Le nouveau monde arabe et la liberté de conscience
Publication: 05/07/2012
RELIGION - Foulées aux pieds depuis des dizaines d'années par les régimes arabes, tous autocratiques et répressifs, les libertés individuelles ont du mal à trouver droit de cité, même là où la révolution est passée en 2011. Une révolution ne s'achève pas en un jour, en quelques mois ni même en quelques années. Regardez, dira-t-on, le temps qu'il a fallu à la plus emblématique de toutes, celle de 1789 en France, pour qu'elle trouve une traduction politique stable et démocratique.
Monolithisme religieux et intolérance
Dans les pays arabes, de toutes les libertés, il en est une qui peine particulièrement à s'imposer: la liberté de conscience, ce droit - pour tout individu - de choisir les valeurs, les principes, les idées qui gouvernent sa vie; un droit qui implique le libre choix de son adhésion ou non -car on peut choisir d'être athée- à telle ou telle religion.
Aujourd'hui, du Golfe Persique à l'Atlantique, les temps sont plutôt au repli identitaire et à l'intolérance religieuse, malgré les quelques courants démocrates et laïcs qui les combattent. Les sociétés arabo-musulmanes sont devenues monolithiques, monocolores et laissent peu de place aux minorités quelles qu'elles soient, notamment religieuses. Elles ont du mal à composer avec l'altérité qui a contribué pourtant aux heures de gloire de la civilisation arabo-islamique.
Les juifs - sous la triple pression sioniste, panarabe et panislamiste - y ont depuis longtemps quasiment disparu. Dans plusieurs pays, les chrétiens sont persécutés : en Egypte, les coptes sont fréquemment victimes d'exactions allant jusqu'à l'assassinat ; en Irak, les femmes chrétiennes sont obligées de se voiler dans les villes à majorité musulmane et il faut recourir à des milices armées pour assurer la protection des églises et des fidèles ; en Algérie, on fait à la chasse aux musulmans convertis au christianisme ; il y a deux ans, le Maroc a expulsé un groupe de chrétiens accusés par les autorités de prosélytisme auprès de petits orphelins qu'ils avaient recueillis. Sans parler, à l'intérieur même de l'islam, des affrontements meurtriers entre chiites et sunnites.
Ce monolithisme religieux et cette intolérance sont le résultat de plusieurs facteurs : une régression intellectuelle organisée par des régimes qui ont laissé se détériorer l'enseignement et la culture, ont bridé la liberté d'expression, et ont fait des chaînes de télévision des instruments puissants au service de l'obscurantisme ; le soutien de ces mêmes régimes, dès les années 1970, à la mouvance islamiste pour contrer l'opposition de gauche ; la montée de l'intégrisme, dont un des dogmes est la détestation des juifs et des chrétiens qui se manifeste à travers une logorrhée primaire. Enfin, la majorité des dirigeants concernés, voulant légitimer leur pouvoir par la religion, ont fait de l'islam la religion de l'Etat, liant ainsi le politique et le religieux.
En décembre 2009, le PEW forum- institut de recherche américain - dressait un bilan des restrictions de la liberté religieuse à l'échelle de la planète. Parmi les plus mal notés figurent plusieurs pays à majorité musulmane. Situation qui résulte à la fois de politiques non respectueuses du droit fondamental qu'est la liberté de conscience, et d'un climat social d'intolérance sciemment entretenu. On est loin de cet âge d'or où juifs, chrétiens et autres participaient avec les musulmans au rayonnement de Baghdad et de Cordoue. Loin du temps où Voltaire citait l'empire ottoman comme exemple de pluralité religieuse pacifique: "cet empire est rempli de jacobites, de nestoriens, de monothélites ; il y a des coptes, des chrétiens de Saint-Jean, des juifs, des guèbres, des banians..." Avant lui, Montesquieu avait insisté sur les avantages de la multiplicité des religions dans un Etat. Déplorant les guerres de religions, il écrivait: "ce n'est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c'est l'esprit d'intolérance qui animait celle qui se croyait la dominante".
Quoi de neuf avec les islamistes ?
A la suite du "printemps arabe", les islamistes - force politique la mieux organisée et la plus proche du peuple - se sont imposés par les urnes en Tunisie, au Maroc et en Egypte. A l'heure actuelle - pour différentes raisons nationales et internationales - rien n'indique qu'ils iront vers un verrouillage politique, juridique et idéologique à l'iranienne. Cependant, ne faut-il pas rester très prudent à l'égard de mouvances dont les fondements sont théocratiques et qui visent à l'homogénéisation de la société, ne laissant que très peu de place, voire aucune, à la pluralité ni à l'altérité.
Cet islam politique arrivé aux affaires se voit, ici et là, bousculé par des courants salafistes, plus intransigeants que lui sur l'interprétation de l'islam qu'ils entendent imposer. On l'a vu ces derniers mois en Tunisie où les salafistes manifestent pour l'application de la charia, s'érigent en censeurs des mœurs à l'université pour imposer aux étudiantes le port du voile et une « tenue conforme aux valeurs de l'islam» ; s'attaquent aux artistes accusés de produire des œuvres blasphématoires ; appellent à combattre les juifs pour mériter le paradis. Cette Tunisie fut pourtant longtemps donnée en modèle pour ses avancées en faveur des droits des femmes et de la laïcité, courageusement institués par Habib Bourguiba dès 1956.
En Libye et au Yémen où la situation est beaucoup plus confuse, depuis la chute de Kadhafi et de Saleh, des groupes islamistes radicaux qui se réclament d'Al Qaïda agissent hors du contrôle des autorités. On a encore en mémoire les images révoltantes de ces hommes profanant, au cri de "Allâh est le plus grand", des tombes de soldats de la Seconde Guerre mondiale, britanniques et italiens, chrétiens et juifs, dans un cimetière militaire de Benghazi en mars dernier .
Publication: 05/07/2012
RELIGION - Foulées aux pieds depuis des dizaines d'années par les régimes arabes, tous autocratiques et répressifs, les libertés individuelles ont du mal à trouver droit de cité, même là où la révolution est passée en 2011. Une révolution ne s'achève pas en un jour, en quelques mois ni même en quelques années. Regardez, dira-t-on, le temps qu'il a fallu à la plus emblématique de toutes, celle de 1789 en France, pour qu'elle trouve une traduction politique stable et démocratique.
Monolithisme religieux et intolérance
Dans les pays arabes, de toutes les libertés, il en est une qui peine particulièrement à s'imposer: la liberté de conscience, ce droit - pour tout individu - de choisir les valeurs, les principes, les idées qui gouvernent sa vie; un droit qui implique le libre choix de son adhésion ou non -car on peut choisir d'être athée- à telle ou telle religion.
Aujourd'hui, du Golfe Persique à l'Atlantique, les temps sont plutôt au repli identitaire et à l'intolérance religieuse, malgré les quelques courants démocrates et laïcs qui les combattent. Les sociétés arabo-musulmanes sont devenues monolithiques, monocolores et laissent peu de place aux minorités quelles qu'elles soient, notamment religieuses. Elles ont du mal à composer avec l'altérité qui a contribué pourtant aux heures de gloire de la civilisation arabo-islamique.
Les juifs - sous la triple pression sioniste, panarabe et panislamiste - y ont depuis longtemps quasiment disparu. Dans plusieurs pays, les chrétiens sont persécutés : en Egypte, les coptes sont fréquemment victimes d'exactions allant jusqu'à l'assassinat ; en Irak, les femmes chrétiennes sont obligées de se voiler dans les villes à majorité musulmane et il faut recourir à des milices armées pour assurer la protection des églises et des fidèles ; en Algérie, on fait à la chasse aux musulmans convertis au christianisme ; il y a deux ans, le Maroc a expulsé un groupe de chrétiens accusés par les autorités de prosélytisme auprès de petits orphelins qu'ils avaient recueillis. Sans parler, à l'intérieur même de l'islam, des affrontements meurtriers entre chiites et sunnites.
Ce monolithisme religieux et cette intolérance sont le résultat de plusieurs facteurs : une régression intellectuelle organisée par des régimes qui ont laissé se détériorer l'enseignement et la culture, ont bridé la liberté d'expression, et ont fait des chaînes de télévision des instruments puissants au service de l'obscurantisme ; le soutien de ces mêmes régimes, dès les années 1970, à la mouvance islamiste pour contrer l'opposition de gauche ; la montée de l'intégrisme, dont un des dogmes est la détestation des juifs et des chrétiens qui se manifeste à travers une logorrhée primaire. Enfin, la majorité des dirigeants concernés, voulant légitimer leur pouvoir par la religion, ont fait de l'islam la religion de l'Etat, liant ainsi le politique et le religieux.
En décembre 2009, le PEW forum- institut de recherche américain - dressait un bilan des restrictions de la liberté religieuse à l'échelle de la planète. Parmi les plus mal notés figurent plusieurs pays à majorité musulmane. Situation qui résulte à la fois de politiques non respectueuses du droit fondamental qu'est la liberté de conscience, et d'un climat social d'intolérance sciemment entretenu. On est loin de cet âge d'or où juifs, chrétiens et autres participaient avec les musulmans au rayonnement de Baghdad et de Cordoue. Loin du temps où Voltaire citait l'empire ottoman comme exemple de pluralité religieuse pacifique: "cet empire est rempli de jacobites, de nestoriens, de monothélites ; il y a des coptes, des chrétiens de Saint-Jean, des juifs, des guèbres, des banians..." Avant lui, Montesquieu avait insisté sur les avantages de la multiplicité des religions dans un Etat. Déplorant les guerres de religions, il écrivait: "ce n'est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c'est l'esprit d'intolérance qui animait celle qui se croyait la dominante".
Quoi de neuf avec les islamistes ?
A la suite du "printemps arabe", les islamistes - force politique la mieux organisée et la plus proche du peuple - se sont imposés par les urnes en Tunisie, au Maroc et en Egypte. A l'heure actuelle - pour différentes raisons nationales et internationales - rien n'indique qu'ils iront vers un verrouillage politique, juridique et idéologique à l'iranienne. Cependant, ne faut-il pas rester très prudent à l'égard de mouvances dont les fondements sont théocratiques et qui visent à l'homogénéisation de la société, ne laissant que très peu de place, voire aucune, à la pluralité ni à l'altérité.
Cet islam politique arrivé aux affaires se voit, ici et là, bousculé par des courants salafistes, plus intransigeants que lui sur l'interprétation de l'islam qu'ils entendent imposer. On l'a vu ces derniers mois en Tunisie où les salafistes manifestent pour l'application de la charia, s'érigent en censeurs des mœurs à l'université pour imposer aux étudiantes le port du voile et une « tenue conforme aux valeurs de l'islam» ; s'attaquent aux artistes accusés de produire des œuvres blasphématoires ; appellent à combattre les juifs pour mériter le paradis. Cette Tunisie fut pourtant longtemps donnée en modèle pour ses avancées en faveur des droits des femmes et de la laïcité, courageusement institués par Habib Bourguiba dès 1956.
En Libye et au Yémen où la situation est beaucoup plus confuse, depuis la chute de Kadhafi et de Saleh, des groupes islamistes radicaux qui se réclament d'Al Qaïda agissent hors du contrôle des autorités. On a encore en mémoire les images révoltantes de ces hommes profanant, au cri de "Allâh est le plus grand", des tombes de soldats de la Seconde Guerre mondiale, britanniques et italiens, chrétiens et juifs, dans un cimetière militaire de Benghazi en mars dernier .
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