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Revue TUNISIENNE
Par Hanène Zbiss
EXCLUSIF:Reportage au Sahara occidental Un monde de paradoxes !
Alors que la polémique bat son plein autour du maintien de Christopher Ross, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, après que le Maroc lui a retiré sa confiance, la vie dans les campements des réfugiés près de Tindouf continue d’une façon habituelle, monotone, animée par une longue attente d’une solution qui tarde à venir. Reportage
«Comme des fourmis bloquées dans le fond d’une bouteille en verre. Chaque fois, qu’elles arrivent à la bouche de la bouteille, elles sont refoulées. Elles glissent et reprennent de nouveau le chemin», c’est ainsi qu’Abida, activiste sahraoui, qualifie le combat tragique et «sisyphien» de son peuple dans les campements près de Tindouf en Algérie.
Bienvenue à la «Hamada», un plateau des plus arides, où il n’y a ni eau, ni oasis, avec des températures qui peuvent atteindre en été les 50 et 55 °c. C’est dans cet endroit qu’ont été implantées les tentes des premiers réfugiés sahraouis, fuyant au début de 1976 les forces marocaines.
Entre la cruauté de la nature et celle de l‘histoire
Rappelons que le Sahara occidental était au début occupé par les Espagnols. Sous pression de l’ONU, Madrid a promis en 1974 d’organiser un référendum pour décider du statut de ce territoire. A la demande du Maroc, la Cour internationale de la Haye s’est saisie de la question et a fini par donner son avis favorable quant à l’application de la résolution 1514 de l’ONU sur la décolonisation du Sahara occidental et du principe d’autodétermination des populations du territoire. Cela n’a pas empêché le Maroc d’organiser la fameuse «Marche Verte» en mobilisant 350 000 civils sur Laâyoune pour récupérer le Sahara occidental. Le Conseil de Sécurité a condamné cet acte mais n’est pas intervenu. Ensuite, il y eu la signature des accords de Madrid en novembre 1975 où l’Espagne a cédé le Sahara occidental au Maroc et à la Mauritanie, ce que l’ONU a considéré comme non recevable en regard du droit international. Le Front Polisario, né en mai 1973, a mené la guerre contre les deux forces. Un cessez-le-feu a été signé avec la Mauritanie et le combat s’est intensifié avec le Maroc, lequel a annexé les territoires cédés par cette dernière. Après une longue guerre, l’ONU a décidé en 1991 un cessez-le-feu et un référendum, tout en créant la MINURSU (Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental). Depuis, la situation stagne.
En s’installant au début de 1976 dans les camps, les réfugiés sahraouis ne pensaient pas qu’ils allaient y passer une trentaine d’années, sans savoir encore quand est ce qu’ils allaient quitter ces territoires. Aujourd’hui, on compte cinq grands camps : 27 février, Dhakla, Smara, Aousserd et Lâayoune, nommés suivant les villes sahraouies qui sont sous occupation marocaine. La population est estimée à 166 000 personnes, par les Sahraouis et à 90.000 par les Marocains. Il n’y a pas de chiffres exacts, en l’absence d’un recensement que devait organiser la MINURSU, en vue de préparer le référendum.
Depuis 21 ans déjà que le peuple sahraoui, vit dans une situation de «ni guerre, ni paix», dans l’espérance d’une solution politique à son problème après la déclaration du cessez-le-feu entre le Front Polisario et les forces armées marocaines en 1991.
Pas facile de vivre dans ces conditions, à la merci des aides humanitaires, avec un statut permanent de réfugié ! Et pourtant, les sahraouis du plus jeune au plus vieux, croient dur comme fer qu’un jour, ils reviendront sur leurs terres et auront leur Etat libre et indépendant.
Et pourtant, l’Etat existe !
Leur situation d’attentisme ne les a pas empêché de profiter du temps pour créer déjà les structures de l’Etat : un Président, un parlement, un Secrétariat général du Polisario qui se réunit chaque 4 ans, un gouvernement, des wilayas (gouvernorats) et des «dayra» (des mairies). Le tout élu au suffrage universel. Un vrai débat existe entre la base et le leadership politique, à travers les comités populaires.
En décembre dernier, s’est tenu le 13ème congrès du Polisario ayant abouti au renouvèlement de la composition du secrétariat général qui a réélu le président Mohamed Abdelaziz, lequel a désigné un premier ministre, chargé de composer le gouvernement. Des élections législatives sont prévues très prochainement suivies d’élections municipales. On a du mal à imaginer un Etat dans un campement de réfugiés, sur un territoire aride et désertique ! Et pourtant, cela existe ! C’est le premier “miracle” qu’on rencontre ici. Car, il faut bien l’avouer, on est bien dans un monde de paradoxes !
Au “Camp 27 février”, où nous étions hébergés chez les Sahraouis, il y a des tentes et des maisons en argile à perte de vue dans le large désert. A première vue, tout respire la misère, mais en s’approchant davantage et en se promenant à l’intérieur du camp, il n’est pas rare de croiser des voitures de marque, Mercedes, des 4x4, des Land Rover et des Toyota, des véhicules très appréciés ici pour leurs moteurs résistants à tout type de relief. Il n’est pas rare aussi de trouver des boutiques qui vendent de tout : de l’alimentaire, aux cartes téléphoniques, aux pièces de rechange, aux vêtements…Il y a par ailleurs des endroits pour faire des photocopies, des cybers cafés, des restaurants, des cafés, des magasins d’électroménager… Enfin, tout ce qu’il faut pour un semblant de vie décente, ou du moins pour faire oublier la difficile réalité des camps !
En visitant ensuite les habitations, les disparités sont énormes entre ceux qui habitent encore dans les tentes et ceux qui se sont permis le luxe de construire des maisons en argile et entre des sahraouis qui possèdent un climatiseur, un frigo, une télé, un four électrique et ceux qui n’ont rien. Mais d’une façon générale, le niveau de vie s’est nettement amélioré par rapport au passé, nous informe-t-on. Plusieurs sahraouis ont lancé de petits commerces, faisant travailler d’autres. La deuxième et la troisième générations sont allées travailler à l’étranger, notamment en Espagne, en France et en Algérie, contribuant ainsi à répondre aux besoins de leurs familles dans les camps. Cela n’empêche que tous conservent leurs droits à l’aide humanitaire puisqu’ils maintiennent un statut de réfugiés. Saleh Soboh, administrateur de terrain pour la protection au Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), se félicite de cette amélioration du niveau de vie, car lui, qui a travaillé longtemps ici, sait très bien que l’aide humanitaire est insuffisante et elle risque de l’être davantage dans les années à venir à cause de la crise économique mondiale. «Notre mission est de leur donner de quoi survivre. C’est bien qu’ils s’arrangent pour combler le manque qui reste». Il avoue qu’il s’agit là de réfugiés exemplaires qui sont très patients, disciplinés, éduqués et qui ne s’insurgent jamais contre leur situation, pourtant difficile et insupportable. Leur volontarisme et leur courage sont sans égal. Ils cherchent constamment à vivre dans des conditions meilleures. Ainsi, Soboh raconte comment ils ont commencé par construire des cuisines en briques d’argile dans leurs tentes pour éviter les incendies et que, petit à petit, ils ont bâti de vraies maisons, malgré le manque de ressources. Cela date de quelques années auparavant, car jusque-là ils refusaient tout luxe en pensant que leur situation n’est que provisoire. Ils ont dû se résigner devant une réalité qui n’est pas en leur faveur.
L’éducation : une priorité
Pourtant, «résignation» n’est pas le mot pour qualifier le courage de ce peuple qui a réussi à créer des merveilles dans un désert : des écoles partout, des crèches et des jardins d’enfants, des centres pour handicapés, des centres de formation, des écoles de langues, des hôpitaux, une chaine de télé et une radio nationales, des radios régionales, des journaux, des musées, une maison d’édition, en plus d’un tissu associatif très dense et très dynamique. Un vrai Etat avec toutes ses institutions de pouvoir et de contre pouvoir sur la Hamada de Tindouf ! Le tout fonctionne pratiquement sur la base du volontariat. Tout réfugié participe à la gestion des camps, en intégrant les différentes institutions. En général, les Sahraouis, sont bien éduqués avec un taux d’alphabétisation qui frôle les 90%. L’école est obligatoire pour les deux sexes. Mais avant, il faut passer par le jardin d’enfants où la majorité des bambins sont envoyés. Nous avons visité le «jardin d’enfant Al Ghouth Souilem» à Smara (le plus grand camp). Trois cents chérubins y vont chaque jour pour y passer la matinée où ils bénéficient aussi du petit déjeuner. 27 éducatrices y travaillent en comptant beaucoup sur leur propre créativité pour éduquer les enfants car il n’y a pas un vrai programme pédagogique, ni suffisamment d‘instruments d’enseignement, en plus d’un salaire dérisoire équivalent à 3 Dinars 500 millimes en monnaie tunisienne, reçu chaque quatre mois. Néanmoins et pour rien au monde, ces éducatrices n’abonneraient leur job ! D’abord parce qu’elles tiennent à leur autonomie, ensuite parce qu’elles sont conscientes qu’elles rendent service à la communauté, en éduquant les enfants et en les gardant pour que leurs mères puissent travailler.
Ce même esprit de volontarisme anime les institutrices du collège 17 juin à Smara qui faisaient passer les examens aux élèves, le jour de notre arrivée. Khadija Mahdi, inspecteur général de l’éducation explique à quel point l’école manque d’instruments pédagogiques, de moyens, d’ordinateurs (tous en panne) et que tout fonctionne grâce à la volonté du cadre enseignant. Cet établissement a été construit grâce à l’aide autrichienne qui n’arrive pas à subvenir à tous les besoins.
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