Article de Tel quel
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Les victimes de la torture des années de plomb ont toutes parlé, et ont ému le Maroc aux larmes. Aujourd'hui, pour la première fois, c'est un ancien tortionnaire qui brise le silence. Sa confession est un coup de poing à l'estomac, un authentique voyage au bout de l'horreur. Mais un voyage nécessaire, voire salutaire. Pour comprendre, pour expurger, pour que plus jamais cela ne se reproduise.
Avant de tourner cette page. Important : lisez ceci
Protéger ses sources est le devoir de tout journaliste. Même quand une source est peu recommandable. Même quand il s'agit, comme c'est le cas du personnage dont nous publions l'interview dans les pages suivantes, d'un tortionnaire, d'un homme dont l'évocation des pratiques passées glace encore le sang. Mais en échange de ses confessions complètes, le “deal” que TelQuel a passé avec lui était clair : pas d'enregistreur, pas d'appareil photo, pas de noms (ni le sien, ni ceux de ses anciens collègues ou supérieurs, ni ceux de ses victimes). Autrement dit, et de manière générale : aucune indication qui permettrait de l'identifier. Pour prévenir toute éventualité de “fuite”, son identité n'a même pas été communiquée aux membres de l'équipe de rédaction de TelQuel. C'est une première. Nos journalistes n'ont pas l'habitude de cloisonner ainsi leurs informations, entre eux. Mais à travail journalistique exceptionnel (tout le mérite en revient à Abdellatif El Azizi, dont je salue ici le talent et la ténacité), traitement exceptionnel…
Même si son anonymat est (et restera) préservé, la confession de cet ancien tortionnaire est une pièce d'importance, désormais versée aux archives de l'Histoire. Elle comporte des passages choquants. Des détails, parfois atroces, sur les séances de torture supervisées par cet homme et ses pareils. Des détails… inutiles à publier ? Je dois avouer, chers lecteurs, que cette question m'a énormément travaillé. Après tout, comme le dit explicitement le titre de ce dossier, le but est de savoir ce qu'il y a “dans la tête d'un tortionnaire”. Pas de connaître les moindres détails des sévices qu'il a infligés à ses malheureuses victimes. En lisant ces détails dans la version “brute” de son interview, une foule de questions m'a assailli : comment la cruauté peut-elle aller aussi loin ? Comment des êtres humains peuvent-il se retrouver, à ce point, dépourvus d'humanité ? Comment un système politique peut-il enfanter de tels monstres ? Si moi, je me sens mal rien qu'en lisant ces horreurs, qu’ont ressenti ceux qui les ont subies ?
…Et c'est justement parce que je me suis posé ces questions que j'ai décidé, en mon âme et conscience, de publier cette interview dans son intégralité. Ces mêmes questions, il est nécessaire que vous vous les posiez aussi. Il est nécessaire que tout le monde se les pose. Il est nécessaire d'aller au fond de nous-mêmes, de faire face à nos démons les mieux enfouis, de traquer toute trace de complaisance que nous sommes tentés (que je suis tenté) de ressentir vis-à-vis de la torture - vue (de loin) comme un “moyen d'autodéfense du régime contre les terroristes”. Il est nécessaire que nous soyons choqués - pour qu'à la force de ce choc réponde la force d'une conviction : plus jamais ça.
Attention ! L'interview qui suit comporte des passages violents, parfois choquants. Sa lecture est déconseillée aux mineurs et aux personnes sensibles.
Ahmed R. Benchemsi
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Les victimes de la torture des années de plomb ont toutes parlé, et ont ému le Maroc aux larmes. Aujourd'hui, pour la première fois, c'est un ancien tortionnaire qui brise le silence. Sa confession est un coup de poing à l'estomac, un authentique voyage au bout de l'horreur. Mais un voyage nécessaire, voire salutaire. Pour comprendre, pour expurger, pour que plus jamais cela ne se reproduise.
Avant de tourner cette page. Important : lisez ceci
Protéger ses sources est le devoir de tout journaliste. Même quand une source est peu recommandable. Même quand il s'agit, comme c'est le cas du personnage dont nous publions l'interview dans les pages suivantes, d'un tortionnaire, d'un homme dont l'évocation des pratiques passées glace encore le sang. Mais en échange de ses confessions complètes, le “deal” que TelQuel a passé avec lui était clair : pas d'enregistreur, pas d'appareil photo, pas de noms (ni le sien, ni ceux de ses anciens collègues ou supérieurs, ni ceux de ses victimes). Autrement dit, et de manière générale : aucune indication qui permettrait de l'identifier. Pour prévenir toute éventualité de “fuite”, son identité n'a même pas été communiquée aux membres de l'équipe de rédaction de TelQuel. C'est une première. Nos journalistes n'ont pas l'habitude de cloisonner ainsi leurs informations, entre eux. Mais à travail journalistique exceptionnel (tout le mérite en revient à Abdellatif El Azizi, dont je salue ici le talent et la ténacité), traitement exceptionnel…
Même si son anonymat est (et restera) préservé, la confession de cet ancien tortionnaire est une pièce d'importance, désormais versée aux archives de l'Histoire. Elle comporte des passages choquants. Des détails, parfois atroces, sur les séances de torture supervisées par cet homme et ses pareils. Des détails… inutiles à publier ? Je dois avouer, chers lecteurs, que cette question m'a énormément travaillé. Après tout, comme le dit explicitement le titre de ce dossier, le but est de savoir ce qu'il y a “dans la tête d'un tortionnaire”. Pas de connaître les moindres détails des sévices qu'il a infligés à ses malheureuses victimes. En lisant ces détails dans la version “brute” de son interview, une foule de questions m'a assailli : comment la cruauté peut-elle aller aussi loin ? Comment des êtres humains peuvent-il se retrouver, à ce point, dépourvus d'humanité ? Comment un système politique peut-il enfanter de tels monstres ? Si moi, je me sens mal rien qu'en lisant ces horreurs, qu’ont ressenti ceux qui les ont subies ?
…Et c'est justement parce que je me suis posé ces questions que j'ai décidé, en mon âme et conscience, de publier cette interview dans son intégralité. Ces mêmes questions, il est nécessaire que vous vous les posiez aussi. Il est nécessaire que tout le monde se les pose. Il est nécessaire d'aller au fond de nous-mêmes, de faire face à nos démons les mieux enfouis, de traquer toute trace de complaisance que nous sommes tentés (que je suis tenté) de ressentir vis-à-vis de la torture - vue (de loin) comme un “moyen d'autodéfense du régime contre les terroristes”. Il est nécessaire que nous soyons choqués - pour qu'à la force de ce choc réponde la force d'une conviction : plus jamais ça.
Attention ! L'interview qui suit comporte des passages violents, parfois choquants. Sa lecture est déconseillée aux mineurs et aux personnes sensibles.
Ahmed R. Benchemsi
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