Mille cent trente délégués, sans compter les cadres, participent au 9e congrès d'Ennahda, qui se tient pour la première fois à Tunis, du 12 au 15 juillet, en présence de nombreux invités arabes et occidentaux, après vingt-quatre ans de clandestinité.
Le dernier avait eu lieu en 1988, à Sfax, la capitale économique de la Tunisie. Puis tous les autres s'étaient déroulés en exil, en Europe pour la plupart, notamment en Allemagne. Au pouvoir depuis leur victoire remportée lors des premières élections libres d'octobre 2011, après la chute de l'ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali, point de départ des soulèvements dans le monde arabe, les islamistes tunisiens savourent aujourd'hui l'événement.
"C'est un moment historique, un virage dans l'histoire du parti", assure Riadh Chaïbi, membre du parlement d'Ennahda, et responsable du congrès préparé déjà depuis six mois mais repoussé à plusieurs reprises.
DES RESPONSABLES POLITIQUES EX-DÉTENUS
A 43 ans, ce doctorant en philosophie politique fait partie des cadres qui ont émergé sur la scène politique depuis peu. Comme tant d'autres - mais moins que d'autres -, il a passé plusieurs années en prison.
Rached Ghannouchi, 71 ans, président du parti depuis sa création en 1981, est retourné dans son pays après vingt-deux ans d'exil.Hamadi Jebali, 63 ans, secrétaire général du mouvement, est devenu chef du gouvernement après seize ans de prison. Ali Larayedh, 57 ans, quatorze ans de prison, est aujourd'hui ministre de l'intérieur.
Tous sont présents au congrès. Même Salah Karkar, cofondateur d'Ennahda, en exil depuis vingt-cinq ans, assigné à résidence en France pendant dix-huit ans et victime d'un accident cérébral qui lui a laissé de graves séquelles, est revenu en Tunisie le 19 juin, pour l'occasion.
Sauf surprise, Rached Ghannouchi devrait se succéder à lui-même à la tête du parti avec un nouveau mandat de quatre ans - soit une plus grande longévité que celle de Ben Ali à la tête de la Tunisie ! Car les choses ont été bien bordées.
Pour devenir président d'Ennahda, il faut dix ans d'ancienneté minimum et les délégués ont été désignés par des militants qui devaient être inscrits avant le 31 octobre 2011. Une façon de contrôler tout débordement : avec 58 000 militants revendiqués, chiffre pour la première fois communiqué (65 000 en comptant, selon la direction, les cadres et les adhérents établis à l'étranger), Ennahda n'est pas monolithique.
LE GRAND ÉCART DU PARTI ENNAHDA
C'est un parti traversé par des courants, et un conflit, de moins en moins discret, oppose un clan conservateur, qui flirte volontiers avec les salafistes, à un autre clan que l'on pourrait qualifier de "moderniste". Le chef Rached Ghannouchi, omniprésent au point d'apparaître comme le véritable dirigeant de la Tunisie, maintient la discipline, quitte à pratiquer le grand écart. Mais pour combien de temps ?
Désormais à l'épreuve du pouvoir, les islamistes tunisiens devront définir leurs orientations et clarifier leurs positions. Pour l'heure, avec une rapidité stupéfiante, ils se sont coulés dans tous les rouages de l'Etat, d'autant plus aisément que l'opposition ne parvient pas à se structurer.
Les gouverneurs des régions ont tous été changés et sont aujourd'hui proches du pouvoir. Dans la foulée, Ennahda prévoit également, faute d'un nouveau code électoral nécessaire pour organiser un scrutin, de désigner les maires des communes au prorata des élections d'octobre 2011...
Le ministre des affaires étrangères, Rafik Abdessalem, est aujourd'hui accusé d'avoir indûment accordé un passeport diplomatique à un chef du parti, en l'occurrence Rached Ghannouchi, qui se trouve être également son beau-père. Accusés de corruption et de collusion avec l'ancien régime, 81 magistrats, eux, ont été révoqués. Les responsables de l'audiovisuel public choisis. Et, à l'intérieur des entreprises publiques, les exemples abondent d'interventions de "nadhaouis", les partisans d'Ennahda.
"Jusqu'ici, ils bénéficiaient de la présomption d'honnêteté, mais cela commence à changer", soupire un cadre dirigeant d'une grande société. "Certes, poursuit-il, quand je proteste auprès de mon ministre, il prête toujours une oreille attentive à ce que je lui dis, mais je dois me battre continuellement contre des personnes qui se présentent au nom d'Ennahda, pour des embauches ou des services."
UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE QUI RESTE DIFFICILE
Des associations ont été créées en parallèle des structures étatiques dans le domaine du logement. Et chaque manifestation engendre des contre-manifestations des partisans d'Ennahda. "Moi, je les trouve trop gentils. Avec l'autre camp [l'ancien régime], il y aurait déjà eu des potences !", s'exclame Abderrazak Kilani, ministre (indépendant) des relations avec le Parlement, ancien bâtonnier de Tunis, qui confesse tout juste "un problème de communication".
Il n'empêche. Un premier bilan, neuf mois après la formation du gouvernement dominé par le parti islamiste, allié à deux partenaires de sensibilité plutôt de centre gauche, le Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, et Ettakatol, dirigé par le président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar, laisse apparaître de maigres résultats.
Les projets de loi adoptés par l'Assemblée, monopolisée, il est vrai, par les travaux de la Constitution, se comptent sur les doigts d'une main. La situation économique et sociale reste difficile, notamment dans les régions défavorisées du centre, le chômage officiel dépasse les 20 % de la population, le secteur du tourisme continue de souffrir, la justice transitionnelle promise patine, la crise couve au sommet de l'Etat depuis l'extradition vers Tripoli, décidée unilatéralement par le gouvernement de l'ancien premier ministre libyen, Baghdadi Al-Mahmoudi.
Et le ministre de la réforme administrative, Mohamed Abbou (CPR), vient de claquer la porte en arguant qu'il n'avait pas les moyens de sa politique. Et les heurts, avec la branche djihadiste des salafistes, monopolisent la scène médiatique, comme l'ont démontré les derniers affrontements de rue, au mois de juin, après une exposition d'art jugée offensante pour l'islam, qui ont nécessité l'instauration d'un couvre-feu temporaire dans huit régions de Tunisie.
Le dernier avait eu lieu en 1988, à Sfax, la capitale économique de la Tunisie. Puis tous les autres s'étaient déroulés en exil, en Europe pour la plupart, notamment en Allemagne. Au pouvoir depuis leur victoire remportée lors des premières élections libres d'octobre 2011, après la chute de l'ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali, point de départ des soulèvements dans le monde arabe, les islamistes tunisiens savourent aujourd'hui l'événement.
"C'est un moment historique, un virage dans l'histoire du parti", assure Riadh Chaïbi, membre du parlement d'Ennahda, et responsable du congrès préparé déjà depuis six mois mais repoussé à plusieurs reprises.
DES RESPONSABLES POLITIQUES EX-DÉTENUS
A 43 ans, ce doctorant en philosophie politique fait partie des cadres qui ont émergé sur la scène politique depuis peu. Comme tant d'autres - mais moins que d'autres -, il a passé plusieurs années en prison.
Rached Ghannouchi, 71 ans, président du parti depuis sa création en 1981, est retourné dans son pays après vingt-deux ans d'exil.Hamadi Jebali, 63 ans, secrétaire général du mouvement, est devenu chef du gouvernement après seize ans de prison. Ali Larayedh, 57 ans, quatorze ans de prison, est aujourd'hui ministre de l'intérieur.
Tous sont présents au congrès. Même Salah Karkar, cofondateur d'Ennahda, en exil depuis vingt-cinq ans, assigné à résidence en France pendant dix-huit ans et victime d'un accident cérébral qui lui a laissé de graves séquelles, est revenu en Tunisie le 19 juin, pour l'occasion.
Sauf surprise, Rached Ghannouchi devrait se succéder à lui-même à la tête du parti avec un nouveau mandat de quatre ans - soit une plus grande longévité que celle de Ben Ali à la tête de la Tunisie ! Car les choses ont été bien bordées.
Pour devenir président d'Ennahda, il faut dix ans d'ancienneté minimum et les délégués ont été désignés par des militants qui devaient être inscrits avant le 31 octobre 2011. Une façon de contrôler tout débordement : avec 58 000 militants revendiqués, chiffre pour la première fois communiqué (65 000 en comptant, selon la direction, les cadres et les adhérents établis à l'étranger), Ennahda n'est pas monolithique.
LE GRAND ÉCART DU PARTI ENNAHDA
C'est un parti traversé par des courants, et un conflit, de moins en moins discret, oppose un clan conservateur, qui flirte volontiers avec les salafistes, à un autre clan que l'on pourrait qualifier de "moderniste". Le chef Rached Ghannouchi, omniprésent au point d'apparaître comme le véritable dirigeant de la Tunisie, maintient la discipline, quitte à pratiquer le grand écart. Mais pour combien de temps ?
Désormais à l'épreuve du pouvoir, les islamistes tunisiens devront définir leurs orientations et clarifier leurs positions. Pour l'heure, avec une rapidité stupéfiante, ils se sont coulés dans tous les rouages de l'Etat, d'autant plus aisément que l'opposition ne parvient pas à se structurer.
Les gouverneurs des régions ont tous été changés et sont aujourd'hui proches du pouvoir. Dans la foulée, Ennahda prévoit également, faute d'un nouveau code électoral nécessaire pour organiser un scrutin, de désigner les maires des communes au prorata des élections d'octobre 2011...
Le ministre des affaires étrangères, Rafik Abdessalem, est aujourd'hui accusé d'avoir indûment accordé un passeport diplomatique à un chef du parti, en l'occurrence Rached Ghannouchi, qui se trouve être également son beau-père. Accusés de corruption et de collusion avec l'ancien régime, 81 magistrats, eux, ont été révoqués. Les responsables de l'audiovisuel public choisis. Et, à l'intérieur des entreprises publiques, les exemples abondent d'interventions de "nadhaouis", les partisans d'Ennahda.
"Jusqu'ici, ils bénéficiaient de la présomption d'honnêteté, mais cela commence à changer", soupire un cadre dirigeant d'une grande société. "Certes, poursuit-il, quand je proteste auprès de mon ministre, il prête toujours une oreille attentive à ce que je lui dis, mais je dois me battre continuellement contre des personnes qui se présentent au nom d'Ennahda, pour des embauches ou des services."
UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE QUI RESTE DIFFICILE
Des associations ont été créées en parallèle des structures étatiques dans le domaine du logement. Et chaque manifestation engendre des contre-manifestations des partisans d'Ennahda. "Moi, je les trouve trop gentils. Avec l'autre camp [l'ancien régime], il y aurait déjà eu des potences !", s'exclame Abderrazak Kilani, ministre (indépendant) des relations avec le Parlement, ancien bâtonnier de Tunis, qui confesse tout juste "un problème de communication".
Il n'empêche. Un premier bilan, neuf mois après la formation du gouvernement dominé par le parti islamiste, allié à deux partenaires de sensibilité plutôt de centre gauche, le Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, et Ettakatol, dirigé par le président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar, laisse apparaître de maigres résultats.
Les projets de loi adoptés par l'Assemblée, monopolisée, il est vrai, par les travaux de la Constitution, se comptent sur les doigts d'une main. La situation économique et sociale reste difficile, notamment dans les régions défavorisées du centre, le chômage officiel dépasse les 20 % de la population, le secteur du tourisme continue de souffrir, la justice transitionnelle promise patine, la crise couve au sommet de l'Etat depuis l'extradition vers Tripoli, décidée unilatéralement par le gouvernement de l'ancien premier ministre libyen, Baghdadi Al-Mahmoudi.
Et le ministre de la réforme administrative, Mohamed Abbou (CPR), vient de claquer la porte en arguant qu'il n'avait pas les moyens de sa politique. Et les heurts, avec la branche djihadiste des salafistes, monopolisent la scène médiatique, comme l'ont démontré les derniers affrontements de rue, au mois de juin, après une exposition d'art jugée offensante pour l'islam, qui ont nécessité l'instauration d'un couvre-feu temporaire dans huit régions de Tunisie.
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