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L'histoire de Zaphira la princesse d'Alger

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  • L'histoire de Zaphira la princesse d'Alger

    Pendant le ministère du cardinal Ximenez, Ferdinand V roi d’Aragon, envoya en 1505 Pierre comte de Navarre avec une armée, qui se rendit en peu de temps maître d’Oran. Cette ville était peu-plée de Maures, chassés de Grenade, de Valence & d’Aragon en 1492, lesquels sachant la langue & les chemins, causaient beaucoup de dommages à l’Espagne par leurs courses tant sur mer que par les débarquements fréquents, qu’ils faisaient sur les côtes de la terre ferme & dans les îles dépendantes de cette couronne. Après la conquête d’Oran, l’armée d’Espagne gagna du terrain, & s empara de Bougie & de plusieurs autres places avec beaucoup de rapi-dité. Les Algériens craignant le même sort pour leur ville & leur pays, appelèrent à leur secours Selim Eutemi, prince Arabe d’une grande réputation, & distingué par sa valeur. Il vint avec plusieurs braves Arabes de la nombreuse nation qui lui était sumise dans la plaine de la Mutija ou Mostigie, & amena Zaphira sa femme, princesse douée de rares quali-tés, & un f ls qui était âgé d’environ douze ans. Mais il ne put empêcher que la même année, Ferdinand, ayant envoyé une puissante armée navale & des troupes de débarquement, n’obligeât la ville d’Al-ger à lui faire hommage, & à se rendre tributaire. Les Algériens souffrirent même, que les Espagnols construisirent un fort sur une île vis à vis de la ville, où ils mirent de l’artillerie, & une garnison pour les tenir en bride, & empêcher le départ & l’entrée des corsaires Algériens. Ils supportèrent avec tranquil-lité le joug fâcheux que les chrétiens leur avaient imposé, jusqu’en 1516 que Ferdinand étant mort, ils résolurent de le secouer. Pour y réussir, ils firent une députation à Aroudj Barberousse, corsaire mahométan, aussi fameux par sa fortune que par sa valeur, & natif de l’île de Lesbos, à présent Metelin dans l’archipel. Il était occupé à croiser avec une escadre de galères & de barques, lorsque des députés Algériens vinrent le prier de les délivrer du joug des Espagnols, & lui promirent une récom-pense proportionnée aux grands services qu’ils en attendaient : il leur répondit très favorablement, & tint sa parole. Ce corsaire envoya à Alger 18 galères & 30 barques sous les ordres de son lieutenant, & il marcha lui-même par terre avec tout ce qu’il put trouver de Turcs & de Maures affectionnés. Les Algériens furent transportés de joie en apprenant la diligence de Barberousse, qu’ils regardaient comme un foudre de guerre, & un homme invin-cible. Selim Eutemi, général d’Alger & tous les principaux de la ville furent le recevoir à près de deux journées. Ils lui rendirent des honneurs extra-ordinaires, l’amenèrent en triomphe dans Alger aux acclamations du peuple, & le logèrent dans le palais du prince Selim Eutemi, qui les reçut avec toute la distinction possible. Les troupes furent aussi traitées avec beaucoup d’amitié & de générosité ; mais elle en abusèrent bientôt, le besoin qu’on avait d’elles leur ayant inspiré beaucoup de f erté. Le pirate Barberousse s’enf a aussi d’orgueil, & conçut le dessein de s’emparer d’Alger & de son territoire, & de s’en rendre souverain. Il le communiqua à son ministre & à ses principaux officiers, & il fut résolu dans son conseil particulier, qu’on garderait un secret inviolable, & qu’on se mettrait pas en peine de réprimer la licence des soldats Turcs. Ceux-ci f rent d’abord les maîtres dans la ville & à la campagne, & maltraitèrent fort les bourgeois ; & Barberousse était persuadé, que cette conduite donnerait lieu à des troubles dont il prof terait. Cependant le pirate, pour faire voir qu’il était de bonne foi, peu de temps après son arrivée, f t dresser une batterie de canons à la porte de la marine, vis à vis le fort des Espagnols construit sur une île éloignée d’environ 500 pas. Il le f t battre inutilement pendant un mois, parce que le canon était trop petit, & il remit son expédition à un autre temps. Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s’aper-cevoir de la faute qu’il avait faite, d’appeler au secours d’Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, & ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur & de tyran-nie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, & le publièrent ouvertement. Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, & s’abandonnant à son naturel violent, ils résolut d’ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, & reconnaî-tre de gré ou de force par les habitants. Voici ce qui contribua à faire hâter l’exécu-tion de cette barbare entreprise. Le pirate ayant été d’abord vivement touché de la beauté & du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son cœur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, & lui f t prendre la réso-lution d’acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se f attait d’épouser la princesse dès qu’elle serait veuve, & qu’il serait souverain du pays. Comme Barberousse était un homme de fortune, né misérable, & dont l’origine était inconnue, il tirait beaucoup de vanité de ce projet ; parce que Zaphira descendait des plus illustres Arabes, & que sa famille était alliée à tous les plus puissants cheikhs de ces nations. Il se f attait aussi, que par ce mariage il deviendrait respectable à ces nations Arabes, & qu’elles ne se ligueraient pas contre lui pour le chasser d’un pays, dont il aurait été l’usurpateur. Barberousse ne différa pas longtemps l’exécution de ce projet. Il avait observé que le prince Arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d’y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu & sans armes, & l’étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaî-tre. Le pirate sortit sur le champ, & rentra dans le bain peu après avec nombre de personnes qui l’accompagnaient, comme pour se baigner selon la coutume. Il affecta une surprise extraordinaire de la mort du prince. Il fi t publier qu’il était tombé en faiblesse, selon toute apparence, & mort faute de secours ; & il ordonna en même temps à ses troupes de prendre les armes. Les habitants d’Alger ne se doutèrent point, que ce ne fût un coup du perf de Barberousse. Chacun d’eux craignant le même sort, ils s’enfer-mèrent dans leurs maisons, abandonnant la ville aux soldats Turcs, qui prof tèrent de cette occasion pour s’en rendre entièrement maîtres. Ils conduisirent Barberousse à cheval & en grande pompe par toute la ville, & le proclamèrent roi d’Alger, en criant : «Vive Aroudj Barberousse l’invincible roi d’Alger, que Dieu a choisi pour gouverner son peuple & le délivrer de l’oppression des chrétiens. Malheur à ceux qui refuseront de lui obéir comme à leur légitime souverain ». Après avoir jeté la terreur & l’épouvante parmi les bourgeois, qui s’attendaient à quelque massacre, ils placèrent Barberousse sur le siège royal dans le palais du prince Selim, envi-ronné de gardes bien armés. Les troupes se répan-dirent dans les principales maisons des habitants, pour leur faire part de ce qui se passait, & les prier fort honnêtement de la part du nouveau roi de lui aller rendre hommage, & de lui prêter serment de f délité ; on leur promettait beaucoup d’égards & d’avantages de cette démarche, s’ils la faisaient de bonne grâce. Ces bourgeois craignant d’être immolés à la cruauté de Barberousse s’y laissèrent conduire. Il les combla de belles paroles, de pro-messes & de témoignages d’amitié, & leur f t prêter serment, & signer l’acte de son couronnement.
    Ensuite les off ciers de Barberousse accompagnés de soldats, menèrent avec eux les principaux bour-geois, & furent de maison en maison exhorter les autres habitants à faire la même démarche, & ils se rendirent sans résistance. L’usurpateur f t ensuite publier par un crieur public son couronnement & les promesses qu’il faisait à son peuple de bien le traiter, & de le défendre contre les chrétiens & tous ses autres ennemis. Il f t un règlement pour l’ordre et la discipline, qui ne fut pas observé. Il ordonna que tous les habitants sortiraient de leurs maisons & vaqueraient à leurs affaires comme auparavant, sans crainte d’être inquiétés ; il leur faisait espérer au contraire sa protection comme à ses sujets & à ses enfants. Le f ls du prince Selim, encore jeune, crai-gnant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l’aide d’un Arabe officier de sa maison, & d’un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l’Espagne, & sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, & le traita avec beaucoup de distinction. Barberousse ayant été déclaré roi, & reconnu de gré ou de force, f t réparer les fortif cations de l’Alcaçave, y plaça beaucoup d’artillerie avec une bonne garnison Turque, & y f t battre la monnaie en son nom. Le peuple na resta pas longtemps sans ressentir le poids de la tyrannie, & de l’oppression de son nouveau roi. Ce prince fit étrangler tous ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, ou pour mieux dire, tous ceux qu’il craignait ; car ils étaient tous ses ennemis. Il s’empara de leurs biens, & exigea des amendes considérables de tous ceux qui avaient de l’argent. On conçut tant d’horreur pour lui & pour ses soldats, que lorsqu’il sortait pour se faire voir en public, tous les habitants se cachaient & fermaient les portes de leurs maisons. Pendant que la désolation régnait dans Alger, la princesse Zaphira devenue la proie d’un perf de, fit éclater sa constance & sa vertu, & se fit admirer malgré les rigueurs du sort qui l’accablait. De souveraine qu’elle était, elle se vit sujette & esclave du meurtrier de son mari, & de l’usurpateur du royaume. La douleur que son état lui causait, & le souvenir des déclarations de tendresse que Barberousse avait osé lui faire, lui donnaient lieu d’appréhender que ce tyran qu’elle avait traité avec mépris, ne voulut s’en venger, & user à son égard de tout son pouvoir. Ces frayeurs troublèrent son esprit : elle devint furieuse, & s’armant d’un poignard, elle résolut de le plonger dans le sein du tyran, ou de se tuer elle-même, si elle manquait son coup.
    The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

  • #2
    Mais ses fidèles compagnes s’opposant à son dessein, la désarmèrent & l’enfermèrent jusqu’à ce que la dou-leur, & l’agitation où l’avaient mise ses malheurs, furent un peu calmées. Barberousse de son côté toujours amoureux de l’infortunée princesse, ne douta point qu’il ne fût maître de l’épouser, après que la douleur, disait-il, & la bienséance auraient joué leur rôle, & réso-lût de donner tout le temps nécessaire à l’une & à l’autre. Il ne parut pas devant la princesse, & ne lui envoya aucun compliment de condoléances, pour ne pas l’irriter. Il ordonna seulement dans son palais, qu’on lui fournit tout ce qui serait néces-saire ou qu’elle pourrait désirer ; & sous prétexte qu’elle fût mieux servie, il lui f t présent de deux belles esclaves, qui avaient ordre d’informer le tyran de tout ce qui se passerait dans l’appartement de cette veuve aff igée. Zaphira revint bientôt de son trouble, & sa fureur se changea en une douleur muette & tranquille, qu’elle sentait plus vivement que la première. Elle donna encore quelques jours à ses larmes & à ses regrets ; & étant revenue peu à peu à elle-même, elle f t les réf exions convenables à son état. Elle considéra qu’il n’y avait plus de remède à son malheur ; que Barberousse était trop puissant pour combattre son parti, & pour pouvoir venger sur lui la mort du prince Selim Eutemi : & après avoir consulté parmi les femmes de sa suite ; celles qui étaient les plus raisonnables & les plus f dèles, elle résolut de faire ses efforts pour obtenir du tyran la liberté de retourner dans son pays avec sa suite. Barberousse agité de pensées bien différentes, ayant appris que Zaphira se portait beaucoup mieux, prit cette occasion pour lui écrire, n’osant paraî-tre devant elle, sans l’avoir adoucie par quelque endroit. Il lui envoya la lettre, dont voici la traduction.

    AROUDJ BARBEROUSSE, Roi d’Alger,à la princesse ZAPHIRA.

    « Belle Zaphira, image du soleil, & plus belle par tes rares qualités que par l’éclat radieux qui environne ta personne, le plus f er & le plus heu-reux conquérants du monde, à qui tout cède, ne cède qu’à toi & est devenu ton esclave. Je suis extrêmement touché de ton aff iction & de tes mal-heurs ; mais mon cœur ressent encore plus vive-ment l’effet de tes charmes, qui seraient dignes de l’attention de notre grand prophète, s’il revenait sur la terre. J’ai une joie inexprimable de ce que tu as persisté au torrent d’aff iction, qui semblait devoir te faire succomber, & de ce qu’on me donne espérance d’un prompt rétablissement de ta santé. J’en loue Dieu seul & tout puissant, par lequel tout est réglé de toute éternité. Adore ses décrets & ne l’irrite point par un excès de douleur, puis-qu’il est le maître de la vie des hommes, & que ce qu’il a ordonné depuis le commencement qui n’a point de commencement, doit arriver, soit le bien, soit le mal. Ne crains pas que j’use de mon droit de souveraineté pour te forcer d’être à moi ; mais je te conseille de me donner ton cœur de bonne grâce. Ton sort, belle Zaphira, fera envie à toutes les femmes du monde. Tu règneras, non comme tu as fait, mais en véritable souveraine de ton roi & de tes sujets, avec une autorité pleine & absolue. J’espère qu’en peu de temps, ma valeur secondée par mes invincibles troupes, mettra toute l’Afrique à tes pieds. En attendant ce glorieux sort, sois maî-tresse dans mon palais, fais, défais, tout sera bon venant de ta part : & malheur à ceux ou à celles qui auront l’insolence de te désobéir ; & qui ne rampe-ront pas en baisant la poussière de tes pieds, après l’auguste commandement que j’en fais à tous mes sujets. »

    Une des esclaves de Barberousse avait données à la princesse fut chargée de lui rendre cette lettre, & de la prévenir en lui représentant la ten-dresse du roi, & le sort glorieux qui l’attendait si elle savait en prof ter. Ces discours & la vue d’une lettre du meurtrier de son mari, jetèrent cette prin-cesse infortunée dans son premier trouble. Elle ne répondit que par des larmes & des soupirs, & fut pendant quelques temps dans l’incertitude, si elle devait recevoir cette lettre. Elle la prit pourtant, & s’étant enfermée avec ses plus f dèles suivantes pour délibérer sur la conduite qu’elle devait tenir, on lui conseilla se ménager le tyran, & de lire sa lettre. Quel fut son désespoir, lorsqu’elle l’eut lue ! Peu s’en fallut qu’elle n’expirât de douleur. Elle ne revint à elle-même que par l’espérance, que lui donneront ses f dèles compagnes, qu’elle pourrait revoir avec elles sa chère patrie, en dissimulant sa haine pour Barberousse. Après avoir fait de sérieuses réflexions, elle répondit en ces termes à Barbe-rousse.

    L’infortunée ZAPHIRA, au Roi d’Alger.

    « Seigneur, tout autre que moi, plus sensible à la gloire, à la grandeur, & aux richesses, qu’à la réputation qui est la véritable gloire, la suprême grandeur & la plus grande richesse, s’estimerait heureuse de se donner à toi, & de partager l’écla-tante fortune que tu m’offres si généreusement. Je ne puis l’accepter, sans me rendre à jamais un objet d’horreur & d’abomination à tous les vrais croyants. Permets, seigneur, que je te représente, que mon époux a péri depuis peu d’une mort vio-lente, comme tous ceux qui ont vu son respecta-ble cadavre ont été convaincus. A peine était-il expiré ; que tu t’es emparé de la ville par la force : tes soldats ont commis des cruautés qui font frémir. Ils ont tué, violé & se sont tout approprié. Enf n tu règnes par la force, n’ayant ou régner autrement, & toutes tes violences ont persuadé le public, que tu es coupable de la mort de mon époux. Si je me donne à toi, n’aurait on pas raison de dire, que je suis aussi complice de ce crime, & que de concert nous lui avons donné la mort pour nous unir & régner ensemble ? Pour moi, seigneur, je ne te crois pas capable d’un tel crime, mais ce n’est pas assez. Je ne puis vivre, si je ne prouve que je suis innocente ; ni les supplices, ni la mort n’ont rien d’assez effrayant pour me faire changer de sentiment. Il faut que je me justif e, seigneur, & il est de ta grandeur de me laisser pour cet effet la maîtresse de ma conduite pour ton honneur & pour ta justif cation. Il est natu-rel de vouloir régner quand on le peut; mais pour faire voir que tu ne veux pas régner par un crime si énorme, que celui d’avoir ôté la vie & le royaume à un prince qui t’avait reçu dans sa maison comme son frère, pour lui aider à conserver l’une et l’autre, & pour convaincre le public que je suis pure & innocente comme un agneau que sa mère allaite, fais un grand & généreux effort sur toi, s’il est vrai que tu aimes l’infortunée Zaphira. Donne moi la liberté d’aller dans la plaine de Mitidja avec mes femmes & mes esclaves, pour mêler mes regrets avec les leurs. Dans un si grand malheur permets que je tâche de me consoler avec ceux qui m’ont donné la vie, après Dieu seul & tout puissant ; & laisse moi donner carrière en liberté à mes justes & innocentes larmes. Je te le demande, seigneur, au nom du maître de l’univers, à qui rien n’est caché, qui ordonne la pratique de la vertu, la droiture & la générosité, & qui est ennemi de tout mal. Puisse le Saint prophète, son bien-aimé Mahomet, t’inspirer de m’accorder ce que je te demande, & te guérir d’une passion qui me rendrait trop criminelle, si je la favorisais, & qui ne pourrait avoir que des suites funestes. »
    La même esclave qui avait porté à Zaphira la lettre du roi, remit entre ses mains celle de la princesse. Il sentit en la lisant mille remords ; & ne pouvant sans injustice condamner les senti-ments de Zaphira, il résolut d’attendre du temps qu’il désirait avec tant d’ardeur. Plus elle témoi-gnait de fermeté & faisait paraître sa vertu, plus il en était épris. Comme il trouvait dans cette veuve une illustre naissance, de la beauté, beaucoup de grandeur d’âme, & toutes les bonnes qualités & les vertus rassemblées dans sa personne, il jugea à propos d’employer les voies de la douceur pour se l’acquérir, sans user d’aucune violence. Il laissa la princesse à ses réf exions pendant quelques temps, après quoi il lui écrivit de la manière suivante.

    Le Roi d’Alger à la princesse ZAPHIRA.

    « Incomparable Zaphira, j’ai frémi d’hor-reur en lisant dans ta lettre écrite de ta précieuse main, qu’on me soupçonnait d’être le meurtrier du prince Selim. Dieu seul le sait, & puis que ce faux bruit t’empêche de te donner à moi, je ferai si bien que je m’en laverai, m’en dût-il coûter mon royaume. Il y va de ma gloire & de mon bonheur : & s’il est nécessaire, je ferai couler un torrent de sang innocent pour découvrir le coupable. Je vais ordonner qu’on le cherche, & malheur à lui & à tous ces complices s’il en a eu. Je me suis emparé du royaume, il est vrai, belle Zaphira, après la mort du prince Selim, n’y ayant point de sou-verain plus légitime que moi ; tout le pays était exposé à devenir la conquête des chrétiens, sans mon courage, & les troupes que j’ai amenées à mes dépends. Je me f atte qu’avec le temps tu me croi-ras aussi innocent que je t’ai paru criminel ; & que tu te résoudras à jouir d’une gloire éclatante, & à être adorée de tes sujets, comme je t’adore ».
    The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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    • #3
      Pour venir à bout de son dessein & faire cesser le soupçon de son crime, ou plutôt af n d’ôter à la princesse tout prétexte de na pas l’épouser, Barbe-rousse communiqua la même jour, tout ce qui se passait entre Zaphira & lui à Ramadan Choulak son vieux ministre, qui avait perdu un bras à son service, & qui lui avait aidé à se défaire du prince Selim & à se rendre maître d’Alger. Il dit à ce conf -dent, qu’il fallait lui trouver quelques victimes pour laver & satisfaire à la princesse, & ils convinrent de la scène tragique qui se passa bientôt à ce sujet. Ramadan f t publier par un crieur public, que le roi ayant appris que le prince Selim avait péri de mort violente, & qu’il était injustement accusé d’en être l’auteur, il était commandé à celui ou ceux qui connaîtraient ou soupçonneraient le meurtrier & les complices de les déclarer, à peine de la mort la plus cruelle pour ceux qui les connaissant ou en ayant soupçon, les cèleraient & qu’on donnerait un récompense considérable en or ou en argent aux délateurs. Il parut bientôt un accusateur gagné à cet effet, disant qu’en Arabe serviteur du Prince Selim, lui avait déclaré avant sa fuite, les complices qui étaient au nombre de trente ; & qu’il avait ajouté qu’ils s’étaient promis de souffrir la mort plutôt que de révéler le secret, si Barberousse n’avait pas eu le dessus ; mais qu’étant maintenant le maître, ils n’avaient rien à craindre quand même on le saurait. Ce misérable, qui avait été au service du prince, reçut en or la récompense, & en même temps le roi lui f t arracher la langue, sous prétexte qu’il ne l’avait pas déclaré plus tôt, mais en effet af n qu’il ne peur révéler la trahison. On f t venir devant lui les trente prétendus complices, qui étaient les plus mauvais soldats des troupes de Barberousse, qui avaient aussi été gagnés. Ramadan les avait fait consentir, pour sauver l’honneur du roi, d’avouer publiquement qu’ils étaient complices. Il leur promit que quoi qu’on les f t mettre en prison avec grand bruit & pour la forme, on les ferait sauver, & qu’on les comblerait de biens, pour aller vivre à leur aise en Egypte d’où ils étaient originaires. Sur cette promesse, ces misérables s’avouèrent com-plices dans les interrogatoires ; & dans le moment des Chiaoux postés à cet effet, les saisirent & les étranglèrent. Il y en eut un parmi eux, qui pour se venger de Ramadan qui les trahissait, ou gagné par le roi dont il espérait sa grâce, cria tout haut avant d’être saisi, que c’était par ordre de Ramadan que le prince Selim avait été étouffé. Barberousse ordonna en même temps qu’on étranglât Ramadan, qui fut exécuté sans avoir le loisir de se reconnaître, de même que son accusateur. Ainsi ce malheureux ministre, conf dent du crime de l’usurpateur, subit la peine que méritaient se mauvais conseils ; & Barberousse, sur qui les remords semblaient ne faire plus aucune impression, crut que rien ne s’opposerait plus à la conquête du cœur de la princesse. Pour faire éclater davantage sa prétendue justice, il f t attacher les têtes de tous ceux qui avaient été étranglés, aux murailles de son palais, & traîner leurs corps ignominieusement hors la ville, & f t courir là-dessus tel bruit qu’il jugea à propos pour sa justif cation.Les habitants d’Alger furent extrêmement sur-pris, que le tyran eût fait mourir son ministre & son plus cher conf dent, pour se laver d’un crime qu’on lui imputait, & cet acte prétendu de justice, sembla désabuser le public. Il n’y eut que Zaphira, qui pleine de jugement & de pénétration, ne donna point dans ce piège. Elle prit une ferme résolution de mourir plutôt, que de devenir l’épouse d’un tyran qui lui était en horreur. Barberousse tout glorieux de cette cruelle expédition, écrivit ainsi à la princesse.

      Le Roi d’Alger, à la princesse ZAPHIRA.

      « Me voilà lavé, belle & incomparable Zaphira, du crime affreux qu’on a osé m’imputer. J’ai fait mourir les complices qui l’ont eux-mêmes avoué. Leur prompt aveu a épargné bien du sang, car j’aurais plutôt fait périr tous mes sujets, que de ne pas satisfaire à mon honneur & à tes scrupules. Rien ne peut à présent t’empêcher de me donner la main. Hâte toi de régner avec plus d’éclat & d’empire que tu n’as fait, & tâche de redonner par moi à tes illustres aïeux, les vastes pays qu’ils avaient conquis par leur courage & la force de leurs armes ».

      La princesse qui s’attendait à de pareils dis-cours, & qui s’était fortif ée dans la résolution de résister, répondit sur le champ.


      L’infortunée ZAPHIRA au Roi d’Alger.

      « Seigneur, mes scrupules n’ont point cessé par le trépas de ces misérables, qui viennent d’expirer par tes ordres. L’ombre de mon mari me poursuit. Elle m’est apparue en songe cette nuit, par ordre du Prophète, & m’a dit que tu avais immolé des victi-mes innocentes, excepté Ramadan, lâche conseiller de la mort du prince Selim. Ainsi, seigneur, pour ne pas te tromper, je dois te dire que j’accepterai plutôt la mort que ta main, & que je m’estimerai heureuse d’être bientôt délivrée de ma misérable vie, si tu veux m’y contraindre & agir en tyran. Mais si tu es véritablement juste, ne me retiens pas comme une esclave ; au contraire ouvre moi à ma patrie avec toute sûreté, & accorde à mon illustre naissance & à mon rang la justice que je mérite. »

      Barberousse fut au désespoir des sentiments de la princesse. Il entra en fureur, & résolut d’em-ployer toute sorte de moyens pour la réduire de gré ou de force. Elle s’attendait à une telle visite, en étant avertie par les esclaves que le roi avait mis auprès de cette princesse. Elle le vit entrer avec mépris, & lui dit d’un ton ferme, quoi qu’af-f igé : Eh bien seigneur, viens-tu m’annoncer la mort ? J’y suis préparée. Epargne toi la peine de vouloir me séduire par des promesses ou par des menaces. Elle serait inutile, & je te demande moi-même la mort ou la liberté. C’est le seul moyen de me plaire ; & puisque tu as été assez inhumain & assez perf de pour m’ôter mon mari & la gloire qui l’environnait, ce ne sera plus qu’un demi crime, de m’ôter la vie. Barberousse fut saisi de ce discours, prononcé avec toute la f erté d’une personne qui ne ménage plus rien, qu’il demeura pendant quelques temps confus, interdit & sans pouvoir proférer une seule parole : mais revenant à lui il employa les termes les plus doux pour apaiser la princesse. Ses soumis-sions ne servirent qu’à irriter Zaphira, qui pleine d’une noble & généreuse audace, l’accabla des reproches les plus sanglants, & lui fit perdre toute espérance de la gagner. La passion du tyran irrité n’eut plus de frein, & son amour se changeant en fureur, il accabla Zaphira d’injures & de menaces, & se retira en lui accordant encore vingt-quatre heures pour se résoudre à l’épouser. L’affligée princesse fut plus troublée par la hauteur avec laquelle son tyran lui avait parlé, que la crainte que ses mauvais traitements pouvaient lui inspirer. Elle jugea bien qu’il fallait absolument se rendre ou périr, & c’est sur ce sujet qu’elle eut un terrible combat à livrer à ses femmes, qui f rent tout ce qu’elles purent pour la porter, au moins, à feindre pour gagner du temps; non seulement toute son éloquence fut inutile, mais encore, le courage & la ferme résolution de Zaphira leur f rent changer de sentiment. Elles auraient toutes voulu mourir pour leur maîtresse, & il ne leur restait plus qu’un léger espoir de voir le tyran radouci. Cependant la princesse qui s’attendait à avoir une rude scènes à soutenir le lendemain, mit un poignard sous sa robe, & prépara une dose de violent poison, pour ne pas survivre à l’affront qu’elle craignait de Barberousse, ou pour le préve-nir. Le roi qui avait pris une violente résolution de la posséder à quelque prix que ce fût, se rendit dans sa chambre le lendemain, à la même heure que le jour précédent. Avant que de se faire voir à la princesse, il fit appeler toutes ses femmes, sous quelque prétexte, & les ayant fait mettre sous clef, il entra & ferma la porte de la chambre où la princesse était assise, sur son sofa, les larmes aux yeux & le cœur pénétré de douleur. Barberousse employa encore la douceur pour la porter à se rendre ; mais elle lui ayant répondu dans les termes que la rage et le désespoir sont capables d’inspirer à une femme outragée, il ne garda plus aucune mesure & se jeta sur elle pour s’en rendre maître. Cette héroïne se saisit du poignard qu’elle tenait prêt, & voulut le lui enfoncer dans le cœur. Mais le tyran ayant paré le coup, ne reçut qu’une blessure au bras dont-il fut fort irrité. Il la laissa un moment pour bander sa plaie, dans la résolution de s’en venger en se rendant maître de sa personne : mais comme il se préparait à faire entrer un de ses satellites, qui était de garde à la porte de la chambre, afin de désarmer Zaphira qu’il ne ménager plus que pour la déshono-rer, elle avala le poison qu’elle avait préparé, & qui la fit expirer peu de temps après. Barberousse se vengea contre les femmes de la princesse, qu’il f t toutes étrangler. Il les fit enterrer secrètement avec leur maîtresse, & f t courir le bruit qu’elles s’étaient évadées de son insu & déguisées.

      Extrait du livre "Histoire du royaume d'Alger" 1725
      The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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      • #4
        mezzo-morto
        l'histoire a l'air attrayante. j'ai entendu parler du triste sort de la princesse Zaphira, mais je ne connais pas tous les détails de l'histoire.
        je vais imprimer l'histoire et la lire à tete reposée.
        merci pour de la partager avec nous.

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        • #5
          Je n'en ai jamais entendu parler.
          Sauf de la voiture...

          Merci pour le partage

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          • #6
            salam

            merci je connaissait pas cette saphira

            makhlouka merci pour l'idée d'imprimer et lire ce papier je viens de le faire

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            • #7
              J'ai lu tout ce que tu as posté hier, c'est passionnant et très intéressant. Même si historiographiquement c'est à revoir, normal pour un écrit de 1725. ^^ Barberousse Arujd est durement attaqué dans cet écrit comme un monstre, les derniers travaux d'historiens relativisent tout cela. En tout cas, la princesse Zaphira d'Alger est une femme d'exception.
              Ya Allah, al Aziz, al Hakim. a7fadh jazair wa al maghareb al kabir

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              • #8
                Barberousse Arujd est durement attaqué dans cet écrit comme un monstre, les derniers travaux d'historiens relativisent tout cela. En tout cas, la princesse Zaphira d'Alger est une femme d'exception.
                dommage c'est le seul but de l'article!!

                pour la princesse zaphira je pense pas qu'elle a existait, ou au moins sous ce prénom, une algérienne ne s’appellera pas ainsi, ça rime avec un mot qui a une mauvaise signification dans notre vocabulaire

                zafira = zefra = mauvaise audeur

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                • #9
                  Rien d'étonnant pour un écrit de 1725, en effet NAW. On voit clairement que l'auteur est extrêmement dur contre Arujd Barberousse. Les travaux beaucoup plus récent nous apporte un éclairage plus sérieux, et moins fantasmée. ^^

                  Néanmoins l'auteur à le mérite de raconter une histoire digne des mille et une nuits.



                  Zaphira est un nom arabe assez connu, il vient tout simplement de "Zaphir", en français Saphir qui est le nom de la pierre précieuse.
                  http://fr.wiktionary.org/wiki/saphir
                  Ya Allah, al Aziz, al Hakim. a7fadh jazair wa al maghareb al kabir

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                  • #10
                    Clarification

                    ce n'est pas un article mais presque un chapitre d'un livre qui relate l'histoire des different roi d'alger pendant la periode des Rais ecrit a la base de temoignages receuilli par l'auteur sans etudes dignes de ce nom.
                    L'auteur ou les auteurs de tels ecrits, sauf quelques exceptions vouaient une haine et un mepris total contre cette ville qui leur a cause pendant des siecles de gros problemes financiers, politiques et securitaires. Ces puissances europeenes avec tout leur savoir et leur technologie n'ont pas pu venir a bout d'une petite ville dirigees seon eux par des barbaresques mohametans.
                    Prochainement je posterai le recit des deux canons de Simon Danza

                    Il est vrai que la valeur historicale de ce genre de livre (auteur, reference etc.) peut ne pas etre validee ( c pas a moi de le faire) mais le fait est que cette periode de notre histoire n'a pas beneficie d'etudes serieuses de notre part (algerien) sauf quelques essais peut etre. N'empeche que les faits majeurs sont connus et averes (Aruj a bien elimine Selim Prince d'Alger pour prendre la ville et les lettres echangees entre lui et Zaphira sont archivees).
                    Le but de mes posts n'est pas d'affirmer ou de contester la valeur des livres que je cite mais de partager avec vous leur contenu et le cas echeant enrichir ce pan d'histoire qui est habille par des legendes et des contre verites.
                    ce que je retien personnellement de mon post est la resistance de Zaphira apparement meconnue de sa descendance:22:.
                    The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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                    • #11
                      Merci mezzo pour ton point.

                      Mais il y a des travaux en français sur cette période de l'histoire, regarde du côté de l'historien Jacques Heers qui a écrits sur les Barbaresques. Il y a même une biographie sérieuse de Barberousse si je ne m'abuse.
                      Ya Allah, al Aziz, al Hakim. a7fadh jazair wa al maghareb al kabir

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