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Zulpha la Belle

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  • Zulpha la Belle

    En 1680 un turc fort riche nommé Hagi Seremeth Effendi, qui avait été un chef d’un parti contre le pacha d’Égypte, ayant eu le dessous & craignant pour sa tête, prit la fuite, & se réfugia à Alger où il apporta beaucoup de bien. Il y vivait avec plus de distinction qu’aucun autre ; & sans briguer aucun emploi dans le gouvernement, il résolut d’y mener une vie privée agréable, & libre de toute ambi-tion & de soins. Il y acheta des terres, beaucoup d’esclaves, & y épousa plusieurs femmes, c’était un homme des plus laids de visage qu’on puisse s’imaginer, extraordinairement gros & grand ; mais comme il était opulent, il faisait demander les plus belles f lles en mariage. On les lui accordait facile-ment & avec plaisir ; tant à cause de ses richesses, que de l’honneur que fait l’alliance d’un turc aux gens du pays. Hagi-seremeth avait été général de l’artillerie du grand seigneur, sous le règne de Mahomet IV & s’était signalé dans plusieurs combats. Il avait été bel homme & aimé des femmes ; mais un accident imprévu, un baril de poudre ayant pris feu auprès de lui à l’armée, il eut tout le visage, les bras & les mains brûlés. Il ne lui restait ni sourcils, ni paupières : ce n’étaient que des cicatrices rouges qui bor-daient ces yeux, & qui lui couvraient le visage. Son nez était tout noir de grains de poudre, qui l’avaient couvert & pénétré, n’ayant pas été d’abord traité avec toute l’attention que le mal le demandait. Il avait des cicatrices à chaque côté de la bouche, qui faisaient paraître sa tête cousue en deux. Il n’avait point de cheveux, & sa tête, qui avait été la plus maltraitée par l’embrasement du turban, était encore plaine de plaies qui sentaient mauvais : sa barbe & sa moustache ne constituaient qu’en quel-ques poils séparés par des cicatrices ; en un mot il était aussi laid qu’un homme puisse l’être. Il fut informé par ses émissaires, qu’un jardinier avait une fille de 12 ans, qui était d’une beauté supérieure à tout ce qu’on pouvait lui en dire. Il la f t demander en mariage à ses parents, qui lui répondirent aussi favorablement qu’il l’espérait. Il l’épousa, & dès qu’il l’eut vue il en fut si trans-porté qu’il f t un présent considérable à son beau-père, de manière qu’il le mit à son aise. La fille au contraire, qui s’attendait à être des plus heureuses, & à laquelle on avait caché la laideur de son mari, fut si surprise de la voir, qu’elle s’évanouit & tomba malade. Elle n’osait témoigner la cause de son mal, & versait continuellement des larmes qu’elle ne pouvait retenir. Son mari en pénétrait bien le motif, qui irrita davantage la passion qu’il avait pour cette jeune beauté. Il espéra par ses soins & sa complai-sance, de se faire souffrir d’elle avec le temps, & ne pensait qu’à s’en faire aimer, pour être le plus heureux mortel qui fut sur la terre. Il donnait toute son attention à cette femme ; il la prévenait en tout dans ses besoins ; & il n’épargnait rien de tout ce qu’il jugeait pouvoir lui faire plaisir. Il était doux avec elle ; il la f attait en toutes choses, & entre autres, il lui promettait que lorsqu’elle aurait pour lui la complaisance qu’il devait attendre d’une femme, il répudierait toutes ses autres femmes & la garderait seule ; qu’il lui donnerait nombre d’es-claves, des commodités & des agréments qu’elle ne connaissait pas encore ; qu’elle paraîtrait avec distinction ; en un mot qu’elle serait la maîtresse de tout son bien. Les parentes de la femme, de leur côté, tâchaient de la consoler. Elles lui répétaient souvent qu’elle ne connaissait pas son bonheur, & que toutes les f lles enviaient son sort ; parce qu’elle avait épousé un seigneur turc, d’ailleurs puissam-ment riche, & qui parviendrait aisément à être dey, s’il voulait entrer dans la milice & dans les char-ges du gouvernement ; & que dès à présent Hagi Seremeth protégeait la famille de manière qu’elle n’avait plus rien à désirer. Elle sembla se rendre à ces raisons, ses larmes cessèrent, l’ambition sus-pendit ses douleurs ; & ne connaissant point encore la tendresse, elle résolut de vaincre l’aversion qu’elle avait pour son mari, croyant ce triomphe plus facile qu’il n’était. Elle guérit de sa maladie,& un an après son mariage ayant recouvré un peu de son embonpoint & de ses forces, le mari charmé de sa conquête, voulut consommer le mariage. Mais il ne put le faire à cause de la disproportion de leurs corps, dont l’un était celui d’un géant au prix de l’autre qui était petit, mignon & tendre. Cet essai renouvela les douleurs & les chagrins de la belle ; elle le témoigna à son mari par des évanouisse-ments fréquents & des larmes continuelles. Elle n’avait encore osé parler à son mari, tant parce que les maures sont élevés à regarder les turcs avec un respect & une crainte inf nie, comme leurs maîtres & leurs souverains, que parce qu’elle ne pouvait souffrir ses regards qui étaient affreux ; mais dans cette occasion, le désespoir l’enhardit. Elle lui demanda en tremblant, s’il voulait être son bourreau, & si c’était ainsi qu’il aimait les gens & qu’on les rendait heureux. Elle ajouta, que sa mère l’avait bien instruite des devoirs du mariage, & de ce qui pouvait s’ensuivre ; mais que ne pouvant souffrir sa compagnie, il devait y avoir égard, & attendre que le temps le permit, & que s’il s’obsti-nait à vouloir consommer le mariage, elle mourrait infailliblement. Elle le supplia de ne point la jeter dans un désespoir, dont elle ne reviendrait peut-être pas ; & elle l’assura que la vie, à ce prix, lui étant insupportable, elle ne ménagerait plus rien & qu’elle prendrait du poison pour f nir des jours si misérables. Seremeth se rendit à ces raisons, touché au vif des larmes de la belle enfant, malgré sa passion qui s’irritait de plus en plus, par les obstacles qui s’opposaient à l’accomplissement de ses désirs. Mais de peur que sa femme ne deman-dât à être répudiée, il la conjura de déclarer que le mariage était consommé, d’étaler la chemise san-glante & de recevoir les visites de félicitation à ce sujet, comme il est d’usage parmi les mahométans. Elle le fit, y étant d’ailleurs forcée par tous ses parents , qui la menaçaient de l’abandonner & de la rendre malheureuse, si elle obligeait son mari à la répudier, & elle fut comblée de présents de son mari & de ses amies. Seremeth tint sa parole, mais étant animé de colère & de rage contre le sort qui l’avait enlaidi, & fait si disproportionné à celle qu’il aimait si passionnément, il devint hargneux & insupportable dans sa maison. Il négligeait ses autres femmes, qui avaient fait l’objet de son atten-tion, & qui avaient été toutes contentes de lui. Il les grondait, il les maltraitait sur le moindre prétexte, il ne faisait plus les mêmes dépenses pour elles ; en un mot, tout était bouleversé, & cet homme terrible était plus doux qu’un agneau avec celle qui le détestait. Il restait auprès d’elle autant de temps qu’il était possible ; & ne pouvant la posséder, il se soulageait auprès d’elle le mieux qu’il pouvait. Il comblait de présents les esclaves qui servaient sa femme, af n qu’elles la portassent à répondre à son inclination. Mais c’était en vain, car elles le haïssaient autant qu’elles aimaient la jeune femme, dont la triste situation attirait leur pitié & leur tendresse. Toute la réponse qu’il en tirait, c’était qu’avec le temps tout irait bien, & il passait ainsi ses jours dans des espérances séduisantes qui le cal-maient un peu. La belle était dans sa 14ème année, lorsque Seremeth fut obligé d’aller à l’armée, où le dey fut en personne pour combattre les trou-pes du roi de Maroc, qui était sur les frontières du royaume d’Alger. Il ne put refuser de marcher dans cette expédition, où toutes les personnes considéra-bles du gouvernement allaient ; & s’il été resté sans raison légitime, on lui aurait ôté la vie & les biens, sous prétexte qu’abusant de la protection du deylik, il voulait rester dans la ville pour s’en emparer. La jeune femme ne se réjouit jamais tant qu’en appre-nant cette nouvelle, espérant que la bravoure de son mari & la multitude des ennemis que les algériens avaient à combattre, pourraient l’en délivrer. Elle f t la malade & dit à Seremeth, qu’elle était bien mor-tif ée qu’il partit sans être venu à bout de ses désirs, parce qu’ils étaient justes ; qu’elle voudrait bien y contribuer, mais qu’au retour de l’armée, elle espé-rait d’être en état de le satisfaire. Seremeth y con-sentit, ne voulant point la tourmenter, & s’attirer pendant son absence ce que les hommes craignaient tant, & surtout les turcs. Il partit après lui avoir témoigné le chagrin qu’il avait de se séparer d’elle, & la conjura de vaincre l’aversion qu’elle avait pour lui, en lui faisant considérer l’honneur & l’avantage qui lui revenaient d’être sa femme. En prenant congé de ses autres femmes, il leur défendit, sous des grandes peines, de causer le moindre chagrin à la belle Zulpha ; c’était le nom de cette jeune femme infortunée. Il leur ordonna de lui faire la cour, les assurant que de là dépendait tout leur bonheur. Il leur promit même, que si elles pouvaient vaincre sa prévention contre lui, il leur aurait beaucoup d’obligation, & les récompenserait si bien qu’elles ne s’en repentiraient pas. Il ajouta que lorsqu’il serait content, sa nou-velle tendresse allumée par la résistance & la diff culté, se ralentirait sans doute, & qu’il ne donnerait plus à cette jeune femme une préférence qui n’était pas véritablement juste ; mais qu’alors il partagerait son temps avec toutes, comme il avait accoutumé de faire auparavant. Elles lui promirent de faire tout ce qu’il souhaitait ; mais elle complo-tèrent sur le champ pour perdre Zulpha. Elles ne songèrent plus qu’à chercher les occasions pour la faire trouver coupable, af n de tirer vengeance du tort que sa beauté leur avait fait, & pour satisfaire à leur dévorante jalousie. Dès que Seremeth fut parti, elles tinrent compagnie à la belle, elles l’accablèrent de caresses feintes ; & comme elles avaient appris tout ce qui s’était passé par las esclaves qui la servaient, & même par leur mari, elles lui témoignèrent le chagrin qu’elles avaient de sa situation. Elles la consolèrent avec tant de démonstrations d’amitié & de feinte ouverture de cœur, que la jeune femme oublia bientôt ses chagrins passés & ceux qu’elle avait appréhendé & se conf a entièrement à ses rivales ennemis. Elles surent enf n lui arracher son secret & découvrir tous ses sentiments & toutes ses pensées, pour en prof ter dans l’occasion. Seremeth avait depuis un an un esclave âgé seulement de seize ans. Il était f ls d’un négociant portugais qui passait pour chrétien, mais qui était juif & judaïsait en secret, quoi qu’il fît publique-ment les exercices du christianisme.
    The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

  • #2
    Le fils avait été circoncis, & élevé à vivre de même que le père; de sorte que ne se déclarant pas, il était regardé comme chrétien. Seremeth aimait cet enfant comme il aurait fait une maîtresse, & le menait toujours avec lui richement habillé, espérant de se l’attacher par de bons traitements, & de le porter à se faire mahométan. Il l’aurait volontiers mené à l’armée ; mais cet esclave étant tombé malade lors de son départ, il fut contraint de le laisser. Il lui donna deux esclaves pour le servir, & recommanda à ses femmes d’en faire prendre un grand soin, parce que, disait-il, ce jeune homme était f le d’un riche marchand, & qu’il en espérait une rançon assez considérable pour en acheter cinq ou six autres. Il ordonna qu’on le fit aller à une de ses maisons de campagne, dès qu’il serait bien, af n que le jardinier l’occupât jusqu’à son retour. Il y avait dans la maison une esclave vénitienne, devenue mahométane, qui avait suivi Seremeth, dans sa fuit d’Égypte, & dont il avait eu plusieurs enfants. Cette vénitienne avait l’inspection de la maison, comme une maîtresse d’hôtel. Elle était sous les ordres des femmes de Seremeth, qui la fai-saient souvent maltraiter lorsqu’elle ne faisait pas les choses à leur fantaisie, & la menaçaient de la faire chasser, ce qui était le plus grand malheur qui pouvait lui arriver sur ses vieux jours, & ce qu’elle craignait le plus. Ainsi cette pauvre esclave, qu’on appelait Fatima, tâchait de les contenter le mieux qu’elle pouvait. L’esclave portugais étant en convalescence, Fatima le nettoya, le lava, le purif a & lui donna le parfum. Elle fut touchée de voir un si beau garçon dans l’esclavage, & à la discrétion de Seremeth. Un soir qu’elle rendait compte aux femmes, qui étaient au nombre de cinq, de ce qui s’était passé dans la maison & au dehors pendant la journée & qu’elle les amusait par ses contes de ce qui s’était passé en Levant lorsqu’elle y était, comme elle faisait ordi-nairement tous les soirs, elle ne put s’empêcher de leur parler du jeune portugais. Elle les assura avec des transports d’admiration, qu’on ne pouvait voir un plus beau corps que le sien, & qu’il aurait été d’une dangereuse tentation pour elle si elle était dans un âge à avoir des désirs. Les femmes à ce récit furent piquées de la curiosité de le voir, & le dirent en riant à la gouvernante. Elle qui cherchait à s’en faire supporter, ne demanda pas mieux que d’être maîtresse d’un secret de cette importance, pour être plus ménagée qu’elle ne l’était ordinairement. Elle leur dit qu’elle trouverait le moyen de l’introduire dans une de leur chambres sans qu’aucun des autres esclaves le sût. Les femmes f rent quelques diffculté de le souffrir, sous prétexte que cette action de curiosité tirerait à conséquence, si Seremeth en était informé, mais Fatima les assurant d’un secret inviolable de sa part, elles y consentirent à ce prix. Elle introduisit la même nuit, l’esclave dans un appartement où elles se rendaient tous les soirs. Dès que tous les domestiques furent couchés, elles vérif èrent ce que Fatima leur avait dit ; elles badinèrent sur ce sujet pendant longtemps, & enf n elles demandèrent au beau portugais laquelle des cinq lui plairait le plus. L’esclave déjà trop confus ne demanda qu’à sortir ; il ne voulait pas parler, & craignait d’en trop dire. Mais ayant été rassuré par les femmes, qui lui f rent entendre qu’il ne devait rien craindre, & que c’était pour rire & sans conséquence qu’on lui faisait poser cette question, cela l’enhardit à se déclarer pour la belle Zulpha, qui de son côté souhaitait cette réponse, ayant été touchée de la beauté du garçon, dont elle fit d’abord la comparaison avec la laideur de Seremeth. Les autres femmes le renvoyèrent avec une espèce de dépit, & dirent à fatima que c’était assez badiné & qu’elle ne m’amenât plus : ce qui f t beaucoup de peine à la jeune femme qui était éprise. Le lendemain Zulpha se trouvant seule avec la gouvernante, lui demanda des nouvelles de la santé du bel esclave, en ajoutant quelques réflexions sur le sort qui l’avait réduit dans la captivité, dans un temps qu’il pourrait peut-être faire les délices de quelque femme. La gouvernante répondit qu’il se portait bien, & que selon les ordres de Seremeth, il devait bientôt partir pour la campagne, afin de tra-vailler avec le jardinier, à qui son maître avait bien recommandé avant son départ, de le bien ménager. La belle Zulpha lui répliqua, qu’il pourrait retomber malade, s’il allait au travail avec une santé si faible ; que ce serait rendre un service agréable à Seremeth de la lui conserver, parce qu’il l’aimait beaucoup, & qu’il en espérait une rançon considé-rable : qu’elle lui conseillait de le retenir à la ville encore quelques temps, & de lui faire même garder la chambre, tant que sa santé serait faible. La rusée gouvernante était trop faite aux intrigues pour ne pas connaître par les discours de Zulpha, que la part qu’elle prenait à la conversation de la santé de l’esclave, ne venait ni pitié, ni d’affection pour les intérêts de Seremeth, mais plutôt d’une tendresse que cette jeune & timide beauté tâchait de voiler aux autres & de se cacher à elle même. Elle voulut approfondir ce que Zulpha pensait, persuadée que ce secret lui donnerait un petit empire sur sa maî-tresse, dont elle prof terait dans l’occasion. Effectivement elle feignit de se rendre aux raisons que la pitié semblait dicter à Zulpha, qui faisait de plus en plus des caresses & des présents à Fatima. On croyait que l’esclave n’attendait que d’avoir réparé ses forces pour retourner à la campagne, où il se plaisait plus à la ville, avant que d’avoir vu Zulpha; mais depuis ce temps là il ne parlait plus d’y aller, & il restait au logis avec beaucoup de patience ; surtout depuis que pour pénétrer se sentiments, Fatima lui avait dit, que Zulpha s’intéressait à sa santé, il feignait toujours au contraire quelque indis-position ; ce qui conf rma si bien Fatima dans son opinion, qu’elle résolut de lui arracher l’aveu de sa passion. Un jour elle lui dit, en riant ; Ferdinand je vois bien que vous êtes malade, mais ce n’est pas de la maladie que vous me dites ; & si vous conti-nuez comme vous faites, à ne point manger & à ne point dormir, vous pourrez le devenir tout de bon. Il y a longtemps que je vis : j’ai été esclave à Constantinople dès l’âge de 13 ans : Seremeth qui m’acheta dans la suite, m’a fait voyager en bien des endroits, j’ai beaucoup appris, & je sais qu’en tous maux, il y a du remède. Je vois bien que vous êtes amoureux de la belle Zulpha, & qu’elle fait toute votre occupation, comme elle mérite celle de tous les hommes par sa beauté & par ses belles quali-tés. Je sais qu’elle vous aime aussi. Voilà d’abord de quoi soulager votre mal. Mais comme ce n’est pas assez d’être aimé, & que vous aspirez sans doute au seul bonheur de la vie, qui est de posséder ce qu’on aime, cela vous inquiète par les difficultés qui se présentent à vous : parce que votre jeunesse & votre peu d’expérience ne vous font voir que les obstacles insurmontables, qui s’op-posent à votre félicité. Mais si vous voulez vous conf er à moi, je vous ferai voir que la possession d’une personne qu’on aime, n’est pas si dificile que celle de son cœur. Sur cela elle lui raconta plu-sieurs aventures arrivées à des esclaves, qui étaient dans la même situation que lui, & qui avec un peu de patience étaient venus à bout de leurs desseins. Ferdinand avala le poison flatteur que Fatima lui glissa si subtilement, & lui avoua que depuis qu’il avait vu Zulpha, il en était si touché qu’il n’était plus le même, & qu’il croyait que les femmes de Seremeth avaient fait pour le tourmenter quelque sortilège dans un biscuit q’elles lui donnèrent avec du sorbet ; que véritablement il ne se souciait plus de rien au monde, & que malgré lui il songeait toujours à Zulpha ; qu’il voulait bien lui conf er sa passion, étant persuadé pourtant que si Seremeth venait à le savoir, il serait perdu ; mais qu’il aimait autant mourir que de rester plus longtemps dans la situation terrible où il était. La gouvernante lui dit que le mal n’était pas sans remède, qu’il avait bien fait de décharger son cœur, qu’elle prendrait soin de cette affaire, & qu’il pouvait être tranquille. Elle fut voir Zulpha à son ordinaire, qui lui demanda des nouvelles du pauvre esclave. Elle lui répondit, qu’il était fort malade, mais que son mal ne serait rien, si elle voulait. La belle rougit à cette réponse ; & faignant de ne pas comprendre ce qu’elle vou-lait dire, elle lui répliqua qu’elle ne savait aucun remède ; que si elle en savait elle le lui donnerait d’autant plus volontiers, que son mari aimait beau-coup cet esclave, & qu’il en espérait beaucoup d’argent pour sa rançon. Fatima persuadée de plus en plus que Zulpha l’aimait, lui dit qu’elle avait par subtilité pénétré le secret de l’esclave, qui lui avait fait l’aveu d’une forte passion pour elle ; que Zulpha ne devait plus feindre, qu’elle seule pouvait les rendre heureux par son habileté, & qu ‘elle lui conseillait de s’y conf er sans aucune crainte. La belle se défendit pendant quelques temps, mais à la f n, elle lui avoua, les larmes aux yeux, qu’elle n’avait pu s’empêcher de l’aimer. Et si vous voulez me favoriser, dit-elle à Fatima, je vous promets & je vous jure par tout ce qu’il y a de plus terrible, que vous ne manquerez jamais de rien, tant que j’aurai quelque chose. Mais j’ai besoin de vos soins & de vos conseils, & je m’y abandonne entièrement, d’autant mieux que j’aime autant risquer de mourir que d’être à Seremeth, que je hais & que je déteste. Si je puis trouver le moyen de m’enfuir avec Fer-dinand en quelque endroit du monde que ce soit, mon sort me semblera toujours très doux, en com-paraison de celui qui m’est préparé, & que j’ai commencé à ressentir. La gouvernante lui promit merveille, & surtout un secret inviolable. Elle était habile à conduire des intrigues ; & elle y était si fort accoutumée, qu’elle ne pouvait s’en passer, quelque risque qu’il eût à courir. Elle laissa donc Zulpha dans des espérances f atteuses jusqu’au lendemain, qu’elle avait accoutumé de faire sa visite dans les appartements des femmes. En atten-dant elle consola l’amoureux Ferdinand, par de bonnes nouvelles qu’elle lui donna. Dès qu’elle revit Zulpha, elle ne perdit point de temps pour lui dire, qu’elle avait trouvé un moyen pour lui ména-ger une entrevue avec Ferdinand sans aucun risque, mais qu’avant que d’entreprendre une chose de cette conséquence, il fallait bien la concerter, & que l’affaire ayant réussi, il fallait au retour de son mari feindre de l’aimer au moins par devoir, & souffrir sa compagnie dès qu’il serait arrivé. Elle l’assura, que la disproportion de Seremeth & de Ferdinand n’occasionnerait aucun soupçon, & que si l’armée tardait à revenir, elle prendrait sur elle d’empêcher toute grossesse.
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    Commentaire


    • #3
      La belle promit de suivre exac-tement ce que Fatima lui proposait, & lui f t un présent comme à son ordinaire. Comme cette gou-vernante accompagnait, par ordre du mari, Zulpha dans le cabinet du bain, tandis qu’elle restait à la porte qu’elle tenait fermée à clef, elle disposa les choses d’une façon que de temps en temps elle menait Ferdinand, à qui elle donnait un habit de femme. Les deux amants goûtaient sans doute alors aux plaisirs inexprimables. J’en laisse les juges ceux qui ont surmonté en amour des obstacles qui leur avaient paru invincibles, & qui ont passé du désespoir à la possession de l’objet aimé. Mais comme il est rare qu’un grand bonheur ne soit suivi de quelque revers, aussi s’en préparait-il un terri-ble contre nos amants. Les autres femmes jalouses de la beauté de Zulpha, & irritées de la préférence que Seremeth lui donnait sur elle, ne manquèrent pas de faire observer cette rivale depuis la décla-ration que Ferdinand avait faite en sa faveur. Elles employèrent pour cela un esclave nègre, qu’elles avaient mis dans leurs intérêts, & dont on ne se méf ait pas ; parce qu’il était regardé comme imbé-cile, & que les autres domestiques le comman-daient à tous moments pour aller & venir d’un côté & d’autre. Ce nègre, guidé par les leçons des riva-les éclairées de Zulpha, découvrit en peu de temps ce qui se passait. Il les en informa, & continua par ordre, à observer les deux amants, sans faire sem-blant d’avoir aucun dessein. Les jalouses furent au comble de la joie, & attendaient avec impatience Seremeth, pour faire éclater leur vengeance. Elles feignirent pourtant de ne rien savoir, & ne laissè-rent rien échapper devant la belle, qu’elles allaient souvent visiter & à laquelle elles faisaient de plus en plus des honnêtetés comme à la favorite. Elles se gardèrent bien aussi de rien dire à la gouvernante ; & la maligne joie de se voir bientôt vengées, les rendait de si bonne humeur, qu’elles ne faisaient que rire & chanter en présence de la belle Zulpha.
      Enfin Seremeth arriva. Il trouva sa jeune femme plus belle qu’elle n’avait jamais été. Tout le monde était content, dans la maison, à la réserve de Ferdinand, qui était malade pour s’être épuisé avec Zulpha, qui prévoyait que l’arrivée du mari les empêcherait de se voir commodément. Seremeth plein de feu & de f amme pour Zulpha, voulu user des droits de mari. Elle se rendit de bonne grâce, pour faire voir qu’elle était devenue raisonnable ; mais quelque effort qu’il fit, il reconnut qu’il n’était pas fait pour elle. Il fallut remettre son bonheur à un autre temps, & jusqu’à ce que la belle eût atteint un âge avancé. Il fut satis-fait de n’avoir pas été rebuté, comme il l’était au commencement de son mariage. Il prit patience, & en attendant il donna quelque attention à ses autres femmes. La gouvernante trouva cependant le moyen de continuer de temps en temps les rendez-vous des amants, malgré l’arrivée de Seremeth. L’esclaveen informa les jalouses, qui en instruisirent le mari & lui offrirent de le convaincre de la vérité, par ses propres yeux. Seremeth piqué au vif de cette nou-velle, & d’autre part connaissant la jalousie que ces femmes avaient conçues contre Zulpha, leur répon-dit dans les premiers mouvements de sa colère, que si cela était vrai il les immolerait tous les deux à sa fureur ; mais qu’au contraire si c’était une calomnie, elles pouvaient s’attendre à mourir toutes quatre de sa main. Il s’abandonna à des transports si violents, que ses femmes craignirent d’en avoir trop dit, & de ne pouvoir pas le prouver, faisant réflexion que l’esclave aurait pu les tromper, ou se tromper lui-même. Elles radoucirent Seremeth par toutes les caresses qu’elles purent imaginer, & lui représen-tèrent que ne pouvant légitimement être le mari de Zulpha, il devait la répudier sans bruit, & recou-vrer par ce moyen le repos que cette jeune femme lui avait fait perdre. Il s’adoucit effectivement, & sans vouloir approfondir davantage une chose qu’il craignait, il monta à cheval & se retira à la campa-gne, pour y faire des réf exions. Tout bien consi-déré, il reconnut qu’il avait tort, & se condamna de vouloir prétendre, d’être aimé de Zulpha si jeune, si belle, si délicate, & dont la personne avait si peu de proportion avec la sienne. Il reconnut son injus-tice & le bon droit de cette jeune femme ; & pour la dédommager de ce qu’elle avait souffert depuis qu’il l’avait épousée, & mettre f n à la jalousie de ses autres femmes, il résolut de la répudier & de la faire épouser par Ferdinand, à condition qu’il embrasserait la religion mahométane. Par ce moyen, il devait être toujours leur maître & leur protecteur, Ferdinand étant son esclave, & n’ayant d’autre bien que celui que Seremeth avait résolu de lui procurer. Il f t appeler Ferdinand, qui ne savait rien encore de ce qui se passait, & qui fut bien sur-pris lorsque son maître lui dit, qu’il avait appris son inclinaison pour Zulpha & leur rendez-vous au bain. Le pauvre esclave, qui connaissait le génie des turcs, fut comme frappé de le foudre, & pensa expirer de frayeur sur le champ. Mais voyant que son maître lui parlait avec douceur, il se jeta à ses genoux, & lui avoua qu’il méritait la mort. Il le pria de lui donner au plutôt, mais d’épargner Zulpha, qui était innocente, & qu’il avait séduite. Seremeth lui imposa silence, & lui répondit, qu’il ne voulait point entrer dans les circonstances de cette affaire; mais que pour le rendre heureux, il avait résolu de répudier Zulpha & de la lui faire épouser, à condi-tion qu’avant toutes choses il se ferait mahométan, & que comme il était son esclave, il aurait soin de lui & de sa femme, en sorte qu’ils ne manqueraient jamais de rien. Seremeth conjura Ferdinand, qui paraissait tout embarrassé, de bien penser à ce qu’il venait de lui proposer, & de lui rendre une réponse précise dans 24 heures. Il partit aussitôt pour la ville, laissant le pauvre esclave dans le plus grand trouble qu’on puisse s’imaginer. Ce n’était pas le changement de la religion, qui faisait de la peine à Ferdinand, puisqu’il avait appris de ses parents qu’on pouvait professer extérieurement toute sorte de religions, pourvu qu’on fut attaché intérieu-rement à la judaïque; mais il était né de parents riches, qui l’aimaient beaucoup, & on lui avait fait savoir qu’il serait bientôt racheté & mis en liberté. Cette espérance l’occupait tout entier & faisait tout son plaisir, depuis que la grande passion de Zulpha avait ralenti la sienne en épuisant ses forces. Il s’abandonna alors à ces réf exions les plus cruelles du monde, sans pouvoir se déterminer. Si j’accepte, disait-il, la proposition de mon maître, me voilà privé pour toujours de ma patrie, de mes parents, de mes biens & de mes plaisirs, pour vivre miséra-ble dans un pays de servitude. Si je refuse, je serai brûlé suivant la loi, & Zaphira noyée. En vain for-mait-il des résolutions, il n’en trouvait aucune qui pût s’accorder avec ses désirs. Cependant Seremeth alla dire à ses femmes qu’il voulait suivre leurs con-seils, & qu’il avait résolu de répudier Zulpha, qui n’était pas encore sa femme, n’ayant pu consom-mer le mariage ; & que pour ne pas pêcher contre la loi, il obligerait Ferdinand de se faire mahométan & la lui ferait épouser, puisque aussi bien il l’avait possédée. Les femmes furent charmées par la répudiation, mais non pas du mariage avec l’esclave. Elles la croyaient trop heureuse, & leur jalousie se réveillant, sans en rien témoigner à Seremeth, elles résolurent de perdre les deux amants, plutôt que de les voir unis légitimement. Seremeth retourna à la campagne pour savoir la résolution de Ferdinand. Il le trouva résolu à tout ce que son maître lui avait proposé, y ayant consenti dans l’espérance de se sauver un jour en Europe avec Zulpha, qu’il aimait toujours, & qu’il aurait bien voulu posséder loin d’Alger. Les femmes de Seremeth prof tèrent de son absence, & f rent répandre le bruit dans la ville, de ce qui s’était passé entre Zulpha & Ferdinand, pendant que Seremeth était à l’armée. Le dey, le cadi, le mufti, les marabouts, en étaient tous informés ; & chacun attendait avec impatience le dénouement de cette affaire. Il n’y avait que la belle Zulpha qui ne savait encore rien de ce bruit public, par les précautions que ses rivales avaient prises pour empêcher qu’elle n’en fut instruite. Seremeth, qui ne resta pas longtemps à la campagne, & qui ne f t qu’y coucher, ayant eu une réponse de Ferdinand, telle qu’il la souhaitait, se hâta de venir lui annoncer une bonne nouvelle qu’elle reçut avec une surprise incroyable, mais qui lui causa pour-tant une joie qu’elle ne put dissimuler. Peu après qu’il fut arrivé, le dey amplement informé de la galanterie de Zulpha, f t appeler Seremeth par un chaoux, qu’il suivit incessamment. Il fut fort sur-pris de ce que le dey lui parla comme d’une chose publique, en présence de la cour, de ce qui s’était passé pendant son absence ; ce que les off ciers du Divan conf rmèrent avoir entendu raconter partout, & tous lui f rent entendre que Zulpha, & le chrétien doivent être punis suivant la loi. Seremeth quoique fort étonné, ne se déconcerta pas, & dit que Zulpha n’était point encore sa femme pour les raisons dont on a ci-devant parlé, & qu’étant f lle elle pouvait se marier avec Ferdinand, pourvu qu’il se f t mahométan; que pour lui il était prêt à lui donner ses let-tres de divorce, & qu’il ne croyait pas que de cette manière, il allât de son honneur. Il raconta ensuite le désespoir où il avait mis cette f lle, voulant user de ses droits de mari, sans avoir pu en venir à bout. Il demanda grâce pour les coupables, en faveur de la religion que Ferdinand embrasserait, dont il sortirait peut-être des élus ; ajoutant que cette action ne pouvait qu’être agréable à Dieu & au prophète Mahomet. Là-dessus tout le divan fut assemblé ; le cadi, le mufti & tous les savants & gens de loi y assistèrent, & il fut résolu, qu’on ferait grâce aux coupables, à condition que Ferdinand se ferait mahométan, & qu’il épouserait Zulpha, à laquelle Seremeth donnerait en la répudiant, la dot qu’il lui avait constituée par son contrat de mariage ; mais que comme l’affaire était publique, il fallait aussi que l’esclave f t publiquement profession de la foi mahométane. Seremeth fit préparer Ferdinand & Zulpha à cette cérémonie, qui devait se passer dans la grande cour du palais de Seremeth. Le jour ayant été pris pour cela, & publié par un crieur, il s’y rendit une quantité prodigieuse de monde pour y assister. Ferdinand ne pensant point à la circonci-sion qu’on devait lui faire, car il l’était sans y avoir fait beaucoup de réf exion, fut conduit au lieu des-tiné pour la cérémonie.
      The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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      • #4
        Ayant été mis en état d’être circoncis, l’imam destiné pour faire cette opéra-tion, fut fort surpris de ce qu’elle était faite, & dit tout haut, qu’on se moquait de Dieu & du Saint Prophète ; que ce misérable n’était point chrétien ; qu’il était circoncis depuis longtemps, a qu’il fal-lait qu’il fût né mahométan ou juif. Alors se leva de grands cris de la part des assistant, qui dirent que si c’était un juif, il fallait le brûler pour avoir séduit une mahométane : & que s’il n’était pas juif, il fallait qu’il eût renié la loi du prophète, & qu’il méritait la même punition. Le peuple s’en saisit & le mena à la maison du roi, où il fut interrogé, & il avoua qu’il était juif. L’horreur que ce nom inspira à l’assemblée, parut à la contenance du dey & de tout le Divan ; car en le maudissant, il lui dit: « quoi, sera-t-il dit que les musulmans souffrent, qu’un juif esclave mêle son sang avec le leur, & déshonore un seigneur aussi généreux que Hagi Seremeth? Je jure par le ST. Prophète, qu’on ne se moquera point de sa loi ». Le cadi & le mufti approuvèrent les senti-ments du dey, de même que la plupart des off ciers du Divan; & comme on allait porter le jugement, Seremeth qui était présent, voyant que ce couple devait périr inévitablement, cacha la douleur qui l’accablait & parla ainsi à l’assemblée: « Seigneur dey, & vous tous mes frères musulmans, avant de prononcer la sentence contre ces deux misérables, écoutez-moi. C’est moi qui suis le plus offensé. Puisque Zulpha avait encore sa virginité lorsque je l’ai laissée, elle n’était pas encore ma femme, mais elle était dans ma maison, qu’elle a déshono-rée avec un vil juif mon esclave qui a abusé de mes bontés. Af n que je n’ai aucune part à l’ignominie, donnez-moi le temps de la répudier & de la rendre à ses parents; après quoi, qu’elle subisse avec son complice la peine à laquelle, la loi & votre justice la condamneront ». On lui accorda sa demande. Il f t conduire Zulpha chez le cadi, & ses lettres de divorce lui ayant été accordées, il la renvoya à ses parents. Dès qu’elle y fut arrivée, elle fut mise au pouvoir du mezouard & de ses gardes qui la menèrent chez le roi avec la gouvernante de la maison de Seremeth, que les deux coupables avaient accusée de les avoir séduits. Dès que le dey vit paraître Zulpha, il ordonna qu’on lui ôta son voile, ne méritant pas, disait-il, d’être traitée comme une musulmane, mais comme une vile juive. Lors qu’il vit son visage, il fut si touché de sa beauté & de sa jeu-nesse qu’un mélange de compassion & de tendresse l’intéressa d’abord pour elle, & il aurait voulu la sauver. Il l’interrogea sur le crime dont elle était accusée, l’incitant à dire ce qu’elle avait pour sa justif cation. Mais cette infortunée était si honteuse & si effrayée de se voir à visage découvert devant tout le Divan assemblé, qu’elle ne put proférer une seule parole. Elle serait tombée à la renverse, si elle n’avait pas été soutenue par la gouvernante, qui était déjà faite aux frayeurs de la mort. Le dey, pour gagner du temps, proposa au Divan de remettre l’affaire au lendemain, Zulpha ne pouvant répondre aux griefs qu’on lui imputait. Mais les gens de la loi pénétrant le dessein du dey par le calme de sa colère, qui l’avait possédé, avant que Zulpha parût & par la manière dont il avait parlé, dès qu’il avait vu son visage, crièrent « Char-Allah », ou « Justice de Dieu », & tout le Divan en f t de même. Ils dirent au dey qu’il n’était pas nécessaire qu’elle parlât; qu’elle avait assez avoué son intrigue criminelle avec l’esclave, qui avait tout confessé, & qu’il fallait seulement faire parler Fatima dont il n’avait pas été encore question. Elle fut interrogée, & voyant bien qu’il fallait mourir, elle s’accusa seule, & tacha de disculper les amants le mieux qu’elle put. La multitude demanda qu’on prononçât. Le jugement porta que Ferdinand serait brûlé dans le cimetière des juifs & Zulpha noyée avec la gouvernante, ce qui fut exécuté en même temps. Quoique Seremeth s’attendit à cet événement, il en fut sensiblement touché. Il sentit réveiller toute la tendresse pour Zulpha & pour Ferdinand, & fut animé d’une fureur qui le suivait partout. Il se retira chez lui dans le dessein de venger leur mort par le massacre de ses quatre femmes, qui avaient si bien satisfait leur jalousie. Mais ayant consi-déré que cette action lui ferait déshonneur, & qu’il passerait pour complice de l’intrigue de Zulpha, il se modéra & remit sa vengeance à un temps plus favorable. Il les f t assembler toutes dans une chambre, & y étant entré seul, il f t éclater sa fureur par des regards affreux, & par des injures atroces dont il les accabla. Elles se mirent à genoux pour l’apaiser, mais inutilement. Ils les renversa à coups de pied, tira son sabre & le remettant en même temps dans le fourreau, il leur dit qu’il les immole-rait aux mannes de Zulpha & de Ferdinand, s’il les croyait assez punies par une telle mort, mais qu’il voulait différer sa vengeance pour les faire souffrir plus longtemps. Il les quitta de la même manière qu’il était entré, & demanda l’esclave qui avait si bien servi les jalouses. On lui dit qu’il était allé dans la maison de campagne y porter des provisions. Seremeth partit sur le champ pour y aller, après avoir donné ordre que les femmes ne sortis-sent pas, & y étant arrivé, l’esclaves’approcha pour lui tenir l’étrier & prendre le cheval. Alors Sere-meth sentant redoubler sa fureur s’écria, en lui don-nant des coups de fouet sur le visage; malheureux, traître, oses-tu me toucher ? Entre, que je te parle avant que tu meures. L’esclavetransi d’effroi, obéit, & Seremeth lui dit, excrément de la terre, tu méritais la mort la plus horrible. Qu’as-tu fait pour complaire à mes femmes ? Tu as causé la mort la plus ignominieuse de celle que j’aimais le plus. Comment as-tu fait cela ? L’esclaveprosterné à terre, lui raconta toutes choses, & dit pour sa justification, que comme il y allait de l’honneur de son maître, il leur avait obéi, d’autant plus volontiers. Eh bien, dit Seremeth, dis-moi tout à présent, puisque tu étais le conf dent de mes criminelles femmes. Ne m’ont-elles pas été infidèles ? Meurs plutôt que de mentir devant ton maître & ton seigneur, dont tu n’es pas digne de baiser la poussière de ses souliers. L’esclaveavoua qu’elles lui avaient toutes été infidèles, & lui développa les intrigues qu’elles avaient eues avec plusieurs esclaves chrétiens lorsqu’elles allaient au bain, ou qu’elles étaient à la campagne pour se visiter leurs amies. La fureur de Seremeth fut alors à son comble, & tirant son sabre, il voulut couper la tête à son esclave. Mais méditant une cruelle vengeance contre se femmes, il l’enferma dans un souterrain avec du pain & de l’eau, & pour exécuter cette vengeance, il jugea à propos de dissimuler, jusqu’à une occasion favorable. Il ne dit plus rien d’outragent à ses femmes, qui crurent, par la mo-dération feinte de Seremeth, qu’elles rentreraient avec le temps en grâce. En attendant le temps de sa vengeance, il ramassa le plus d’argent comptant qu’il put, l’envoya à sa maison de campagne, & ré-solut de se retirer dans les montagnes du Coucou & d’y passer le reste de ses jours en y menant une vie douce, tranquille & champêtre, loin de la cour & du grand monde, après s’être vengé de ses femmes. L’occasion s’en présenta bientôt, une députation des principaux cheikhs des nations maures de la province du Couco étant arrivés à Alger. Il s’ouvrit aux députés, qui furent ravis d’aise d’avoir dans leur pays, un homme illustre par sa valeur, & qui y apporterait des richesses, & ils consentirent vo-lontiers de le recevoir en leur compagnie. Le jour du départ des députés étant f xé, Seremeth alla à sa maison de campagne où ils le rendirent pour y coucher, & en partir le lendemain au point du jour. Les femmes y étaient déjà arrivées. Lorsqu’on eut soupé, Seremeth dit aux maures du Coucou qu’il avait médité une cruelle vengeance contre ses femmes, qui s’étaient abandonnées à des esclaves chrétiens, & qui avaient fait d’horribles débauches avec eux ; & que c’était la raison qui l’avait déterminé à aller vivre dans les montagnes du Coucou, & à ne plus se marier. Les maures dirent que les femmes méritaient pas moins que le supplice qu’il avait prémédité, & offrirent leur aide pour l’exécution. Seremeth f t venir en même temps ses femmes qu’il dépouilla de leurs ornements, les partagea entre les maures, & les ayant conduites dans le souterrain où était enfermé l’esclave dont nous avons parlé, ils les empalèrent avec des pièces de bois préparées à cet effet, après leur avoir brûlé avec un fer ardent la partie qui avait été la cause de leur crime. L’exé-cution se f t en présence d’une esclave numide, af n qu’elle apprit à Alger ce qui était arrivé. Ils plan-tèrent en terre les pals où les femmes étaient; ils coupèrent par quartier l’esclavetout en vie, dont ils pendirent un au col de chaque femme, après quoi ils sortirent, fermèrent les portes de la maison, af n que l’esclave ne put aller demander du secours avant le jour, & montèrent sur de bons chevaux pour s’acheminer vers les montagnes du Couco, où ils arrivèrent en peu de temps. Le lendemain matin un esclave chrétien de Seremeth arrivant de la ville avec des provisions, selon sa coutume, lorsque son maître était à la campagne, fut surpris de ce que la porte était fermée si tard. Il appela & f t du bruit, & la malheureuse esclave enfermée dans une cham-bre, lui dit par une fenêtre grillagée & d’une voix mourante, de rompre la porte ; que le maître avait pris la fuite, après avoir fait mourir cruellement ses femmes. L’esclave effrayé fut sur le chemin dire à tous ceux qui passaient ce qu’il venait d’apprendre ; une foule de monde le suivit, & l’esclave enfermée leur répéta la même chose. On dépêcha un homme à la ville pour en avertir le dey, qui envoya un chaoux pour faire ouvrir les portes. Il alla dans le souterrain accompagné de plusieurs personnes, où l’on vit cette barbare tragédie. On ne put sauver aucune de ces femmes, deux étaient mortes, & l’on acheva de tuer les deux autres qui étaient mourantes. On leur donna la sépulture, & les enfants de ces malheureuses mères eurent les biens que le père avait laissés, n’ayant pas eu le temps de les vendre, & ne pouvant les emporter avec soi.

        Extrait du livre "histoire du royaume d'Alger" 1724
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        • #5
          Je préfère el djaj mhamer farci bel djaj...

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          • #6
            Wahda fihoum est toujours dans sa coquille
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            • #7
              Nssabrou 3liha khouya Mezzo.

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              • #8
                Ennalou djouidja
                The Sea is Woman, the Sea is Wonder, her other name is Fate!

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