Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Entretien avec Genviève Azam : Economie verte

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Entretien avec Genviève Azam : Economie verte

    Genviève Azam : « La nature devient une entreprise »

    Geneviève Azam dénonce la cécité générale sur la place de la crise cologique dans le système économique. Les conférences onusiennes ont intégré progressivement les mécanismes des marchés pour gérer les ressources naturelles et l’environnement, explique l’économiste Geneviève Azam, qui s’avère être quasiment la seule personne en France capable de vulgarisation sur ces questions.

    Propos recueillis par Thierry Brun

    Comment en est-on arrivé à faire de l’économie verte l’enjeu principal du prochain Sommet de la Terre à Rio ?

    Geneviève Azam : À partir de 1992, et avec le Sommet de la Terre à Rio, la promotion du développement durable a reposé sur la tentative de combiner la croissance économique et le développement avec la réduction de la pauvreté et la préservation des écosystèmes, dans le cadre d’accords multilatéraux. Le protocole de Kyoto (1997), négocié dans la foulée, a été le premier accord international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec le principe de « responsabilités communes mais différenciées » dans les changements climatiques. On était alors dans l’euphorie de la mondialisation néolibérale, qui devait apporter prospérité et paix au monde entier.

    Au même moment, se déroulaient les négociations de l’Uruguay Round, qui ont abouti en 1994 à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) acte la libéralisation des services environnementaux ; de nouveaux droits de propriété intellectuelle sont promus (Adpic), en particulier sur le vivant. La financiarisation est en marche.

    Les États-Unis, après avoir bataillé pour inclure les mécanismes des marchés du carbone dans le protocole de Kyoto, ne l’ont finalement pas ratifié. De grandes entreprises multinationales ont utilisé le développement durable comme greenwashing, ou comme terreau d’un capitalisme vert et d’une finance verte. La logique économique et financière l’a emporté. Croissance globale et durabilité ne font pas bon ménage.

    Il y a donc cette idée que la crise écologique serait résolue par les mécanismes de marché et les technologies « vertes » ?

    Geneviève Azam : Les grandes entreprises transnationales et les fonds financiers savent que la crise écologique et énergétique est au coeur du système. Dans la perspective d’une société post-pétrole, les convoitises concernant l’appropriation et l’exploitation de la biomasse, essentiellement concentrée dans les pays du Sud, sont exacerbées.

    Les rapports du programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), de l’OCDE et de la Banque mondiale sur l’économie verte, reposent sur l’idée que, si la crise écologique est aussi profonde, c’est que la nature n’a pas de valeur économique, qu’elle n’est pas correctement évaluée, et donc qu’elle est gaspillée. Pour arriver à rétablir l’équilibre des écosystèmes, il faudrait mettre un prix aux services écosystémiques que celle-ci rend gratuitement et instaurer des droits de propriété. Ainsi, la crise écologique n’est plus à la périphérie du modèle économique dominant, elle est au cœur de ce modèle.

    La nature n’est plus simplement un objet mort à exploiter à l’infini, elle est une entreprise productrice de flux infinis de services.

    Comment évolue cette marchandisation de la nature ?

    Geneviève Azam : Le climat est un terrain d’expérimentation important pour les multinationales et les fonds d’investissement. Par exemple, pour lutter contre la déforestation, les forêts sont évaluées en fonction de leur capacité à capter le carbone. Les tonnes d’émission de carbone évitées ou la plantation de nouvelles forêts s’expriment en droits d’émission, négociables sur les marchés du carbone. Pourtant, la déforestation continue. Pourquoi un tel aveuglement ? Outre l’évidence des intérêts à court terme de lobbies industriels et financiers, le recul consenti des Nations unies et de quelques grandes organisations environnementales est présenté comme un moindre mal, à la suite des échecs du multilatéralisme et des effets de la crise financière. Un moindre mal ? Plutôt un verrouillage qui permet aux lobbies d’amorcer les bifurcations qui leur sont nécessaires.

    NB : Geneviève Azam est membre du conseil scientifique d’Attac, auteur de « La nature n’a pas de prix. Les méprises de l’économie verte » (Les Liens qui libèrent, 2012).

    Source : article paru dans l’hebdomadaire Politis n°1205 du 31 mai 2012 dans le dossier Environnement « Les perversions de l’économie verte ».

    Politis
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

  • #2
    Le Rio+20 ouvrira-t-il la voie à la conquête de l’or vert ?

    Le Rio+20 ouvrira-t-il la voie à la conquête de l’or vert ?

    Le sommet de la Terre, qui démarre dans un mois au Brésil, pourrait fixer un cadre juridique à une économie verte émergente. Et lancer une course à la biomasse que visent les multinationales


    Un mois. C’est, à quelques bananes près, ce qui nous sépare du Rio+20, prochain sommet de la Terre qui pourrait se distinguer parmi tous, de même que s’est distingué celui qui s’est tenu, voilà vingt ans, dans la même ville. Celui-là fut particulièrement remarquable. C’est lui qui vit naître la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), laquelle engendra à son tour le protocole de Kyoto.

    Qu’attendre de celui qui s’ouvre au Brésil, le 20 juin ? Pas grand-chose qui permette d’engager la planète sur une voie de sauvegarde, selon les observateurs, qui doutent qu’aucun objectif contraignant ne soit adopté.

    Une chose, en revanche, est susceptible de faire du Rio+20 un temps lui aussi remarquable des rencontres onusiennes : l’émergence d’une « économie verte », à laquelle les négociateurs pourraient fixer un cadre juridique. « C’est là la grande différence d’avec le Rio de 1992 », note Geneviève Azam, économiste et membre du conseil scientifique 
d’Attac. « Bien qu’imparfait, le concept de développement durable avancé à l’époque s’appuyait sur trois grands piliers : le social, l’économie et l’environnement. » Cette fois, priorité est faite aux choix économiques, desquels découleront tous les autres.

    Défendu depuis plusieurs années, le principe d’une économie verte repose sur l’affirmation que, si les politiques ne parviennent pas à résoudre la crise écologique, c’est parce que la nature n’a pas de prix. À comprendre : aucune valeur marchande. Les services écosystémiques (captation du CO2 pour les végétaux…) n’étant pas 
valorisés au regard non seulement des pouvoirs publics, mais des industriels et autres banques, ces derniers ne trouvent pas d’intérêt à investir dans leur préservation et, donc, les négligent. En 2007, un rapport, rédigé par Nicolas Stern, avait ainsi pris le parti d’évaluer les conséquences économiques de l’inaction vis-à-vis du réchauffement climatique à l’horizon 2050 afin de les rendre « palpables ». En 2011, la publication d’un rapport international de 600 pages, entièrement consacré à l’économie verte, suivi de deux autres produits par la Banque mondiale et l’OCDE, est venue concrétiser la façon de procéder, qu’illustre parfaitement le processus Redd. Discuté dans le cadre des négociations climatiques, celui-ci consiste, grosso modo, à accorder une valeur à une forêt, calculée en fonction des tonnes de CO2 qu’elle pompe ou que sa destruction engendrerait. Ce « prix » se traduit par des droits d’émissions, échangeables sur le marché du carbone, que peuvent acheter des entreprises. Déjà à l’œuvre, ce type de financement, dit innovant, pourrait se décliner à toute la biodiversité, ouvrant sur une privatisation des espaces naturels et autres brevetages. Qui dit biodiversité, dit biomasse. Qui dit biomasse, dit agrocarburants et autres substituts au pétrole déclinant, ce qui laisse entrevoir une main basse à grande échelle. « La course au contrôle de la biomasse par les multinationales n’est pas nouvelle, relève Geneviève Azam. Mais qu’une instance comme l’ONU s’y plie, c’est affolant. » L’Union européenne se place en tête de ses défenseurs. Les pays du Sud s’avèrent plus partagés. Hostiles, pour certains, à tout mécanisme de privatisation, beaucoup sont également sensibles au principe, avancé comme un moyen de financer leur développement. Encore faudrait-il s’entendre sur le développement de quoi, ou de qui ? Figurant dans un premier projet du texte, qui sera présenter au Rio+20, les références aux droits humains et au droit à l’eau ont été biffés des suivants.

    par Marie-Noëlle Bertrand

    L'Humanité
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

    Commentaire


    • #3
      Ce qui est en jeu à Rio+20

      Ce qui est en jeu à Rio+2

      Communiqué du Groupe d’articulation international du Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale.

      Pour l’unité et la mobilisation des peuples

      pour la vie et les biens communs, la justice sociale et environnementale

      contre la marchandisation de la nature et l’”économie verte”

      A un mois de la conférence des Nations Unies Rio+20, les peuples du monde ne constatent aucunes avancées positives dans le processus de négociation qui se déroule au sein de la conférence officielle. En effet, on ne parle ni du bilan des accords conclus à Rio 92, ni des moyens pour agir sur les causes de la crise. Les discussions se focalisent sur un ensemble de propositions trompeuses appelé “économie verte” et l’instauration d’un nouveau système de gouvernance environnementale international, qui faciliterait leur mise en place.

      La véritable cause structurelle des multiples crises est le capitalisme, sous ses formes classiques et nouvelles de domination, qui concentre la richesse et produit les inégalités sociales, le chômage, la violence contre le peuple, la criminalisation de ceux qui le dénoncent. Le système de production et de consommation actuel – dont les grandes multinationales, les marchés financiers et les gouvernements sont les garants – produit et accélère le réchauffement et la crise climatique internationale, la faim et la malnutrition, la disparition des forêts et de la diversité biologique et socioculturelle, la pollution chimique, l’épuisement de l’eau potable, la désertification croissante des sols, l’acidification des mers, l’accaparement des terres et la marchandisation de tous les domaines de la vie dans les villes et les campagnes.

      L’”économie verte”, contrairement à ce que son nom suggère, n’est qu’une autre étape d’accumulation capitaliste. Rien dans l’”économie verte” ne remet en question ou ne remplace l’économie basée sur l’extraction de combustibles fossiles, ou ses modèles de consommation et de production industrielle. Au contraire cette économie ouvre de nouveaux territoires à l’économie qui exploite les personnes et l’environnement, alimentant ainsi le mythe que la croissance économique infinie est possible.

      Le modèle économique qui a échoué, que l’on déguise aujourd’hui en vert, cherche à soumettre tous les cycles vitaux de la nature aux règles du marché et à la domination de la technologie, de la privatisation et de la marchandisation de la nature et de ses fonctions, ainsi que les savoirs traditionnels, en renforçant les marchés financiers spéculatifs grâce aux marchés du carbone, aux services environnementaux, aux compensations pour la biodiversité et au mécanisme REDD+ (Réduction des émissions de CO2 provenant de la déforestation et de la dégradation forestière).

      Les transgéniques, les agro-toxiques, la technologie Terminator, les agro-combustibles, les nanotechnologies, la biologie synthétique, la vie artificielle, la géo-ingénieurie et l’énergie nucléaire, entre autres, sont présentés comme des “solutions technologiques” aux limites naturelles de la planète et aux multiples crises, alors qu’elles ne répondent pas aux véritables causes qui les provoquent.

      De plus, on promeut l’expansion du système alimentaire agro-industriel, l’une des causes les plus importantes des crises climatiques, environnementales, économiques et sociales, approfondissant la spéculation sur les aliments, et favorisant les intérêts des multinationales de l’agro-industrie, au détriment de la production locale, paysanne, familiale, des peuples indigènes et des populations autochtones, affectant ainsi la santé de tous.

      La stratégie de négociation au sein de la Conférence Rio+20, consiste pour certains gouvernements des pays riches à proposer une régression par rapport aux principes décidés à Rio 92, tels que le principe de responsabilité commune et différenciée, le principe de précaution, le droit à l’information et à la participation. Ils menacent des droits déjà acquis, tels que le droit des peuples indigènes, le droit des populations et nations autochtones et paysannes, le droit à l’eau, les droits des travailleurs et des travailleuses, les droits des migrants, le droit à l’alimentation, au logement, à la ville, les droits des jeunes et des femmes, le droit à la santé en matière de sexualité et de reproduction, à l’éducation et les droits culturels.

      On tente d’instaurer lesdits Objectifs de développement durable (ODS) qui seront utilisés pour promouvoir l’”économie verte”, fragilisant encore plus les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), déjà insuffisants.

      Le processus officiel propose d’établir des formes de gouvernance environnementale mondiale, qui auraient pour rôle d’administrer et faciliter cette “économie verte”, à travers la Banque Mondiale et d’autres institutions financières publiques ou privées, nationales et internationales, ce qui provoquerait un nouveau cycle d’endettement et d’ajustements structurels déguisés en vert. Il ne peut exister de gouvernance démocratique mondiale sans en finir avec la domination exercée par les multinationales sur les Nations Unies.

      Nous refusons ce processus et faisons appel à tous pour venir renforcer les manifestations et les constructions d’alternatives dans le monde entier.

      Nous luttons pour un changement radical du modèle actuel de production et de consommation, en renforçant notre droit à nous développer en s’appuyant sur les modèles alternatifs basés sur des réalités multiples vécues par les peuples, réellement démocratiques, respectant les droits humains et collectifs, en harmonie avec la nature et la justice sociale et environnementale.

      Nous affirmons la construction collective de nouveaux paradigmes basés sur la souveraineté alimentaire, l’agroécologie et l’économie solidaire, sur la lutte pour la vie et les biens communs, sur l’affirmation de tous les droits menacés tels que le droit à la terre et au territoire, le droit à la ville, les droits de la nature et des générations futures, et sur l’élimination de toute forme de colonialisme et d’impérialisme.

      Nous faisons appel à tous les peuples du monde pour appuyer la lutte du peuple brésilien contre la destruction de l’un des plus importants cadres légaux de protection des forêts (Code Forestier), qui ouvre la porte à une déforestation accrue au profit des intérêts de l’agro-industrie et au renforcement de la monoculture ; appuyer également la lutte contre la mise en place du méga-projet hydraulique de Belo Monte, qui affecte la survie et la vie des peuples de la forêt ainsi que la biodiversité amazonienne.

      Nous renouvelons notre invitation à participer au Sommet des Peuples qui aura lieu du 15 au 23 Juin à Rio de Janeiro. C’est une étape importante des luttes mondiales pour la justice sociale et environnementale que nous construisons depuis Rio 92, notamment à partir de Seattle, du FSM, de Cochabamba, où se sont amplifiées les luttes contre l’OMC et l’ALCA, pour la justice climatique et contre le G20. Nous intégrons également les mobilisations de masse et luttes populaires comme Occupy, les indignés et le printemps arabe.

      Nous faisons appel à tous pour les mobilisations mondiales du 5 juin (Journée internationale de l’environnement), du 18 juin contre le G20 (qui cette fois sera axé sur la “croissance verte”) et du 20 juin pour la marche du Sommet des peuples à Rio de Janeiro et dans le monde entier, pour la justice sociale et environnementale, contre l’”économie verte”, la marchandisation de la vie et de la nature et pour les biens communs et les droits des peuples.

      Le Groupe d’articulation international du Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale

      Rio de Janeiro, 12 mai 2012

      Le Groupe d’articulation (GA) international du Comité de facilitation pour la Société civile à Rio+20 (CFSC) au Sommet des peuples est constitué de 35 réseaux, organisations et mouvements sociaux de 13 pays différents. Ses représentants travaillent ensemble au GA national (avec 40 réseaux représentés) pour la coordination méthodologique et politique du Sommet des peuples, événement parallèle et critique de Rio+20, qui réunira des millions de personnes à l’ « Aterro do Flamengo », du 15 au 23 juin.

      CADTM
      Dernière modification par Gandhi, 12 juin 2012, 09h57.
      Rebbi yerrahmek ya djamel.
      "Tu es, donc je suis"
      Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

      Commentaire


      • #4
        Comment s’enrichir en prétendant sauver la planète

        Comment s’enrichir en prétendant sauver la planète

        Par Sophie Chapelle (20 juin 2012)

        La planète, nouvel objet à but lucratif ? Demain, des ONG pourront acheter des quotas de baleines pour les protéger. Les parcs naturels pourront être évalués par des agences de notation. Les performances des forêts en matière de recyclage du carbone seront quantifiées. Des produits financiers dérivés vous assureront contre l’extinction d’une espèce. « Nous sommes en train d’étendre aux processus vitaux de la planète les mêmes logiques de financiarisation qui ont causé la crise financière », dénonce le chercheur Christophe Bonneuil, à la veille de la conférence Rio+20. Entretien.


        Basta ! : Cela fait vingt ans, depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992, que l’on se préoccupe davantage de la biodiversité. Quel bilan tirez-vous de ces deux décennies ?

        Christophe Bonneuil [1] : Ce qui a été mis en place en 1992 n’a pas permis de ralentir la sixième extinction actuellement en cours [2]. Le taux de disparition des espèces est mille fois supérieur à la normale ! Cette érosion de la biodiversité est essentiellement due à la destruction des habitats naturels, à la déforestation, aux changements d’usage des sols. La Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée à Rio il y a vingt ans se souciait certes de la biodiversité, mais son premier article indique clairement que la meilleure façon de la conserver suppose le partage des ressources liées à son exploitation. Il s’agit donc de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, à savoir les « ressources génétiques ».

        La CDB entérine dès cette époque la notion de brevets sur le vivant. Les textes préfigurent déjà un modèle marchand qui pense que l’on ne conserve bien que ce qui est approprié, breveté et marchandisé. Tout en mettant en avant qu’une partie de ces profits seront redistribués par un mécanisme de partage des avantages vers les communautés locales. Mais il a fallu plus de quinze ans pour qu’il y ait un accord sur ce mécanisme, lors de la conférence des parties sur la biodiversité à Nagoya en 2010. Il semble que les firmes n’étaient pas pressées d’avoir un mécanisme qui contrôle le retour des royalties vers les populations locales.

        Les États se sont-ils donner les moyens de préserver la biodiversité ?

        Il n’existe pas de fonds mondial que chaque État ou une taxe mondiale sur les biotechnologies auraient pu abonder. Les États ont misé exclusivement sur la bioprospection [3] des firmes pharmaceutiques. Un des contrats les plus médiatisés a été celui qui liait la multinationale allemande Merck à INBio, l’Institut national de la biodiversité au Costa Rica. Inbio devait fournir à Merck les substances chimiques extraites des plantes et les insectes prélevés au Costa Rica. En contrepartie, Merck versait 500 000 dollars par an, ce qui permettait à INBio d’avoir des ressources pour financer ses actions de conservation. Cet accord a fait énormément de bruit mais il n’a pas été suivi par beaucoup d’autres initiatives de ce type. Les grandes entreprises comptent davantage sur les énormes banques de molécules dont elles disposent, pour innover en laboratoire. Le paradigme de Rio 92, de conservation de la biodiversité par la bioprospection et la biotechnologie, créant un nouveau marché des ressources biologiques tout en rémunérant les communautés locales pauvres a fait la preuve de ses limites.

        Concrètement, comment se déroule cette privatisation de la protection de l’environnement ?

        Un accord financier a par exemple été signé en mars 2008 entre une société financière, Canopy Capital, et la réserve nationale d’Iwokrama en Guyana, dans la forêt amazonienne. En échange d’un versement annuel de 100 000 dollars finançant des actions de conservation de la réserve, Canopy Capital n’a pas acheté la terre en tant que telle, mais les droits sur les services écosystémiques de la réserve. Autrement dit, les droits sur le maintien de la pluviosité dans la région, sur le stockage de l’eau, sur la rétention du carbone, et éventuellement sur l’effet modérateur sur le climat. La réserve s’étend sur 371 000 hectares, sur lesquels vivent 7 000 habitants.

        D’autres accords de ce type sont amenés à se multiplier, soumettant ainsi des parcs naturels aux logiques des « partenariats public-privé ». Avec cet investissement, Canopy Capital espère ensuite vendre des crédits carbone, des crédits biodiversité ou des crédits liés à d’autres services écosystémiques, soit dans le cadre de marchés volontaires (engagement d’une entreprise pour son image de marque), soit dans le cadre de marchés régulés tels les « mécanismes de développement propre » du protocole de Kyoto. Par exemple, si Coca-Cola souhaite compenser ses émissions polluantes, elle pourra financer une action de conservation au Guyana en payant un service à Canopy Capital.

        D’autres marchés se développent-ils pour spéculer sur l’écologie ?

        À côté des marchés institués par l’action publique (Mécanisme de développement propre de la convention climat, Emission Trading System européen sur le carbone, etc.), des marchés volontaires ont le vent en poupe. Ils témoignent de la privatisation des normes et des politiques environnementales aujourd’hui, alors que l’action publique internationale est enlisée au regard de l’échec de Copenhague, du manque d’ambition de Rio+20, ou de la crise financière des agences de l’ONU. Une foule de bureaux d’étude d’experts, de cabinets d’audit, de chercheurs et de sociétés bancaires se démènent pour codifier des standards, des unités de mesure et des règles d’échange pour ces marchés volontaires.

        Ces marchés permettent à des entreprises dont les activités ont des impacts environnementaux désastreux de les compenser pour restaurer à bon compte leur image auprès des consommateurs, des actionnaires ou des bailleurs (montée de critères « verts » dans la notation financière), soit en conduisant elles-mêmes un projet autour de leurs sites industriels (minier par exemple, comme le fait le géant Rio Tinto) soit en finançant par du mécénat ou des achat de crédits une opération de conservation ailleurs dans le monde.

        Cela tend à imposer l’idée que tous les milieux, tous les écosystèmes sont substituables les uns aux autres…

        En ayant la possibilité de compenser un dégât en un lieu par une « réparation » ailleurs, où cela coûte moins cher, on est dans une logique de flexibilité, de délocalisation. C’est comme si tous les processus naturels pouvaient être ramenés à une seule grandeur monétaire globale… alors que, dans le cas de la biodiversité notamment, sa nature est profondément liée à des espaces, des pratiques et des cultures qui sont très divers. C’est justement ce qui maintient la biodiversité. Mais à la différence du marché du carbone qui entre dans le cadre des mécanismes de développement propre sous l’égide de l’ONU, les crédits biodiversité seront encadrés par des normes et des certificateurs privés.

        Il y a notamment une proposition faite par des économistes d’un marché des droits à pêcher la baleine [4]. Ils estiment que plus d’un millier de baleines sont pêchées chaque année, malgré les accords internationaux, ce qui représenterait un marché mondial de 35 millions de dollars. En ramenant cette somme à l’animal, ils évaluent le coût de la baleine à préserver entre 13 000 et 85 000 dollars. Ils ont également calculé que les grandes ONG environnementales dépensaient 25 millions de dollars dans leur campagne de lutte contre la chasse à la baleine. Soit presque autant que ce que vaudrait le marché.

        Ces économistes proposent donc à ces ONG d’utiliser leurs fonds dédiés au lobbying pour acheter des quotas de baleines. Elles paieraient pour la conservation, en faisant par exemple des souscriptions auprès du public et des États, ce qui permettrait aux pêcheurs d’être rémunérés sans pêcher. Cette proposition illustre bien l’idéologie ambiante : il faut transformer la nature en marché pour mieux la conserver. Et il faut transformer les activistes faisant du travail politique en simples clients sur un marché.
        Dernière modification par Gandhi, 21 juin 2012, 17h43.
        Rebbi yerrahmek ya djamel.
        "Tu es, donc je suis"
        Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

        Commentaire


        • #5
          Comment s’enrichir en prétendant sauver la planète (suite et fin)

          A quels autres « services rendus » par la nature s’intéressent les investisseurs ?

          Depuis les années 1990 aux États-Unis, il existe une sorte de marché national de la compensation qui permet à un « développeur », lorsqu’il crée un supermarché sur une zone humide dans un État américain, de « compenser » la dégradation environnementale causée en payant une action de conservation dans une autre zone humide à plusieurs centaines de kilomètres. L’opérateur qui lance cette restauration écologique (nommé « banque » de compensation) vend de son côté ses « crédits » à divers développeurs qui ont besoin de « compenser » les effets négatifs de leurs activités. Ces crédits correspondent à des surfaces de tel habitat dans tel état écologique, ou bien en nombre de couples de telle espèce protégée.

          Ces critères de calcul de l’équivalence entre l’impact d’un projet de « développement » et ce qu’il faut acheter pour compenser sont plus ou moins encadrés par l’Agence de protection environnementale américaine. Aux États-Unis, ce marché de la biodiversité représente 80 000 hectares, plus 400 banques de zones humides et d’espèces protégées, et 3 milliards de dollars de chiffres d’affaires. Plusieurs projets visent à développer de tels marchés, réglementés ou volontaires, au niveau mondial.

          Après le marché carbone, on envisage donc un marché international de la biodiversité ?

          Le projet le plus abouti serait d’aligner le secteur de conservation de la nature sur le modèle des marchés du carbone et du mécanisme REDD [5]. L’initiative « Biodiversity ans Business Offsets Programme » [6] travaille à la promotion d’un marché international de la compensation financière de la biodiversité qui soit analogue aux mécanismes existant pour les gaz à effet de serre. Il comprend parmi ses membres des ONG comme le WWF, The Nature Conservancy ou Conservation International, des entreprises comme Inmet Mining, des banques comme la Caisse des dépôts et consignations, le Global Environmental Fund ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et des départements ministériels d’une quinzaine de pays, dont le ministère de l’Écologie en France.

          Le but était de mettre en place des méthodologies faisant en sorte que, par exemple, quelqu’un qui dégrade un écosystème en Louisiane puisse restaurer une mangrove au Gabon. Mais l’initiative n’a pas énormément avancé. Avec les crises de 2008-2009, l’espoir d’un marché mondial réglementé de la biodiversité se fait plus lointain. Ce qui avance bien plus plus vite, ce sont les études pilotes pour harmoniser les techniques de quantification et de monétarisation de la biodiversité et des écosystèmes. En toile de fond se dessine un mouvement spéculatif de prospection et d’achat de terres à forte valeur en « services écosystémiques », qui pourrait prolonger la ruée de ces dernières années sur les terres pour produire des agrocarburants.

          Vous évoquez la mise en place de « produits dérivés biodiversité, où l’on pourrait spéculer sur la disparition d’espèces comme d’autres ont spéculé sur l’écroulement des subprimes »… C’est à dire ?

          Tout échange marchand de tout type de services liés aux écosystèmes comporte des risques : que le service ne soit pas rendu, qu’un aléa climatique ou écologique survienne, etc. Pour sécuriser les marchés émergents des services écosystémiques, on recourt donc à des assurances. C’est le début de marchés dérivés et de la possibilité de parier sur la disparition de telle zone ou de telle espèce pour toucher l’assurance, ou faire monter le cours de tel produit financier dérivé. Avec le carbone, les forêts et autres « services écosystémiques », on est en train d’étendre à des processus vitaux de notre planète les mêmes logiques de financiarisation qui ont causé la crise financière de 2008…

          Tout cela se déroule dans un contexte où l’ONU a de moins en moins de volonté politique et ne fonctionne que par des partenariats public-privé, où la communauté politique internationale n’a plus les moyens d’agir. Elle dit aux entreprises : aidez-nous à sauver la planète. Depuis le sommet de Johannesburg en 2002, on a officiellement intronisé les entreprises comme des acteurs légitimes dans l’effort international de protection environnementale. Mais pour que les entreprises sauvent la planète, il est impératif pour leurs actionnaires que cette activité devienne lucrative. Et donc on s’ingénie, dans les agences de l’ONU ou à la Banque mondiale, à instaurer de nouveaux marchés de la nature.

          Fini, les taxes, les parcs ou les régulations publiques, on ne jure plus que par les « instruments de marché » : paiements, enchères, marchés de droits à polluer et de compensation, prêts hypothécaires basés sur la nature… comme la bonne façon « innovante », souple et efficace de gérer l’environnement et de « sauver la planète ». De même qu’il y a un projet néolibéral pour l’eau, les services ou pour l’éducation, on voit bien ici se dessiner les contours du projet néolibéral pour financiariser la gestion de l’ensemble de la biosphère et l’atmosphère… Et il y a de bonnes raisons de s’y opposer !

          Propos recueillis par Sophie Chapelle

          BASTAMAG

          Notes


          [1] Christophe Bonneuil est chercheur au Centre Koyré, CNRS, et membre de la commission écologie et société d’Attac. Il a participé à la rédaction de l’ouvrage : La nature n’a pas de prix, les méprises de l’économie verte, publié par l’association Attac, éd. Les liens qui libèrent, 2012.
          [2] Après les cinq extinctions massives qui ont marqué la planète, des extinctions préhistoriques à celles de nombreuses espèces liées à la colonisation de nouveaux territoires par l’être humain, en Amérique ou dans le Pacifique.
          [3] La bioprospection est l’inventaire et l’évaluation des éléments constitutifs de la diversité biologique ou biodiversité d’un écosystème particulier.
          [4] Article de Nature du 12 janvier 2012.
          [5] « Reducing emissions from deforestation and forest degradation in developing countries », ou réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, lire notre article.
          [6] Voir le site officiel.
          Dernière modification par Gandhi, 21 juin 2012, 17h44.
          Rebbi yerrahmek ya djamel.
          "Tu es, donc je suis"
          Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

          Commentaire


          • #6
            Rio+20 : comment multinationales et marchés financiers comptent s’accaparer la nature

            Néolibéralisme vert
            Rio+20 : comment multinationales et marchés financiers comptent s’accaparer la nature

            Un nouveau sommet des Nations unies sur le développement durable s’ouvre à Rio le 20 juin (Rio+20). Au programme : la mise en place d’une « économie verte », présentée comme une solution à l’épuisement des ressources naturelles et au réchauffement climatique. Ou comment les tenants d’un néolibéralisme vert, les grands groupes privés et les marchés financiers cherchent à s’approprier les biens communs : eau, forêts, biodiversité ou cycle du carbone… Une entreprise prométhéenne pour transformer la nature en bulle spéculative.


            Vingt ans après le sommet de Rio de 1992, qui avait jeté les bases du développement durable, la conférence qui s’ouvre au Brésil le 20 juin sera placée sous le signe de « l’économie verte ». Si les attentes sont faibles en termes de résultats concrets, cette conférence dite « Rio+20 » sera le théâtre d’une bataille idéologique cruciale. « Le concept de développement durable exprimait un compromis entre les exigences écologiques de durabilité et celles du développement, rappelle l’économiste Geneviève Azam, coauteure de l’ouvrage La nature n’a pas de prix. Même si ce compromis s’est avéré insoutenable, il devait toutefois engager les sphères économiques, sociales et politiques. » Le discours dominant sur l’économie verte soumet au contraire les choix sociaux, écologiques et politiques aux logiques économiques. « Il exprime un renoncement final à placer la justice sociale et la durabilité au-dessus des logiques économiques de rentabilité. »

            Du capitalisme vert au néolibéralisme vert ?

            Qu’entend-on exactement par « économie verte » ? Il existe autant de définitions que d’institutions… Dans son rapport de février 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) la définit comme « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ». Cette économie serait donc « LA » solution à la crise globale que nous traversons.

            Malgré l’échec cuisant d’une régulation des émissions de gaz à effet de serre par le marché (les marchés « carbone »), l’auteur le plus influent du rapport du Pnue, Pavan Sukdhev, préconise une approche financière. Selon cette approche, seuls des instruments marchands comme les marchés de droits échangeables (les droits à polluer), la compensation, les produits dérivés, sont efficaces pour gérer les biens communs que sont l’eau, l’air, la terre, la biodiversité ou le climat. Le fait que Pavan Sukdhev soit mis à la disposition du Pnue par la Deutsche Bank, peut expliquer l’orientation néolibérale du rapport…

            Les financiers à la conquête du capital naturel

            Ce capitalisme vert est déjà à l’œuvre. Agrocarburants, gaz et huiles de schiste, marchés du carbone, brevets sur le vivant, libéralisation du commerce des biens et services environnementaux, accaparement des biens communs naturels, dessinent une nouvelle phase du capitalisme. Sous Reagan déjà, on assiste à des droits de propriété sur l’atmosphère, et à partir de 1997, à la mise en place de permis d’émissions de gaz à effet de serre sous Kyoto. « Mais il s’agit là encore de la phase artisanale du capitalisme vert, précise Geneviève Azam. L’économie verte, en effet, est plus qu’un verdissement du capitalisme : c’est la conquête du "capital naturel", son inclusion dans le cycle du capital, non pas seulement comme stock dans lequel puiser sans limite, mais comme flux producteur de services. » Désormais, les flux deviennent plus importants que les ressources.

            Après avoir marchandisé les éléments de la biodiversité, l’économie verte s’attaque donc aux processus, aux « services rendus ». Il s’agit de quantifier financièrement les services rendus par la nature comme le filtrage de l’eau ou la capture du carbone. Objectifs ? Créer par exemple un marché de crédits de biodiversité négociables que l’on pourra compenser, échanger ou vendre. Les grands cycles écologiques du carbone, de l’eau, de la biodiversité pourraient désormais entrer dans des bilans comptables.
            Rebbi yerrahmek ya djamel.
            "Tu es, donc je suis"
            Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

            Commentaire


            • #7
              Rio+20 : comment multinationales et marchés financiers comptent s’accaparer la nature (suite)

              Remplacer le pétrole par la biomasse

              « Pour le Pnue, assigner à la nature une valeur monétaire, un prix, serait la meilleure façon de la protéger ! », dénonce la Fédération internationale des Amis de la Terre (FOEI) [1]. « Ce à quoi nous assistons n’est rien de moins que la naissance d’une vaste industrie du vivant, résume le think tank canadien ETC Group [2]. Les entreprises ne se contentent plus de contrôler le matériel génétique retrouvé dans les semences, les plantes, les animaux, les microorganismes et les humains ; elles veulent également contrôler la capacité de reproduction de la planète. »

              L’offensive pour le contrôle de la nature est déjà lancée. Pour résoudre le problème du pic pétrolier et contrer les changements climatiques, les plus grandes entreprises de la planète se tournent vers la biomasse [3]. L’enjeu, selon ETC Group, est de « substituer l’exploitation de la biomasse (cultures alimentaires et textiles, herbacées, résidus forestiers, huiles végétales, algues, etc.) à l’extraction du pétrole ». Dans cet avenir sans pétrole, la production industrielle de plastiques, de produits chimiques, de carburants, de médicaments ou d’énergie ne dépendra plus des carburants fossiles, mais de matières premières végétales transformées à l’aide de plateformes de bio-ingénierie de haute technologie.

              Nouvelles alliances chez les multinationales

              La course à l’appropriation de la biomasse, dont les plus importantes réserves sont disséminées à travers les pays du Sud, stimule les alliances commerciales. Parmi les principaux acteurs, ETC Group évoque « des géants de divers secteurs industriels – énergie (Exxon, BP, Chevron, Shell, Total), pharmaceutique (Roche, Merck), alimentation et agroalimentaire (Unilever, Cargill, DuPont, Monsanto, Bunge, Procter & Gamble), produits chimiques (Dow, DuPont, BASF) – ainsi que la plus grande puissance militaire au monde, soit l’Armée des États-Unis ».

              Par exemple, le géant de l’industrie chimique DuPont et le géant de l’industrie pétrolière BP possèdent Butamax, une filiale dont le but est de commercialiser des carburants dérivés de plantes marines. Les forêts attirent également toutes les convoitises, car elles recèlent au niveau mondial plus de 600 000 millions de tonnes de biomasse.

              Biologie de synthèse, nanos et OGM

              « L’idée est que les gouvernements cessent les subventions préjudiciables à l’environnement (aux combustibles fossiles, à la pêche industrielle, etc.) et utilisent ces fonds pour investir dans des technologies nouvelles, libérant ainsi des investissements massifs pour permettre de passer à l’économie verte », rappelle la FOEI. Le nucléaire et les OGM, sans être explicitement approuvés, sont considérés comme compatibles avec l’approche du rapport du Pnue. Quant aux « technologies nouvelles » promues, on distingue essentiellement le génie génétique, la biologie synthétique et les nanotechnologies. La géo-ingéniérie, qui consiste en une manipulation du climat à grande échelle et décryptée par Basta ici, n’est pas écartée.

              Mais c’est bien la biologie de synthèse qui attire le plus les investisseurs. Les entreprises de biologie synthétique fabriquent de l’ADN de synthèse pour créer sur mesure des algues et des microorganismes qui agissent comme des usines biologiques miniatures. Le but consiste à pouvoir convertir presque n’importe quel type de biomasse en presque n’importe quel produit. « Les spécialistes de la biologie synthétique promettent qu’ils seront bientôt capables de prendre n’importe quelle forme de biomasse pour la transformer en n’importe quel produit final simplement en remplissant une cuve industrielle de carbone vivant et en laissant leurs microbes, brevetés, faire leur besogne », ironise ETC Group.

              Qui contrôlera la biomasse ?

              Les grandes entreprises énergétiques de la planète, comme la néerlandaise Royal Dutch Shell, l’américaine ExxonMobil, l’anglaise British Petroleum, la française Total, la brésilienne Petrobras ou la russe Gazprom, sont des investisseurs reconnus du secteur de la biologie synthétique. Elles cherchent non seulement à se forger une image plus propre et plus écologique, mais elles demeurent également persuadées que les futurs profits dépendront de la diversification et du contrôle des matières premières issues de la biomasse servant à produire de l’énergie.

              Devant la flambée des coûts du pétrole, l’incertitude quant à l’état des réserves et le défi qu’impose l’extraction des ressources fossiles, l’industrie pétrochimique opère elle aussi une substitution de ses matières premières, délaissant graduellement les ressources pétrochimiques pour se tourner vers la biomasse. Ainsi, Dow Chemical, Unilever, Chevron, Bunge Ltd, l’US Navy et le département de la Défense des États-Unis sont tous partenaires de l’entreprise californienne de biologie synthétique Solazyme. Cette dernière produit une huile synthétique à partir d’une algue qui se nourrit de sucre. BCC Research a évalué que la valeur du marché de la biologie synthétique ne dépassait pas 233,8 millions de dollars en 2008, mais prévoit que ce secteur bénéficiera d’un taux de croissance annuelle de presque 60 % pour atteindre 2,4 milliards de dollars en 2013.

              Vers une agriculture de synthèse « intelligente »

              « Climate smart agriculture » (« agriculture climatique intelligente ») [4] est un concept développé par la Banque mondiale. L’idée ? Si l’agriculture est une source non négligeable d’émissions de gaz à effet de serre, il est possible de les réduire en sélectionnant les pratiques les moins émettrices et en utilisant les capacités physiques des sols à capter des gaz à effet de serre.
              Partant du fait que les sols ne relâchent pas de gaz à effet de serre s’ils ne sont pas travaillés, Monsanto a fait breveter des OGM appropriés pour introduire directement des semences dans le sol, sans labour préalable. Si Monsanto et les autres géants de la génétique parviennent à leurs fins, l’agriculture chimique sans labour pourrait bénéficier de généreuses subventions au nom de la compensation carbone [5]. Un moyen pratique pour l’entreprise d’accroître ses bénéfices nets.

              Un dollar par an et par paysan

              Le Kenya accueille d’ores et déjà le tout premier projet agricole de la Banque mondiale visant à encourager la séquestration du carbone dans les sols. Intitulé Biocarbon Fund Project, ce projet pionnier concerne quelque 15 000 agriculteurs, regroupés en 800 groupes, qui doivent modifier leurs pratiques agricoles sur une période de vingt ans, afin de fixer dans le sol quelque 600 000 tonnes de gaz à effet de serre. Il est prévu que le projet génère 2,5 millions de dollars de crédits carbone. Somme que l’on fait miroiter aux paysans et au gouvernement kenyan pour les convaincre du bien-fondé de ce genre de projets. Concrètement, des techniciens et experts de la séquestration du carbone dans les sols viendront expliquer aux paysans kenyans les techniques et pratiques agricoles à employer pour semer, entretenir et récolter.

              La mise en place et le suivi du projet, comme la mesure du carbone séquestré ou la commercialisation des certificats de réduction d’émissions, mobiliseront plus d’un million de dollars que les consultants, financiers et autres experts se partageront avec gourmandise. Le reste, partagé entre 60 000 paysans correspond à environ un dollar par an et par paysan ! Un projet décrié par des associations comme Attac. Plusieurs études scientifiques contredisent également les bienfaits espérés de ces nouvelles techniques anti-érosion comparées aux labours [6].

              ONU = organisation des multinationales unies ?

              « Nous devons passer d’une protection de l’environnement contre les entreprises à une protection de l’environnement grâce aux entreprises », a déclaré Janez Potocnik, le commissaire européen à l’Environnement. C’est ce que prône l’ONU depuis le sommet de Johannesburg en 2002. Le Pnue a travaillé en étroite collaboration avec les représentants de l’industrie mondiale pour préparer Rio+20 et l’échéancier de l’économie verte. En avril 2011, le Pnue a organisé à Paris, avec la Chambre de commerce internationale (CCI), un des lobbies de l’industrie, une réunion de 200 représentants d’entreprise pour présenter le Rapport sur l’économie verte.
              « La réponse de la CCI a été rédigée par un groupe de travail comprenant des représentants d’Exxon Mobil, Shell, RBS, Monsanto, BASF et Suez », rappelle Olivier Hoedeman, du Corporate Europe Observatory. L’un des orateurs principaux à cette conférence était Chad Holliday, président de la Bank of America et ancien patron de DuPont. Il dirige Business Action for Sustainable Development 2012 (BASD 2012), principal porte-parole des multinationales, dont la mission est de « veiller à ce que les entreprises soient reconnues comme sources de solutions ».

              Le développement durable assuré par Coca-Cola, Nestlé ou Shell

              De nombreuses entreprises multinationales ont désormais des partenariats avec des agences onusiennes. C’est le cas par exemple de Shell et du Pnue sur la biodiversité, de Coca-Cola et du Pnud sur la protection des ressources en eau, de Nestlé et du Pnud sur l’autonomisation des communautés rurales, ou encore de BASF, Coca-Cola et ONU-Habitat sur l’urbanisation durable. Outre les conflits d’intérêts posés par de tels partenariats, on assiste également à la montée des acteurs économiques privés au sein même des programmes internationaux. C’est le cas de l’Unep Finance ou du Biodiversity and Business Offset Program, le marché international de la compensation financière biodiversité. « L’action publique des Nations unies tend à être privatisée, déplore ainsi l’économiste Geneviève Azam. L’échec du modèle de Rio signe aussi celui du multilatéralisme. »


              Rebbi yerrahmek ya djamel.
              "Tu es, donc je suis"
              Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

              Commentaire


              • #8
                Rio+20 : comment multinationales et marchés financiers comptent s’accaparer la nature (suite et fin)

                Comment spéculer sur l’extinction des espèces

                La crise climatique et l’épuisement des ressources naturelles fournissent des terrains d’expérimentation, où investissent des fonds financiers. EKO Asset Management Partners, Inflection Point Capital Management, Innovest Strategic Value Advisors, Canopy Capital, Caisse des dépôts et consignations, en France, en sont quelques exemples [7]. À ces instruments financiers s’ajoutent en nombre croissant des produits dérivés spéculatifs. Des produits dérivés estampillés biodiversité en sont encore au stade de la proposition. Ils pourraient inciter des agents économiques à spéculer sur la disparition d’espèces comme d’autres ont spéculé sur l’écroulement des subprimes.

                Il s’agit également de produits liés à des emprunts hypothécaires gagés sur l’environnement, dit « environment mortgage ». Ces emprunts hypothécaires sont placés auprès de communautés locales du Sud, pauvres en ressources économiques mais riches en ressources naturelles. Ces communautés pourraient contracter des prêts de type microfinance à condition qu’elles gèrent bien leur environnement naturel. Ses promoteurs, comme la firme Advanced Conservation Strategy, ne disent pas ce qui adviendra si les débiteurs sont dans l’impossibilité de rembourser, comme ce fut le cas dans la crise du prêt immobilier de 2008. C’est ce que les auteurs de La nature n’a pas de prix appellent « la financiarisation de la nature ».

                Un Rio+20 alternatif

                Si l’enjeu à Rio+20 pour les gouvernements est d’aboutir à une déclaration relativement courte et consensuelle, les plus fortes divergences aujourd’hui ont trait à « l’économie verte ». « Les désaccords portent sur les principes qui devraient guider sa mise en œuvre, son rôle dans le cadre du développement durable et sur les moyens financiers et technologiques pour y parvenir », analyse Attac. Les mouvements de la société civile organisent un sommet alternatif à Rio du 15 au 23 juin. Basta ! sera présent sur place pour couvrir cet événement. En France, une journée de mobilisations est prévue le 20 juin. À Paris, se tiendra une grande vente aux enchères de la Terre. Tout un symbole.

                Sophie Chapelle

                BASTAMAG

                La nature n’a pas de prix : les méprises de l’économie verte, publié par l’association Attac, éd. Les liens qui libèrent, 2012.


                Notes

                [1] Télécharger le rapport de FOEI, Reclaim the UN from corporate capture (en anglais).
                [2] Télécharger le rapport d’ETC Group, Qui contrôlera l’économie verte.
                [3] Le terme biomasse fait directement référence à la masse de matière vivante (plantes, animaux, bactéries, champignons, etc.) trouvée à un endroit donné. Cependant, ce terme est plus souvent employé pour désigner la matière biologique non fossilisée qui peut être utilisée en guise de matière première. Le terme sous-entend une manière particulière de considérer la nature : comme une marchandise, et ce, bien avant qu’elle entre sur le marché. Source : ETC Group
                [4] Difficile à traduire littéralement mais le terme renvoie à une agriculture intelligente par rapport aux défis climatiques.
                [5] Sous l’égide du « Mécanisme de développement propre » élaboré par les Nations unies dans le cadre du protocole de Kyoto.
                [6] En 2006, une vaste revue de la littérature consacrée au sujet effectuée par le département américain de l’Agriculture (USDA) et des pédologues de l’État du Minnesota est parvenue à la conclusion que les résultats quant à l’effet favorable des pratiques aratoires anti-érosive sur l’accumulation de carbone dans les sols « n’étaient pas convaincants » (voir ici). D’autres études plus récentes confirment que l’application de pratiques aratoires anti-érosives ne permet pas d’accumuler plus de carbone dans les sols que le recours au labourage.
                [7] Lire à ce sujet Comment s’enrichir en prétendant sauver la planète

                Dernière modification par Gandhi, 03 juillet 2012, 17h49.
                Rebbi yerrahmek ya djamel.
                "Tu es, donc je suis"
                Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

                Commentaire


                • #9
                  Nature, le nouvel eldorado de la finance

                  Nature, le nouvel eldorado de la finance

                  Combien vaut la nature ? Combien peut-elle rapporter ? À l'heure où l'on craint le pire pour la biodiversité, ce documentaire révèle la financiarisation croissante des ressources naturelles par les banques et les investisseurs privés. Édifiant.

                  La course au profit généralisé et le marché global ont largement contribué à la crise écologique actuelle. Pourtant, les mondes de l'économie et de la finance prétendent renverser la tendance et sauver la planète en la protégeant à leur façon, c'est-à-dire avec de l'argent. C'est bien l'émergence d'un nouveau marché, celui de la protection environnementale, que décrypte le documentaire de Sandrine Feydel et Denis Delestrac - l'auteur du Sable, enquête sur une disparition, récemment diffusé par ARTE. Encore embryonnaire il y a quelques années, ce marché est aujourd'hui l'un des plus prometteurs en terme de profit. Son mode de fonctionnement est simple. De plus en plus de sociétés financières ou d'assurances, parfois précédées par les économistes, attribuent un coût à la nature. Combien vaut la forêt d'Amazonie ? Quelle est la valeur marchande de l'incessant labeur de pollinisation accompli par les abeilles ? Jusqu'ici, l'"invisibilité économique" de la nature ne jouait pas en sa faveur : les marchés n'aiment ni l'abondance ni la gratuité. Mais avec la raréfaction des ressources et la disparition programmée de certaines espèces, l'équation a changé. La loi de l'offre et de la demande peut maintenant s'appliquer aux richesses naturelles. Ainsi, des banques et des fonds d'investissements, pourtant responsables de la dernière crise financière en date, achètent d'immenses zones naturelles riches en espèces animales et végétales menacées. Monétarisées et financiarisées, ces réserves sont ensuite transformées en produits boursiers possiblement spéculatifs. On peut donc acheter des actions "mouche", "orang-outan" ou "saumon". En investissant dans ces titres, les entreprises polluantes obtiennent des "certificats de bonne conduite" qui les dispensent de suspendre leurs activités les plus néfastes...

                  La nature de l'argent

                  Fruit d'un patient et minutieux travail d'investigation, Nature, le nouvel eldorado de la finance met en relief les mécanismes d'un système naissant qui pourrait se révéler une entreprise de tartufferie mondiale. Interrogeant financiers, experts et penseurs, le film confronte les points de vue antagonistes et multiplie les exemples concrets de populations et milieux naturels menacés par ces nouvelles pratiques. L'enquête dresse un vaste panorama des intérêts en jeu et des lobbies en action autour de ce "nouveau" capital naturel, se demandant au final quelles valeurs défendent réellement ceux qui attribuent un coût à la nature. Une nouvelle crise financière pourrait en effet résulter de la spéculation et de l'effondrement de ces nouveaux marchés...

                  ARTE

                  Vidéo à voir sur ce lien :
                  http://www.arte.tv/guide/fr/050583-0...-de-la-finance
                  Rebbi yerrahmek ya djamel.
                  "Tu es, donc je suis"
                  Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

                  Commentaire


                  • #10
                    Les méthodes de luttes libérales capitalistes des associations et mouvements de défenses de l'environnement et pour la sauvegarde de la nature sont inscrites dans l'ADN du système. Elles le nourrissent.

                    J'ai l'impression que capitalisme et le marché arrivent à conquérir plus efficacement tous les aspects de la VIE. En tout cas la dialectique bourgeoise joue grandement en faveur du tout marché.

                    Je ne remet pas en cause l'authenticité des combats mais il s'avère que la philosophie libérale-capitaliste des défenseurs de la nature est défavorable à ces combats.
                    Rebbi yerrahmek ya djamel.
                    "Tu es, donc je suis"
                    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

                    Commentaire

                    Chargement...
                    X