Saison estivale, Ramadhan et arrivée des émigrés
les prix vont encore flamber cet été
Habitués à venir chaque été avec des sommes en devises importantes susceptibles de leur permettre de passer un été confortable, les émigrés algériens sont cette année encore nombreux à passer les vacances et le Ramadhan au pays. Mais si leur présence est considérée comme une aubaine pour les commerces, ils sont en revanche parfois mal vus par les résidents locaux qui leur reprochent de faire «monter les prix, car étant peu regardants sur les dépenses».
Une ménagère qui vit de la pension de son défunt mari admet faire le tour des marchands de fruits et légumes pour acheter au moindre coût, alors que «ces émigrés ne demandent même pas les prix et nous font passer pour des misérables», déplore-t-elle. Le mois sacré étant chaque année synonyme d’inflation redoutable, une arrivée massive d’immigrés pendant cette période ferait craindre, à tort ou à raison, une exacerbation de cette tendance. Le tourisme étant généralement considéré comme «un bon élève de l’inflation», les craintes ne semblent pas fortuites. Goerge Cazes, spécialiste français du tourisme écrivait dans un ouvrage intitulé Tourisme et Tiers-monde : Un bilan controversé que «la consommation touristique est soumise à l’inflation et en attise les effets par le phénomène particulier de concentration temporelle et spatiale qui l’accompagne. Celle-ci entraîne des coûts particuliers de transport et de réorientation de circuit de distribution». Il en résulte «une variation de prix sur les produits alimentaires, artisanaux et industriels qui tendent à exclure de la consommation de certains produits la population locale».
Il faut dire qu’en matière d’inflation, les niveaux en Algérie sont déjà très inquiétants et les derniers chiffres de l’Office nationale des statistiques (ONS) qui révélaient un taux de 6,9% pour le mois de mai, font craindre le pire pour le ramadhan. Augmentation des salaires, problème d’offre et spéculation sont autant de facteurs expliquant cette hausse de l’inflation que le gouvernement assurait jusqu’à il y a encore quelques années maîtriser.
L’inflation en Algérie est «un problème structurel du fait de la nature de l’économie nationale qui a été construite d’une manière anarchique, caractérisée par l’absence du rôle régulateur que l’Etat est censé jouer dans un contexte d’économie de marché», fait remarquer Abdelbasset
Mesdour professeur d’économie à l’université de Blida. «La preuve la plus évidente de la faiblesse de l’Etat reste la présence d’un marché parallèle et une économie non officielle», estime-t-il, en précisant que le marché parallèle réalise à lui seul «un chiffre d’affaires qui avoisinerait les 14 milliards de dollars, ce qui n’est pas sans incidence sur l’inflation».
Différence de niveau
Mais si l’inflation est devenue un phénomène chronique, la présence des émigrés, dont par ailleurs rien n’indique qu’ils seront plus nombreux cette année, ne peut pas être considérée comme un facteur déclencheur. Cela, d’autant que selon certains experts en tourisme la tendance en matière de touristes algériens résidant à l’étranger serait même à la baisse, du fait de la crise dans la zone euro. Reste que selon les chiffres de 2011, plus de 50% des 2,5 millions de touristes ayant visité l’Algérie étaient des émigrés algériens vivant à l’étranger, majoritairement en Europe.
«Le fait est qu’ils arrivent avec des devises qu’ils dépensent durant leur présence en Algérie, sans réellement se soucier de la réalité des prix», explique M. Mesdour. S’ils sont peu regardants sur la dépense, c’est parce qu’en Algérie les prix «n’atteindront évidemment jamais ceux de l’Europe où le niveau de vie est supérieur à l’Algérie», dit-il. Dans ce cas, et face à une monnaie nationale au rabais, une personne qui toucherait une indemnité chômage en France serait au même niveau qu’un cadre moyen en Algérie.
M. Mesdour prédit de ce fait «une hausse des prix sans précédent durant le mois de ramadhan, précisément durant les 10 premiers jours». Cela, d’autant que «ceux qui détiennent le monopole sur les marchandises et la mafia des fruits et légumes vont comme à leur habitude profiter de la situation pour exercer leur mainmise sur les marchés, surtout avec la faiblesse des structures de contrôle».
Par ailleurs, à défaut de réaliser des investissements de type économique, les émigrés préfèrent souvent placer leur argent dans des domaines sûrs et rentables comme l’immobilier, «induisant une hausse des prix de l’immobilier», souligne-t-il.
Aubaine
Il y a quelques années, avant que la crise ne sévisse en Europe, les habitudes dépensières des émigrés, une fois en Algérie, faisaient le bonheur des commerces, taxis, opérateurs téléphoniques, etc. Un chauffeur de taxi avoue «gagner pendant les mois de juillet-août plus d’argent que pendant tout le reste de l’année, en se mettant exclusivement au service d’une famille d’émigrés».
Un couple d’émigrés résidant en Europe a reconnu qu’il lui arrivait de dépenser jusqu’à «500 000 DA» en deux mois de vacances passés en Algérie. Restaurants, location de voiture, plages, piscines, galas… tout y passe. Toutefois, le mois sacré a de quoi changer les habitudes.
«Du fait que les sorties sont moins fréquentes, qu’on passe plus de temps en famille, on dépense en général beaucoup moins», nous dit-on. Les émigrés algériens, plus nombreux que les touristes étrangers, facteur de poussée inflationniste, aucune statistique officielle ne permet de l’attester. En revanche, les chiffres de l’ONS démontrent que pendant le mois d’août 2011 qui a coïncidé avec le ramadhan, l’indice des prix à la consommation était le plus élevé de l’année (2,8%), plus particulièrement l’indice des prix alimentaires (4,7%). Une année 2011 au cours de laquelle le nombre de touristes étrangers ayant visité l’Algérie a justement augmenté de plus de 35% par rapport à 2010.
Repenser le budget vacances !
La crise qui sévit en Europe a ses répercussions en Algérie. En effet, la situation des Algériens résidents là-bas, au même titre que les Européens, en sont affectés. Certains sont carrément rentrés définitivement en Algérie, d’autres se sont abstenus de partir en vacances (à l’image de près de la moitié des Français) alors que d’autres encore sont arrivés avec la ferme intention de réduire les dépenses.
«La réalité est que la crise de la zone euro a poussé beaucoup d’émigrés algériens et non algériens à quitter le continent du fait de sa gravité et de son incidence sur tous les secteurs», explique le professeur en économie Abdelbasset Mesdour. De ce fait, le retour «définitif des émigrés dans leur pays d’origine peut avoir des conséquences sur le moyen et long termes sur le plan économique et social». Selon l’ambassadeur d’Algérie à Madrid, «au moins un millier d’Algériens sont retournés au pays au cours de ces deux dernières années, suite à la crise économique en Espagne».
Pour ceux qui ont choisi de demeurer en Europe malgré tout, l’heure est aux calculs. Ainsi, un émigré algérien résident en France depuis plus de 18 ans reconnaît qu’en raison de la crise, «nous n’avons pas pu venir en Algérie pour les vacances l’année dernière. Cette année, nous avons dû réduire notre budget vacance de 50% et choisi de rester chez la famille pour limiter les dépenses». Néanmoins, et même «avec un budget réduit, la valeur du dinar étant ce qu’elle est, on peut tout de même se permettre de passer des vacances décentes, ce que beaucoup d’Algériens qui ont un emploi et un salaire régulier ne peuvent se permettre malheureusement».
Safia Berkouk
les prix vont encore flamber cet été
Habitués à venir chaque été avec des sommes en devises importantes susceptibles de leur permettre de passer un été confortable, les émigrés algériens sont cette année encore nombreux à passer les vacances et le Ramadhan au pays. Mais si leur présence est considérée comme une aubaine pour les commerces, ils sont en revanche parfois mal vus par les résidents locaux qui leur reprochent de faire «monter les prix, car étant peu regardants sur les dépenses».
Une ménagère qui vit de la pension de son défunt mari admet faire le tour des marchands de fruits et légumes pour acheter au moindre coût, alors que «ces émigrés ne demandent même pas les prix et nous font passer pour des misérables», déplore-t-elle. Le mois sacré étant chaque année synonyme d’inflation redoutable, une arrivée massive d’immigrés pendant cette période ferait craindre, à tort ou à raison, une exacerbation de cette tendance. Le tourisme étant généralement considéré comme «un bon élève de l’inflation», les craintes ne semblent pas fortuites. Goerge Cazes, spécialiste français du tourisme écrivait dans un ouvrage intitulé Tourisme et Tiers-monde : Un bilan controversé que «la consommation touristique est soumise à l’inflation et en attise les effets par le phénomène particulier de concentration temporelle et spatiale qui l’accompagne. Celle-ci entraîne des coûts particuliers de transport et de réorientation de circuit de distribution». Il en résulte «une variation de prix sur les produits alimentaires, artisanaux et industriels qui tendent à exclure de la consommation de certains produits la population locale».
Il faut dire qu’en matière d’inflation, les niveaux en Algérie sont déjà très inquiétants et les derniers chiffres de l’Office nationale des statistiques (ONS) qui révélaient un taux de 6,9% pour le mois de mai, font craindre le pire pour le ramadhan. Augmentation des salaires, problème d’offre et spéculation sont autant de facteurs expliquant cette hausse de l’inflation que le gouvernement assurait jusqu’à il y a encore quelques années maîtriser.
L’inflation en Algérie est «un problème structurel du fait de la nature de l’économie nationale qui a été construite d’une manière anarchique, caractérisée par l’absence du rôle régulateur que l’Etat est censé jouer dans un contexte d’économie de marché», fait remarquer Abdelbasset
Mesdour professeur d’économie à l’université de Blida. «La preuve la plus évidente de la faiblesse de l’Etat reste la présence d’un marché parallèle et une économie non officielle», estime-t-il, en précisant que le marché parallèle réalise à lui seul «un chiffre d’affaires qui avoisinerait les 14 milliards de dollars, ce qui n’est pas sans incidence sur l’inflation».
Différence de niveau
Mais si l’inflation est devenue un phénomène chronique, la présence des émigrés, dont par ailleurs rien n’indique qu’ils seront plus nombreux cette année, ne peut pas être considérée comme un facteur déclencheur. Cela, d’autant que selon certains experts en tourisme la tendance en matière de touristes algériens résidant à l’étranger serait même à la baisse, du fait de la crise dans la zone euro. Reste que selon les chiffres de 2011, plus de 50% des 2,5 millions de touristes ayant visité l’Algérie étaient des émigrés algériens vivant à l’étranger, majoritairement en Europe.
«Le fait est qu’ils arrivent avec des devises qu’ils dépensent durant leur présence en Algérie, sans réellement se soucier de la réalité des prix», explique M. Mesdour. S’ils sont peu regardants sur la dépense, c’est parce qu’en Algérie les prix «n’atteindront évidemment jamais ceux de l’Europe où le niveau de vie est supérieur à l’Algérie», dit-il. Dans ce cas, et face à une monnaie nationale au rabais, une personne qui toucherait une indemnité chômage en France serait au même niveau qu’un cadre moyen en Algérie.
M. Mesdour prédit de ce fait «une hausse des prix sans précédent durant le mois de ramadhan, précisément durant les 10 premiers jours». Cela, d’autant que «ceux qui détiennent le monopole sur les marchandises et la mafia des fruits et légumes vont comme à leur habitude profiter de la situation pour exercer leur mainmise sur les marchés, surtout avec la faiblesse des structures de contrôle».
Par ailleurs, à défaut de réaliser des investissements de type économique, les émigrés préfèrent souvent placer leur argent dans des domaines sûrs et rentables comme l’immobilier, «induisant une hausse des prix de l’immobilier», souligne-t-il.
Aubaine
Il y a quelques années, avant que la crise ne sévisse en Europe, les habitudes dépensières des émigrés, une fois en Algérie, faisaient le bonheur des commerces, taxis, opérateurs téléphoniques, etc. Un chauffeur de taxi avoue «gagner pendant les mois de juillet-août plus d’argent que pendant tout le reste de l’année, en se mettant exclusivement au service d’une famille d’émigrés».
Un couple d’émigrés résidant en Europe a reconnu qu’il lui arrivait de dépenser jusqu’à «500 000 DA» en deux mois de vacances passés en Algérie. Restaurants, location de voiture, plages, piscines, galas… tout y passe. Toutefois, le mois sacré a de quoi changer les habitudes.
«Du fait que les sorties sont moins fréquentes, qu’on passe plus de temps en famille, on dépense en général beaucoup moins», nous dit-on. Les émigrés algériens, plus nombreux que les touristes étrangers, facteur de poussée inflationniste, aucune statistique officielle ne permet de l’attester. En revanche, les chiffres de l’ONS démontrent que pendant le mois d’août 2011 qui a coïncidé avec le ramadhan, l’indice des prix à la consommation était le plus élevé de l’année (2,8%), plus particulièrement l’indice des prix alimentaires (4,7%). Une année 2011 au cours de laquelle le nombre de touristes étrangers ayant visité l’Algérie a justement augmenté de plus de 35% par rapport à 2010.
Repenser le budget vacances !
La crise qui sévit en Europe a ses répercussions en Algérie. En effet, la situation des Algériens résidents là-bas, au même titre que les Européens, en sont affectés. Certains sont carrément rentrés définitivement en Algérie, d’autres se sont abstenus de partir en vacances (à l’image de près de la moitié des Français) alors que d’autres encore sont arrivés avec la ferme intention de réduire les dépenses.
«La réalité est que la crise de la zone euro a poussé beaucoup d’émigrés algériens et non algériens à quitter le continent du fait de sa gravité et de son incidence sur tous les secteurs», explique le professeur en économie Abdelbasset Mesdour. De ce fait, le retour «définitif des émigrés dans leur pays d’origine peut avoir des conséquences sur le moyen et long termes sur le plan économique et social». Selon l’ambassadeur d’Algérie à Madrid, «au moins un millier d’Algériens sont retournés au pays au cours de ces deux dernières années, suite à la crise économique en Espagne».
Pour ceux qui ont choisi de demeurer en Europe malgré tout, l’heure est aux calculs. Ainsi, un émigré algérien résident en France depuis plus de 18 ans reconnaît qu’en raison de la crise, «nous n’avons pas pu venir en Algérie pour les vacances l’année dernière. Cette année, nous avons dû réduire notre budget vacance de 50% et choisi de rester chez la famille pour limiter les dépenses». Néanmoins, et même «avec un budget réduit, la valeur du dinar étant ce qu’elle est, on peut tout de même se permettre de passer des vacances décentes, ce que beaucoup d’Algériens qui ont un emploi et un salaire régulier ne peuvent se permettre malheureusement».
Safia Berkouk
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