moudjahid, chef de bataillon, chef de région militaire, colonel en retraite, ancien ministre.
J’ai voulu, dans ce texte, à travers l’évocation du rôle joué par le capitaine Benabdelmoumen, tenter d’exhumer de l’oubli ceux qui, comme lui, ont donné le meilleur d’eux-mêmes à l’Algérie, que ce soit durant la période héroïque de la guerre de Libération nationale ou après, en contribuant à l’effort d’édification nationale. J’ai voulu également souligner que si certaines actions ont pu porter leurs fruits à une période déterminée, c’est parce qu’il y a eu symbiose entre la pertinence de la démarche globale et la qualité des acteurs chargés de sa mise en œuvre.
Cela a permis, durant les dernières années de la guerre de Libération, malgré l’affaiblissement de la lutte armée à l’intérieur, à l’Algérie combattante de se doter d’une force avec laquelle l’ennemi devait compter. La force armée, dont l’Algérie disposait aux frontières, constituait pour l’ennemi une menace qu’il devait contenir en maintenant un important dispositif défensif. L’impossibilité pour lui de régler militairement le conflit l’amènera, contraint et forcé, à envisager une solution politique. Il finira par s’apercevoir qu’il avait en face de lui la majorité des Algériens. Le peuple algérien s’était emparé de la Révolution. Plus rien ne sera plus jamais comme avant. Le processus de libération était devenu irréversible. L’immense travail accompli par les moudjahidine dans les épreuves dotera l’Algérie d’un noyau d’armée ancré à la terre et au peuple, solide et naturellement préparé aux évolutions qualitatives dont l’expression actuelle est l’ANP. Je souhaite que nos jeunes historiens se penchent, à l’occasion de l’année du cinquantenaire, sur les actions exemplaires menées par l’Algérie combattante dans les domaines de la diplomatie, de la santé, des transmissions ou encore dans celui de l’aide aux mouvements de libération. La préparation patiente, assidue aux tâches du «day after» a permis à l’Algérie d’être immédiatement debout lorsqu’ a retenti le glas pour «l’Algérie française». Nous commémorons cette année le cinquantième anniversaire de l’indépendance. Le peuple algérien peut être fier de ce qu’il a accompli. Peu importe les vicissitudes de l’histoire, la victoire finira, tôt ou tard, par être au rendez-vous. Les nations qui se sont forgées dans les épreuves ne meurent jamais.
S. S.
A l’occasion de la récente rencontre (fin mai 2012) organisée conjointement par les ministères de la Défense nationale et des Moudjahidine pour traiter du thème «De l’ALN à l’ANP» à laquelle je fus convié, je n’ai pas pu m’empêcher de me remémorer certains événements, tandis que j’écoutais les exposés des intervenants. Les acteurs de ces événements sont, bien entendu, des hommes qui, pour le sujet qui nous intéresse, ont tous eu le mérite d’avoir participé à cette grande épopée que fut la guerre de Libération, chacun selon ses possibilités et ses contraintes. Si certains d’entre eux ont été souvent cités à travers des témoignages parus çà et là, d’autres – ayant joué pourtant des rôles majeurs – ont sombré dans l’oubli. Qu’il me soit permis, à l’occasion du cinquantième anniversaire de notre indépendance d’évoquer l’un de ceux qui ont tant mérité de la patrie, le moudjahed Abdelhamid Benabdelmoumen. Le futur capitaine Abdelhamid Benabdelmoumen a vu le jour au début des années 1920 dans la commune de Toudja (Béjaïa), dans une famille de notables, considérée et respectée pour sa piété et sa charité. Après une enfance studieuse dans l’est du pays, il fit partie, durant la Seconde Guerre mondiale, de la première promotion d’élèves officiers de l’école de Boussaâda (M’sila) qui venait d’ouvrir ses portes aux jeunes d’origine maghrébine (Tunisie, Algérie, Maroc). La France, après la débâcle de 1940, était alors sous occupation nazie. Pour reprendre le combat aux côtés de ses alliés, elle fit appel à des troupes essentiellement nord-africaines. Elles constitueront la 2e armée. L’Ecole d’officiers de Boussaâda fut mise à contribution. C’est ainsi que les élèves de cette promotion dont faisaient partie le futur capitaine Benabdelmoumen, ainsi que deux de ses camardes, Mohamed Zerguini et Mohamed Boutella (qui plus tard combattront au sein de l’ ALN) participeront, comme simples combattants aux campagnes de Tunisie et d’Italie (1943) et ensuite de France, d’Allemagne et d’Autriche (1944). La guerre finie, leurs études achevées, ils furent promus sous-lieutenants. Après quoi, ils furent engagés dans les opérations d’Indochine qui prirent fin après la défaite de Dien Bien Phu (mai 1954). Affectés dans les forces françaises stationnées en Allemagne, alors que se déroulait la lutte de Libération en Algérie, le capitaine Benabdelmoumen et un certain nombre d’officiers algériens signèrent (été 1957) la pétition dite «Déclaration des 51», laquelle dénonçait la guerre faite au peuple algérien et exigeait que lui soit reconnu le droit de disposer de son destin. Beaucoup d’entre eux furent arrêtés et inculpés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Libérés au cours du premier semestre 1958, non sans qu’on ait tenté à les amener à résipiscence, la majorité d’entre eux choisit, à travers diverses filières, de rejoindre les bases du FLN-ALN en Tunisie ou au Maroc. Entre-temps, la famille Benabdelmoumen connaîtra un drame terrible avec l’assassinat du père, caïd à Toudja, qui pourtant apportait son aide à l’ALN. Ceux qui l’ont tué cette nuit-là étaient ses invités ! Ferhat Abbas, parent par alliance des Benabdelmoumen (sa nièce était mariée à maître Ali Benabdelmoumen, frère du capitaine), évoquant ce drame dans ses écrits, raconte qu’il avait interrogé plus tard, à ce sujet, un grand responsable de cette région sur le motif de cet assassinat. Il eut cette étrange réponse : «Le caïd Benabdelmoumen avait trop d’influence sur la population locale.» Avoir de l’influence et la mettre au service de l’Algérie est donc un crime ! Ce terrible traumatisme n’ébranla en rien les sentiments patriotiques des Benabdelmoumen, qui continuèrent à servir avec abnégation la cause qu’ils plaçaient au-dessus de tout. Noblesse oblige ! Nombreuses sont les familles qui ont subi pendant la Révolution de telles épreuves. Sachant que les méprises sont le lot de toute révolution, la majorité d’entre elles les surmonta avec courage et dignité.
Benabdelmoumen sur les lignes Morice et Challe
Affecté au cours de l’automne 1958, avec plusieurs autres jeunes officiers ayant fait les écoles de guerre françaises, par Belkacem Krim, auprès de l’état-major Est (COM), placé sous le commandement du colonel Mohamedi Saïd, dit si Nacer, j’ai rencontré pour la première fois Benabdelmoumen. Certains d’entre nous – tout comme Benabdelmoumen – avaient connu la prison ou les arrêts de forteresse pour leur engagement militant. Nous étions chargés, en sus de diverses missions ponctuelles, d’engager une réflexion sur la question devenue préoccupante du franchissement des barrages fortifiés mis en place par l’ennemi sur des centaines de kilomètres entre 1957 et 1958. Cette version algérienne de la fameuse ligne Maginot, construite par les Français entre les deux guerres le long de la frontière avec l’Allemagne, avait pour but d’isoler les wilayate de l’intérieur des bases logistiques de l’ALN installées sur le sol de nos voisins tunisiens et marocains. Si notre mission était plus tôt généraliste et s’inscrivait dans le long terme, le capitaine Benabdelmoumen, homme d’expérience, avait été chargé par le ministre des Forces armés, en personne, plus spécialement d’une évaluation technique urgente du dispositif ennemi, pour faire «un état des lieux» et proposer d’éventuelles solutions. Le colonel Nacer dirigea le capitaine Benabdelmoumen sur le PC de Abderahmane Ben Salem (ancien sous-officier, vétéran, tout comme Benabdelmoumen, de la Seconde Guerre mondiale et du conflit indochinois). Bensalem, chef de la zone 2 de la base de l’Est, homme de grand courage, ayant une connaissance pratique des obstacles mis en place par l’armée ennemie, comprenant l’importance de la mission, décida de s’y associer personnellement. Sa parfaite connaissance du terrain allait se révéler précieuse. De retour au PC de Ghardimaou, après avoir effectué sa périlleuse tournée avec succès, le capitaine Benabdelmoumen, les traits tirés par la fatigue, les vêtements grouillant de vermine (dont il s’empressa de se débarrasser et de bruler) se mit à nous raconter la grande épreuve que seuls son passé d’homme de guerre (il en avait vu d’autres) et ses convictions patriotiques lui ont permis de surmonter. C’est donc accompagné du capitaine Bensalem et d’une escorte composée de maquisards aguerris, presque tous natifs de la région, qu’ils passèrent de nuit la première ligne. Ils avaient placé des câbles de dérivation pour pouvoir couper les fils sous tension sans donner l’alerte. L’ennemi, qui avait découvert, malgré cela, les traces de leur franchissement, les prit en chasse. Ils parviennent à le semer en utilisant les feintes éprouvées des maquisards et purent rejoindre, après moult péripéties, le massif boisé des Beni Salah. De là, ils se portèrent vers la deuxième ligne (Morice) pour compléter leurs renseignements. Le peu de ravitaillement stocké dans des caches discrètes leur permit de subsister. Malgré la traque sans répit dont ils furent l’objet, ils purent accomplir entièrement leur mission et regagner sains et saufs leur base de départ ! Benabdelmoumen, tout à sa joie d’avoir réussi son «expertise» des fortifications françaises, donnant ainsi à ses compagnons l’occasion de constater ce dont il était capable, ne s’attendait certainement pas à «l’accueil » qui allait lui être réservé par le colonel Nacer. J’ai assisté à la scène. J’eus, ce jour-là, l’illustration désolante des conséquences malheureuses qui résultent des heurts de deux forts caractères quand aucun des protagonistes ne veut céder d’un iota de ce qu’il pense être son bon droit. Le capitaine Benabdelmoumen, qui venait de vivre des jours éprouvants, voulait réserver la primeur de son compte rendu à Belkacem Krim, l’homme qui l’avait mandaté. Le colonel Nacer ne l’entendait pas de cette oreille. L’incident, d’abord verbal, dégénéra. Benabdelmoumen se vit mettre aux arrêts. Nous étions, nous jeunes officiers qui avions du respect pour les deux hommes, consternés par la scène à laquelle nous avons assisté. Le capitaine Benabdelmoumen ne tint aucune rigueur à si Nacer de sa… rigueur, démontrant sa propension intelligente à tout relativiser.
J’ai voulu, dans ce texte, à travers l’évocation du rôle joué par le capitaine Benabdelmoumen, tenter d’exhumer de l’oubli ceux qui, comme lui, ont donné le meilleur d’eux-mêmes à l’Algérie, que ce soit durant la période héroïque de la guerre de Libération nationale ou après, en contribuant à l’effort d’édification nationale. J’ai voulu également souligner que si certaines actions ont pu porter leurs fruits à une période déterminée, c’est parce qu’il y a eu symbiose entre la pertinence de la démarche globale et la qualité des acteurs chargés de sa mise en œuvre.
Cela a permis, durant les dernières années de la guerre de Libération, malgré l’affaiblissement de la lutte armée à l’intérieur, à l’Algérie combattante de se doter d’une force avec laquelle l’ennemi devait compter. La force armée, dont l’Algérie disposait aux frontières, constituait pour l’ennemi une menace qu’il devait contenir en maintenant un important dispositif défensif. L’impossibilité pour lui de régler militairement le conflit l’amènera, contraint et forcé, à envisager une solution politique. Il finira par s’apercevoir qu’il avait en face de lui la majorité des Algériens. Le peuple algérien s’était emparé de la Révolution. Plus rien ne sera plus jamais comme avant. Le processus de libération était devenu irréversible. L’immense travail accompli par les moudjahidine dans les épreuves dotera l’Algérie d’un noyau d’armée ancré à la terre et au peuple, solide et naturellement préparé aux évolutions qualitatives dont l’expression actuelle est l’ANP. Je souhaite que nos jeunes historiens se penchent, à l’occasion de l’année du cinquantenaire, sur les actions exemplaires menées par l’Algérie combattante dans les domaines de la diplomatie, de la santé, des transmissions ou encore dans celui de l’aide aux mouvements de libération. La préparation patiente, assidue aux tâches du «day after» a permis à l’Algérie d’être immédiatement debout lorsqu’ a retenti le glas pour «l’Algérie française». Nous commémorons cette année le cinquantième anniversaire de l’indépendance. Le peuple algérien peut être fier de ce qu’il a accompli. Peu importe les vicissitudes de l’histoire, la victoire finira, tôt ou tard, par être au rendez-vous. Les nations qui se sont forgées dans les épreuves ne meurent jamais.
S. S.
A l’occasion de la récente rencontre (fin mai 2012) organisée conjointement par les ministères de la Défense nationale et des Moudjahidine pour traiter du thème «De l’ALN à l’ANP» à laquelle je fus convié, je n’ai pas pu m’empêcher de me remémorer certains événements, tandis que j’écoutais les exposés des intervenants. Les acteurs de ces événements sont, bien entendu, des hommes qui, pour le sujet qui nous intéresse, ont tous eu le mérite d’avoir participé à cette grande épopée que fut la guerre de Libération, chacun selon ses possibilités et ses contraintes. Si certains d’entre eux ont été souvent cités à travers des témoignages parus çà et là, d’autres – ayant joué pourtant des rôles majeurs – ont sombré dans l’oubli. Qu’il me soit permis, à l’occasion du cinquantième anniversaire de notre indépendance d’évoquer l’un de ceux qui ont tant mérité de la patrie, le moudjahed Abdelhamid Benabdelmoumen. Le futur capitaine Abdelhamid Benabdelmoumen a vu le jour au début des années 1920 dans la commune de Toudja (Béjaïa), dans une famille de notables, considérée et respectée pour sa piété et sa charité. Après une enfance studieuse dans l’est du pays, il fit partie, durant la Seconde Guerre mondiale, de la première promotion d’élèves officiers de l’école de Boussaâda (M’sila) qui venait d’ouvrir ses portes aux jeunes d’origine maghrébine (Tunisie, Algérie, Maroc). La France, après la débâcle de 1940, était alors sous occupation nazie. Pour reprendre le combat aux côtés de ses alliés, elle fit appel à des troupes essentiellement nord-africaines. Elles constitueront la 2e armée. L’Ecole d’officiers de Boussaâda fut mise à contribution. C’est ainsi que les élèves de cette promotion dont faisaient partie le futur capitaine Benabdelmoumen, ainsi que deux de ses camardes, Mohamed Zerguini et Mohamed Boutella (qui plus tard combattront au sein de l’ ALN) participeront, comme simples combattants aux campagnes de Tunisie et d’Italie (1943) et ensuite de France, d’Allemagne et d’Autriche (1944). La guerre finie, leurs études achevées, ils furent promus sous-lieutenants. Après quoi, ils furent engagés dans les opérations d’Indochine qui prirent fin après la défaite de Dien Bien Phu (mai 1954). Affectés dans les forces françaises stationnées en Allemagne, alors que se déroulait la lutte de Libération en Algérie, le capitaine Benabdelmoumen et un certain nombre d’officiers algériens signèrent (été 1957) la pétition dite «Déclaration des 51», laquelle dénonçait la guerre faite au peuple algérien et exigeait que lui soit reconnu le droit de disposer de son destin. Beaucoup d’entre eux furent arrêtés et inculpés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Libérés au cours du premier semestre 1958, non sans qu’on ait tenté à les amener à résipiscence, la majorité d’entre eux choisit, à travers diverses filières, de rejoindre les bases du FLN-ALN en Tunisie ou au Maroc. Entre-temps, la famille Benabdelmoumen connaîtra un drame terrible avec l’assassinat du père, caïd à Toudja, qui pourtant apportait son aide à l’ALN. Ceux qui l’ont tué cette nuit-là étaient ses invités ! Ferhat Abbas, parent par alliance des Benabdelmoumen (sa nièce était mariée à maître Ali Benabdelmoumen, frère du capitaine), évoquant ce drame dans ses écrits, raconte qu’il avait interrogé plus tard, à ce sujet, un grand responsable de cette région sur le motif de cet assassinat. Il eut cette étrange réponse : «Le caïd Benabdelmoumen avait trop d’influence sur la population locale.» Avoir de l’influence et la mettre au service de l’Algérie est donc un crime ! Ce terrible traumatisme n’ébranla en rien les sentiments patriotiques des Benabdelmoumen, qui continuèrent à servir avec abnégation la cause qu’ils plaçaient au-dessus de tout. Noblesse oblige ! Nombreuses sont les familles qui ont subi pendant la Révolution de telles épreuves. Sachant que les méprises sont le lot de toute révolution, la majorité d’entre elles les surmonta avec courage et dignité.
Benabdelmoumen sur les lignes Morice et Challe
Affecté au cours de l’automne 1958, avec plusieurs autres jeunes officiers ayant fait les écoles de guerre françaises, par Belkacem Krim, auprès de l’état-major Est (COM), placé sous le commandement du colonel Mohamedi Saïd, dit si Nacer, j’ai rencontré pour la première fois Benabdelmoumen. Certains d’entre nous – tout comme Benabdelmoumen – avaient connu la prison ou les arrêts de forteresse pour leur engagement militant. Nous étions chargés, en sus de diverses missions ponctuelles, d’engager une réflexion sur la question devenue préoccupante du franchissement des barrages fortifiés mis en place par l’ennemi sur des centaines de kilomètres entre 1957 et 1958. Cette version algérienne de la fameuse ligne Maginot, construite par les Français entre les deux guerres le long de la frontière avec l’Allemagne, avait pour but d’isoler les wilayate de l’intérieur des bases logistiques de l’ALN installées sur le sol de nos voisins tunisiens et marocains. Si notre mission était plus tôt généraliste et s’inscrivait dans le long terme, le capitaine Benabdelmoumen, homme d’expérience, avait été chargé par le ministre des Forces armés, en personne, plus spécialement d’une évaluation technique urgente du dispositif ennemi, pour faire «un état des lieux» et proposer d’éventuelles solutions. Le colonel Nacer dirigea le capitaine Benabdelmoumen sur le PC de Abderahmane Ben Salem (ancien sous-officier, vétéran, tout comme Benabdelmoumen, de la Seconde Guerre mondiale et du conflit indochinois). Bensalem, chef de la zone 2 de la base de l’Est, homme de grand courage, ayant une connaissance pratique des obstacles mis en place par l’armée ennemie, comprenant l’importance de la mission, décida de s’y associer personnellement. Sa parfaite connaissance du terrain allait se révéler précieuse. De retour au PC de Ghardimaou, après avoir effectué sa périlleuse tournée avec succès, le capitaine Benabdelmoumen, les traits tirés par la fatigue, les vêtements grouillant de vermine (dont il s’empressa de se débarrasser et de bruler) se mit à nous raconter la grande épreuve que seuls son passé d’homme de guerre (il en avait vu d’autres) et ses convictions patriotiques lui ont permis de surmonter. C’est donc accompagné du capitaine Bensalem et d’une escorte composée de maquisards aguerris, presque tous natifs de la région, qu’ils passèrent de nuit la première ligne. Ils avaient placé des câbles de dérivation pour pouvoir couper les fils sous tension sans donner l’alerte. L’ennemi, qui avait découvert, malgré cela, les traces de leur franchissement, les prit en chasse. Ils parviennent à le semer en utilisant les feintes éprouvées des maquisards et purent rejoindre, après moult péripéties, le massif boisé des Beni Salah. De là, ils se portèrent vers la deuxième ligne (Morice) pour compléter leurs renseignements. Le peu de ravitaillement stocké dans des caches discrètes leur permit de subsister. Malgré la traque sans répit dont ils furent l’objet, ils purent accomplir entièrement leur mission et regagner sains et saufs leur base de départ ! Benabdelmoumen, tout à sa joie d’avoir réussi son «expertise» des fortifications françaises, donnant ainsi à ses compagnons l’occasion de constater ce dont il était capable, ne s’attendait certainement pas à «l’accueil » qui allait lui être réservé par le colonel Nacer. J’ai assisté à la scène. J’eus, ce jour-là, l’illustration désolante des conséquences malheureuses qui résultent des heurts de deux forts caractères quand aucun des protagonistes ne veut céder d’un iota de ce qu’il pense être son bon droit. Le capitaine Benabdelmoumen, qui venait de vivre des jours éprouvants, voulait réserver la primeur de son compte rendu à Belkacem Krim, l’homme qui l’avait mandaté. Le colonel Nacer ne l’entendait pas de cette oreille. L’incident, d’abord verbal, dégénéra. Benabdelmoumen se vit mettre aux arrêts. Nous étions, nous jeunes officiers qui avions du respect pour les deux hommes, consternés par la scène à laquelle nous avons assisté. Le capitaine Benabdelmoumen ne tint aucune rigueur à si Nacer de sa… rigueur, démontrant sa propension intelligente à tout relativiser.
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