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OIT : la bataille mondiale du social

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    Bientôt centenaire, l'Organisation internationale du travail (OIT), fondée en 1919, passe pour le "parlement mondial du travail". Chargée de concevoir et de faire appliquer les normes internationales du travail, cette agence de l'ONU dont le siège est fixé à Genève cherche à s'imposer comme un partenaire incontournable dans la gestion de la crise économique, qui maltraite les règles sociales.

    Après douze années à la tête de l'OIT, le Chilien Juan Somavia va quitter son poste. Le 28 mai, le conseil d'administration du Bureau international du travail (BIT), le secrétariat permanent de l'OIT, son quartier général opérationnel, doit élire son nouveau directeur. Neuf candidats sont en lice, dont le Français Gilles de Robien, proposé par Nicolas Sarkozy mais également soutenu par le nouveau gouvernement socialiste.

    Qu'est-ce que l'OIT ? Avec le Soudan du Sud, qui a adhéré en 2011, 184 pays sont représentés à l'OIT. Depuis sa création, l'organisation est tripartite. La délégation de chaque pays est composée de représentants des gouvernements, des employeurs et des salariés. Avantage : les débats entre les trois parties favorisent une approche globale qui permet la conciliation de positions souvent antagonistes. Cette approche dote l'OIT d'une expertise globale sur les questions dont elle se saisit. Inconvénient : ce système peut limiter la portée des textes réglementaires, fondés sur le consensus. Toutefois, explique Raymond Torres, directeur de l'Institut international d'études sociales, "l'OIT n'a jamais épousé les thèses du libéralisme, sans doute à cause de sa nature tripartite, justement : les syndicats sont membres du conseil d'administration, et son fondement, c'est la justice sociale".

    En près d'un siècle d'histoire, l'organisation a adopté 189 conventions internationales, dans des domaines aussi variés que le travail des enfants, le travail domestique (en 2011) ou encore le travail maritime. Les fondamentaux de l'OIT, repris dans une déclaration votée en 1998, reposent sur quatre piliers : la liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation ; l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; l'abolition effective du travail des enfants ; l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.

    Au cours de sa 101e conférence internationale, qui se réunira du 30 mai au 14 juin à Genève, l'OIT doit adopter, entre autres, un texte sur un socle minimal de protection sociale pour les plus démunis. Cela dit, l'OIT n'a pas les moyens d'imposer ces dispositions. Il appartient à chaque Etat membre de les traduire, ou non, dans sa législation nationale.

    A quoi sert-elle ? "L'OIT a une opportunité historique de jouer un plus grand rôle, mais elle a beaucoup de mal à le faire", estime, pudique, le spécialiste Raymond Torres. Autrement dit, le combat social que mène l'OIT a souvent du mal à s'imposer face à la pression des marchés et de l'économie, et aussi face aux institutions comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans une tribune publiée à la veille du 1er-Mai sur Lemonde.fr, Juan Somavia le reconnaît à demi-mot, en critiquant ces institutions financières. Il évoque les "vieilles recettes", qui ont mené à la débâcle économique, et le monde de la finance, "dont les intérêts bien placés" nient les conséquences sociales de la crise.

    De nombreux chefs d'Etat - dont à l'époque Nicolas Sarkozy et le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva - ont souhaité que l'OIT participe aux G20, au même titre que les institutions financières multilatérales. Juan Somavia a beau marteler que "le système financier doit être au service de l'économie réelle et cesser de jouer avec l'argent des autres", ses grandes déclarations restent souvent sans effet.

    Cleopatra Doumbia-Henry, directrice du département des normes internationales du travail de l'OIT, raconte les efforts fournis par son organisation pendant la crise grecque. Lors de ses discussions avec le FMI et la Banque mondiale, le BIT a notamment insisté pour maintenir un dialogue social avec les syndicats. "Jusqu'à présent, constate-t-elle, nous n'avons pas été écoutés et c'est tragique."

    Il ne faudrait pas en conclure que l'OIT est impuissante. Sous son égide, de nombreux pays ont ratifié, puis mis en oeuvre, des recommandations sur le travail. L'un des Etats dans le collimateur de l'organisation, la Birmanie, est en train d'évoluer, notamment sur la question du travail forcé. Ce n'est sans doute pas un hasard si la députée d'opposition birmane et Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi doit prononcer son premier discours hors de son pays, le 14 juin, à Genève, lors de la conférence internationale de l'OIT.

    Si plusieurs pays, à l'incitation de l'OIT, ont pris des sanctions contre la Birmanie, l'OIT elle-même n'a pas de tels pouvoirs. Elle enregistre de nombreuses plaintes qui peuvent donner lieu à des "condamnations". "Cela permet à des pays d'avancer, de modifier leur législation grâce au dialogue et à l'assistance technique proposés par l'OIT", explique Mme Doumbia-Henry. Contre les Etats-Unis, 43 plaintes ont ainsi été déposées, portant en majorité sur des questions de discrimination syndicale. La France, elle, a été condamnée à 46 reprises, dont une pour l'adoption, par le gouvernement de Dominique de Villepin, en 2006, du contrat première embauche (CPE), jugé discriminatoire à l'égard des jeunes.

    L'OIT est aussi une sorte de "conseil de prud'hommes mondial", puisqu'elle sert de tribunal pour régler les contentieux de travail concernant le personnel des agences de l'ONU et leur employeur.

    Faut-il réformer l'OIT ? "Tout le monde attend de la transparence, une gestion irréprochable et plus d'efficacité", relève le candidat français Gilles de Robien. Il n'est pas le seul à l'affirmer. Est-ce à dire que l'OIT serait opaque et mal gérée ? Au sein même de l'organisation - quelque 3 000 salariés dont 1 300 à Genève -, le malaise règne parfois. Jusqu'à la menace d'un mouvement social, un comble pour le BIT, en novembre 2010. "Il y a eu des accumulations de CDD, de contrats courts, et l'opacité règne sur des nominations", témoigne un cadre qui préfère rester anonyme. Surtout, professent les candidats à la succession de M. Somavia, il est urgent de renforcer l'efficacité de l'OIT, trop dispersée, aux yeux de nombreux experts.

    Le prochain directeur général aura aussi pour tâche d'accroître le poids des pays émergents, notamment l'Inde et la Chine, de plus en plus présente, à Genève, au sein des instances de l'OIT.

    Un Français à la tête du Bureau international du travail ? Près d'un siècle après le socialiste Albert Thomas, premier directeur du BIT, le centriste Gilles de Robien, 71 ans, pourrait devenir le deuxième Français à occuper cette fonction. L'élection du nouveau directeur aura lieu le 28 mai, à Genève, lors d'un conseil d'administration du BIT. Celui-ci est composé de 56 membres titulaires (28 gouvernementaux, 14 employeurs et 14 travailleurs) et de 66 membres adjoints.

    Présenté en février par le gouvernement de François Fillon, Gilles de Robien a reçu, vendredi 24 mai, le soutien du nouveau chef de l'Etat, François Hollande. "La France compte sur l'ensemble de ses partenaires pour porter à la tête de cette organisation M. Gilles de Robien, qui saura mettre l'OIT au coeur d'une gouvernance mondiale équitable ", écrit le président de la République dans un communiqué. Ce qui vaut à l'intéressé un commentaire optimiste : "Que deux gouvernements d'alternance me soutiennent me donne une légitimité supplémentaire."

    Son principal concurrent est le syndicaliste britannique Guy Ryder. Un troisième homme semble également sortir du lot : le Néerlandais Ad Melkert, 56 ans, ancien ministre travailliste et ex-directeur exécutif de la Banque mondiale. Une seule femme est sur les rangs, la Suédoise Mona Sahlin, ancien chef du Parti social-démocrate.

    Rémi Barroux et Agathe Duparc (Genève, correspondance)

    Dates et repères
    1919 Création de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont le siège est situé à Genève.
    1969 L'OIT reçoit le prix Nobel de la paix.
    1998 Déclaration de l'OIT relative aux droits fondamentaux du travail, recouvrant notamment "la liberté d'association" et l'élimination du "travail forcé et obligatoire".
    1999 Le Chilien Juan Somavia devient le neuvième directeur général, le premier provenant d'un pays de l'hémisphère Sud.
    2008 Adoption, en pleine crise économique, d'une déclaration "sur la justice sociale pour une mondialisation équitable".
    Conventions Elles créent des obligations légales et sont sujettes à ratification par les Etats membres, au nombre de 184 actuellement.
    Recommandations Elles ne sont pas contraignantes mais font obligation aux Etats de présenter des rapports.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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