PAR EDWY PLENEL
France-Algérie : soirée événement sur Mediapart
Cinquante ans après l’indépendance algérienne, qui fut aussi une déchirure française, il est bien temps de regarder l’histoire en face et de réconcilier les mémoires. Assumer que le colonialisme enfantait la violence comme la nuée porte l’orage tout en faisant droit à la pluralité de ses victimes, le peuple algérien au premier chef mais aussi les vaincus de l’aventure coloniale elle-même. C’est en retrouvant avec lucidité sa part algérienne que la France retrouvera le chemin du monde dans une fraternité réinventée.
« Il est temps de se tendre la main » : ce sont les derniers mots du livre le plus inattendu suscité par le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, proclamée le 5 juillet 1962 dans la foulée des accords d’Evian du 18 mars 1962 et mettant un terme final à 132 ans de colonisation française. Nos pères ennemis (Privat) est un livre à deux voix, croisées et emmêlées dans une conversation en forme de réconciliation, celle de Hélène Erlingsen-Creste et celle de Mohamed Zerouki. L’une est fille d’un militaire français tué en 1958 lors d’une embuscade, l’autre est fils d’un martyr de la cause indépendantiste, disparu en 1959 dans la même région de l’ouest algérien.
Deux pères, morts hier sur le même champ de bataille, mais l’un « pour la France en Algérie » et l’autre « pour l’Algérie en Algérie ». Et deux enfants qui, aujourd’hui, en se découvrant, retrouvent le chemin, trop longtemps enfoui sous l’injustice et l’indifférence, d’une histoire commune. A Mohamed qui lui dit : « Nous sommes comme un couple qui, un jour, dans la douleur, s’est séparé, mais qui ne peut oublier qu’il s’est aimé et qu’il a une histoire commune », Hélène répond « avec les mêmes mots ou presque : pendant huit ans (1954-1962), la France, mon pays, a sacrifié et fait sacrifier des milliers de vies d’hommes et de femmes, quels que soient leur camp et la couleur de leur peau, sur l’autel du prestige colonial ».
Des deux côtés de la Méditerranée, les sociétés sont en avance sur les politiques. Tandis que les paroles officielles sont restées enfermées dans un passé antiquaire, figées dans une gloire oublieuse pour le pouvoir algérien et immobilisées dans une défaite honteuse pour l’Etat français, les réalités vécues sont autrement vivantes, tissées de rapprochements et de rencontres, de curiosités et d’humanités. Mais le retard d’en haut pèse sur la dynamique d’en bas : il l’entrave, l’étouffe, la désespère, se servant du passé comme alibi du présent.
Cette France qui n’est pas la nôtre, celle qui ne veut pas faire droit à ses classes populaires telles que notre histoire coloniale les a enfantées et transformées, agite les passions racistes, transformant l’Islam en bouc émissaire. Cette Algérie qui n’est pas la nôtre, celle qui ne veut pas partager le pouvoir afin de s’approprier les richesses des mannes pétrolières et gazières, exploite les crispations nationalistes, faisant de la France son mauvais objet. C’est cet engrenage désastreux pour les deux peuples – et, au-delà, pour toute la Méditerranée –, qu’il faut enfin réussir à enrayer pour libérer l’avenir d’un passé mortifère qui paralyse l’ac
France-Algérie : soirée événement sur Mediapart
Cinquante ans après l’indépendance algérienne, qui fut aussi une déchirure française, il est bien temps de regarder l’histoire en face et de réconcilier les mémoires. Assumer que le colonialisme enfantait la violence comme la nuée porte l’orage tout en faisant droit à la pluralité de ses victimes, le peuple algérien au premier chef mais aussi les vaincus de l’aventure coloniale elle-même. C’est en retrouvant avec lucidité sa part algérienne que la France retrouvera le chemin du monde dans une fraternité réinventée.
« Il est temps de se tendre la main » : ce sont les derniers mots du livre le plus inattendu suscité par le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, proclamée le 5 juillet 1962 dans la foulée des accords d’Evian du 18 mars 1962 et mettant un terme final à 132 ans de colonisation française. Nos pères ennemis (Privat) est un livre à deux voix, croisées et emmêlées dans une conversation en forme de réconciliation, celle de Hélène Erlingsen-Creste et celle de Mohamed Zerouki. L’une est fille d’un militaire français tué en 1958 lors d’une embuscade, l’autre est fils d’un martyr de la cause indépendantiste, disparu en 1959 dans la même région de l’ouest algérien.
Deux pères, morts hier sur le même champ de bataille, mais l’un « pour la France en Algérie » et l’autre « pour l’Algérie en Algérie ». Et deux enfants qui, aujourd’hui, en se découvrant, retrouvent le chemin, trop longtemps enfoui sous l’injustice et l’indifférence, d’une histoire commune. A Mohamed qui lui dit : « Nous sommes comme un couple qui, un jour, dans la douleur, s’est séparé, mais qui ne peut oublier qu’il s’est aimé et qu’il a une histoire commune », Hélène répond « avec les mêmes mots ou presque : pendant huit ans (1954-1962), la France, mon pays, a sacrifié et fait sacrifier des milliers de vies d’hommes et de femmes, quels que soient leur camp et la couleur de leur peau, sur l’autel du prestige colonial ».
Des deux côtés de la Méditerranée, les sociétés sont en avance sur les politiques. Tandis que les paroles officielles sont restées enfermées dans un passé antiquaire, figées dans une gloire oublieuse pour le pouvoir algérien et immobilisées dans une défaite honteuse pour l’Etat français, les réalités vécues sont autrement vivantes, tissées de rapprochements et de rencontres, de curiosités et d’humanités. Mais le retard d’en haut pèse sur la dynamique d’en bas : il l’entrave, l’étouffe, la désespère, se servant du passé comme alibi du présent.
Cette France qui n’est pas la nôtre, celle qui ne veut pas faire droit à ses classes populaires telles que notre histoire coloniale les a enfantées et transformées, agite les passions racistes, transformant l’Islam en bouc émissaire. Cette Algérie qui n’est pas la nôtre, celle qui ne veut pas partager le pouvoir afin de s’approprier les richesses des mannes pétrolières et gazières, exploite les crispations nationalistes, faisant de la France son mauvais objet. C’est cet engrenage désastreux pour les deux peuples – et, au-delà, pour toute la Méditerranée –, qu’il faut enfin réussir à enrayer pour libérer l’avenir d’un passé mortifère qui paralyse l’ac
Commentaire