Des rumeurs font état d'une prochaine déchéance de la nationalité algérienne de Ferhat Mehenni. Quelle serait la portée de cet acte ?
Arezki BAKIR (Président de l'Association des Kabyles de France) : Je ne crois pas que les autorités algériennes mettront cette menace, qu'ils ont émises par le biais de leurs islamistes de service, a exécution. Toutefois, si elle devait être appliquée, Ferhat ne s'en portera pas plus mal. Sa vraie nationalité, c'est la nationalité kabyle.
Il a démontré dans son dernier ouvrage, "le siècle identitaire", que les territoires issus de la colonisation sont des états sans nation, des états fantoches.
Les vrais peuples commencent à se réveiller après des dizaines d'années de léthargie liées à la précaire union née des luttes de libération contre un colonisateur commun. Aujourd'hui, les vrais peuples se sentent trahis et dans l'impasse. Leurs élites ont été volontairement décimées, ce qui explique la difficulté de leurs marches en avant. Concernant l'Algérie, certains continuent de nous chanter la permanence de l'unité algérienne. Une unité factice.
Qui aurait cru, dans les années 70, 80 voire 90, qu'en 2010, la Kabylie serait dotée d'un gouvernement provisoire en exil, et qu'un mouvement autonomiste kabyle drainerait des milliers de personnes ? Personne ! La marche est lancée et elle ne peut être arrêtée car le peuple kabyle n'est pas un peuple qui a été inventé mais s'est forgé à travers les siècles. Les frontières de la Kabylie sont naturelles et n'ont pas été tracées à la règle contrairement au territoire algérien qui a été crée de toutes pièces dans des officines et des laboratoires par le colonisateur français, sous l'impulsion de ses intérêts économiques.
La Kabylie est l'oeuvre des Kabyles eux-mêmes et non d'une force extérieure. Dans ce contexte, la déchéance de la nationalité algérienne est dérisoire.
Est-il possible de "vaincre" le régime algérien ?
Rien n'est impossible pour les Kabyles, qui sont des combattants. Un peuple fier et qui a de la suite dans les idées. La guerre d'Algérie, ou les kabyles se sont sculptés une statue de "libérateurs" car teigneux et à l'avant-garde de la lutte, est ce qui freine la progression du nationalisme kabyle. Beaucoup de gens vous rappellent que les "moudjahidines" Kabyles sont morts pour toute l'Algérie, quand en réalité, ils se sont d'abord battus instinctivement contre un oppresseur, qu'ils ont identifié comme un obstacle à l'expression de leur identité : la France. L'Algérie, territoire qui n'avait jamais eu d'existence politique avant sa création par la France était secondaire pour eux. Bien-sûr, en 1962, les gens se sont retrouvés avec le territoire algérien en héritage. Les kabyles se le sont appropriés affectivement et les arabo-musulmans, politiquement. Pour les kabyles, l'Algérie était une Kabylie en grand. Mais des dizaines d'années plus tard, de plus en plus de kabyles sont en train d'ouvrir les yeux. L'Algérie ne sera jamais une Kabylie de deux millions de kilomètres carrés, ni même un pays pluriel ou tout le monde s'embrasse.
Soit les Kabyles acceptent d'être éternellement sous la coupe arabo-islamiste (majoritaire en Algérie), soit ils doivent s'émanciper et créer un état qui leur permettent d'accomplir un destin distinct et singulier. Une Algérie même démocratique restera à majorité arabo-musulmane et les tenants de cette identité ne peuvent pas concevoir la berbérité autrement que par son expression folklorique. Ou au mieux, comme une nostalgie qu'il faut dépasser.
Vaincre le régime algérien c'est donc d'abord cesser de croire que nous serons épanouis dans un ensemble ou nous sommes minoritaires. Les Berbères sont majoritaires "ethniquement" mais minoritaires idéologiquement et culturellement. Et loin de convaincre la majorité des algériens, ils perdent du terrain...
Après le colonialisme français, c'est donc le colonialisme algérien qu'il faut combattre ?
Non ! Après le colonialisme français, c'est le... néo-colonialisme français qu'il faut combattre. Car si le territoire algérien a été conçu et fabriqué par la France, le régime algérien a également été conçu par la France.
Elle contrôle le territoire comme le régime. Elle a placé ses hommes, qui sont chargés, depuis l'indépendance de veiller à ce que ses intérêts soient préservés. En contrepartie, les marionnettes du régime ont le droit de tenir des discours anti-français, anti-occidentaux, voire même antisémites, pour faire plaisir à la frange islamo-conservatrice de l'opinion, qui est d'ailleurs très importante en Algérie. Mais la France n'acceptera jamais que ses intérêts soient remis en cause. La France ne parle jamais de l'Algérie, elle se contente d'y actionner les leviers. Pour combien de temps encore ? Je l'ignore mais ce qui est sûr, c'est que la Kabylie ne représente pas un enjeu majeur pour la France même si cette dernière n'oublie pas que les montagnards du Djurdjura lui ont cause de lourdes pertes pendant la guerre. Le pouvoir algérien, c'est la France.
Les histoires de criminalisation de la colonisation, de demande de repentance ou je ne sais quelles autres hypocrites et démagogiques balivernes, la France n'en a cure tant qu'on ne cherche pas à remettre en cause la réalité de son pouvoir en Algérie.
Il ne faut donc pas compter sur le soutien de la France ?
Le soutien de la France officielle, nous pouvons l'oublier, sauf évènements majeurs remettant en cause ses intérêts dans la région. Par contre, des pans de la société française et de la classe politique nous sont favorables. Ils peuvent aider à ce que la France ne bloque pas les kabyles. La création d'associations kabyles en France ou de groupes d'amitiés entre la France et la Kabylie va dans le sens de cet objectif. Car nous ne devons pas confondre le peuple français et les positions géostratégiques de la France.
Nous sommes des centaines de milliers de kabyles en France, notre rôle est donc d'influer ici, je ne le répèterais jamais assez. La France joue un rôle clé dans le verrou installé aux portes du pouvoir algérien. Si la France cède, le régime algérien est nu. Depuis que je milite pour la Kabylie, je suis effaré de voir à quel point le rôle de la France est sous-estimé. Personne ne voulait comprendre pourquoi j'ai toujours poussé à nous organiser ici. Quand on me dit "c'est en Kabylie qu'il faut se battre, pas ici", je réponds "ok, vous vous faites plaisir en disant ça mais heureusement que les gens de l'étoile nord-africaine, de la fédération de France du FLN, les étudiants berbères de Paris qui ont exporté la revendication identitaire ne vous ont pas écouté". L'ASKAF a d'ailleurs orienté son action et sa stratégie vers le travail de réseau, raison pour laquelle nous n'en parlons pas beaucoup. Pour les actions visibles et publiques, d'autres organisations font le boulot et le font bien.
Certes mais les Kabyles de Kabylie sont les plus concernés...
Oui mais leurs marges de manoeuvre sont réduites. La Kabylie est très bien quadrillée. Par les islamistes, les militaires et les représentants politiques et administratifs du régime, qui sont tous au service du pouvoir. Les militants doivent évoluer au milieu de ce contexte hostile et le font admirablement. Toutefois, nous ne devons pas oublier que l'une des stratégies du pouvoir pour affaiblir la Kabylie est de couper la base des meneurs. Lors du printemps noir, un nombre important de "leaders" kabyles se sont vus octroyés des visas pour et par la France. Cette stratégie concertée franco-algérienne avait pour but d'éteindre l'incendie en Kabylie en privant le train de la contestation de sa locomotive. Empêcher Ferhat de se rendre en Algérie rentre dans ce cadre. Beaucoup de kabyles qui rejoignent la France sont des militants passionnés de la cause identitaire. Idem pour les élites. Tout ce qui peut conduire le peuple à une prise de conscience qui sortirait du cadre dicté par le pouvoir, doit être éliminé. Ces élites et ces meneurs convaincus qui rejoignent la France ne doivent pas abandonner le combat. Mais le réadapter. Ils font désormais partie de la Diaspora Kabyle. Ils doivent y activer.
Le destin de la Kabylie est-il l'indépendance ? ou le cadre de la république algérienne est-il toujours d'actualité ?
A titre personnel, mon souhait a toujours été une fédération algérienne, reprenant peu ou prou les frontières des wilayas de la guerre de libération, avec un statut spécifique pour Alger, région capitale. Mais le temps a montré que cela sera difficile, voire impossible d'y parvenir car la culture algérienne est jacobine et centralisatrice comme la France, qui est non seulement l'inspiratrice, mais également la "parraine" du régime. Du coup, il n'y a pas d'autres choix qu'un Etat kabyle, avec de très larges prérogatives, pouvant aller jusqu'à une quasi-indépendance politique. Si nous y parvenons et que les autres régions berbérophones d'Afrique du Nord suivent, alors une ligue des états berbères pourra voir le jour pour contrer la ligue arabe. Et à terme, fédérer les territoires berbères. A défaut d'une virtuelle Tamazgha, qui nécessiterait la reberbérisation de toute l'Afrique du Nord, démarche onirique dans laquelle je ne m'engagerais pas, nous pourrions ainsi avoir une vraie structure politique transnationale berbère.Le temps est au pragmatisme. La Kabylie doit désormais tenir compte des contingences politiques et ne plus se cacher derrière des concepts séduisants mais qui l'éloignent durablement du concret.
Propos recueillis par Hella Wadi La Kabylie Libre
Arezki BAKIR (Président de l'Association des Kabyles de France) : Je ne crois pas que les autorités algériennes mettront cette menace, qu'ils ont émises par le biais de leurs islamistes de service, a exécution. Toutefois, si elle devait être appliquée, Ferhat ne s'en portera pas plus mal. Sa vraie nationalité, c'est la nationalité kabyle.
Il a démontré dans son dernier ouvrage, "le siècle identitaire", que les territoires issus de la colonisation sont des états sans nation, des états fantoches.
Les vrais peuples commencent à se réveiller après des dizaines d'années de léthargie liées à la précaire union née des luttes de libération contre un colonisateur commun. Aujourd'hui, les vrais peuples se sentent trahis et dans l'impasse. Leurs élites ont été volontairement décimées, ce qui explique la difficulté de leurs marches en avant. Concernant l'Algérie, certains continuent de nous chanter la permanence de l'unité algérienne. Une unité factice.
Qui aurait cru, dans les années 70, 80 voire 90, qu'en 2010, la Kabylie serait dotée d'un gouvernement provisoire en exil, et qu'un mouvement autonomiste kabyle drainerait des milliers de personnes ? Personne ! La marche est lancée et elle ne peut être arrêtée car le peuple kabyle n'est pas un peuple qui a été inventé mais s'est forgé à travers les siècles. Les frontières de la Kabylie sont naturelles et n'ont pas été tracées à la règle contrairement au territoire algérien qui a été crée de toutes pièces dans des officines et des laboratoires par le colonisateur français, sous l'impulsion de ses intérêts économiques.
La Kabylie est l'oeuvre des Kabyles eux-mêmes et non d'une force extérieure. Dans ce contexte, la déchéance de la nationalité algérienne est dérisoire.
Est-il possible de "vaincre" le régime algérien ?
Rien n'est impossible pour les Kabyles, qui sont des combattants. Un peuple fier et qui a de la suite dans les idées. La guerre d'Algérie, ou les kabyles se sont sculptés une statue de "libérateurs" car teigneux et à l'avant-garde de la lutte, est ce qui freine la progression du nationalisme kabyle. Beaucoup de gens vous rappellent que les "moudjahidines" Kabyles sont morts pour toute l'Algérie, quand en réalité, ils se sont d'abord battus instinctivement contre un oppresseur, qu'ils ont identifié comme un obstacle à l'expression de leur identité : la France. L'Algérie, territoire qui n'avait jamais eu d'existence politique avant sa création par la France était secondaire pour eux. Bien-sûr, en 1962, les gens se sont retrouvés avec le territoire algérien en héritage. Les kabyles se le sont appropriés affectivement et les arabo-musulmans, politiquement. Pour les kabyles, l'Algérie était une Kabylie en grand. Mais des dizaines d'années plus tard, de plus en plus de kabyles sont en train d'ouvrir les yeux. L'Algérie ne sera jamais une Kabylie de deux millions de kilomètres carrés, ni même un pays pluriel ou tout le monde s'embrasse.
Soit les Kabyles acceptent d'être éternellement sous la coupe arabo-islamiste (majoritaire en Algérie), soit ils doivent s'émanciper et créer un état qui leur permettent d'accomplir un destin distinct et singulier. Une Algérie même démocratique restera à majorité arabo-musulmane et les tenants de cette identité ne peuvent pas concevoir la berbérité autrement que par son expression folklorique. Ou au mieux, comme une nostalgie qu'il faut dépasser.
Vaincre le régime algérien c'est donc d'abord cesser de croire que nous serons épanouis dans un ensemble ou nous sommes minoritaires. Les Berbères sont majoritaires "ethniquement" mais minoritaires idéologiquement et culturellement. Et loin de convaincre la majorité des algériens, ils perdent du terrain...
Après le colonialisme français, c'est donc le colonialisme algérien qu'il faut combattre ?
Non ! Après le colonialisme français, c'est le... néo-colonialisme français qu'il faut combattre. Car si le territoire algérien a été conçu et fabriqué par la France, le régime algérien a également été conçu par la France.
Elle contrôle le territoire comme le régime. Elle a placé ses hommes, qui sont chargés, depuis l'indépendance de veiller à ce que ses intérêts soient préservés. En contrepartie, les marionnettes du régime ont le droit de tenir des discours anti-français, anti-occidentaux, voire même antisémites, pour faire plaisir à la frange islamo-conservatrice de l'opinion, qui est d'ailleurs très importante en Algérie. Mais la France n'acceptera jamais que ses intérêts soient remis en cause. La France ne parle jamais de l'Algérie, elle se contente d'y actionner les leviers. Pour combien de temps encore ? Je l'ignore mais ce qui est sûr, c'est que la Kabylie ne représente pas un enjeu majeur pour la France même si cette dernière n'oublie pas que les montagnards du Djurdjura lui ont cause de lourdes pertes pendant la guerre. Le pouvoir algérien, c'est la France.
Les histoires de criminalisation de la colonisation, de demande de repentance ou je ne sais quelles autres hypocrites et démagogiques balivernes, la France n'en a cure tant qu'on ne cherche pas à remettre en cause la réalité de son pouvoir en Algérie.
Il ne faut donc pas compter sur le soutien de la France ?
Le soutien de la France officielle, nous pouvons l'oublier, sauf évènements majeurs remettant en cause ses intérêts dans la région. Par contre, des pans de la société française et de la classe politique nous sont favorables. Ils peuvent aider à ce que la France ne bloque pas les kabyles. La création d'associations kabyles en France ou de groupes d'amitiés entre la France et la Kabylie va dans le sens de cet objectif. Car nous ne devons pas confondre le peuple français et les positions géostratégiques de la France.
Nous sommes des centaines de milliers de kabyles en France, notre rôle est donc d'influer ici, je ne le répèterais jamais assez. La France joue un rôle clé dans le verrou installé aux portes du pouvoir algérien. Si la France cède, le régime algérien est nu. Depuis que je milite pour la Kabylie, je suis effaré de voir à quel point le rôle de la France est sous-estimé. Personne ne voulait comprendre pourquoi j'ai toujours poussé à nous organiser ici. Quand on me dit "c'est en Kabylie qu'il faut se battre, pas ici", je réponds "ok, vous vous faites plaisir en disant ça mais heureusement que les gens de l'étoile nord-africaine, de la fédération de France du FLN, les étudiants berbères de Paris qui ont exporté la revendication identitaire ne vous ont pas écouté". L'ASKAF a d'ailleurs orienté son action et sa stratégie vers le travail de réseau, raison pour laquelle nous n'en parlons pas beaucoup. Pour les actions visibles et publiques, d'autres organisations font le boulot et le font bien.
Certes mais les Kabyles de Kabylie sont les plus concernés...
Oui mais leurs marges de manoeuvre sont réduites. La Kabylie est très bien quadrillée. Par les islamistes, les militaires et les représentants politiques et administratifs du régime, qui sont tous au service du pouvoir. Les militants doivent évoluer au milieu de ce contexte hostile et le font admirablement. Toutefois, nous ne devons pas oublier que l'une des stratégies du pouvoir pour affaiblir la Kabylie est de couper la base des meneurs. Lors du printemps noir, un nombre important de "leaders" kabyles se sont vus octroyés des visas pour et par la France. Cette stratégie concertée franco-algérienne avait pour but d'éteindre l'incendie en Kabylie en privant le train de la contestation de sa locomotive. Empêcher Ferhat de se rendre en Algérie rentre dans ce cadre. Beaucoup de kabyles qui rejoignent la France sont des militants passionnés de la cause identitaire. Idem pour les élites. Tout ce qui peut conduire le peuple à une prise de conscience qui sortirait du cadre dicté par le pouvoir, doit être éliminé. Ces élites et ces meneurs convaincus qui rejoignent la France ne doivent pas abandonner le combat. Mais le réadapter. Ils font désormais partie de la Diaspora Kabyle. Ils doivent y activer.
Le destin de la Kabylie est-il l'indépendance ? ou le cadre de la république algérienne est-il toujours d'actualité ?
A titre personnel, mon souhait a toujours été une fédération algérienne, reprenant peu ou prou les frontières des wilayas de la guerre de libération, avec un statut spécifique pour Alger, région capitale. Mais le temps a montré que cela sera difficile, voire impossible d'y parvenir car la culture algérienne est jacobine et centralisatrice comme la France, qui est non seulement l'inspiratrice, mais également la "parraine" du régime. Du coup, il n'y a pas d'autres choix qu'un Etat kabyle, avec de très larges prérogatives, pouvant aller jusqu'à une quasi-indépendance politique. Si nous y parvenons et que les autres régions berbérophones d'Afrique du Nord suivent, alors une ligue des états berbères pourra voir le jour pour contrer la ligue arabe. Et à terme, fédérer les territoires berbères. A défaut d'une virtuelle Tamazgha, qui nécessiterait la reberbérisation de toute l'Afrique du Nord, démarche onirique dans laquelle je ne m'engagerais pas, nous pourrions ainsi avoir une vraie structure politique transnationale berbère.Le temps est au pragmatisme. La Kabylie doit désormais tenir compte des contingences politiques et ne plus se cacher derrière des concepts séduisants mais qui l'éloignent durablement du concret.
Propos recueillis par Hella Wadi La Kabylie Libre
Commentaire