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Chadli Bendjedid, la seconde mort de Houari Boumediene

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  • Chadli Bendjedid, la seconde mort de Houari Boumediene

    Khaled Nezzar
    Mohamed Maarfia
    L'ARMEE ALGERIENNE
    ET LE POUVOIR POLITIQUE
    2 - Chadli Bendjedid, la seconde mort de Houari Boumediene
    Les quelques membres rescapés d’un Conseil de la révolution réduit à sa
    simple expression (la plupart d’ailleurs chefs de région militaire),
    contrôlés et chaperonnés par une Sécurité militaire au zénith de sa
    puissance, en acceptant que Chadli Bendjedid devienne le coordinateur de
    l’armée, avaient mis devant le fait accompli l’ensemble du corps des
    officiers.
    Je donne une précision édifiante quant au sentiment général qui accueillit
    la rumeur selon laquelle Bendjedid allait être mis à la tête de l’armée et
    ensuite proposé comme président de la République. Salim Saadi, dont
    j’étais l’adjoint à Béchar (la région la plus importante alors par le nombre
    des unités et la qualité des armements) m’avait demandé de me rendre à
    Alger pour rencontrer Kasdi Merbah, afin de lui recommander de ne
    prendre aucune décision hâtive avant que l’ensemble des responsables
    militaires ne se réunissent et n’étudient la situation née de la vacance du
    pouvoir.
    Cette initiative de Salim Saadi est intervenue après une réunion avec
    l’ensemble des officiers de la III
    e
    Région militaire qui était, étant donné la
    sensibilité de notre frontière occidentale, la plus puissante en termes de
    moyens militaires de toute l’armée.
    Salim Saadi connaissait très bien Chadli, tout comme moi-même qui fus
    son adjoint militaire pendant la guerre de Libération. Nous étions tous les
    deux convaincus que le chef de la deuxième région militaire était le
    moins qualifié pour exercer la magistrature suprême. Nous étions
    fortement réticents, pour ne pas dire plus, de le voir prendre en main les
    destinées de l’Algérie. Les pouvoirs qu’offre à un seul homme la
    Constitution algérienne pouvaient mener un pays à sa perte si l’homme se
    révélait, pour une raison ou pour une autre, incapable de les assumer. 2
    Chadli Bendjedid, et je ne le dis pas pour toucher à sa personne
    assurément respectable, avait des connaissances très limitées et un
    caractère émotif et influençable.
    Une fois à Alger, j’ai téléphoné à Kasdi Merbah pour lui demander une
    entrevue. Arguant d’un emploi du temps chargé, il me répondit qu’il ne
    pouvait pas me recevoir. Je pus, malgré tout, lui transmettre nos réserves.
    Le directeur de la Sécurité militaire n’était pas homme à s’épancher au
    téléphone. Je ne pus rien en tirer d’autre. C’est Abdelhamid Latrèche,
    secrétaire général du ministère de la Défense nationale, qui m’apprit, le
    lendemain, que les jeux étaient faits et que Chadli Bendjedid avait été
    désigné coordinateur de l’armée.
    Dès lors, le système étant ce qu’il était, il se trouvait à la verticale du
    fauteuil présidentiel.
    La question, nous le sûmes plus tard, s’était réglée entre Kasdi Merbah,
    Abdellah Belhouchet et Mohammed Attaïlia, ces deux derniers ayant
    apporté la caution indispensable des chefs de région.
    Seuls quelques officiers étaient favorables à Chadli Bendjedid. Le futur
    général Ben Yelles, le marin (sans doute, à l’époque encore marin d’eau
    douce en politique), frappait sur la table en disant : «Basta des hommes
    providentiels et des surhommes !»
    Mostefa Benloucif, plus que quiconque, se dépensa beaucoup en faveur
    de Chadli Bendjedid. Les affinités régionales et l’espoir de (percer) grâce
    à la faveur du futur président expliquaient son forcing.
    L’ANP, le parti, les hauts cadres de l’administration s’étaient ensuite
    ralliés au «fait accompli» de ces décideurs.
    Le chef de la Sécurité militaire ne voulait à aucun prix des deux autres
    candidats dont les noms avaient un moment retenu l’attention. En réalité,
    le refus de Abdelaziz Bouteflika d’autoriser Kasdi Merbah à placer des
    éléments de la Sécurité militaire dans les différentes ambassades et au
    ministère des Affaires étrangères à Alger a été longtemps un sujet de
    discorde entre les deux hommes. Bouteflika portera l’affaire devant le
    président du Conseil de la révolution et obtiendra gain de cause après
    s’être écrié : «Nous devons avoir confiance les uns en les autres…» Il
    voulait dire qu’il n’était pas un simple commis, mais qu’il était «le
    Pouvoir» au même titre que Houari Boumediene. Kasdi Merbah, après la
    mort de Boumediene, prouva que lui et son appareil n’avaient donné leur
    allégeance qu’à une personne, une seule, pas à un collège, fut-il premier.
    Sur quels critères Merbah s’était-il appuyé pour imposer Bendjedid ?
    Celui de la légitimité historique ? Du courage physique ? De la 3
    compétence ? La possibilité de futures manipulations d’un président
    facilement influençable? Beaucoup s’étaient perdus en conjectures.
    Le principal souci de Kasdi Merbah, tel qu’il l’expliquera plus tard, était
    de porter à la tête de l’armée un officier sorti du rang (le plus ancien dans
    le grade le plus élevé) à même de préserver l’unité et la cohésion de
    l’institution militaire garante de la stabilité du pays et lui éviter de tomber
    entre les mains d’un homme qui utiliserait contre elle, à la première
    occasion, le coin du bûcheron. La première mission de Chadli Bendjedid
    – il la réussira – sera d’éviter à l’armée des ébranlements et des fissures
    au lendemain de la disparition brutale de celui qui l’avait si puissamment
    façonnée.
    Sur un plan purement politique, Kasdi Merbah a sans doute fait un
    raisonnement par analogie, forcément subjectif, puisque fondé sur des
    jugements de valeur : «Chadli, homme de l’Est, adopté par des hommes
    de l’Ouest.» Le profil de l’homme, sur cet aspect-là, pouvait se
    superposer à celui de Houari Boumediene.
    Kasdi Merbah, lorsqu’il découvrira plus tard que les silhouettes qui se
    dessinent en ombres chinoises ne permettent de voir ni la fermeté du
    regard ni la hauteur du front, il sera trop tard.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Il y a quelques années, je me trouvais par hasard, au cours d’un voyage en
    avion, assis à côté de Mme Merbah. Cette femme, qui fut frappée par de
    grands malheurs et qui supporta sa douleur avec un immense courage, me
    dit : «Mon mari répétait souvent, avec un soupir : J’aurais dû écouter
    Khaled Nezzar.»
    Chadli Bendjedid, chef de l’armée, deviendra donc, sans coup férir,
    président de la République.
    De tous les souvenirs qui me restent de la réunion du comité central qui
    devait entériner le choix de Chadli Bendjedid comme candidat du FLN
    pour la magistrature suprême, je garde l’image du commandant
    Mouâaouya, un des adjoints de Merbah, debout, les bras tendus et
    rythmant, comme un chef d’orchestre, le mouvement du carré compact
    des représentants de l’ANP : tous debout à son signal au moment où
    Chadli Bendjedid rentrait dans la salle ! Tout le monde assis, toujours à
    son signal, lorsque Mohamed Salah Yahiaoui ou Bouteflika y pénétraient
    à leur tour…
    Chadli Bendjedid, adoubé par l’ANP, héritait d’un pays qui avait amorcé
    une trajectoire devant le mener à sortir définitivement de l’état de sousdéveloppement où l’avait maintenu le colonisateur. Dans tous les
    domaines de la vie économique, l’effort de Houari Boumediene avait été 4
    considérable, mais il n’avait réglé aucun des grands problèmes qui se
    posaient au pays.
    La vie politique à la mort de Houari Boumediene était loin de connaître le
    «trop-plein». Sa personnalité, sa méthode de travail et ses ambitions pour
    son pays avaient fait que l’ensemble du personnel politique qui avait
    émergé au cours de la guerre de Libération nationale avait été, soit écarté
    de la gestion des affaires, soit vassalisé, donc incapable de générer des
    idées neuves à même de corriger les erreurs de conception ou de mise en
    œuvre.
    Des domaines essentiels pour le devenir de la nation avaient été négligés
    ou confiés à des commis incompétents, obstinés et infatués de leur
    personne. Ce saccage du collège qui avait émergé pendant la Révolution
    était venu s’ajouter – pour le plus grand dommage de l’Algérie – à celui
    qui avait été perpétré, pour d’autres raisons, par le colonisateur. Les
    Français, en éliminant, d’une façon ou d’une autre, les hommes politiques
    qui avaient réussi à dépasser les réflexes communautaires générateurs de
    xénophobie ou de maximalisme, avaient ouvert une voie royale aux
    nouveaux leaders d’origine rurale profondément pétris des fameuses
    «constantes» qui n’étaient que la codification de la tradition exprimée
    dans le jargon du jour.
    En acculant le mouvement national à la violence, les Français avaient
    rendu inévitable «la primauté du militaire sur le politique». Ferhat Abbas
    et Benkhedda, pour ne citer que ces deux figures du mouvement national,
    seront toujours des «coopérants techniques» au service des véritables
    maîtres de la Révolution, partisans, pour atteindre les buts qu’ils s’étaient
    fixés de raccourcis qui ne s’embarrassaient d’aucun état d’âme.
    Jean Daniel, observateur attentif de la scène politique algérienne, écrivait
    avec raison, dans un de ses éditoriaux, au milieu des années quatre-vingtdix : «Le vrai malheur des Algériens, c’est la destruction obstinée,
    cynique et méthodique par le colonialisme français de toutes les forces
    réformistes qui eussent conduit l’Algérie à un régime démocratique et sa
    coopération avec la France à une relative harmonie. Ce qui a aggravé
    ensuite la tragédie algérienne, c’est le règne de tous les collectivistes
    nassériens.»
    On ne peut comprendre les déboires futurs de l’Algérie sans faire le
    constat du manque tragique de cadres compétents au sommet de l’Etat.
    Cette quasi-mort cérébrale a été illustrée par la venue au pouvoir d’un
    militaire sans envergure politique ni charisme.
    Au lieu de s’entourer de vraies compétences en mesure de l’aider avec
    efficacité dans sa tâche, Chadli ouvrit toutes grandes les portes à la
    médiocrité et à l’irresponsabilité. La parentèle arrogante et corrompue 5
    transforma la présidence d’abord en cour, en sérail ensuite. Les décisions
    qui engageaient le pays étaient prises dans des cercles étroits en fonction
    d’intérêts claniques plutôt qu’au bénéfice du pays. Aux plus hauts postes
    de responsabilité de l’Etat, il plaça des personnes réputées fidèles à sa
    personne sans égards pour leurs aptitudes à gérer.
    Chadli, paysan madré, usera de différents stratagèmes pour se maintenir
    au pouvoir. L’équilibre régional (son leitmotiv) lui permettra d’opposer
    les factions aux factions pour perdurer. Le sentiment d’être au-dessus de
    tous, l’encens qui montait vers lui, les mots soyeux des courtisans, la
    volupté de commander et de se faire obéir, les tapis rouges, les lambris et
    les lustres des salons des grands de ce monde l’enivrèrent… Ayant goûté
    au nectar que produit le pouvoir, il s’était cru hors d’atteinte de fâcheuses
    péripéties.
    La première responsabilité, lorsqu’on est à un poste de commandement,
    est d’abord le choix des hommes. Le Président n’eut pas la main
    heureuse, c’est le moins qu’on puisse dire, en privilégiant des personnes
    superficielles et verbeuses qui l’assourdissaient de théories fumeuses. Ses
    capacités intellectuelles ne lui permettaient pas de jouer un rôle d’arbitre.
    Il ne pourra terminer avec bonheur aucun des grands travaux laissés au
    milieu du gué par Houari Boumediene.
    Lyess Boukra, dans son excellent ouvrage Algérie, la terreur sacrée,
    évoque le développement économique et l’élévation du niveau de vie des
    populations réalisés par le régime de Houari Boumediene, je cite : «Trois
    plans de développement successifs vont mettre en œuvre la « stratégie
    algérienne de développement» : un plan triennal (1967-1969) et deux
    plans quadriennaux (1970-1973 et 1974-1977). Le premier plan
    quadriennal se distingue déjà par le volume des investissements : 33,1
    milliards de dinars, avec pour objectif un accroissement de 37 % du PIB.
    Lors du second plan quadriennal, les investissements s’élèveront à 110
    milliards de dinars. C’est un niveau d’investissement jamais atteint
    jusqu’alors dans aucun pays du monde, en un laps de temps aussi court :
    près de 28% du PIB en 1969 et plus de 50% en 1977. Le secteur
    industriel se taille la part du lion : 45% de la somme globale investie lors
    du premier plan et 43,5% lors du second, contre 15% seulement pour
    l’agriculture dans les deux plans. Les résultats de ce gigantesque effort
    d’investissement sont palpables. L’Algérie s’est couverte de chantiers
    pendant cette période. Des centaines d’usines voient le jour. L’Algérie se
    donne les moyens de fabriquer des tracteurs à Constantine, des camions à
    Rouiba, des moissonneuses-batteuses à Sidi Bel-Abbès, de l’acier à ElHadjar… Elle liquéfie le gaz naturel à Arzew et raffine du pétrole à
    Skikda et à Alger.6
    En deux décennies, l’Algérie a pris place parmi les puissances
    économiques du bassin méditerranéen. Son PIB (36 milliards de dollars
    en 1980) la plaçait immédiatement après l’Espagne, à égalité avec la
    Turquie et la Yougoslavie, devant la Grèce, le Portugal, le Maroc et
    l’Egypte. A la même année, le revenu par tête d’habitant était de 1935
    dollars, le double de celui du Maroc voisin. Ces vingt ans de croissance
    accélérée se sont aussi traduits par une amélioration incontestable du
    niveau de vie des populations. Plus de 600 000 emplois ont été créés. De
    1966 à 1987, la part des logements reliés au réseau d’eau courante est
    passée de 34% à 60% ; celle bénéficiant de l’électricité est passée de
    30,6% à plus de 72% ; celle de la population possédant au moins un
    appareil de télévision passe de 4% à 60%. Le nombre de médecins est
    passé de 1 219 en 1963 à 17 760 en 1987 ; celui des pharmacies, de 204 à
    1 752 et celui des chirurgiens-dentistes de 151 à 5 684. En matière
    d’enseignement, l’effectif est passé de 809 000 en 1963-1964 à plus de 5
    millions en 1987-1988, dans le primaire ; celui du secondaire est passé de
    19 500 à 600 000 durant la même période ; enfin, celui du supérieur est
    passé de 2 800 à 174 000.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      Boumediene est incontestablement un des géants de notre histoire
      récente. Mais «un colosse aux pieds d’argile». Son mérite et son point
      fort, c’est, surtout, d’avoir apporté à l’Algérie un élément essentiel dans
      le devenir des nations : un projet de société, porté par une vision globale
      et une stratégie sur le long terme qui s’inscrivait dans le cadre d’une
      trajectoire historique réfléchie. Paradoxalement, ce point fort était aussi
      son talon d’Achille. Ce projet, Boumediene l’avait conçu à la mesure de
      ses ambitions ; il portait le sceau de sa personnalité. Et c’est là, justement,
      que réside la source de sa faiblesse et de son extrême vulnérabilité. Nous
      eûmes un homme en lieu et place d’un Etat : la personnalité a supplanté la
      politique, et le charisme la stratégie».
      Avant de passer brièvement en revue les domaines où l’échec de Chadli
      Bendjedid fut patent, et pour illustrer mon propos quant au «choix des
      hommes», évoquons l’un de ces commis qui portent, « globalement et
      dans le détail », la responsabilité de la faillite qui conduira le pays à la
      catastrophe d’octobre quatre-vingt-huit.
      Abdelhamid Brahimi était le type même du parvenu qui avait construit sa
      carrière politique sur le faux-semblant et l’artifice. Etudiant médiocre,
      maquisard timide, piètre wali, boursier au long cours, Premier ministre à
      courte vue, le pitre brocardé par ses compagnons pour son pédantisme
      insupportable – «Hamid-la-science» – pour ses certitudes obtuses, le
      foudre-de-guerre allergique au bruit des canonnades au temps où il était
      convoyeur entre le camp d’Ezitoun et la frontière (tout juste convoyeur
      car il tournait bride à peine les crêtes algériennes en vue), s’était retrouvé, 7
      par le biais de relais tortueux, dans les bonnes grâces de Chadli.
      Autoproclamé détenteur de la connaissance absolue par la méthode du
      bon docteur Coué, il était devenu chef du gouvernement.
      Il avait littéralement mis en pièces l’œuvre de Belaïd Abdesslem et SidAhmed Ghozali. En «saucissonnant» les grandes entreprises étatiques,
      selon lui difficiles à gérer du fait de leur gigantisme, en démultipliant les
      structures de gestion humaines, immobilières et matérielles, il avait
      investi dans le gâchis au détriment de la productivité. Il n’avait pas levé le
      petit doigt lorsque des arguments spécieux et intéressés furent avancés
      pour faire perdre à Sonatrach le marché gazier américain qui aurait suffi à
      amoindrir les effets de la crise financière du milieu des années quatrevingts.
      «Gouverner c’est prévoir», dit-on. L’inamovible Premier ministre de
      Chadli Bendjedid, dopé par un baril au zénith, avait dépensé sans
      compter. Le PAP (programme anti-pénuries) c’était lui. L’allocation en
      devises généralisée qui avait fait déferler sur Paris et Marseille des
      centaines de milliers d’Algériens, c’était lui. Les années Brahimi, avant le
      réveil de 86, avaient fait le bonheur des Tati, Papi et autres marchands de
      pacotille.
      Hadj Yala, ministre des Finances, parodiant (mal) Guizot, s’exclamait :
      «Nous sommes riches !» Des contrats colossaux étaient signés. Les
      gouvernements français qui se succédaient poussaient à la dépense.
      L’Algérie s’endettait…
      Cette folie dépensière, cet immense gaspillage, c’était la concrétisation du
      slogan «Pour une vie meilleure» qui devait concilier à Chadli Bendjedid
      l’affection des Algériens.
      Abdehamid Brahimi a été le chef d’orchestre émérite de la symphonie en
      rose majeur : «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes», qui
      anesthésiait Chadli et le faisait ronronner de contentement. C’était lui
      l’auteur du mot d’ordre joyeusement partagé par tous les hauts
      responsables politiques de l’époque : «Ne rien dire qui puisse déstabiliser
      le Président !», si bien répercuté par Ghazi Hidouci : «La crise est
      ailleurs. Elle ne concerne pas l’Algérie» !
      Lorsque le groupe des profiteurs et autres aigrefins qui entouraient le
      président de la République avait commencé à s’adonner sans vergogne au
      trafic d’influence et à l’affairisme, A. Brahimi n’aura pas le courage de
      mettre en garde ce dernier. Lui qui tenait, au jour le jour, l’ardoise du
      sous-détail des comptes des faits et méfaits de ces personnages et qui
      donnera plus tard un total général, il n’avait ni démissionné ni fait le
      moindre esclandre. Sa carrière politique avant tout ! Chadli – disons-le
      très fort – savait écouter et prendre les mesures qu’il fallait quand on lui 8
      présentait les choses sous l’angle de l’intérêt national. Un certain Sidi
      Saïd, wali de Annaba, s’opposera avec courage et détermination (avec
      l’appui de Hadi Khediri) au propre frère du Président qui confondait les
      règles qui régissent une République avec celles du sérail du Grand Turc.
      Chadli tranchera en faveur du wali. A la même époque, j’obtenais du
      président l’annulation de projets de contrats non conformes, sur tous les
      plans, à l’intérêt national.
      De jeunes officiers (à l’époque lieutenants-colonels et colonels) parmi les
      plus connus : Abdelmalek Guenaïzia, Mohamed Touati, Mohamed
      Lamari, Ben-Abbès Ghezaïel, Mohammed Médiene, Ahmed Jenouhat,
      entre autres, sont sur leurs gardes. Ils feront tout pour barrer la route aux
      prévaricateurs quelquefois placés à des postes essentiels de la hiérarchie
      de l’ANP et de l’Etat.
      Voyons quelques projets que j’ai «sabordés» moi-même, avec l’appui
      discret mais efficace, des hommes cités plus haut : En décembre 84, le
      projet CRAC (Couverture Radar Antiaérienne et Côtière, coût : 2 000
      milliards) prévu avec Thompson-France ; le général Blanc, Délégué à
      l’armement à l’époque, en a été le négociateur ; celui des transmissions
      (projet SIED) qui devait être réalisé avec la Grande-Bretagne ; le centre
      de transfusion sanguine de l’hôpital de Aïn-Naâja rejeté à l’initiative du
      futur général Mohamed Touati, directeur de la santé militaire. Ce centre
      devait être construit par l’entreprise française Quillet, la même qui a
      réalisé l’hôpital. La société Bouygues, qui était à l’époque
      soumissionnaire, connaît parfaitement les «tractations» qui eurent lieu ; il
      sera réalisé par des entreprises algériennes après le veto infranchissable
      de Mohamed Touati ; le projet «Cascavel» (engins blindés à roues) qui
      allait être confié au Brésil de gré à gré avorta par mes soins, il aurait
      coûté à l’Algérie des sommes faramineuses sans contreparties techniques
      valables. Alors ministre de la Défense Nationale, j’ai décidé de confier
      définitivement la réalisation de tous les engins à roues (y compris les
      porte-chars) à l’entreprise nationale SNVI au lieu des entreprises
      étrangères pressenties.
      Le seul projet réalisé avec l’étranger le sera avec l’ex-URSS dans le cadre
      d’accords globaux.
      Le projet de réalisation de la base aérienne de Boufarik par les
      Américains fut également effacé de notre programme grâce à la vigilance
      des colonels Ahmed Jenouhat et Mohamed Médiene. Seuls les sites
      techniques seront réalisés avec une entreprise yougoslave : la piste, la
      tour de contrôle et l’abri de simulation C130. Le général Ben-Abbès
      Ghezaïel, alors administrateur de la région de Chlef frappée en 1980 par
      un séisme dévastateur, attirera l’attention de qui de droit sur la nécessité 9
      absolue du respect de la réglementation lors de la passation de contrats
      dans le cadre de la reconstruction des régions dévastées. Il veillera avec
      un soin jaloux, personnellement, à ce que des mécanismes
      exceptionnellement sévères soient mis en place pour contrôler les
      opérations de distribution de dons et de réhabilitation du bâti détruit afin
      d’éviter d’ajouter à la catastrophe produite par le tremblement de terre la
      calamité des détournements. Lorsqu’il s’apercevra que son approche
      jalouse des intérêts de l’Etat dérange, il dégagera la responsabilité de
      l’ANP pour se confiner dans l’aire stricte de secours, de sécurisation des
      populations, de protection des sites. Les contrats colossaux qui seront
      signés pour la fourniture et la pose d’habitations préfabriquées le seront
      sous la responsabilité pleine et entière de l’administration civile sans
      aucune interférence, de quelque nature que ce soit, de l’autorité militaire.
      Je demeure convaincu, et maintenant plus que jamais, que ce qui a failli
      se passer pour endetter à outrance l’Algérie a été la première opération de
      déstabilisation menée contre l’Armée nationale populaire. Il s’agissait de
      porter atteinte à sa crédibilité en la rendant responsable du gâchis
      financier. Le forcing de François Mitterrand pour pousser Chadli
      Bendjedid à la dépense a culminé lors du voyage officiel de ce dernier à
      Paris. François Mitterrand ne pouvait pas ne pas savoir que la crise
      financière pointait à l’horizon algérien et que, dans très peu de temps,
      l’imprévoyance et la gabegie mettraient l’Algérie à genoux. Cela est
      tellement vrai que la décision et le texte prévoyant l’instauration du visa
      d’entrée en France pour les citoyens algériens étaient déjà prêts dès ce
      moment. L’Algérien, ne disposant plus de pétrodollars à dépenser aux
      Galeries la Fayette, à la Redoute où chez Tati, sera dans peu de temps
      persona non grata.
      Les chefs de l’ANP, mus tout simplement par des scrupules de probité, en
      évitant de se laisser séduire et de pénétrer dans le coûteux bazar à
      ferrailles et en éliminant de leurs rangs ceux qui tentèrent d’y pénétrer,
      ont réussi, sans s’en rendre pleinement compte alors, leur première
      opération de contre-subversion.
      Pour la vérité, je répète que le président Bendjedid, chaque fois que j’ai
      attiré son attention sur les anomalies de certains dossiers, a
      immédiatement ordonné des mesures qui sauvegardaient l’intérêt
      national. Il a annulé le projet C.R.A.C dès qu’il a compris que sa bonne
      foi avait été abusée alors qu’il avait lui-même signé et paraphé chacune
      de ses pages.
      L’école, qui est le premier creuset de la citoyenneté, a été très rapidement
      prise en charge par des démagogues préoccupés par l’inculcation des
      «valeurs arabo-islamiques» dont la teneur était le rejet de la double 11
      culture et l’imposition d’une conception «coranisée» de la Cité au sens
      étroit et large du terme.
      Le régime de Houari Boumediene porte, le premier, la responsabilité de
      la catastrophe qui a frappé l’école. Si Houari Boumediene a su confier
      l’organisation de l’ANP et des services de sécurité à d’excellents
      techniciens (A. Chabou, K. Merbah, A. Benchérif, A. Draïa et H.
      Khediri), l’école a été livrée à Abdelhamid Mehri, Ahmed Taleb
      Ibrahimi, Kharoubi et Mouloud Kacem, l’homme des instituts islamiques.
      Ces mandarins ne surent pas définir à l’école des objectifs de modernité
      et de rationalité, ils la livrèrent à un patchwork d’enseignants venus de
      pays où l’islamo-arabisme était mal compris et mal exprimé.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        Le FLN, dirigé par M. S. Yahiaoui puis par M. C. Messaadia, ajoutera
        aux programmes une pincée de nationalisme.
        Le résultat, par l’importance du temps dévolu à la scolastique, sera la
        chute du niveau, une religiosité dominant toutes les autres perceptions et
        l’incapacité pour l’élève, du fait des tiraillements subis, de se façonner
        une identité nationale.
        Les jeunes Algériens qui défileront plus tard dans les rues accoutrés en
        Saoudiens, Afghans ou Soudanais, qui proclameront des professions de
        foi diverses et contradictoires, ont été les victimes de l’incompétence ou
        des bas calculs de ceux qui ont dirigé l’école.
        «Avec le recul, on peut penser que c’est un choix de classe qu’a imposé
        la fraction la plus conservatrice du FLN, effrayée par la poussée
        socialisante des premières années et ne voulant pas d’une jeunesse
        éduquée, lucide et progressiste, susceptible d’appuyer cette orientation et
        d’en renforcer le contenu», dira Jacques Berque.
        Le même Jacques Berque écrira encore :
        «Ce clivage constituait un piège qui aurait dû être déjoué par la
        promotion d’une biculture appuyée sur une arabisation se référant au
        meilleur de la tradition de l’islam et de son ouverture à la connaissance et
        à la science. Un autre choix prévalut, celui d’une arabisation régressive,
        dogmatique, avec des enseignants sous-qualifiés dont un grand nombre,
        venant de l’étranger, se sont révélés ultérieurement être des militants
        intégristes».
        Les objectifs de la santé publique globalement atteints – chute de la
        mortalité infantile et éradication des maladies épidémiques – conjugués
        au relèvement sensible du niveau de vie et à l’absence totale d’une
        politique de la population, le planning familial, timidement mis en œuvre,
        les encouragements sociaux aux vieux réflexes de fécondité de la famille
        algérienne, les interdits religieux, l’asservissement de la femme par un 11
        code de la famille rétrograde ont donné à la courbe démographique
        algérienne son tracé exponentiel.
        La régulation espérée, attendue même de l’élévation du niveau culturel
        des gens, était irréaliste. (Le Maroc de Hassen II avait introduit dès les
        années soixante le contrôle des naissances, avec des méthodes plus
        convaincantes dans les mœurs de ses sujets).
        Est-ce le développement économique qui donne naissance au
        développement culturel ou le contraire ? Vieux dilemme des Etats
        prétendant rattraper les retards dus à la colonisation grâce à la
        planification. Les technocrates algériens avaient élaboré des
        quinquennaux comme des schémas inévitables vers le progrès. Les axes
        d’efforts apparaissaient dans les plans en distances, en poids, en volumes
        quantifiés à l’avance. Le drame, c’est que les objectifs dont la finalité
        était la promotion de l’homme dépendaient, pour réussir, de facteurs non
        maîtrisables par absence de vision politique claire : la natalité et l’école.
        L’échec est venu du refus du système politique d’affronter les pesanteurs
        inhérentes à la société. Ainsi, au moment même de son énoncé, la
        planification des moyens et des efforts, fractionnée en annuités, du fait
        qu’elle négligeait le facteur humain, révélait sa faiblesse et son futur
        échec.
        Sur le plan moral, la corruption, l’enrichissement rapide, les scandales qui
        n’épargnaient pas le sommet tendaient à perdre l’Etat de réputation et à le
        faire apparaître, aux yeux de la masse, comme le refuge ou le protecteur
        des prévaricateurs.
        Avec la crise financière et le chômage, les difficultés quotidiennes de la
        vie seront mises au compte des errements des gouvernants et
        provoqueront la désaffection d’abord, le mépris et la haine de l’Etat
        ensuite.
        L’idéologie qui fondait le discours du système, «le socialisme
        spécifique», sera résumée en une phrase concise et lapidaire : «Regda out
        manji», qui signifie à peu près que c’était désormais le règne de la
        paresse, du laisser-aller et de la rapine.
        Grâce à Chadli Bendjedid, qui avait pris là le contre-pied de Houari
        Boumediene, le FLN avait désormais les moyens humains et matériels de
        peser sur les décisions dans un sens ou dans l’autre. Il s’était restructuré.
        Il était présent dans les communes les plus reculées du pays. Il avait
        bénéficié d’un programme de construction de kasmate (cellule de base du
        parti) et de mouhafadate (commissariat du FLN à l’échelle préfectorale)
        impressionnant. L’argent ne manquait pas. L’UNFA (union des femmes) 12
        lançait des centres de formation professionnelle pour jeunes filles,
        l’UGTA (syndicat des travailleurs) réparait ses locaux, l’Amicale faisait
        de l’action sociale. La puissante administration du parti contrôlait les
        rouages de l’Etat, mais le FLN, devenu un appareil parasitaire, un simple
        outil de pouvoir, une antichambre, un passage obligé, une salle d’attente
        pour tous ceux qui voulaient conquérir des fonctions électives ou occuper
        des postes dans l’administration, n’avait jamais eu la possibilité de faire
        une lecture réaliste des phénomènes qui agitaient le substrat urbain,
        fourvoyé par les personnalités qui le constituaient dans d’éternelles luttes
        de préséance.
        Messaadia, responsable de fait du FLN, était le chef de file des
        conservateurs accrochés désespérément à la vieille bouée populiste du
        sigle. Ayant contribué à tout geler, il s’adonnait, au jour le jour, au traintrain des réunions verbeuses et du protocole. Comme il connaissait bien le
        caractère de Bendjedid, il évitait de lui faire de l’ombre. Il savait y faire,
        ne se départissait jamais de son rôle de syndic. Au siège du parti, il avait
        aménagé un bureau pour le propriétaire légitime (le secrétaire général) et
        il évitait ostensiblement de l’occuper. Il gardait ses distances, soignait sa
        représentation auprès des éminences grises, entretenait des relations
        privilégiées avec Hadi Khediri qui était l’homme qui montait. Il faisait
        ainsi savoir au seul titulaire que l’on n’était pas un rival potentiel mais
        seulement un majordome veillant sur la netteté des tapis et le brillant des
        lustres.
        Le FLN de la guerre de Libération nationale, en phase avec la population,
        n’existait plus. Celui dont Chadli. Bendjedid espérait faire le moteur du
        renouveau et de la libéralisation s’était bureaucratisé et sclérosé. Les
        organisations de masse, sur lesquelles le régime prétendait fonder son
        assise sociale, étaient le refuge des opportunistes et des candidats à la
        prébende.
        Le pouvoir encourageait, codifiait et administrait le phénomène de
        l’éclosion des organisations patriotardes. Cette masse de grands et petits
        privilégiés qui vivait, s’agitait, clamait slogans et arborait oriflammes,
        absorbait par capillarité toutes les transpirations alentour, croissait,
        proliférait, sécrétait d’autres tentacules, donnait au système l’illusion
        d’avoir un ancrage populaire.
        Dans une société pénuriste aux perspectives bouchées chaque année
        davantage, cette catégorie de citoyens apparaîtra rapidement aux yeux de
        la population comme une caste d’insatiables profiteurs.
        C’était partout la course aux privilèges. La grande guerre de Libération
        était devenue un fonds de commerce. C’était à qui arracherait plus vite
        que le voisin la fameuse attestation qui ferait de lui un citoyen à part 13
        entière, un membre arrogant du nouveau premier collège : anciens
        réfugiés en Tunisie et au Maroc n’ayant jamais touché à une arme ou
        approché une unité combattante de l’ALN, copains d’authentiques
        moudjahidine, ayant connu la Révolution par ouï-dire, fonctionnaires en
        quête d’avancement, commerçants désireux de se vêtir du burnous
        protecteur pour faciliter de juteuses spéculations.
        Personne ne dira au Président que le temps pressait. Lorsque, de temps à
        autre, des analyses pertinentes et réalistes lui étaient fournies par les
        services de sécurité ou par des personnalités rencontrées au hasard du
        protocole, il s’inquiétait et s’informait.
        Hadi Khediri, longtemps directeur de la Sûreté nationale et, à ce titre, très
        bien informé de l’état des lieux, convaincra très tôt le Président de
        l’urgence de prendre des mesures de «décompression» d’abord,
        d’ouverture ensuite.
        Mais les hommes de bonne intuition et de bon conseil, tel Khediri, ne
        pouvaient pas transformer, seuls, le système. A. Brahimi, G. Hidouci, M.
        C. Messaadia, réanesthésiaient très vite Chadli en lui rappelant les
        «grandes réussites de son ère» et le calme que connaissait le pays.
        Les choses, hélas, n’étaient pas ce qu’ils affirmaient. Ils ne voulaient pas
        lui dire, ces flagorneurs, que le silence de la société n’était pas dû au
        ralliement à des mots d’ordre désormais sans signification, mais à
        l’absence de canaux d’expression.
        La quiétude de la rue devait déboucher un jour ou l’autre sur des
        explosions incontrôlées. Les premières émeutes (Constantine) qui ont
        marqué le début de la décennie 80 n’ont pas été analysées à leur juste
        signification. L’approche a été uniquement sécuritaire.
        Prochaine partie : La montée des périls
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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        • #5
          merci solas et si tu pouvais nous mettre l’ensemble des ces écrits sur ce sujet ce serait parfait

          je pense que si certains prennent la peine de lire, ils tomberont de haut, de très très haut!
          "Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre."
          W.C

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          • #6
            ya hassi
            si tu savais
            The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

            Commentaire


            • #7
              C'est kasdi Merbah qui nous a ramené ce malheur pour ses calculs personnels. Il l'a payé plusieurs années après de sa peau. Allah irahmou.

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              • #8
                ce qui est navarant dans ce pays est que chacun apres..coup
                raconte les deboires des uns etd es autres
                pour moic tjs
                moussa hadj
                et hadj moussa
                je dirais meme que je savais tout ça sans lire
                car tout est atypique depuis 1962
                Gone with the Wind.........

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                • #9
                  ya hassi
                  si tu savais
                  que veux-tu dire par là Solas?

                  ps: au fait moi c'est hassa ici, hassa comme hassanate
                  "Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre."
                  W.C

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