Militant nationaliste de la première heure, responsable durant la guerre de libération nationale qui a fait rallier, avec Bachir Hadj Ali, le Parti Communiste Algérien à la révolution armée, homme politique et défenseur des libertés depuis l’indépendance, ancien Secrétaire général du Parti pour l’Avant garde socialiste, analyste et observateur averti, Sadek Hadjeres livre dans cet entretien sa vision sur l’Algérie d’aujourd’hui et les cinqunte années d’indépendance.
-Quelle lecture faites-vous des résultats de l’élection législative du 10 mai ?
A l’approche du 10 mai dernier, les discours officiels nous avaient annoncé un évènement aussi considérable que le 1er novembre 54. Autrement dit, une rupture avec l’ordre politique ancien, sinon dans les résultats, au moins dans les intentions et les actes. Dans les faits, est-on sorti des incantations gratuites ? Prenons comme référence les espoirs et la mobilisation qui avaient accueilli l’insurrection nationale de 1954, pourtant pleine d’incertitudes. Combien d’Algériens vibrent aujourd’hui d’enthousiasme pour « l’exploit » officiel du 10 mai ? Le pouvoir a eu « SON » Assemblée. Combien d’Algériens estiment après cela que l’opération électorale a redonné espoir et pesé de façon significative sur le contexte national et la conjoncture politique ? A peine si les méthodes de détournement du scrutin ont été en apparence un peu moins grossières, pour que les gouvernements d’Occident fassent semblant d’y croire. Les problèmes et les motifs d’insatisfaction majeure restent les mêmes. Dans cette stagnation, les traits négatifs du régime sont encore plus ressentis, du fait que les effets d’annonce sont démentis par les faits.
Mais à y voir de plus près, cette opération de « pub » peu convaincante a le mérite, par rapport aux mascarades électorales traditionnelles, de servir de révélateur à certaines évolutions notables. Je parle ici de la seule politique intérieure. La politique extérieure, en dépit de ses insuffisances, est relativement moins sujette à critique dans le difficile environnement mondial et régional actuel, bien que fragilisée par le discrédit de la politique intérieure aux yeux de la population.
Pensez-vous qu’il y ait eu à l’intérieur des évolutions dignes d’intérêt ? En quoi ?
Je relève notamment deux constats.Le premier constat, côté sphères dirigeantes, est que à la différence du triomphalisme habituel et sur le même fond rhétorique, le discours et la démarche officiels témoignent d’un ébranlement, d’une fausse assurance devant les perspectives, d’une absence apparente de stratégie, de réponses contradictoires au coup par coup à l’avalanche des problèmes rencontrés. On a entendu des déclarations pessimistes, des bilans de faillite _ mais sans références concrètes ou réelle autocritique _de la part de personnalités parmi les plus haut placées ou les plus habituellement arrogantes. La « sortie » récente d’Ouyahia est un modèle du genre. Les scandales et les remous spectaculaires sont devenus si fréquents qu’ils ne surprennent plus, tout en suscitant davantage de réprobation. Le « souk » de bas niveau qui secoue depuis des mois le parti officiel usurpateur de légitimité du FLN historique, est l’image ultime de la régression que ses inspirateurs autoproclamés ont fait subir au pays.
On aura tout vu en matière de comédie empressée à délivrer à ses auteurs une virginité patriotique et démocratique. De hautes personnalités du régime se sont jointes pour la première fois à l’hommage annuel rendu à Henri Maillot, alors que les officiels faisaient tout auparavant pour ignorer et contrecarrer cette cérémonie. Jamais trop tard pour bien faire, même si le geste de récupération politicienne a suscité la réflexion ironique des camarades et compagnons du héros tombé au champ d’honneur ! Où, dans quel camp étiez-vous et que faisiez-vous, vaillants résistants de la dernière heure, lorsque le 4 avril 1956 ce jeune algérien communiste et d’origine européenne, officier de l’armée française et combattant des CDL, a livré avec ses camarades pour l’ALN qui en avait grandement besoin, un camion bourré d’armes pris à l’ennemi, tout en haussant d’un cran à l’intérieur et dans le monde la renommée de la cause algérienne ?
Les aveux explicites ou implicites émanant des sphères dirigeantes témoignent d’une étape où nul ne peut plus cacher le fiasco politique du régime. Il est désemparé, écartelé dans les labyrinthes des luttes sévères entre les clans à la fois rivaux et complices qui le composent. Les acteurs de ces rivalités d’appareils au sommet, même les plus sérieux, réalistes, ou simplement « repentis », sont dépassés par l’ampleur d’une crise globale qui a fragilisé la nation, du fait que la majeure partie des cercles dirigeants sont restés plus préoccupés par la conservation de leurs pouvoirs et privilèges que par la solution des multiples problèmes posés au pays et à la société. Bien entendu, le peuple et l’Algérie font les frais de ce désarroi.
Un deuxième constat, parallèle au précédent et imbriqué avec lui, concerne le cœur de la société à qui on a imputé souvent un scepticisme et une passivité apparentes. Une évolution souterraine a parcouru peu à peu les profondeurs de l’opinion. Les traits pas encore bien perceptibles en sont mieux apparus à l’occasion de ces « législatives », ils sont contrastés. Les avancées de prises de conscience ont commencé à faire reculer les pesanteurs encore présentes, mais elles pourraient s’accentuer et devenir enfin porteuses d’espoir. Le vécu douloureux des décennies écoulées est passé par là. Il explique la prudence populaire envers les pulsions de violence rêvées par quelques médias qui suggéraient un « copié-collé » de certains « printemps arabes» dévoyés.
On s’en rend compte à travers nombre de luttes de masse, associatives et revendicatives, de moins en moins spontanées, dont le nombre et la qualité ne suscitent pas suffisamment l’attention et les analyses médiatiques. Certaines initiatives de jeunes pour améliorer avec de faibles moyens leur environnement urbain délaissé par les autorités méritent tout simplement l’admiration et l’émulation. Un critère fondamental a émergé dans les opinions, il pèse de plus en plus en faveur du respect et de la défense des droits humains et de la liberté d’expression.
On n’est plus à l’époque où, face à une société encore anesthésiée par l’inexpérience et la subjectivité, certains courants idéologues « éradicateurs et républicains » osaient condamner les aspirations démocratiques et sociales, les présentant comme du « droit de l’hommisme », un luxe pour un peuple comme le nôtre, tandis que les théocrates intégristes les diabolisaient comme une expression de « kofr », étrangère à l’islam. La conscience a grandi, malgré les leurres et les diversions, que seule une mobilisation (pas seulement électorale) à la fois pacifique, consciente, durable et multiforme, en un mot un contre-pouvoir massif et responsable, pourra mettre en échec les deux fléaux conjugués de l’autoritarisme et de la corruption, devenus objectivement et aux yeux de l’opinion la marque distinctive du régime.
El Watan
-Quelle lecture faites-vous des résultats de l’élection législative du 10 mai ?
A l’approche du 10 mai dernier, les discours officiels nous avaient annoncé un évènement aussi considérable que le 1er novembre 54. Autrement dit, une rupture avec l’ordre politique ancien, sinon dans les résultats, au moins dans les intentions et les actes. Dans les faits, est-on sorti des incantations gratuites ? Prenons comme référence les espoirs et la mobilisation qui avaient accueilli l’insurrection nationale de 1954, pourtant pleine d’incertitudes. Combien d’Algériens vibrent aujourd’hui d’enthousiasme pour « l’exploit » officiel du 10 mai ? Le pouvoir a eu « SON » Assemblée. Combien d’Algériens estiment après cela que l’opération électorale a redonné espoir et pesé de façon significative sur le contexte national et la conjoncture politique ? A peine si les méthodes de détournement du scrutin ont été en apparence un peu moins grossières, pour que les gouvernements d’Occident fassent semblant d’y croire. Les problèmes et les motifs d’insatisfaction majeure restent les mêmes. Dans cette stagnation, les traits négatifs du régime sont encore plus ressentis, du fait que les effets d’annonce sont démentis par les faits.
Mais à y voir de plus près, cette opération de « pub » peu convaincante a le mérite, par rapport aux mascarades électorales traditionnelles, de servir de révélateur à certaines évolutions notables. Je parle ici de la seule politique intérieure. La politique extérieure, en dépit de ses insuffisances, est relativement moins sujette à critique dans le difficile environnement mondial et régional actuel, bien que fragilisée par le discrédit de la politique intérieure aux yeux de la population.
Pensez-vous qu’il y ait eu à l’intérieur des évolutions dignes d’intérêt ? En quoi ?
Je relève notamment deux constats.Le premier constat, côté sphères dirigeantes, est que à la différence du triomphalisme habituel et sur le même fond rhétorique, le discours et la démarche officiels témoignent d’un ébranlement, d’une fausse assurance devant les perspectives, d’une absence apparente de stratégie, de réponses contradictoires au coup par coup à l’avalanche des problèmes rencontrés. On a entendu des déclarations pessimistes, des bilans de faillite _ mais sans références concrètes ou réelle autocritique _de la part de personnalités parmi les plus haut placées ou les plus habituellement arrogantes. La « sortie » récente d’Ouyahia est un modèle du genre. Les scandales et les remous spectaculaires sont devenus si fréquents qu’ils ne surprennent plus, tout en suscitant davantage de réprobation. Le « souk » de bas niveau qui secoue depuis des mois le parti officiel usurpateur de légitimité du FLN historique, est l’image ultime de la régression que ses inspirateurs autoproclamés ont fait subir au pays.
On aura tout vu en matière de comédie empressée à délivrer à ses auteurs une virginité patriotique et démocratique. De hautes personnalités du régime se sont jointes pour la première fois à l’hommage annuel rendu à Henri Maillot, alors que les officiels faisaient tout auparavant pour ignorer et contrecarrer cette cérémonie. Jamais trop tard pour bien faire, même si le geste de récupération politicienne a suscité la réflexion ironique des camarades et compagnons du héros tombé au champ d’honneur ! Où, dans quel camp étiez-vous et que faisiez-vous, vaillants résistants de la dernière heure, lorsque le 4 avril 1956 ce jeune algérien communiste et d’origine européenne, officier de l’armée française et combattant des CDL, a livré avec ses camarades pour l’ALN qui en avait grandement besoin, un camion bourré d’armes pris à l’ennemi, tout en haussant d’un cran à l’intérieur et dans le monde la renommée de la cause algérienne ?
Les aveux explicites ou implicites émanant des sphères dirigeantes témoignent d’une étape où nul ne peut plus cacher le fiasco politique du régime. Il est désemparé, écartelé dans les labyrinthes des luttes sévères entre les clans à la fois rivaux et complices qui le composent. Les acteurs de ces rivalités d’appareils au sommet, même les plus sérieux, réalistes, ou simplement « repentis », sont dépassés par l’ampleur d’une crise globale qui a fragilisé la nation, du fait que la majeure partie des cercles dirigeants sont restés plus préoccupés par la conservation de leurs pouvoirs et privilèges que par la solution des multiples problèmes posés au pays et à la société. Bien entendu, le peuple et l’Algérie font les frais de ce désarroi.
Un deuxième constat, parallèle au précédent et imbriqué avec lui, concerne le cœur de la société à qui on a imputé souvent un scepticisme et une passivité apparentes. Une évolution souterraine a parcouru peu à peu les profondeurs de l’opinion. Les traits pas encore bien perceptibles en sont mieux apparus à l’occasion de ces « législatives », ils sont contrastés. Les avancées de prises de conscience ont commencé à faire reculer les pesanteurs encore présentes, mais elles pourraient s’accentuer et devenir enfin porteuses d’espoir. Le vécu douloureux des décennies écoulées est passé par là. Il explique la prudence populaire envers les pulsions de violence rêvées par quelques médias qui suggéraient un « copié-collé » de certains « printemps arabes» dévoyés.
On s’en rend compte à travers nombre de luttes de masse, associatives et revendicatives, de moins en moins spontanées, dont le nombre et la qualité ne suscitent pas suffisamment l’attention et les analyses médiatiques. Certaines initiatives de jeunes pour améliorer avec de faibles moyens leur environnement urbain délaissé par les autorités méritent tout simplement l’admiration et l’émulation. Un critère fondamental a émergé dans les opinions, il pèse de plus en plus en faveur du respect et de la défense des droits humains et de la liberté d’expression.
On n’est plus à l’époque où, face à une société encore anesthésiée par l’inexpérience et la subjectivité, certains courants idéologues « éradicateurs et républicains » osaient condamner les aspirations démocratiques et sociales, les présentant comme du « droit de l’hommisme », un luxe pour un peuple comme le nôtre, tandis que les théocrates intégristes les diabolisaient comme une expression de « kofr », étrangère à l’islam. La conscience a grandi, malgré les leurres et les diversions, que seule une mobilisation (pas seulement électorale) à la fois pacifique, consciente, durable et multiforme, en un mot un contre-pouvoir massif et responsable, pourra mettre en échec les deux fléaux conjugués de l’autoritarisme et de la corruption, devenus objectivement et aux yeux de l’opinion la marque distinctive du régime.
El Watan
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