évidemment les capitales, à savoir Venise et Rome avec ses environs — puis les possessions essentielles, telles que les côtes d’Espagne où, tout récemment encore, grondait la rébellion « qui mit Philippe II en si critique position». L’on n’a pas assez remarqué que cette exigence obligeait don Juan à une offensive dont on l’a beaucoup loué, mais qui s’imposait, la meilleure et même la seule manière de couvrir Venise étant de dépasser l’Adriatique avant que la majeure partie des forces ottomanes eût occupé cette mer, où Eudj’ Ali avait déjà péné-tré, seulement en éclaireur. Il faudra mélanger, sur le front chrétien, les navires des divers nationalités : la cohésion de chaque escadre en souffri-ra, mais l’esprit de coopération de l’ensemble sera beaucoup mieux assuré. Le manque de liaison provenant de la différence de langues est moins à redouter dans une lutte sur mer, où ce sont des signaux qui parlent. Enf n, les chefs de la Ligue ont appris que la f otte turque était mal armée, d’un équipement défectueux, sans doute fa-tiguée d’une campagne déjà longue et marquée de nombreux débarquements. Renseignement capital au point de vue stra-tégique, les évaluations de sa force, quoique variables, la re-présentent toujours comme supérieure, en nombre total, à l’ar-mada chrétienne.
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    • #3
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      Quelle aubaine, si on pouvait la rencontrer encore dans le golfe de Lépante, où sa force numérique serait moins facilement utilisable, à cause de l’impossibilité de la dé-ployer ! C’est, en effet, à la sortie même du golfe que le choc se produisit. Le déploiement des Turcs, quel que soit le motif de son insuff sance d’envergure, ne permit pas d’utiliser la su-périorité quantitative de leurs bâtiments. Du côté d’Ali-pacha on trouve la préoccupation naturelle mais néfaste d’accumuler les succès partiels, de faire du butin, des prisonniers — les Musulmans avaient capturé dix mille hommes au cours de leurs récents débarquements — tout ceci pour plaire au Sultan et à sa cour, où nulle critique avisée ne pouvait se produire, pour les émerveiller par des envois ré-pétés de captifs et de présents. L’excès d’esprit critique est certainement le vice d’une coalition comme la Sainte Ligue, mais le défaut contraire est aussi dangereux. La station dans le golfe de Lépante, justif ée par les nécessités du ravitaillement, et séduisante en ce qu’elle menaçait à la fois tous les faibles de l’ennemi, n’était pas favorable devant un chef hardi comme don Juan, qui saurait vite faire perdre à l’adversaire le bénéf ce de sa position d’expectative. Aux Turcs prof te pourtant la supériorité d’un service d’éclairage assuré par les élèves et subordonnés d’Eudj qui emploient tous les moyens — peinture renouvelée de leurs na-vires, croisières vespérales, interrogatoires de neutres — pour renseigner leurs chefs. Carax Ali, le meilleur disciple du Grand Corsaire, accomplit des prodiges dans son rôle si diff cile et si important d’éclaireur de la f otte ottomane. Les trois semaines séparant ainsi la concentration du choc des deux f ottes, voient les adversaires hésitants jusqu’au dernier moment, à cause de l’immense importance de la par-tie engagée. Eudj’ Ali avec ses soixante-deux galères, précède toujours la f otte ottomane, et commande le seul élément actif de cette armée navale. Après les prouesses déjà mentionnées à Antivari, Dulcigno, Cattaro et un raid, qui doit terrif er Venise, sur Lesina, Zara et tout le fond de l’Adriatique, il se replie sans avoir attaqué la capitale de la Sérénissime République, crai-gnant sans doute d’être enfermé dans le cul-de-sac. Il donne ainsi raison à Veniero que l’on a beaucoup loué, justement, d’avoir osé abandonner sa patrie avec ses quarante-huit ga-lères — il était le premier, le 23 juillet, au rendez-vous avec don Juan à Messine pour la protéger plus sûrement grâce à la manœuvre que par la défensive passive. Le 20 septembre 1571, la f otte chrétienne était au cap Co-lonne, sur la côte calabraise, tout près du village natal d’Eudj, qu’il avait laissé, cinquante ans auparavant, dans les circons-tances dramatiques que l’on connaît. Don Juan est à Corfou le 26 septembre, à Gomenitza, sur la côte albanaise, du 30 septembre au 3 octobre — le 5 et le 6 octobre sur les côtes de Céphalonie, l’île qui barre à distance l’entrée de ce golfe de Lépante dont les eaux séparent la basse péninsule grecque, la Morée, du reste de l’Europe. Les Turcs, à Lépante depuis le 20 septembre, et avertis de cette approche, tiennent en même temps un conseil de guerre au cours du-quel on représente Eudj comme ayant eu une attitude indécise — ce qui pouvait être matière à réf exion pour l’amiral turc, qui connaissait l’esprit d’initiative et de résolution du Grand Corsaire, en particulier son attaque impétueuse et décisive à la bataille des Gelves. Quoi qu’il en soit, le choc est inévitable. Il va se produire le lendemain 7 octobre 1571. C’est du golfe de Patras, épanouissement sur l’Adriati-que de la coupure de Lépante, que sortait ce jour-là, vers onze heures du matin, la f otte ottomane lorsqu’elle rencontra les navires chrétiens qui se dirigeaient vers elle après avoir quitté Céphalonie, et passé devant les îles de Pétala et d’Oxia, tout près de la pointe Scorpha. Le chroniqueur allemand note : « die Türcken wolte die Christé unversehens uberfallen », les Turcs voulaient surprendre les Chrétiens en se montrant inopinément au détour d’un chenal comme on en trouve tant entre ces îles. Il y eut, en effet, surprise. Seules, les préoccupations tactiques vont jouer maintenant. En vue des îles Curzolari, qui, pour certains, devraient donner leur nom à la bataille, Ali, le capitan-pacha, « fait dé-ployer l’étendard du prophète, appuyé par un coup de canon. Don Juan fait hisser la bannière verte et carrée, qui est l’ordre de se préparer au combat, puis la bannière blanche, qui est le signal de former l’ordre de bataille ». Il saura à peu près quelles forces turques lui sont opposées : 210 galères et 63 galiotes, ces dernières d’un modèle plus faible que les autres navires ottomans et que les bâtiments chrétiens adverses, qui ne comprennent pas les naves, trop éloignées pour rejoindre à temps. Il y a, chez les uns de même que chez les autres, unité de religion — et, chez les Ottomans, un souverain commun, malgré la diversité d’origine des escadres, qui viennent d’Al-ger, d’Alexandrie, de Constantinople, de Rhodes, de Syrie et de Tripoli, avec leurs 25.000 hommes, dont une élite de 2.500 janissaires. La f otte chrétienne mettait en ligne, face à l’est, cent soixante galères et six galéasses — d’un modèle plus imposant — en première ligne, réparties de manière à faire prof ter de leur puissance plus grande l’ensemble du front. Au centre, se tenait don Juan avec les capitanes de Venise, du pape, de Gê-nes et de Savoie. A gauche, du côté de la terre, le commande-ment était exercé par Barbarigo. A droite, Jean-André Doria, petit neveu de l’adversaire de Kheïr ed din, tenait la haute mer. La f otte turque était aussi rangée en ligne, formation géné-ralement imposée aux galères dont les f ancs garnis de rames étaient le côté vulnérable et la proue, armée de canons et pour-vue d’un éperon, la partie nettement offensive. La supériorité numérique des Ottomans se fût mieux ac-commodée de la pleine mer, où son déploiement eût pu se faire en utilisant un front plus considérable que celui de la f otte chrétienne, ainsi menacée initialement d’un dangereux enve-loppement. Cette supériorité aurait dû aussi inciter l’amiral turc à constituer une masse de manœuvre et une réserve, alors qu’il laissa l’initiative de ces formations à don Juan pour qui elles étaient beaucoup moins indiquées, mais qui sut en jouer avec une indiscutable maîtrise, et en tirer incontestablement la victoire. Ali-pacha et Pertau étaient au centre de la formation tur-que. Scirocco, gouverneur d’Alexandrie, commandait la droite. Eudj’Ali, avec la f otte barbaresque, tenait et commandait la gauche. On peut épiloguer sur les causes les plus certaines de la défaite ottomane. Le vent a nettement favorisé les Chrétiens dont la force morale en a été relevée, car, exaltés par une sorte d’esprit de croisade, ils trouvaient là un signe du ciel. L’on a vu plus haut des critiques générales contre la formation turque, la tactique de son amiral avant la rencontre, la préparation du combat telle qu’il l’avait conçue. On ne peut nier le rôle des impondérables durant la lutte qui se livre au centre, mettant aux prises, comme sur la terre ferme, les soldats que n’aidaient guère les manœuvres de galères trop rapprochées les unes des autres pour se déplacer. Il semble que les galéasses aient joué le rôle des éléphants d’Annibal, dont la force de choc était vrai-ment irrésistible et dont venaient à bout — mais alors sans ré-mission possible — des stratagèmes fort simples, qu’il eût fallu cependant avoir préparés : or, les Turcs paraissent avoir mis en leurs janissaires certainement très braves une conf ance exagé-rée. Leur offensive n’était pas invincible, quand ils avaient af-faire, comme on l’a signalé, à des bandes de vétérans chevron-nés, bien en main, qui tenaient comme des murs et se servaient d’armes plus perfectionnées que celles de leurs adversaires. Enf n, remarque essentielle et à laquelle les modernes n’ont peut-être pas attribué l’importance qu’elle méritait — un historien comme Contarini signale : « e di quelli che spa-rorono, molti non fecero danno a Christiani, perche le prove delle galu Turchesce erano tant’alte più delle Christiane, che le bocche abbassate f n sù i speroni, portavano ancora tant’alto, che cimavano di sopra le pavesate delle galee Christiane ». Nous reviendrons sur le tir trop haut de l’artillerie des vais-seaux turcs. Son inf uence sur le sort de la bataille n’est pas contestable. Là se trouve peut-être même la véritable clef de la défaite ottomane — avec l’arquebusade, si heureuse pour les Chrétiens, qui abattit le chef de la f otte turque. Ce dernier coup eut un effet indéniable. Une effroyable lutte le précéda. « L’action s’était engagée à l’aile gauche des confédé-rés... il était, quatre heures et demie après midi quand Ali, le Kapudan-pascha fondit sur le vaisseau de don Juan ; mais il se trouva pris entre l’amiral chrétien et le vaisseau de Venier (Ve-niero). Pertau-Pacha voulut s’attaquer à Colonna. Trois cents janitscheres et cent arbalétriers du vaisseau amiral turc luttè-rent vaillamment contre les quatre cents arquebusiers sardes placés à bord du vaisseau amiral de don Juan. L’action dura une heure; le Kapudan-pascha tomba frappé d’une balle, et les soldats espagnols se rendirent maîtres du vaisseau. Le Kapu-dan-pascha respirant encore, et les invitant à descendre dans la cale, où ils trouveraient de l’argent, l’un d’eux lui abattit la tête qui fut portée à don Juan ». Deux fois, les deux capitanes opposées avaient été en-vahies par les soldats ennemis, deux fois, en deux heures, l’avantage fut ressaisi de part et d’autre, au milieu d’une tem-pête de canonnade et d’arquebusade où sombrèrent le bruit des épées, les clameurs des combattants.
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      • #4
        Suite ...

        Ali-pacha avait bien, comme réserve tactique, rangé en profondeur sept galères der-rière la sienne, pour passer de l’une sur l’autre en cas de péril trop grand et recommencer la lutte avec des forces fraîches. Mais les galéasses chrétiennes avaient été placées de manière à commander les abords du véritable duel qui se livrait au cen-tre, avec une telle supériorité de forces que le dispositif, dont le Turc attendait merveille, ne put jouer. D’ailleurs Ali étant tombé mortellement frappé, ce coup assura la victoire du cen-tre chrétien par un effet direct doublé c’est le choc en retour — de la répercussion qu’il devait avoir sur toute la ligne. Les forces principales se trouvaient accumulées en un point sur lequel le résultat de la lutte devait être décisif. Le « point névralgique » ayant livré une solution fou-droyante à l’énigme qu’il constituait, tout s’ensuivit au centre et à l’aile gauche chrétienne. Ni Scirocco, ni le bey de Nègrepont qui partageait avec lui le commandement de l’aile droite tur-que, n’étaient de taille a remonter un courant de défaite comme celui qu’avaient créé l’échec et la mort d’Ali-pacha. Une der-nière tentative des Turcs, un peu trop indiquée pour n’avoir pas été prévue par Barberigo, — Scirocco voulait couper de la terre le Vénitien qui y appuyait son extrême gauche, — ne pouvait plus réussir. Le général Ali-Pertau s’échappait à grand-peine. Tous les historiens aff rment que la rencontre de Lépante, si elle n’avait pas reçu à ce moment le coup de fouet de la contre-offensive foudroyante du Grand Corsaire, aurait été, en même temps qu’une grande défaite des Turcs, la honte éter-nelle de cette nation que l’on croyait jusque-là invincible et qui se voyait écrasée dans la proportion des deux tiers de ses forces mises en ligne, deux heures après le commencement de la grande bataille.** * Jean-André Doria — au service de l’Espagne dès 1556 et n’ayant dans son passé que la funeste bataille des Gelves en 1560 et la défense maritime malheureuse de Chypre — commandait la droite chrétienne et se trouvait ainsi opposé à Eudj’Ali. Avait-il hérité de la tactique souvent temporisatrice de l’illustre André ? Fut-il effrayé du nombre des vaisseaux — de modèle réduit, il est vrai, — placés en face de lui ? Était-il intimidé par la renommée d’Eudj’Ali, toujours vainqueur sur mer jusque-là et dont la réputation chez les Chrétiens était im-mense — alors que ses collègues avaient intérêt à diminuer son mérite en Turquie pour exalter le leur propre ? Voulut-il attirer son adversaire loin du centre de l’action, où se jouait la partie principale ? Ces diverses hypothèses ont été examinées, en par-ticulier la dernière, la plus favorable au Génois et à sa justesse de vues. Elles tendent toutes à expliquer que Jean-André ne se soit pas pressé d’engager le combat et n’ait pas cessé de s’éle-ver en pleine mer. Le reste de la f otte chrétienne restant im-mobile, il se produisit fatalement une solution de continuité entre l’aile droite et le centre des Chrétiens. Une telle faute ne pouvait manquer d’être exploitée par la tête froide et le bras prompt du Grand Corsaire. Revenant sur le centre, il l’attaque inopinément avec des troupes fraî-ches et des vaisseaux qui n’avaient pas encore souffert. C’est là — remarque essentielle — qu’il faut encore davantage re-gretter l’absence de toute réserve du côté turc. Car les gravu-res et les récits de l’époque ne doivent pas nous tromper ; il y avait eu, pendant la marche, une arrière-garde ottomane. Il n’y eut pas de réserve constituée. Si, à l’exemple de don Juan, le commandement suprême ottoman avait disposé d’une forte escadre prête à intervenir et à suivre Eudj’ dans sa foudroyante offensive, le sort de la journée pouvait changer. Aidé par des galères turques plus fortes que les siennes propres, qu’exaltait son geste impérieux, le Grand Corsaire pouvait présenter une centaine d’unités fraîches, pour combattre la f otte chrétienne encore accrochée, bien qu’en excellente posture. Malgré la concentration qui se serait alors effectuée contre le Beglierbey d’Afrique, les Turcs pouvaient encore espérer une solution qui ne fût pas désastreuse. Les premiers résultats de l’offensive barbaresque pouvaient d’ailleurs faire espérer les plus grands succès. Dix galères, au nombre desquelles on comptait la ca-pitane de Malte, tombèrent au pouvoir d’Eudj. « La Fiorenza du pape », la Marguerite de Savoie et la capitane de Nicolas Doria se débattent au milieu d’une nuée d’ennemis, comme le San-Giovanni et la Piemontesa. Mais de tous les côtés arrivent des renforts chrétiens qui circonscrivent cet échec isolé. « C’est d’abord la division de Cardona, sur le point de prendre son poste dans l’escadre de Doria, et qui est impuissante à maîtriser Oulouch-Ali.
        The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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        • #5
          suite et fin

          C’est la réserve de Santa-Cruz, qui fait à ce moment son entrée sur le champ de bataille, c’est don Juan d’Autriche lui-même, qui vient à peine de sortir du combat du centre, qui lâche ses prises et accourt avec une dizaine de navires, c’est enf n Doria, qui a fait demi-tour et se porte au combat ». D’un critique maritime des plus autorisés, cette apprécia-tion des forces chrétiennes qui furent précipitées sur le Grand Corsaire, font juger de la valeur de son intervention. Ces ter-ribles escadres, les unes encore chaudes de leur succès, les autres n’ayant pas encore combattu et brûlant de se distinguer à leur tour, veulent toutes écraser l’audacieux qui, avec une gé-niale hardiesse, tente de ressaisir la, victoire entre leurs f ancs secoués par la rage. Les admirateurs du chef barbaresque, sur ce point de l’histoire du monde, sont tous les écrivains, sans exception, qui ont traité de la bataille de Lépante. C’est le Vé-nitien Diedo, toujours si abondant et si exact dans ses récits, comme la plupart de ses compatriotes, qui dit, dans sa lettre à Barbaro sur la bataille des îles Curzolari (ou de Lépante), « Ora Ulucchi Ali, ch’era già, come dicemmo, venuto ad assalire la parte destra del corpo della nostro battaglia, veggendo al hora, per esser vicino, abbatuti gli stendardi della schiera della bat-taglia Turchesco, giudico quello, ch’era, cio é, che le cose loro fossero andate male : e temendo, che à se il medesimo avvenis-se, vedendo, come é detto, quelle nos tre galee, che venissano velocissimamente verso lui... ». On voit le Grand Corsaire se précipitant, le cœur en liesse, sur la trouée inespérée — fon-dant sur le f anc ennemi pour l’entamer d’une morsure mor-telle — et trouvant là une carapace impossible à percer même pour sa dent léonine. Derrière cette cuirasse, au contraire, un corps que parent déjà les dépouilles du frère d’armes du Bar-baresque, un corps qui va se précipiter pour mordre à son tour, avec les autres molosses de la même meute. Ainsi, un si grand effort aura sauvé l’honneur, sans pouvoir dérober aux mains ennemies la victoire qu’elles étreignent déjà. Non seulement Diedo nous éclaire sur l’importance du rôle joué par Eudj pendant la bataille, mais il nous f xe sur l’intérêt que les Chrétiens attachaient à sa présence le jour de l’action : « Ulucchi Ali, un de’gran capitani della militia ma-rineresca de’ Turchi... con forse ottanta legni era passato in quei giorni verso Levante, rimorchiando le due navi... e che non era tornuto à dietro ». Octante voiles était un chiffre exa-géré, à moins de compter aussi les navires les plus faibles. Les deux « navi » remorqués étaient une prise du vaillant corsaire. Celui-ci avait-il tourné à droite, était-il revenu en arrière ? La question préoccupe le service d’éclairage de la f otte chrétienne «... il detto Ulucchi Ali fosse veramente tornato... il detto Al-vanese aff rno si faltamente per vero, che non ere tornato... ». L’Allemand qui connut personnellement Eudj’Ali et dont les croquis et les plans de, la bataille représentent celle-ci avec une exactitude saisissante, donne des détails sur certaines pha-ses de l’action et en sacrif e entièrement d’autres. On assiste avec lui au Conseil de guerre où « der Ali Bassa als General resolirierte sich bald ein Schlacht zu lifern ». Il montre les Chrétiens attaquant avec fureur à ces paroles enf ammées de leurs chefs : « Voici l’heure, frères valeureux, d’acquérir un renom immortel et une éternelle gloire et de tirer une seule fois juste vengeance de tant d’offenses reçues. » L’auteur même de ce récit fut témoin de la plus infâme de ces offenses, l’exposi-tion devant les esclaves chrétiens à Constantinople, de la peau arrachée au corps vivant de l’héroïque Braganino. Enf n, M. de Grammont prononce, avec le recul du temps : « Le jour de la bataille de Lépante, il (Euldj’Ali) était chargé de la direction de l’aile gauche, qui supporta sans faiblir pen-dant la moitié de la journée, presque tout l’effort du combat. Enf n, l’aile droite et le centre rompus et en fuite, il prit le com-mandement en place du capitan-pacha qui venait d’être frappé à mort, traversa audacieusement les lignes chrétiennes, se jeta sur les galères de Malte qu’il couvrit de feu, et leur prit la capitane, avec l’étendard de la Religion, qu’il rapporta triom-phalement à Constantinople ; à dater de ce jour, le sobriquet injurieux de Fartas (Teigneux) f t place au glorieux surnom de Kilidj (l’Epée) ». M. de Grammont ajoute que le désastre de Lépante eût été évité si l’on avait suivi les conseils d’Eudj, qui s’était admirablement fait éclairer par son lieutenant, l’auda-cieux et habile Carex Ali, le vainqueur du prince de Piombino et l’un des plus réputés parmi les Musulmans tués à Lépante. Resté complètement seul pour arrêter les forces chrétien-nes peu entamées par ses compagnons de lutte, « Oulouch-Ali ne peut tenir devant l’arrivée de ces vagues successives. Au surplus, la décision est partout ailleurs, à ce moment, déf ni-tivement favorable aux Chrétiens par la victoire de l’aile gau-che, par le succès de l’attaque décisive du centre surtout, et l’intervention du vice-roi d’Alger est trop tardive pour chan-ger la face des événements ; car elle se produit à un moment où la plupart des autres fractions européennes ont les mains libres ». « Il abandonne ses prises et lâche pied. En s’aidant de ses voiles, il fait en toute hâte route vers le canal de Sainte-Maure (au nord des îles Curzolari), Santa-Cruz (Santa-Cro-ce), don Juan et Doria tentent de le poursuivre, mais leurs rameurs n’en peuvent plus... ». Finalement, Eudj avait sauvé l’honneur ottoman, rapportait l’étendard de la capitane de Malte, se vengeant une fois de plus de l’échec que l’Ordre lui avait fait subir. Mais quinze mille Chrétiens virent briser leurs chaînes. Le nombre des morts chez les Turcs est évalué, suivant les auteurs, à 25.000 ou 30.000 hommes. L’historien allemand de l’époque, déjà cité, dénombrant le personnel et le matériel sa-crif é par les deux partis, donne les chiffres suivants que l’on peut admettre, non seulement comme les plus précis, mais aussi les plus exacts des pertes subies des deux côtés. 7.656 Chrétiens (un amiral, 17 commandants de vais-seaux, 13 off ciers, etc.) tués. Pas de prisonniers. 29.990 Turcs, un amiral commandant en chef, 24 commandants, 20 capitai-nes, en tout 25.990 hommes tués, 3.846 prisonniers. Les Chrétiens ont pris 117 galères, 13 galiotes, 80 vais-seaux turcs sont à la côte, dont 40 furent coulés. Le pape reçoit 881 esclaves, 19 galères, 2 galiotes, 19 canons, 3 pierriers, 42 autres pièces. Au roi d’Espagne sont attribués 1.703 prisonniers, 58 ga-lères, 6 galiotes, 59 canons, 8 pierriers, 128 autres pièces. Enf n, la part de Venise comprend 162 esclaves, 40 galè-res, 5 galiotes, 40 canons, 5 pierriers, 89 autres pièces. Le grand Cervantès, parmi les blessés chrétiens, perdit un bras à la bataille. Comment ce riche butin ne servit guère à renforcer utile-ment la puissance navale des Chrétiens victorieux — de quelle manière s’y prit Eudj’Ali pour réparer ces pertes, réorganiser la marine turque que le désastre subi eût pu faire disparaître à jamais de la Méditerranée. Voilà ce qu’il faut maintenant étudier, comprendre, puis admirer sans réserve comme ont fait tous les historiens, anciens et modernes, de la bataille de Lé-pante, pierre de touche immuable pour la renommée guerrière du grand Barbaresque.

          Extraits du livre "ALGER AVANT LA CONQUÊTE EUDJ’ ALI CORSAIRE BARBARESQUEBEGLIER-BEY D’AFRIQUE ET GRAND-AMIRAL" de DEFONTIN-MAXANGE 1930
          Dernière modification par mezzo-morto, 23 mai 2012, 10h40.
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          • #6
            Formation des flottes

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            • #7
              Merci, même si c'est un ouvrage très daté historiographiquement, il ne tiendrait plus la route aujourd'hui. Il est vrai que la bataille de Lépante gagné par les chrétiens n'a jamais été un arrêt décisif de la puissance turc musulmane. En effet, après cette bataille les Ottomans vont reconstruire leur flotte très rapidement et continuer à dominer toute la Méditérranée orientale qui est un vrai "lac ottoman".
              Ya Allah, al Aziz, al Hakim. a7fadh jazair wa al maghareb al kabir

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              • #8
                Arbefracom
                Pourquoi ne tiendrai t il pas la route? pas a cause de la periode de l'ecriture de l'ouvrage j'espere.....

                mais la n'etait pas le but de ce post. Le but c'etait pour faire decouvrir le rais et grand marin qu'etait Uludj Ali que meme ses ennemis respectaient.

                Oui en effet juste apres la defaite de lepante uludj ali dit aussi fartas a ete nomme kapudan pacha et a recu l'ordre de selim II de reconstruire la flotte et de reorganiser la marine presque decimee chose qui a ete faite avec succes puisque moins de trois ans apres tunis a ete reprise aux espagnols.
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                • #9
                  @Arberfracom

                  A vrai dire, Lépante ne fut effectivement pas une catastrophe qui aurait précipité la chute de la puissance ottomane, loin de là, mais ce n'en fut pas moins une date charnière : ce fut la première grande défaite des Ottomans devant les chrétiens, à un moment (milieu du 16e s.) qui constituait l'apogée de cette puissance !

                  En un mot, si le répercussions de cet échec furent minimes chez les musulmans, l’effet psychologique fut immense chez les Chrétiens car on ne peut réaliser aujourd'hui la crainte que leur inspirait le "Grand Turc" à l'époque ! Tu sais, on attendait la conquête prochaine de l'Italie et de Rome et la reconquête de l'Andalûs pour bientôt !

                  Lépante mit fin à cette ambiance, tout comme l'échec de Charles-Quint devant Alger à la même époque va forger le mythe de la Mahroussa ! Ainsi vont les affaires humaines, changeant si grand parfois par si peu de choses ! ... lol
                  "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                  • #10
                    La bataille de Lepante a mis fin au mythe d'invincibilite de la marine othomane.
                    Le lent declin de l'empire a commence juste apres la mort de souliman le magnifique et la venue de son fils selim II. C'est une autre histoire.

                    Un detail sur Uludj Ali il avait la teigne d'ou el Fertas et etait myope. On dit que son manuscrit autobiographique a ete trouve cache dans un faux vase chinois.
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                    • #11
                      @Mezzo-Morto

                      Hélas, c'est un peu le "mauvais côté" d'un apogée dans l'histoire d'un État ou d'une nation : c'est le point culminent de la carrière et de la puissance, et il est donc forcément suivi par une pente descendante !
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                      • #12
                        Justement Harrachi le malheur est que l'on ne tire pas de lecon de ces declins..... bien que dans notre cas on est encore loin de l'apogee
                        C'est une evolution cyclique a l'exemple des saisons, les jours et les mouvement de l'univers... tout a un point de commencement et un point de fin qui devient le point de recommencement etc .... jusqu'au jour J.
                        The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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                        • #13
                          cela ne les empêcha pas d'assiéger Vienne en 1683 !!!
                          عيناك نهر من جنون... عيناك أرض لا تخون

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                          • #14
                            oui Chegevara et bien d'autres faits d'armes qui ne pouvaient pourtant pas eviter le declin qui a vu diparaitre l'empire deux siecles et demi plus tard. Il a fallut quand meme 3 siecles
                            The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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                            • #15
                              Le monde avait changé et eux se sont enfermes sur eux memes ,ils ont accumulé un retard considerable dans le domaine de l'innovation et des sciences,il fallut plusieurs siècles pour le comprendre...et c'etait trop tard.
                              عيناك نهر من جنون... عيناك أرض لا تخون

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