(Extrait de "Qu'Allah bénisse la France" d'Abd Al Malik")
(...)
C'est durant cette phase d'interrogation que je profitai du passage à Strasbourg de Tariq Ramadan qui y donnait un séminaire d'exégèse coranique, pour organiser une rencontre un soir d'hiver 1998.
Je m'étais déjà rendu à Lyon pour discuter avec les responsable sdes éditions Tawhid, qui publient ses ouvrages. Les longues discussions que j'avais eues avec eux sur la musique et sa légitimité ne m'ayant pas apporté grand chose, je voulais savoir directement de sa bouche ce que pensait l'homme qui avait tant d'influence sur toute une jeunesse musulmane de France.
Nous le rencontrâmes donc chez Majid, avec les NAP au grand complet et l'imam de la mosquée du quartier de la gare de Strasbourg. Lors de notre discussion courtoise et fraternelle, ses propos furent trop généraux pour me satisfaire.
En tant qu'artistes musulmans occidentaux, expliquait-il, nous devions nous atteler à créer une forme artistique inédite en conformité avec notre foi musulmane. J'acquiescai, mais ces paroles ne trouvaient en moi aucun écho. Je savais bien que rien, en musique comme dans les autres domaines de l'art, ne naissait spontanément. Tous les courants, genres et styles actuels avaient une généalogie, et ils se fécondaient les uns les autres, a fortiori dans cet Occident multiculturel.
Les recommandations de notre mentor supposé pouvaient éventuellement trouver une réalisation au niveau de l'écriture, du choix des thématiques , voire dans l'interprétation vocale; mais du point de vue strictement musical, cela n'avait aucun sens.
En goûtant le délicieux repas que nous avait préparé celle qui était maintenant l'épouse de Majid, je m'efforcait de sourire entre deux gorgées de Coca, mais ma perplexité était intacte. La discussion se prolongea jusqu'au dessert, et avant de se retirer le frère Tariq nous assura qu'il écouterait attentivement notre album pour nous donner rapidement son sentiment.
Percevant le malaise qui persistait dans mon regard, il avança que ma gêne venait peut être du fait que mes réalisations musicales ne concordaient pas vraiment avec ma foi. Ces paroles me glacèrent les sangs. Que voulait il dire par là ? Se pouvait-il qu'il ait raison ? Et dans ce cas, insinuait il que je devrais me mettre au diapason de son interprétation de l'Islam ? J'avais beau être au trente sixième dessous, j'avais toujours gardé jalousement ma liberété. J'étais demandeurde conseils, mais pas de tuteur idéologique.
L'appréciation qu'il nous avait promise sur notre disque ne vint jamais directement, mais son entourage nous contacta afin de mettre sur pied une recontre avec d'autres artistes musulmans confrontés aux mêmes préoccupations.
Il s'agissait de constituer une sorte de comité artistique qui se chargerait de rendre nos oeuvres ecompatibles avec l'Islam.
Je refusai ce qui s'apparentai pour moi à une commission de censure : il n'était pas question qu'on me fasse réécrire ce qui avait jailli de mon coeur pour le faire rentrer dans un cadre. J'étais venu, jene musicien en quête de lumières sur les positions de notre tradition commune. On m'avait répondu par une invitation à passer sous les fourches caudines d'un système bouclé. J'étais venu avec ma sincérité et mon humilité de musulman, on voulait récupérer ma démarche dans une stratégie de pouvoir.
(...)
Quelques semaines après cette tournée, les JMF (Jeunes Musulmans de France) nous invitèrent à donner un concert à Nantes.
Cette offre me toucha énormément, parce que malgré les nombreuses lettres de contestations, voire de menaces, qu'ils reçurent pour annuler cet événement, ils ne cédèrent jamais, et le concert eut bel et bien lieu.
J'eus le sentiment intense de trouver en eux des compagnons et de cela je leur serai toujours reconnaissant.
C'est à cette occasion aussi que je fis la connaissance du président des JMF de l'époque, Farid Abd al Krim, et surtout de l'imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux. Cet imam singulier, d'une gentillesse exquise et d'une évidente sincérité, me fit grand effet par sa personneet surtout par ses paroles : pour lui, notre action était légitime, et même salutaire. Il était certes le gardien de l'orthodoxie en tant que savant, mais il parlait surtout comme un pasteur d'âmes, attentif à notre personne en dehors de toute stratégie cachée.
Enfin un home de Dieu qui s'intéressait plus à nous et à notre épanouissememt qu'à nous inculquer un prêt à penser de schémas idéologiques ! En un mot :il nous faisait confiance. Avec lui, je commençais d'instinct à entr'apercevoir la possibilité d'une troisième voie, hors de la pratique rigoriste et bêtifiante ou de lapure et simple apostasie.
J'allais par la suite avoir de nombreuses autres conversations enricfhissantes avec cet imam. Je me souviens d'un jour où il me dit qu'une société ne pouvait être entièreemnt composée de théologiens : cette simple affirmation, pourtant si évidente avec le recul, me toucha au coeur.
J'étais crispé, comme la pulpart des musulmans qui vivent dans une société où ils sont minoritaires, sur l'éternelle angoisse du licite et de l'illicite, du halal et du haram, angoisse génératrice de culpabilisation, parce qu'on a toujours le sentiment de ne pas être à la hauteur de sa foi, obsédé que l'on est par le désir de respecter parfaitement les règles orthodoxes ... sans jamais y parvenir, bien sûr, avec les contengences de la vie réelle.
Mais voilà, nous ne sommes pas tous des docteurs de la loi ! Et nous n'avons pas tous à le devenir, mais à trouver chacun notre voie propre, avec les dispositions singulières qui nous ont été données.
Le Coran ne dit il pas : "Dieu n'impose rien à l'âme qui soit au-dessus de ses capacités" ?
Et le Prophète Muhammad (PSL) n'affirme t'il pas : "Rendez les choses faciles, ne les rendez pas difficiles" ?
Cette évidence, qui peut paraître banale, exprimée précisément par un docteur de la foi, fut pour moi une délivrance.
(...)
C'est durant cette phase d'interrogation que je profitai du passage à Strasbourg de Tariq Ramadan qui y donnait un séminaire d'exégèse coranique, pour organiser une rencontre un soir d'hiver 1998.
Je m'étais déjà rendu à Lyon pour discuter avec les responsable sdes éditions Tawhid, qui publient ses ouvrages. Les longues discussions que j'avais eues avec eux sur la musique et sa légitimité ne m'ayant pas apporté grand chose, je voulais savoir directement de sa bouche ce que pensait l'homme qui avait tant d'influence sur toute une jeunesse musulmane de France.
Nous le rencontrâmes donc chez Majid, avec les NAP au grand complet et l'imam de la mosquée du quartier de la gare de Strasbourg. Lors de notre discussion courtoise et fraternelle, ses propos furent trop généraux pour me satisfaire.
En tant qu'artistes musulmans occidentaux, expliquait-il, nous devions nous atteler à créer une forme artistique inédite en conformité avec notre foi musulmane. J'acquiescai, mais ces paroles ne trouvaient en moi aucun écho. Je savais bien que rien, en musique comme dans les autres domaines de l'art, ne naissait spontanément. Tous les courants, genres et styles actuels avaient une généalogie, et ils se fécondaient les uns les autres, a fortiori dans cet Occident multiculturel.
Les recommandations de notre mentor supposé pouvaient éventuellement trouver une réalisation au niveau de l'écriture, du choix des thématiques , voire dans l'interprétation vocale; mais du point de vue strictement musical, cela n'avait aucun sens.
En goûtant le délicieux repas que nous avait préparé celle qui était maintenant l'épouse de Majid, je m'efforcait de sourire entre deux gorgées de Coca, mais ma perplexité était intacte. La discussion se prolongea jusqu'au dessert, et avant de se retirer le frère Tariq nous assura qu'il écouterait attentivement notre album pour nous donner rapidement son sentiment.
Percevant le malaise qui persistait dans mon regard, il avança que ma gêne venait peut être du fait que mes réalisations musicales ne concordaient pas vraiment avec ma foi. Ces paroles me glacèrent les sangs. Que voulait il dire par là ? Se pouvait-il qu'il ait raison ? Et dans ce cas, insinuait il que je devrais me mettre au diapason de son interprétation de l'Islam ? J'avais beau être au trente sixième dessous, j'avais toujours gardé jalousement ma liberété. J'étais demandeurde conseils, mais pas de tuteur idéologique.
L'appréciation qu'il nous avait promise sur notre disque ne vint jamais directement, mais son entourage nous contacta afin de mettre sur pied une recontre avec d'autres artistes musulmans confrontés aux mêmes préoccupations.
Il s'agissait de constituer une sorte de comité artistique qui se chargerait de rendre nos oeuvres ecompatibles avec l'Islam.
Je refusai ce qui s'apparentai pour moi à une commission de censure : il n'était pas question qu'on me fasse réécrire ce qui avait jailli de mon coeur pour le faire rentrer dans un cadre. J'étais venu, jene musicien en quête de lumières sur les positions de notre tradition commune. On m'avait répondu par une invitation à passer sous les fourches caudines d'un système bouclé. J'étais venu avec ma sincérité et mon humilité de musulman, on voulait récupérer ma démarche dans une stratégie de pouvoir.
(...)
Quelques semaines après cette tournée, les JMF (Jeunes Musulmans de France) nous invitèrent à donner un concert à Nantes.
Cette offre me toucha énormément, parce que malgré les nombreuses lettres de contestations, voire de menaces, qu'ils reçurent pour annuler cet événement, ils ne cédèrent jamais, et le concert eut bel et bien lieu.
J'eus le sentiment intense de trouver en eux des compagnons et de cela je leur serai toujours reconnaissant.
C'est à cette occasion aussi que je fis la connaissance du président des JMF de l'époque, Farid Abd al Krim, et surtout de l'imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux. Cet imam singulier, d'une gentillesse exquise et d'une évidente sincérité, me fit grand effet par sa personneet surtout par ses paroles : pour lui, notre action était légitime, et même salutaire. Il était certes le gardien de l'orthodoxie en tant que savant, mais il parlait surtout comme un pasteur d'âmes, attentif à notre personne en dehors de toute stratégie cachée.
Enfin un home de Dieu qui s'intéressait plus à nous et à notre épanouissememt qu'à nous inculquer un prêt à penser de schémas idéologiques ! En un mot :il nous faisait confiance. Avec lui, je commençais d'instinct à entr'apercevoir la possibilité d'une troisième voie, hors de la pratique rigoriste et bêtifiante ou de lapure et simple apostasie.
J'allais par la suite avoir de nombreuses autres conversations enricfhissantes avec cet imam. Je me souviens d'un jour où il me dit qu'une société ne pouvait être entièreemnt composée de théologiens : cette simple affirmation, pourtant si évidente avec le recul, me toucha au coeur.
J'étais crispé, comme la pulpart des musulmans qui vivent dans une société où ils sont minoritaires, sur l'éternelle angoisse du licite et de l'illicite, du halal et du haram, angoisse génératrice de culpabilisation, parce qu'on a toujours le sentiment de ne pas être à la hauteur de sa foi, obsédé que l'on est par le désir de respecter parfaitement les règles orthodoxes ... sans jamais y parvenir, bien sûr, avec les contengences de la vie réelle.
Mais voilà, nous ne sommes pas tous des docteurs de la loi ! Et nous n'avons pas tous à le devenir, mais à trouver chacun notre voie propre, avec les dispositions singulières qui nous ont été données.
Le Coran ne dit il pas : "Dieu n'impose rien à l'âme qui soit au-dessus de ses capacités" ?
Et le Prophète Muhammad (PSL) n'affirme t'il pas : "Rendez les choses faciles, ne les rendez pas difficiles" ?
Cette évidence, qui peut paraître banale, exprimée précisément par un docteur de la foi, fut pour moi une délivrance.
Commentaire