Palais et PJD. Le bras de fer
Le PJD et Mohammed VI se livrent à une véritable guerre froide (MAP)
(à suivre)
Le PJD et Mohammed VI se livrent à une véritable guerre froide (MAP)
Depuis novembre 2011, au moment où les Marocains ontdécidé de porter les islamistes au pouvoir, le PJD et Mohammed VI se livrent à une véritable guerre froide. Qui craquera le premier ? Qui aura le dernier mot ? Faits d’armes et enjeux de la bataille.
Le 26 mai 2012 à Bouznika. Une bonne partie des ministres PJD sont là pour rendre compte de leurs actions aux responsables locaux de leur parti. Sauf que cette longue séance, consacrée au travail de l’équipe des ministres barbus, se transforme vite en aveux des mille et une difficultés rencontrées dans l’exercice du pouvoir, où ils font face à des “poches de résistance”. Le ministre des Affaires étrangères, Saâd-Eddine El Othmani, se désole de ne rien pouvoir faire contre certains fonctionnaires de son département. Ils se sont éternisés comme ambassadeurs parce qu’ils sont proches de personnalités influentes : “Nous ne sommes pas un parti au pouvoir, c’est une illusion. Nous exerçons le pouvoir avec d’autres partenaires”, explique Lahbib Choubani, ministre chargé des Relations avec le parlement. Ce dernier a appelé ses frères à la vigilance pour ne pas perdre le soutien de la rue. Et c’est enfin Mustapha El Khalfi qui souligne, à sa manière et avec amertume, le jeu de pouvoir où est pris son parti. Le ministre de la Communication a parlé de tentatives d’isoler le gouvernement à chaque fois qu’un chantier de réformes est lancé. Et ce ne sont pas les armes qui manquent, selon le benjamin du gouvernement Benkirane. Pour les médias, “on” sort la carte des responsables du pôle public et la presse, pour la justice, ce sont les juges, et pour le dialogue social, “on” fait bouger certains syndicats. Sauf qu’à aucun moment, Mustapha El Khalfi n’a expliqué ce qu’il voulait dire par son “on” très impersonnel. Aziz Rabbah, ministre de l’Equipement et du Transport, a affirmé quant à lui que “nous nous échauffons toujours. Le match ne fait que commencer et nous ne savons pas si l’arbitre est avec ou contre nous”. Arbitre ? Le jeune ministre islamiste faisait-il allusion directement au roi ou à son entourage ? Ou alors aux deux ? Sans aucun doute aux deux puisqu’avant même que ne débute le match entre le Palais et le PJD, sorti vainqueur des législatives, le roi avait verrouillé sa défense. Il a sélectionné un gouvernement parallèle qui vidait de leur essence les ministères de souveraineté concédés à l’équipe du PJD. Fouad Ali El Himma est nommé conseiller royal, capitaine d’une garde rapprochée chargée des contacts avec le gouvernement islamiste. Mais surtout de surveiller et contrer les initiatives du parti de la lampe.
Investiture entre 2 portes
La manière dont Abdelilah Benkirane a été nommé Chef de gouvernement, le 29 novembre 2011, par Mohammed VI, avait déjà été interprétée comme un signe : le roi allait être plus qu’un simple arbitre et influer sur le cours du match. Le chef du PJD, arrivé en tête des élections, devient bien le chef de l’Exécutif, mais le roi n’y met pas les formes. Le futur Chef du gouvernement est trimballé à bord d’un hélicoptère de la Gendarmerie royale, le 29 novembre, jusqu’à Errachidia avant d’être reçu par le roi à Midelt où il est “convoqué”, selon un titre de l’AFP largement repris par les médias internationaux. L’accueil fait à Benkirane dénote à coup sûr avec celui fait aux autres Premiers ministres de Mohammed VI. Le roi avait ainsi reçu Driss Jettou en 2002 et Abbas El Fassi en 2007 au palais royal de Rabat, avec le cérémonial qui sied aux grands commis de l’Etat. Mohammed VI rassure Abdelilah Benkirane en lui demandant de ne pas “le prendre mal”. C’est juste qu’il avait des obligations sur place, à savoir le lancement depuis Midelt de la 12ème campagne de solidarité de la Fondation Mohammed V. Benkirane explique avoir compris les contraintes du monarque, mais au niveau des militants du PJD, c’est un autre son de cloche. Plusieurs caciques estiment ainsi en off que le roi aurait pu consacrer une demi-heure de protocole au chef de file des islamistes dans l’un de ses palais à Fès, voire dans son palais d’Ifrane, une autre ville proche de Midelt. D’autant que le choix de ce lieu n’était pas anodin, selon l’interprétation des militants du parti de la lampe. On aurait, semble-t-il, voulu leur rappeler la condamnation en décembre 2010 du maire PJD de la ville, Mohamed Hanini, à huit mois de prison ferme pour corruption. Une affaire où leur parti a laissé bien des plumes en termes d’image, lui qui a toujours revendiqué le label “intégrité”.
Ramid nommé à l’arraché
Abdelilah Benkirane quitte Midelt pour Rabat et essaie de faire oublier cette première “mésaventure” par une longue série de déclarations sur la “gentillesse”, la “disponibilité” et “l’humanité” de Mohammed VI. En coulisses, l’histoire entre le Palais et le PJD n’est pas aussi idyllique. Benkirane se lance dans un marathon pour former son équipe gouvernementale. Il doit jongler entre les exigences de sa base, la boulimie des partis qui vont former sa coalition… et surtout les diktats et autres vetos du Palais. C’est ainsi que Benkirane doit se battre pour imposer Mustafa Ramid au ministère de la Justice, car il avait été refusé par le Palais. Lors de cette première crise entre le roi et le PJD, le parti de la lampe sort vainqueur en obtenant le poste pour Ramid, mal vu par certains proches du roi, qui le jugent pas assez flexible et craignent de le voir agir pour réformer la magistrature marocaine aux ordres. Le PJD tient bon et arrache la nomination de Ramid.
Cependant, le parti de la lampe a beau se réjouir de sa petite victoire, le Palais a toujours la haute main sur certaines décisions de justice et ne manque pas de le rappeler à Ramid. Les grâces, c’est le roi et personne d’autre. Mohammed VI obtient ainsi que l’on raye de la liste des graciés, proposée par le ministre de la Justice, le nom du journaliste Rachid Niny, inscrit pourtant en tête de liste par Ramid. Pour marquer l’ordre de préséance, le roi rajoute deux noms que le chef de la justice n’avait pas inscrits sur la liste : ceux de Khalid Oudghiri et du boxeur Zakaria Moumni. Le roi a expliqué à Ramid : “J’aurai gracié Rachid Niny s’il m’avait offensé moi, mais il a porté atteinte à d’autres personnes et à des responsables de l’Etat”. “Allah Ghaleb”, a commenté Ramid. Sous-entendu, les voies du seigneur sont impénétrables. Et celles du Palais encore moins.
Chasse gardée du roi
Avant la formation du gouvernement Benkirane, Mohammed VI nomme une série d’ambassadeurs. Le Premier ministre, mis devant le fait accompli, était attendu sur la nomination aux hautes fonctions publiques déterminée par une loi organique qui partage le pouvoir de désignation entre Mohammed VI et Abdelilah Benkirane. Il n’a pas répondu présent, laissant le roi se tailler la part du lion et se contentant de la portion congrue. Mohammed VI en est ressorti à son avantage en se réservant, entre autres, les fleurons du secteur public : OCP, RAM, CDG, ONCF, CNSS, BCP, Al Omrane, et beaucoup d’autres. Ayant raté cet examen, passage de témoin entre la monarchie et l’Exécutif, Benkirane était à nouveau attendu lors de la session de rattrapage ayant pour “sujet” la première vague de nomination des walis sous son ère. Et rebelote, il a été recalé, ne marquant pas suffisamment son territoire. Benkirane a expliqué qu’il avait entière confiance en son ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser. “Il connaît mieux que moi ce dossier. C’est mon ministre. J’ai une totale confiance en lui. Je me suis opposé à la nomination d’un seul gouverneur, le roi m’a d’ailleurs donné raison”, s’est-il justifié au parlement. Benkirane faisait allusion à Mohamed Dades, ancien gouverneur de Mohammedia, qui était intervenu contre le PJD lors des élections communales en 2009 dans cette ville. Une petite victoire de Benkirane en vérité, puisque la majorité des walis nommés étaient déjà en place lors des élections communales de 2009 et avaient contribué tout autant que Dades à mettre des bâtons dans les roues du PJD. Mais plutôt que d’entrer en conflit ouvert avec le Palais à propos des nominations de walis, Benkirane a laissé ses ouailles critiquer cette décision. Sur le plan de la symbolique, le péché mignon du PJD. C’est ainsi qu’Ahmed Raïssouni, l’ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), a fustigé les courbettes des nouveaux walis devant le roi. A défaut de s’attaquer au fond du problème, on s’en prend au rituel du Makhzen. La critique a même été relayée par les militants du PJD, qui ont publié sur les réseaux sociaux un manifeste signé, du temps où ils étaient dans l’opposition, par Mustafa Ramid, Lahbib Choubani et Saâd-Eddine El Othmani. Ils y demandaient l’abolition de ces traditions du Makhzen attentatoires à la dignité de la personne.
Le 26 mai 2012 à Bouznika. Une bonne partie des ministres PJD sont là pour rendre compte de leurs actions aux responsables locaux de leur parti. Sauf que cette longue séance, consacrée au travail de l’équipe des ministres barbus, se transforme vite en aveux des mille et une difficultés rencontrées dans l’exercice du pouvoir, où ils font face à des “poches de résistance”. Le ministre des Affaires étrangères, Saâd-Eddine El Othmani, se désole de ne rien pouvoir faire contre certains fonctionnaires de son département. Ils se sont éternisés comme ambassadeurs parce qu’ils sont proches de personnalités influentes : “Nous ne sommes pas un parti au pouvoir, c’est une illusion. Nous exerçons le pouvoir avec d’autres partenaires”, explique Lahbib Choubani, ministre chargé des Relations avec le parlement. Ce dernier a appelé ses frères à la vigilance pour ne pas perdre le soutien de la rue. Et c’est enfin Mustapha El Khalfi qui souligne, à sa manière et avec amertume, le jeu de pouvoir où est pris son parti. Le ministre de la Communication a parlé de tentatives d’isoler le gouvernement à chaque fois qu’un chantier de réformes est lancé. Et ce ne sont pas les armes qui manquent, selon le benjamin du gouvernement Benkirane. Pour les médias, “on” sort la carte des responsables du pôle public et la presse, pour la justice, ce sont les juges, et pour le dialogue social, “on” fait bouger certains syndicats. Sauf qu’à aucun moment, Mustapha El Khalfi n’a expliqué ce qu’il voulait dire par son “on” très impersonnel. Aziz Rabbah, ministre de l’Equipement et du Transport, a affirmé quant à lui que “nous nous échauffons toujours. Le match ne fait que commencer et nous ne savons pas si l’arbitre est avec ou contre nous”. Arbitre ? Le jeune ministre islamiste faisait-il allusion directement au roi ou à son entourage ? Ou alors aux deux ? Sans aucun doute aux deux puisqu’avant même que ne débute le match entre le Palais et le PJD, sorti vainqueur des législatives, le roi avait verrouillé sa défense. Il a sélectionné un gouvernement parallèle qui vidait de leur essence les ministères de souveraineté concédés à l’équipe du PJD. Fouad Ali El Himma est nommé conseiller royal, capitaine d’une garde rapprochée chargée des contacts avec le gouvernement islamiste. Mais surtout de surveiller et contrer les initiatives du parti de la lampe.
Investiture entre 2 portes
La manière dont Abdelilah Benkirane a été nommé Chef de gouvernement, le 29 novembre 2011, par Mohammed VI, avait déjà été interprétée comme un signe : le roi allait être plus qu’un simple arbitre et influer sur le cours du match. Le chef du PJD, arrivé en tête des élections, devient bien le chef de l’Exécutif, mais le roi n’y met pas les formes. Le futur Chef du gouvernement est trimballé à bord d’un hélicoptère de la Gendarmerie royale, le 29 novembre, jusqu’à Errachidia avant d’être reçu par le roi à Midelt où il est “convoqué”, selon un titre de l’AFP largement repris par les médias internationaux. L’accueil fait à Benkirane dénote à coup sûr avec celui fait aux autres Premiers ministres de Mohammed VI. Le roi avait ainsi reçu Driss Jettou en 2002 et Abbas El Fassi en 2007 au palais royal de Rabat, avec le cérémonial qui sied aux grands commis de l’Etat. Mohammed VI rassure Abdelilah Benkirane en lui demandant de ne pas “le prendre mal”. C’est juste qu’il avait des obligations sur place, à savoir le lancement depuis Midelt de la 12ème campagne de solidarité de la Fondation Mohammed V. Benkirane explique avoir compris les contraintes du monarque, mais au niveau des militants du PJD, c’est un autre son de cloche. Plusieurs caciques estiment ainsi en off que le roi aurait pu consacrer une demi-heure de protocole au chef de file des islamistes dans l’un de ses palais à Fès, voire dans son palais d’Ifrane, une autre ville proche de Midelt. D’autant que le choix de ce lieu n’était pas anodin, selon l’interprétation des militants du parti de la lampe. On aurait, semble-t-il, voulu leur rappeler la condamnation en décembre 2010 du maire PJD de la ville, Mohamed Hanini, à huit mois de prison ferme pour corruption. Une affaire où leur parti a laissé bien des plumes en termes d’image, lui qui a toujours revendiqué le label “intégrité”.
Ramid nommé à l’arraché
Abdelilah Benkirane quitte Midelt pour Rabat et essaie de faire oublier cette première “mésaventure” par une longue série de déclarations sur la “gentillesse”, la “disponibilité” et “l’humanité” de Mohammed VI. En coulisses, l’histoire entre le Palais et le PJD n’est pas aussi idyllique. Benkirane se lance dans un marathon pour former son équipe gouvernementale. Il doit jongler entre les exigences de sa base, la boulimie des partis qui vont former sa coalition… et surtout les diktats et autres vetos du Palais. C’est ainsi que Benkirane doit se battre pour imposer Mustafa Ramid au ministère de la Justice, car il avait été refusé par le Palais. Lors de cette première crise entre le roi et le PJD, le parti de la lampe sort vainqueur en obtenant le poste pour Ramid, mal vu par certains proches du roi, qui le jugent pas assez flexible et craignent de le voir agir pour réformer la magistrature marocaine aux ordres. Le PJD tient bon et arrache la nomination de Ramid.
Cependant, le parti de la lampe a beau se réjouir de sa petite victoire, le Palais a toujours la haute main sur certaines décisions de justice et ne manque pas de le rappeler à Ramid. Les grâces, c’est le roi et personne d’autre. Mohammed VI obtient ainsi que l’on raye de la liste des graciés, proposée par le ministre de la Justice, le nom du journaliste Rachid Niny, inscrit pourtant en tête de liste par Ramid. Pour marquer l’ordre de préséance, le roi rajoute deux noms que le chef de la justice n’avait pas inscrits sur la liste : ceux de Khalid Oudghiri et du boxeur Zakaria Moumni. Le roi a expliqué à Ramid : “J’aurai gracié Rachid Niny s’il m’avait offensé moi, mais il a porté atteinte à d’autres personnes et à des responsables de l’Etat”. “Allah Ghaleb”, a commenté Ramid. Sous-entendu, les voies du seigneur sont impénétrables. Et celles du Palais encore moins.
Chasse gardée du roi
Avant la formation du gouvernement Benkirane, Mohammed VI nomme une série d’ambassadeurs. Le Premier ministre, mis devant le fait accompli, était attendu sur la nomination aux hautes fonctions publiques déterminée par une loi organique qui partage le pouvoir de désignation entre Mohammed VI et Abdelilah Benkirane. Il n’a pas répondu présent, laissant le roi se tailler la part du lion et se contentant de la portion congrue. Mohammed VI en est ressorti à son avantage en se réservant, entre autres, les fleurons du secteur public : OCP, RAM, CDG, ONCF, CNSS, BCP, Al Omrane, et beaucoup d’autres. Ayant raté cet examen, passage de témoin entre la monarchie et l’Exécutif, Benkirane était à nouveau attendu lors de la session de rattrapage ayant pour “sujet” la première vague de nomination des walis sous son ère. Et rebelote, il a été recalé, ne marquant pas suffisamment son territoire. Benkirane a expliqué qu’il avait entière confiance en son ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser. “Il connaît mieux que moi ce dossier. C’est mon ministre. J’ai une totale confiance en lui. Je me suis opposé à la nomination d’un seul gouverneur, le roi m’a d’ailleurs donné raison”, s’est-il justifié au parlement. Benkirane faisait allusion à Mohamed Dades, ancien gouverneur de Mohammedia, qui était intervenu contre le PJD lors des élections communales en 2009 dans cette ville. Une petite victoire de Benkirane en vérité, puisque la majorité des walis nommés étaient déjà en place lors des élections communales de 2009 et avaient contribué tout autant que Dades à mettre des bâtons dans les roues du PJD. Mais plutôt que d’entrer en conflit ouvert avec le Palais à propos des nominations de walis, Benkirane a laissé ses ouailles critiquer cette décision. Sur le plan de la symbolique, le péché mignon du PJD. C’est ainsi qu’Ahmed Raïssouni, l’ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), a fustigé les courbettes des nouveaux walis devant le roi. A défaut de s’attaquer au fond du problème, on s’en prend au rituel du Makhzen. La critique a même été relayée par les militants du PJD, qui ont publié sur les réseaux sociaux un manifeste signé, du temps où ils étaient dans l’opposition, par Mustafa Ramid, Lahbib Choubani et Saâd-Eddine El Othmani. Ils y demandaient l’abolition de ces traditions du Makhzen attentatoires à la dignité de la personne.
(à suivre)
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