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Tayeb Ethaâlibi, alias Si Allal, ancien moudjahid : “Nous étions mal partis à la veille de l’Indépendance”

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  • Tayeb Ethaâlibi, alias Si Allal, ancien moudjahid : “Nous étions mal partis à la veille de l’Indépendance”

    Tayeb Ethaâlibi, alias Si Allal, ancien moudjahid :

    “Nous étions mal partis à la veille de l’Indépendance”

    Par : Hafida Ameyar ( Liberté)

    La veille du 5 Juillet 1962, j’étais rentré de Tunis. Là-bas, nous avions tenu la réunion du CNRA et nous nous étions séparés, divisés. Il y avait eu un incident : Ben Bella avait insulté le chef du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne, ndlr), Benyoucef Benkhedda. Il y eut une crise. D’ailleurs, Salah Boubnider, Saoût El-Arab, de la Wilaya II, était de ceux qui lui avaient fait face. Il lui dit, entre autres : “Pendant que tu mangeais et dormais en prison, lui était en pleine bataille ; alors tu n’as pas le droit de le traiter ainsi.”
    Le frère Boudiaf était alors rentré à Alger et le frère Krim en Kabylie. Étant très lié à Boudiaf, j’étais donc rentré à Alger, pour l’aider… Et puis, il y avait le référendum. Le 1er janvier 1962, lors du référendum, j’étais en contact avec le commandant Azzeddine. Nous faisions le tour des bureaux de vote, pour contrôler. En Tunisie, l’état-major était en conflit avec le GPRA. Personnellement, j’étais pour la légitimité révolutionnaire. J’étais en désaccord avec l’état-major, et ce, d’autant plus que l’organisation que je dirigeais, la Fédération du FLN de Tunisie, avait été agressée, plusieurs fois, par des officiers des frontières, qui se considéraient en pays conquis. J’étais en désaccord avec l’EM, en tant que chef de la Fédération FLN de Tunisie et en tant qu’appui du GPRA.
    Nous avions rejoint Alger, pour un travail de clarification, parce que les gens ne connaissaient pas les militants de l’extérieur. Ils prenaient Ben Bella pour le chef de la Révolution, alors que ce dernier n’était qu’un des dirigeants.

    Deux camps se confrontaient
    Comme je vous le disais donc, cette crise s’est produite la veille du 5 Juillet. Bien sûr, comme tous les Algériens, j’étais très heureux, mais je n’avais voulu assister à aucune manifestation publique, parce que je ressentais une grande amertume. Je me disais que toute la peine qu’on s’était donnée, tous les sacrifices consentis, toutes les souffrances subies, et voilà que maintenant, c’est la course au pouvoir, c’est l’entrée d’une équipe (au pouvoir) qui va confisquer la victoire du peuple. On s’était débarrassé de la colonisation française, mais le peuple algérien allait être privé de sa souveraineté. Avant de revenir en Algérie, pour le référendum, j’avais réuni des militants pour les mettre en garde contre les imposteurs, les arrivistes et les charlatans. Je leur avais dit : “Prenez vos gardes”…
    Le 5 Juillet, j’étais à la fois heureux et triste. On ne peut pas dire que l’Indépendance était complète, car il y avait cette crise-là. Au lieu de rentrer unis en Algérie, nous étions divisés en deux camps : celui de la légitimité révolutionnaire et celui des ambitieux du pouvoir. Ce jour-là, je me disais : “Nous avions un colonialisme étranger et maintenant, nous allons être colonisés par nos frères.” C’est ce qui est en train de se passer à présent, 50 ans après l’Indépendance.
    Au lendemain de l’Indépendance, le frère Boudiaf et moi avions pris position contre l’état-major et contre Ben Bella. Nous avions créé un parti politique, le PRS. Comme nous n’avions pas d’autorisation, nous avions travaillé dans la clandestinité. Nous étions surveillés. Le frère Boudiaf avait été envoyé au Sud, où il avait entamé une grève de la faim de 40 jours, alors qu’il vivait avec un seul poumon. Moi, j’avais été arrêté et confié à Hamadache, militant de la Wilaya IV et transformé en tortionnaire : il avait beaucoup appris des Français. J’avais donc passé un stage chez lui, avant d’être jeté, à mon tour, dans la prison d’El-Harrach, pour une année.
    Il a fallu qu’il y ait le coup d’État de juin 1965, pour que le nouveau régime libère les prisonniers, dans le tas. Je crois que j’ai eu de la chance, car on ne connaissait pas mon nom de guerre, Si Allal.

    Désillusions et fuite des intellectuels
    Dans les années 70, les Algériens étaient fiers de leur pays, parce que l’Algérie avait une audience internationale. C’était quelque chose d’extraordinaire ! D’ailleurs, un Africain avait dit que l’Algérie était la Mecque des peuples coloniaux et colonisés.
    En matière de politique extérieure, la politique était très bien. Mais sur le plan intérieur, c’était tout à fait le contraire. Les étudiants s’étaient fait des illusions avec le volontariat, la révolution agraire, l’autogestion… Le résultat est nul ! Voyez la faillite de la révolution agraire ! Voyez la faillite de l’industrie ! On a bradé les entreprises publiques, on a donné le complexe industriel d’El-Hadjar aux Indiens… Pour la révolution culturelle, on a essayé de domestiquer les intellectuels. Résultat : on a des intellectuels qui fuient à l’étranger, pour pouvoir s’exprimer librement. Prenez le cas de Mohammed Harbi, qui est un historien de talent.
    On l’a envoyé en résidence surveillée, au Sud, avec l’avocat Hocine Zehouane, puis on l’a jeté en prison, pendant plusieurs années. Il n’a pu s’exprimer qu’en France, en publiant son premier livre, en 1980 : Le FLN : mirage et réalité.
    Bien plus tard, en 1992, j’étais content que Boudiaf rentre au pays, mais aussi un peu sceptique : il avait été sollicité notamment par Ali Haroun, ce n’était pas le peuple qui l’avait appelé et choisi au moyen d’un vote. J’ai dit à quelqu’un que pour s’imposer, il faut avoir une certaine stature et un parti politique solide. Boudiaf avait de la stature, mais il n’avait pas malheureusement de base. Du temps du PRS, nous travaillions dans la clandestinité ; de plus, cette expérience n’avait pas duré longtemps. Les gens ont changé, la corruption les a gagnés.

    Le bateau va-t-il à la dérive ?
    La situation actuelle est-elle le résultat des crises passées ? Je pense que nous étions mal partis, au départ, avec la crise à Tunis et les divisions. Si nous étions restés unis, autour du programme de Tripoli et de l’enrichissement d’une Charte, nous aurions pu faire beaucoup de choses. Malheureusement, le règne de la clientèle, des clans, des arrivistes et des opportunistes, l’a emporté.

    Que reste-t-il de toutes ces espérances ?
    Pour les Algériens, l’Indépendance du pays était presque le Paradis, à l’époque. Tout allait être possible, on allait en finir avec la pauvreté, l’ignorance, la maladie, l’oppression et l’humiliation.
    Certes, on ne peut pas nier les réalisations accomplies, mais on aurait pu faire dix fois ou vingt fois mieux. S’il y avait, par exemple, la démocratie, si le peuple était vraiment souverain, si on ne truquait pas les élections, si on ne faisait pas du populisme et du paternalisme, s’il n’y avait pas l’imposture, s’il n’y avait pas surtout la corruption… Maintenant, l’Algérie est pourrie à la tête et, comme dit le proverbe : c’est par la tête que le poisson pourrit. Je parle de ceux qui sont au pouvoir, qui sont l’abcès de la corruption et du pourrissement.
    Nous allons vers la catastrophe. Je ne vois pas de perspectives réjouissantes. Et, je ne peux pas être optimiste, alors que je vois le pays aller à la dérive.
    Le flambeau s’est éteint en cours de route : il n’a pas été remis à nos jeunes, à cause de nos divisions. Aujourd’hui, c’est aux jeunes de prendre leur destin en main et de faire ce qu’ont fait leurs aînés, c’est-à-dire qu’ils se débrouillent pour se libérer.
    Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse. Et, si nous en sommes arrivés là, c’est parce que l’Algérie n’est pas entre les mains de ses enfants. Elle est entre les mains d’usurpateurs et d’imposteurs.
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