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Amérique-Russie : la drôle de guerre froide

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  • Amérique-Russie : la drôle de guerre froide

    Alors que Moscou continue de s'opposer aux Occidentaux sur le dossier syrien, voici l'article que j'ai publié dans le "Nouvel Observateur" le 5 juillet.

    C'était le 22 juin, au-dessus de la Méditerranée. Un F-4 de l'aviation turque vole à basse altitude, non loin des côtes syriennes. Le vieil appareil militaire, fabriqué par la firme américaine McDonnell Douglas, est en mission de reconnaissance. Il y a quelques minutes, il a franchi - «par erreur», dira Ankara - l'espace aérien syrien. Il en est vite sorti. Pourtant, l'avion est abattu sans sommation, avec ses deux pilotes, par l'armée de Bachar al-Assad. Celle-ci a utilisé un système antiaérien sophistiqué, le « Pantsir S-1 », que la Russie lui a livré il y a trois ans. Selon différentes sources, les officiers syriens qui ont déclenché le tir étaient assistés par des conseillers militaires venus de Moscou.

    La Syrie, terre de jeu des Grands ? De l'autre côté de la frontière, au sud de la Turquie, des agents de la CIA s'activent, eux aussi, dans l'ombre. Ils sont chargés de répartir les armes envoyées aux rebelles syriens par le Qatar et l'Arabie saoudite. Ces officiers américains sélectionnent les groupes qui recevront l'aide militaire composée de fusils automatiques, de lance-grenades, d'armes antichars... Washington s'apprêterait également à fournir à l'Armée libre de Syrie des photos satellite qui lui permettraient de localiser les troupes du pouvoir celles-là même qui sont soutenues par la Russie.



    C'est une guerre par procuration. Aujourd'hui, la Syrie est le théâtre d'un confit à distance entre la Maison-Blanche et le Kremlin. Comme au Vietnam ou en Corée, quand, du fait de leurs arsenaux nucléaires, les empires américain et soviétique ne pouvaient prendre le risque de s'affronter directement. Vingt ans après la chute de l'URSS, l'histoire est-elle en train de se répéter ? Assistons-nous au début d'une nouvelle guerre froide entre Moscou et Washington ? Certains observateurs l'affirment. Mais, pour d'autres, cette crise tragique est plutôt le dernier effort de la Russie pour arrêter son vertigineux déclin géostratégique - quel que soit le prix à payer par le peuple syrien.
    Des relents de guerre froide resurgissent, il est vrai, çà et là. Comme au temps du KGB triomphant, des affaires d'espionnage alimentent encore la tension entre Moscou et Washington. Une nouvelle crise des missiles oppose aussi le Kremlin et la Maison-Blanche. Le Pentagone a commencé à déployer un bouclier antimissile en Europe, destiné à contrer une éventuelle attaque balistique de l'Iran. Moscou, qui redoute que ce système ne mette en cause sa dissuasion nucléaire, menace d'en détruire préventivement les bases. Enfin, des commissions du Congrès viennent d'adopter une loi qui ressemble à une législation antisoviétique des années 1970. Le nouveau texte porte le nom de Sergueï Magnitski, un avocat mort en prison. Il prévoit que les officiels russes impliqués dans le calvaire de ce juriste seront interdits de visas américains - et, au-delà, tous les coupables d'atteintes aux droits de l'homme.
    Du coup, comme sous Brejnev et Nixon, les relations entre dirigeants russe et américain sont exécrables. Pour s'en convaincre, il suffisait d'observer Barack Obama et Vladimir Poutine lors de leur rencontre au Mexique, le 18 juin. Regards glaciaux, visages fermés, poignées de main écourtées... leur «body language», selon l'expression américaine, symbolisait la tension entre les deux pays. Le candidat républicain à la présidence des Etats-Unis, Mitt Romney, affirme d'ailleurs que «la Russie est toujours le principal adversaire géopolitique des EtatsUnis». Mais au-delà des apparences et des propos de campagne, il y a la réalité stratégique : la guerre froide est une relique du passé, il n'y a plus de bras de fer planétaire entre les deux systèmes de puissances équivalentes - et pour cause.
    La Russie n'est plus que l'ombre de l'URSS. Bien qu'en forte hausse ces dernières années son budget militaire ne représente que le... dixième de celui des Etats-Unis. La marine de Moscou n'a plus un seul porte-avions en mer et l'état-major russe n'a pas les capacités de projeter plus de quelques centaines d'hommes au-delà de son ex-empire. Si Poutine le lui ordonnait, l'armée russe ne pourrait donc pas intervenir militairement en Syrie, alors que les Etats-Unis peuvent envoyer des dizaines de milliers de soldats n'importe où dans le monde.
    Même constat sur le plan diplomatique. Autrefois influente sur les quatre continents, la Russie n'a plus d'allié ni en Afrique ni dans le SudEst asiatique. A part Chypre et le Monténégro, elle n'a plus de client en Europe dont elle contrôlait la moitié du territoire il y a vingt ans. Les anciens membres du pacte de Varsovie sont tous devenus membres de l'Otan. Moscou conserve quelques soutiens en Amérique latine, le Venezuela et le Nicaragua, l'un des très rares pays à avoir reconnu l'« indépendance » des républiques séparatistes pro-russes d'Ossétie et d'Abkhazie. Mais sur le continent américain, il n'y a plus de base russe depuis que Vladimir Poutine a fermé celle de Lourdes à Cuba en 2001, quand la Russie était au plus bas. A la même époque, le maître du Kremlin a rendu aussi celle de Cam Ranh au Vietnam. En fait, seule la Syrie accueille encore, dans le port de Tartous, une base russe - la dernière dans le monde -, alors que les Etats-Unis en ont plusieurs centaines ! On comprend pourquoi, malgré les tueries perpétrées par le régime de Damas, Poutine défend à ce point Bachar al-Assad au Conseil de Sécurité et sur le terrain : la perte de la Syrie, son ultime allié au Moyen-Orient depuis la chute de Saddam Hussein, marquerait, pour la Russie, la fin de son statut de puissance mondiale. Or, depuis quatre ans, Poutine tente, par tous les moyens, d'enrayer le déclin stratégique de son pays.
    Tout commence en août 2008, en Géorgie, après que cette ex-république soviétique eut déposé sa candidature à l'Otan. Le Kremlin en est sûr : si Tbilissi devient à son tour membre de l'Alliance atlantique, d'autres Etats issus de l'ex-URSS suivront et la Russie sera encerclée par les Occidentaux - un cauchemar pour l'ancien colonel du KGB. Comment arrêter net le processus ? Une occasion se présente une nuit d'août quand le jeune président géorgien entreprend d'occuper la région sécessionniste d'Ossétie du Sud. En représailles, l'armée russe envahit la Géorgie jusqu'aux portes de sa capitale - avant de se retirer en partie. Le message de Poutine est clair : il ne tolérera plus aucun recul de l'influence russe dans son pré carré.
    Même avertissement, quatre ans plus tard, au sujet de la Syrie. Le clan Assad est le principal séide du Kremlin au Moyen-Orient depuis des décennies. Il n'entend pas le perdre. Dans les années 1980, les relations étaient si proches que Moscou avait envoyé 4 000 conseillers militaires à Damas. Après la chute de l'URSS, les liens se sont, un temps, distendus et les Assad ont tenté un rapprochement avec les Etats-Unis. Celui-ci n'ayant pas abouti, l'alliance russo-syrienne est repartie de plus belle au milieu des années 2000. Pour la sceller, Damas a signé, en 2008, un gigantesque contrat d'armement avec Moscou - dont l'exécution se poursuit aujourd'hui au grand dam des rebelles syriens.
    Le parallèle avec la Géorgie ne s'arrête pas là. L'intervention d'août 2008 avait aussi pour but d'humilier le pouvoir géorgien issu d'un mouvement révolutionnaire pro-démocratique, mouvement que Poutine a décidé de combattre partout, de peur qu'il ne gagne Moscou. L'objectif est le même en Syrie : mettre un terme à ce « printemps arabe » qui a fait perdre des clients à la Russie et dont les jeunes Russes pourraient s'inspirer contre le clan Poutine. Les dirigeants du Kremlin assurent que les activistes pro-démocratiques, au Caire comme à Damas et à Moscou, ne sont que des agents occidentaux stipendiés par Washington. «Regardons la vérité en face, déclarait Dmitri Medvedev après la chute de Ben Ali. [Les activistes] avaient préparé le même scénario pour nous, et maintenant ils vont essayer encore plus fort de le mettre en oeuvre. » C'est ce prétendu « complot international » que le Kremlin entend faire échouer en Syrie.
    Pour l'instant, les Occidentaux, qui ne redoutent pas une résurgence de la puissance russe, lui laissent le champ libre. A part quelques livraisons d'armes coordonnées par la CIA, ils ne souhaitent pas s'opposer de front à Moscou sur ce dossier considéré comme stratégique par le Kremlin et secondaire par la Maison-Blanche. La preuve, samedi, à Genève, le Kremlin a obtenu gain de cause des Américains et des Européens : le Groupe d'Action, qui réunit les grandes chancelleries, n'a pas exigé le départ de Bachar al-Assad du pouvoir. Stupeur dans l'opposition syrienne. Explication de cette volte-face occidentale : en pleine campagne électorale, Barack Obama a besoin du Kremlin sur des sujets plus importants pour sa réélection que la petite Syrie, le nucléaire iranien, qui conditionne les prix de l'essence, et l'Afghanistan, d'où le président américain souhaite retirer le maximum de troupes d'ici à novembre - via le territoire... russe. Le maintien d'un régime tortionnaire à Damas contre un second mandat : le deal proposé par Moscou n'est pas très moral, mais il semble satisfaire Barack Obama.
    Vincent Jauvert
    Article publié dans le Nouvel Observateur du 5 juillet 2012
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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