Pilule noire ou pilule verte ? Leonardo Maugeri, ancien dirigeant du groupe pétrolier italien ENI, affirme que le "peak oil" n'est qu'une chimère.
Premier problème : les analyses passées de Maugeri se sont elles-mêmes avérées... chimériques. A suivre lundi : la critique de l'ancien responsable des questions pétrolières au sein de l'Agence internationale de l'énergie, Olivier Rech. Cinglant.
Un nouveau rapport sur l'évolution future de la production mondiale de pétrole met en émoi le petit monde des gens qui s'interrogent sur l'avenir de notre [industrie thermo-mécanique et donc de l'économie de] croissance.
'Dormez bien, braves gens', annonce en substance ce nouveau rapport, 'et vous, banquiers et assureurs, n'allez surtout pas écouter les sornettes de ceux qui prétendent que le business du pétrole est condamné.'
Le Wall Street Journal, entre autres, applaudit.
[IMG]http://petrole.*****************/files/2012/07/oil-the-next-revolution-maugeri-300x200.png[/IMG] (DR)
L'analyse publiée par Leonardo Maugeri, ex-directeur stratégique du pétrolier italien ENI, promet une hausse inouïe des capacités mondiales de production de carburants liquides d'ici à 2020 : pas moins de 17,6 millions de barils par jour (Mb/j) supplémentaires, soit 20 % de plus que les capacités actuelles. De quoi conduire à une "révolution" qui inverserait une tendance évidente depuis bientôt dix ans : "Les capacités mondiales de production croissent si vite qu'elles pourraient (...) conduire à une situation de surproduction et une forte chute des cours du brut", se félicite M. Maugeri.
Avant la publication d'un désossage de ce pronostic mirifique par l'expert français Olivier Rech, un petit retour en arrière, pour une remise en contexte.
Le rapport Maugeri constitue jusqu'ici la charge la plus remarquable d'une vaste contre-offensive initiée il y a dix mois dans le Wall Street Journal par Daniel Yergin, vice-président de la puissante agence d'information pétrolière IHS. [Sur le front du débat autour du 'pic pétrolier', Yergin fait figure de chef de file des "optimistes" - dixit le très économiquement correct hebdomadaire The Economist, dont le propre optimisme flanche sensiblement ces derniers temps.]
Les arguments clés de Daniel Yergin ont été sévèrement ébranlés ici même par l'une principales figures du camp des "pessimistes", le Français Jean Laherrère, ancien patron des techniques d'exploration du groupe Total.
Big Oil a pourtant bien besoin d'encouragements, depuis que l'Agence internationale de l'énergie a reconnu que les extractions de pétrole conventionnel (74 Mb/j, soit 90 % de la production totale de brut) ont atteint leur pic historique en 2006, précisant qu'elles n'augmenteront plus "jamais".
En mars 1998, dans l'article fondateur du débat sur le déclin des réserves pétrolières, Jean Laherrère et Colin Campbell, ancien vice-président du groupe Fina, annonçaient correctement ce pic du pétrole conventionnel pour "avant 2010".
... Il se trouve que Leonardo Maugeri est lui-même un optimiste, disons-le, impénitent. En 2006, dans le magazine Forbes, il prédisait déjà une hausse "de 10 à 12 Mb/j" de la production mondiale de brut en 2010. Or, selon les derniers chiffres fournis par BP, cette production est passée de 81,7 Mb/j en 2006 à 82,5 Mb/j en 2010, soit une hausse de 800 000 barils/jour seulement... Les extractions de brut ont atteint l'an dernier 83,6 Mb/j, grâce à l'ouverture à fond des vannes de l'Arabie Saoudite.
L'optimisme affiché alors par Maugeri est en ligne avec celui des analystes d'IHS, qui, en 2005 par exemple, annonçaient une hausse de pas moins de 16 Mb/j des capacités mondiales de production entre 2004 et 2010. Là encore, on sait depuis qu'on a été très, très loin du compte.
En dehors des pays de l'Opep, la hausse de la production mondiale totale de carburants liquides, de l'ordre de 2 Mb/j seulement entre 2005 et 2010, est due principalement, non au pétrole brut (dont la production a décliné de 0,2 Mb/j), mais au développement des agrocarburants et, dans une moindre mesure, aux sables bitumineux du Canada. Pour ce qui concerne les pays de l'Opep, c'est-à-dire essentiellement pour l'Arabie Saoudite, c'est plus compliqué, mais pas plus reluisant...
Dernière précision liminaire, la nouvelle analyse de Leonardo Maugeri est publiée par la Harvard Kennedy School, au sein de laquelle a longtemps enseigné Daniel Yergin.
Or donc, qu'y a-t-il de neuf dans ce rapport Maugeri, qui soit capable de justifier la "révolution" promise ? A suivre lundi la critique d'Olivier Rech, qui maintient son pronostic, exposé ici en décembre 2011, d'un déclin de la production totale de carburants liquides quelque part entre 2015 et 2020.
(Olivier Rech dirige aujourd'hui Energy Funds Advisors, une société qui conseille des fonds d'investissements pour le compte de La Française AM, un important gestionnaire d'actifs parisien.)
: Matthieu Auzanneau
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