Dernier membre vivant de l’état-major de l’ALN, membre du CNRA, le commandant Azzedine a vécu dans la douleur les derniers jours de la colonisation. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur la zone autonome qu’il a reconstituée pour neutraliser les cellules de l’OAS, mais aussi sur les guerres fratricides qui ont éclaté à la veille de l’indépendance. Pour lui, toutes les tragédies qu’a vécues le pays depuis 1962 ont deux responsables : Ben Bella et Boumediene, que l’amour du pouvoir a pervertis…
-Entre le 19 mars, marquant le cessez-le-feu et le 5 juillet date de l’indépendance, l’Algérie a traversé une des périodes la plus difficiles. Comment l’avez-vous vécue ?
En 1961, j’étais à l’éat-major de l’ALN et je suivais de près les massacres qui étaient commis contre la population algérienne. A l’époque, les négociations entre le FLN et le gouvernement français commençaient à être sérieuses et l’indépendance se dessinait à l’horizon. L’OAS (Organisation armée secrète) est entrée dans une stratégie de folie meurtrière qui n’avait aucune limite. Avec un groupe de valeureux combattants comme Omar Oussedik, Moussa Charef, que Dieu ait leur âme, Ali Lounici et Boualem Oussedik, ainsi que d’autres intellectuels qui devaient rentrer au pays, comme Zerdani, Toufik Bouatoura, et Harbi, mais qui ne l’ont pas fait, de répondre aux actions de l’OAS, il y avait Mustapha Leblidi, Hamid Dali et Nachet qui formaient l’aile militaire, et les autres qui constituaient l’aile politique.
Nous avons pris contact avec Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), pour l’informer de notre action et il a promis de nous aider. Il nous a mis en contact avec Hafid Kerramane, qui devait grâce à ses réseaux nous faire passer la frontière franco-suisse par train, puis rejoindre l’Algérie par avion. Nous devions rentrer à Alger deux par deux et moi, mon binôme était Moussa Charef. J’avais des papiers au nom de Cerrano Georges, gendarme auxiliaire, et Charef avait un autre nom dont je ne me rappelle plus. Nous sommes arrivés au boulevard des Invalides à Paris, puis nous nous sommes dirigés vers l’aéroport d’Orly, d’où nous nous sommes envolés sur Alger. Mes papiers étaient détenus par une française, présentée comme ma fiancée, que je n’ai jamais revue une fois à destination.
Dès mon arrivée, j’ai pris contact avec la wilaya IV, et je l’ai trouvée dans une situation des plus catastrophiques. Vers la fin de 1961 et 1962, les maquis étaient désertés par les militaires français lesquels ont concentré leurs forces surtout dans les villes. Durant les négociations d’Evian, les opérations se sont arrêtées. Nous nous sommes mis d’accord avec toutes les wilayate afin de descendre à Alger et de reconstituer la zone autonome. Avec Ali Lounici, Omar Oussedik et Bouchafa Mokhtar, nous avons commencé à organiser la résistance contre l’OAS. A cette époque, les attentats commis par cette organisation criminelle faisaient entre 60 à 80 victimes par jour uniquement à Alger. Les victimes se comptaient surtout parmi les «Fatma», comme ils les appelaient, les petits pharmaciens, les vendeurs de cigarettes, de propriétaires des «quatre saisons», etc.
Nous étions en plein dans les délits de faciès. Nous avions été aidés par Mohamed Berrouaghia, par ses contacts. Par voie rapide, j’ai informé Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA, de la reconstitution de la zone autonome d’Alger, et l’ordre de mission qu’il m’avait établi faisait état du maintien de l’ordre dans la capitale jusqu’au référendum. Il fallait faire en sorte que le cessez-le-feu soit respecté jusqu’à ce qu’a la tenue du référendum afin de ne pas faire capoter les accords d’Evian. Les consignes étaient surtout de ne pas répondre aux provocations de l’OAS qui avait pour objectif à travers les attentats qu’elle commettait de faire descendre la population algérienne sur les quartiers européens et de provoquer la réaction de l’armée coloniale. Il fallait que nous arrivions à mettre un terme rapidement à la machine meurtrière de l’OAS, et ce, dans la discrétion totale.
-Aviez-vous ressenti le souci de faire respecter les accords d’Evian chez la partie française ?
Nos interlocuteurs représentaient la France officielle à travers le préfet d’Alger, Vitalis Cros, le capitaine Lacoste de la gendarmerie, Lucien Biterlin, des barbouzes et le général Capodano. Après l’installation de l’Exécutif à Rocher Noir, nous avons organisé la zone autonome sur le plan sanitaire, militaire, logistique et nous avons tissé un réseau de renseignements des plus extraordinaires depuis cette période à ce jour..
-Grâce à qui ?
Grâce à nos mères et nos sœurs. A l’époque, chaque famille européenne avait sa «Fatma» qui connaissait tout ce qui se passait dans les foyers et les deux communautés (arabe et européenne) vivaient chacune isolée de l’autre. Nous ne pouvions entrer chez eux, comme eux ne pouvaient s’aventurer dans nos quartiers. Avant de rentrer chez elles, ces «Fatma» venaient nous rendre compte de tout ce dont elles ont été témoins, et elles nous aidaient à localiser, grâce aux photos que nous leur montrions, les activistes de l’OAS. Nous avons communiqué toutes les informations recueillies à l’exécutif à travers Abderrahmane Fares et Chawki Mostefaï.
Le capitaine Lacoste, le préfet Vitalis Cros et le général Capodano étaient également informés afin qu’ils mettent un terme aux activités de l’OAS.
Nous, nous ne pouvions entrer dans les quartiers européens, parce que vite repérables. Il fallait que ce soit la partie française qui le fasse. Mais rien n’a été fait. L’armée française était devenue putschiste et personne ne pouvait agir. Les accords d’Evian avaient prévu la mise en action de la force locale à Alger (composée d’algériens encadrés par des officiers français), mais également les ATO (Agents temporaires occasionnels), une sorte de police temporaire. Ces forces fidèles à De Gaulle, devaient servir pour le maintien de l’ordre jusqu’à l’indépendance, mais aucune d’elles n’a été mise en place. Nous avions attiré l’attention de l’exécutif de Rocher Noir, mais aucune réaction n’a été enregistrée. Toutes les informations que nous leur transmettions sur les activistes de l’OAS restaient sans réponse. Il fallait riposter parce que la population voyait ses enfants mourir chaque jour dans des attentats. Les criminels de l’OAS voulaient déverser un camion citerne d’essence sur le haut de La Casbah pour brûler tout le quartier.
Les plasticages, les tirs au bazooka, au mortier, à la mitraillette lourde ébranlaient la capitale. C’était un cauchemar pour la population au point où celle-ci a commencé à douter de l’efficacité de la zone autonome, accusée d’impuissance. Au niveau du PC (poste de commandement), chaque soir nous nous réunissions pour établir les listes des extrémistes de l’OAS avec leur adresse, et le lendemain j’organisais des enlèvements de personnes ciblées et celles-ci sont faites prisonnières. Elles sont déférées devant un tribunal populaire qui décidait soit de leur libération soit de leur condamnation à mort. Ceux qui étaient exécutés, l’étaient pour leurs crimes abominables. Notre action avait pour objectif de stopper les massacres de l’OAS et faire respecter les accords d’Evian. Nous ne pouvions rester inertes face à la machine meurtrière de l’OAS.
L’attentat contre les travailleurs du port d’Alger, avec plus de 70 morts et de nombreux blessés a soulevé les habitants de Clos Salembier et de La Casbah. Ces derniers ont commencé à descendre sur les quartiers européens pour se venger. Nous avons eu du mal à les convaincre de rentrer chez eux. Nous leur avons promis de riposter violemment à cet acte ignoble. Et il y a eu l’action du 14 mai 1962 qui a été menée sans qu’elle soit autorisée par le GPRA ni le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) ou par les wilayate.
-Entre le 19 mars, marquant le cessez-le-feu et le 5 juillet date de l’indépendance, l’Algérie a traversé une des périodes la plus difficiles. Comment l’avez-vous vécue ?
En 1961, j’étais à l’éat-major de l’ALN et je suivais de près les massacres qui étaient commis contre la population algérienne. A l’époque, les négociations entre le FLN et le gouvernement français commençaient à être sérieuses et l’indépendance se dessinait à l’horizon. L’OAS (Organisation armée secrète) est entrée dans une stratégie de folie meurtrière qui n’avait aucune limite. Avec un groupe de valeureux combattants comme Omar Oussedik, Moussa Charef, que Dieu ait leur âme, Ali Lounici et Boualem Oussedik, ainsi que d’autres intellectuels qui devaient rentrer au pays, comme Zerdani, Toufik Bouatoura, et Harbi, mais qui ne l’ont pas fait, de répondre aux actions de l’OAS, il y avait Mustapha Leblidi, Hamid Dali et Nachet qui formaient l’aile militaire, et les autres qui constituaient l’aile politique.
Nous avons pris contact avec Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), pour l’informer de notre action et il a promis de nous aider. Il nous a mis en contact avec Hafid Kerramane, qui devait grâce à ses réseaux nous faire passer la frontière franco-suisse par train, puis rejoindre l’Algérie par avion. Nous devions rentrer à Alger deux par deux et moi, mon binôme était Moussa Charef. J’avais des papiers au nom de Cerrano Georges, gendarme auxiliaire, et Charef avait un autre nom dont je ne me rappelle plus. Nous sommes arrivés au boulevard des Invalides à Paris, puis nous nous sommes dirigés vers l’aéroport d’Orly, d’où nous nous sommes envolés sur Alger. Mes papiers étaient détenus par une française, présentée comme ma fiancée, que je n’ai jamais revue une fois à destination.
Dès mon arrivée, j’ai pris contact avec la wilaya IV, et je l’ai trouvée dans une situation des plus catastrophiques. Vers la fin de 1961 et 1962, les maquis étaient désertés par les militaires français lesquels ont concentré leurs forces surtout dans les villes. Durant les négociations d’Evian, les opérations se sont arrêtées. Nous nous sommes mis d’accord avec toutes les wilayate afin de descendre à Alger et de reconstituer la zone autonome. Avec Ali Lounici, Omar Oussedik et Bouchafa Mokhtar, nous avons commencé à organiser la résistance contre l’OAS. A cette époque, les attentats commis par cette organisation criminelle faisaient entre 60 à 80 victimes par jour uniquement à Alger. Les victimes se comptaient surtout parmi les «Fatma», comme ils les appelaient, les petits pharmaciens, les vendeurs de cigarettes, de propriétaires des «quatre saisons», etc.
Nous étions en plein dans les délits de faciès. Nous avions été aidés par Mohamed Berrouaghia, par ses contacts. Par voie rapide, j’ai informé Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA, de la reconstitution de la zone autonome d’Alger, et l’ordre de mission qu’il m’avait établi faisait état du maintien de l’ordre dans la capitale jusqu’au référendum. Il fallait faire en sorte que le cessez-le-feu soit respecté jusqu’à ce qu’a la tenue du référendum afin de ne pas faire capoter les accords d’Evian. Les consignes étaient surtout de ne pas répondre aux provocations de l’OAS qui avait pour objectif à travers les attentats qu’elle commettait de faire descendre la population algérienne sur les quartiers européens et de provoquer la réaction de l’armée coloniale. Il fallait que nous arrivions à mettre un terme rapidement à la machine meurtrière de l’OAS, et ce, dans la discrétion totale.
-Aviez-vous ressenti le souci de faire respecter les accords d’Evian chez la partie française ?
Nos interlocuteurs représentaient la France officielle à travers le préfet d’Alger, Vitalis Cros, le capitaine Lacoste de la gendarmerie, Lucien Biterlin, des barbouzes et le général Capodano. Après l’installation de l’Exécutif à Rocher Noir, nous avons organisé la zone autonome sur le plan sanitaire, militaire, logistique et nous avons tissé un réseau de renseignements des plus extraordinaires depuis cette période à ce jour..
-Grâce à qui ?
Grâce à nos mères et nos sœurs. A l’époque, chaque famille européenne avait sa «Fatma» qui connaissait tout ce qui se passait dans les foyers et les deux communautés (arabe et européenne) vivaient chacune isolée de l’autre. Nous ne pouvions entrer chez eux, comme eux ne pouvaient s’aventurer dans nos quartiers. Avant de rentrer chez elles, ces «Fatma» venaient nous rendre compte de tout ce dont elles ont été témoins, et elles nous aidaient à localiser, grâce aux photos que nous leur montrions, les activistes de l’OAS. Nous avons communiqué toutes les informations recueillies à l’exécutif à travers Abderrahmane Fares et Chawki Mostefaï.
Le capitaine Lacoste, le préfet Vitalis Cros et le général Capodano étaient également informés afin qu’ils mettent un terme aux activités de l’OAS.
Nous, nous ne pouvions entrer dans les quartiers européens, parce que vite repérables. Il fallait que ce soit la partie française qui le fasse. Mais rien n’a été fait. L’armée française était devenue putschiste et personne ne pouvait agir. Les accords d’Evian avaient prévu la mise en action de la force locale à Alger (composée d’algériens encadrés par des officiers français), mais également les ATO (Agents temporaires occasionnels), une sorte de police temporaire. Ces forces fidèles à De Gaulle, devaient servir pour le maintien de l’ordre jusqu’à l’indépendance, mais aucune d’elles n’a été mise en place. Nous avions attiré l’attention de l’exécutif de Rocher Noir, mais aucune réaction n’a été enregistrée. Toutes les informations que nous leur transmettions sur les activistes de l’OAS restaient sans réponse. Il fallait riposter parce que la population voyait ses enfants mourir chaque jour dans des attentats. Les criminels de l’OAS voulaient déverser un camion citerne d’essence sur le haut de La Casbah pour brûler tout le quartier.
Les plasticages, les tirs au bazooka, au mortier, à la mitraillette lourde ébranlaient la capitale. C’était un cauchemar pour la population au point où celle-ci a commencé à douter de l’efficacité de la zone autonome, accusée d’impuissance. Au niveau du PC (poste de commandement), chaque soir nous nous réunissions pour établir les listes des extrémistes de l’OAS avec leur adresse, et le lendemain j’organisais des enlèvements de personnes ciblées et celles-ci sont faites prisonnières. Elles sont déférées devant un tribunal populaire qui décidait soit de leur libération soit de leur condamnation à mort. Ceux qui étaient exécutés, l’étaient pour leurs crimes abominables. Notre action avait pour objectif de stopper les massacres de l’OAS et faire respecter les accords d’Evian. Nous ne pouvions rester inertes face à la machine meurtrière de l’OAS.
L’attentat contre les travailleurs du port d’Alger, avec plus de 70 morts et de nombreux blessés a soulevé les habitants de Clos Salembier et de La Casbah. Ces derniers ont commencé à descendre sur les quartiers européens pour se venger. Nous avons eu du mal à les convaincre de rentrer chez eux. Nous leur avons promis de riposter violemment à cet acte ignoble. Et il y a eu l’action du 14 mai 1962 qui a été menée sans qu’elle soit autorisée par le GPRA ni le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) ou par les wilayate.
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