En colère après la condamnation au Pakistan du médecin qui a aidé la CIA à débusquer Ben Laden, les sénateurs américains veulent réduire drastiquement le montant de l'aide militaire des États-Unis. De quoi envenimer une situation déjà tendue.
Par Amara MAKHOUL-YATIM (texte)
"Nous avons besoin du Pakistan. Le Pakistan a besoin de nous. Mais nous n'avons que faire d'un Pakistan qui joue double jeu", s’est indigné, jeudi 24 mai, Lindsey Graham, sénateur républicain, devant la commission chargée de répartir les fonds de l'aide américaine à l'étranger. Sa déclaration donne le ton et témoigne du regain de tensions actuel entre Washington et Islamabad.
Comme Lindsey Graham, nombre de sénateurs américains ont exprimé leur colère envers Islamabad qu’ils accusent de ne pas s’impliquer suffisamment dans la lutte contre les Taliban afghans. Comme mesure de rétorsion, ils ont décidé de réduire de façon significative, soit de 58 %, le montant de l’aide militaire américaine. Le sénateur Graham a ainsi proposé à la commission un amendement, qui a été approuvé à l’unanimité, pour diminuer de 33 millions de dollars l'aide au Pakistan. Le chiffre n’est pas anodin, il s’agit d’un million par année de prison auxquelles a été condamné la personne qui a aidé Washington à mettre la main sur Ben Laden.
Washington scandalisé
L'ire des sénateurs proveint effectivement de la condamnation mercredi 23 mai du docteur Shakeek Afridi à 33 ans de prison par un tribunal tribal pour avoir aider à débusquer Oussama Ben Laden et à le tuer lors du raid d’un commando américain à Abbottabad le 2 mai 2011. La réaction américaine ne s’est pas faite attendre. Pour la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, la condamnation est "injuste et infondée". "Les États-Unis estiment qu'il n'y a aucune raison de détenir le docteur Afridi", a-t-elle poursuivi, ajoutant que Washington continuerait à agir en sa faveur auprès des autorités pakistanaises. "Nous sommes tous scandalisés" par la décision de la justice pakistanaise, a renchérit devant la presse le républicain John McCain.
Islamabad avait auparavant invité les États-Unis à respecter la justice pakistanaise. "Je pense que dans le cas de Shakeek Afridi, tout s'est fait conformément aux lois et aux procédures pakistanaises et il faut que chaque pays respecte les décisions de justice de l'autre", a déclaré le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères.
Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CFRR), ne manque pas de s’étonner de l’indignation des Etats-Unis. "Ils ont tout de même laissé derrière eux, à son sort, ce médecin que la CIA avait recruté et qui a été une pièce maîtresse dans l’opération d’Abbottabad", estime-t-il. Avant de poursuivre : "Cela entache à coup sûr leur image et leur crédibilité au Pakistan".
Des relations au plus froid depuis plus d’un an
Les tensions entre les deux pays ne sont pas nouvelles. "Elles ont atteint un summum il y a un an, lors de l’opération à Abbottabad que les Pakistanais n’ont jamais digéré", explique Alain Rodier. Mais les tensions entre Washington et Islamabad ont toujours été en dents de scie. "Historiquement, Islamabad, qui considère l’Afghanistan comme son pré carré, a toujours soutenu les Taliban, rappelle Alain Rodier. C’est pourquoi le Pakistan s’est retrouvé gêné quand, en 2001, les États-Unis ont sollicité son aide pour lutter contre les terroristes qu’ils assimilaient aux Taliban." Le chercheur poursuit: "Ils ont donc continué à apporter leur soutien aux Taliban, mais discrètement". Ce qui précisément provoque l’ire de Washington.
De son côté, le Pakistan reproche de longue date à son allié américain les incursions de drones sur son territoire et n’a eu de cesse de demander l’arrêt des bombardements. Pour Alain Rodier, c’est "compréhensible également", puisque "cela s’apparente à de l’ingérence et qu’à chaque fois ce sont des Pakistanais qui sont tués". En novembre 2011, 24 soldats pakistanais avait été tués dans des bombardements américains menés à la frontière avec l’Afghanistan. Le Pakistan avait alors décidé de fermer les routes pakistanaises vers l’Afghanistan aux convois militaires non seulement américains mais plus généralement de l'Otan.
Une occasion d’apaisement manquée
Cette nouvelle crise diplomatique survient alors qu’une occasion de dégel des relations vient d’être manquée. Le président pakistanais Asif Ali Zardari était à Chicago où se tenait le G8 afin d’aborder précisément la question de la réouverture des axes routiers fermés aux convois de l'Otan, cruciale pour la stratégie américaine. Or, selon des responsables américains, il aurait, lors d’une rencontre avec Hillary Clinton, exigé une contrepartie financière très élevée. Les négociations n’ont donc pas abouti et le président Barack Obama a refusé de le rencontrer comme il était initialement prévu.
Difficile de prédire si les rapports entre les deux pays vont se réchauffer. Toujours est-il que les États-Unis et l’Otan se seraient bien passés de cette crise diplomatique avec l’allié pakistanais, à l’heure où le désengagement d’Afghanistan de l'Otan est bien amorcé.
france24
Par Amara MAKHOUL-YATIM (texte)
"Nous avons besoin du Pakistan. Le Pakistan a besoin de nous. Mais nous n'avons que faire d'un Pakistan qui joue double jeu", s’est indigné, jeudi 24 mai, Lindsey Graham, sénateur républicain, devant la commission chargée de répartir les fonds de l'aide américaine à l'étranger. Sa déclaration donne le ton et témoigne du regain de tensions actuel entre Washington et Islamabad.
Comme Lindsey Graham, nombre de sénateurs américains ont exprimé leur colère envers Islamabad qu’ils accusent de ne pas s’impliquer suffisamment dans la lutte contre les Taliban afghans. Comme mesure de rétorsion, ils ont décidé de réduire de façon significative, soit de 58 %, le montant de l’aide militaire américaine. Le sénateur Graham a ainsi proposé à la commission un amendement, qui a été approuvé à l’unanimité, pour diminuer de 33 millions de dollars l'aide au Pakistan. Le chiffre n’est pas anodin, il s’agit d’un million par année de prison auxquelles a été condamné la personne qui a aidé Washington à mettre la main sur Ben Laden.
Washington scandalisé
L'ire des sénateurs proveint effectivement de la condamnation mercredi 23 mai du docteur Shakeek Afridi à 33 ans de prison par un tribunal tribal pour avoir aider à débusquer Oussama Ben Laden et à le tuer lors du raid d’un commando américain à Abbottabad le 2 mai 2011. La réaction américaine ne s’est pas faite attendre. Pour la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, la condamnation est "injuste et infondée". "Les États-Unis estiment qu'il n'y a aucune raison de détenir le docteur Afridi", a-t-elle poursuivi, ajoutant que Washington continuerait à agir en sa faveur auprès des autorités pakistanaises. "Nous sommes tous scandalisés" par la décision de la justice pakistanaise, a renchérit devant la presse le républicain John McCain.
Islamabad avait auparavant invité les États-Unis à respecter la justice pakistanaise. "Je pense que dans le cas de Shakeek Afridi, tout s'est fait conformément aux lois et aux procédures pakistanaises et il faut que chaque pays respecte les décisions de justice de l'autre", a déclaré le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères.
Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CFRR), ne manque pas de s’étonner de l’indignation des Etats-Unis. "Ils ont tout de même laissé derrière eux, à son sort, ce médecin que la CIA avait recruté et qui a été une pièce maîtresse dans l’opération d’Abbottabad", estime-t-il. Avant de poursuivre : "Cela entache à coup sûr leur image et leur crédibilité au Pakistan".
Des relations au plus froid depuis plus d’un an
Les tensions entre les deux pays ne sont pas nouvelles. "Elles ont atteint un summum il y a un an, lors de l’opération à Abbottabad que les Pakistanais n’ont jamais digéré", explique Alain Rodier. Mais les tensions entre Washington et Islamabad ont toujours été en dents de scie. "Historiquement, Islamabad, qui considère l’Afghanistan comme son pré carré, a toujours soutenu les Taliban, rappelle Alain Rodier. C’est pourquoi le Pakistan s’est retrouvé gêné quand, en 2001, les États-Unis ont sollicité son aide pour lutter contre les terroristes qu’ils assimilaient aux Taliban." Le chercheur poursuit: "Ils ont donc continué à apporter leur soutien aux Taliban, mais discrètement". Ce qui précisément provoque l’ire de Washington.
De son côté, le Pakistan reproche de longue date à son allié américain les incursions de drones sur son territoire et n’a eu de cesse de demander l’arrêt des bombardements. Pour Alain Rodier, c’est "compréhensible également", puisque "cela s’apparente à de l’ingérence et qu’à chaque fois ce sont des Pakistanais qui sont tués". En novembre 2011, 24 soldats pakistanais avait été tués dans des bombardements américains menés à la frontière avec l’Afghanistan. Le Pakistan avait alors décidé de fermer les routes pakistanaises vers l’Afghanistan aux convois militaires non seulement américains mais plus généralement de l'Otan.
Une occasion d’apaisement manquée
Cette nouvelle crise diplomatique survient alors qu’une occasion de dégel des relations vient d’être manquée. Le président pakistanais Asif Ali Zardari était à Chicago où se tenait le G8 afin d’aborder précisément la question de la réouverture des axes routiers fermés aux convois de l'Otan, cruciale pour la stratégie américaine. Or, selon des responsables américains, il aurait, lors d’une rencontre avec Hillary Clinton, exigé une contrepartie financière très élevée. Les négociations n’ont donc pas abouti et le président Barack Obama a refusé de le rencontrer comme il était initialement prévu.
Difficile de prédire si les rapports entre les deux pays vont se réchauffer. Toujours est-il que les États-Unis et l’Otan se seraient bien passés de cette crise diplomatique avec l’allié pakistanais, à l’heure où le désengagement d’Afghanistan de l'Otan est bien amorcé.
france24
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