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Facebook «n’aime plus» le djihad

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  • Facebook «n’aime plus» le djihad

    Mina Al-Lami, une universitaire irakienne spécialiste des forums islamistes, vivant et exerçant au LSE à Londres, vient de publier une étude empirique qui fait le point sur l’usage que font les groupes djihadistes d’une plate-forme comme Facebook, pour propager leurs idées, développer des sympathies et, éventuellement, recruter ou former en vue de l’action armée(*).
    Elle rappelle qu’en dépit d’une première déroute virtuelle qui clôt une première expérience, fin 2008, les djihadistes reviennent à la charge un an plus tard pour occuper Facebook «d'une manière qui permettrait de surmonter la surveillance et la détection». Tandis que la phase I a vu «la création d'un groupe djihadiste explicite et exclusif largement célébré et connu», la phase II va, elle aussi, échouer à s’associer des «soutiens mobilisateurs», alors que la phase III prévoit une opération d'infiltration décentralisée censée passer inaperçue. L'idée d’«envahir» Facebook est une réaction à la cyber-attaque foudroyante dirigée à large échelle contre les forums djihadistes, plus ou moins affiliés à Al- Qaïda, au lendemain du 11 Septembre 2008. A l'époque, les trois plus célèbres forums proches de l’organisation terroriste avaient été simultanément fermés et d'autres, comme le célèbre Al-Hesba, soumis au même traitement de rigueur quelques jours plus tard. Cela a contraint leurs activistes à chercher des plates-formes alternatives moins perméables et à jeter leur dévolu sur Facebook. La proposition initiale, fondatrice ou initiatique, a été postée le 9 décembre 2008 sur un forum du nom d’Al-Faloja, par un jeune membre des plates-formes jihadistes sous le titre Invasion of Facebook : Theory & Practice ( Invasion de Facebook : Théorie & pratique). L’idée était simple, voire même naïve : créer un groupe djihadiste unique sur Facebook pour «abriter» les activistes, le matériel, les discussions et jeter des passerelles vers d'autres sites radicaux. En outre, le groupe ambitionnait d’en faire une fenêtre sur ses «ennemis publics» et «la majorité des musulmans». A cet égard, Facebook procurait les trois avantages suivants :
    1. Sa portée globale ;
    2. Son potentiel mobilisateur ;
    3. Sa résilience, du fait que les autorités ne peuvent pas fermer un site aussi réputé que Facebook comme ils le font pour les forums djihadistes.
    Alors que la proposition, connue plus tard sous le nom de la phase I, a reçu une certaine résistance des membres plus âgés qui n'étaient pas familiarisés avec Facebook et sceptiques quant au caractère «ouvert et libéral» de cet espace, les membres les plus jeunes, probablement la majorité, ont favorablement reçu l'idée et commencé à la propager. Très vite, un groupe djihadiste est formé sur Facebook sous le nom «Les chevaliers de la conquête An-Nusra» et sept commandants sont placés à la tête de sept «brigades». L’amateurisme du groupe est évident et nombre d’erreurs conduiront à l’échec. Tout d'abord, le groupe manquait de vigilance : sa dénomination djihadiste faisait de lui une cible de première. Sans compter son mot d’ordre triomphaliste : «Aujourd’hui vos sites Web, demain vos territoires, Ô Croisés.» Par ailleurs, les pseudonymes adoptés par ses membres rendent ouvertement hommage aux leaders historiques d'Al-Qaïda et étalent comme des trophées de guerre les pertes humaines et les dégâts occasionnés par l’attaque des tours jumelles. La facilité avec laquelle le groupe a été fermé a signifié que Facebook était loin d’être le support complice et amical du djihad. L'échec de la phase I d'Al-Nusra pousse ses fondateurs à revoir leurs plans. La phase II d'Al-Nusra est lancée à la mi-février 2009. Cette fois-ci, l’effort sera individuel, plus aisé et moins vulnérable. Consigne est donnée aux membres d'infiltrer les groupes existants sur Facebook, plutôt que de créer leur propre groupe, et de les inonder de matériel djihadiste et de liens vers des sites djihadistes et des forums de même acabit. L’action garde toutefois la même totalité, avec notamment des «manuels pour la fabrication et l'utilisation d'explosifs». Facebook reste aussi une passerelle vers des sites radicaux où les plus «aguerris» pourront «se lier d'amitié» pour le djihad. À la mi-2010, un autre effort indépendant de présence djihadiste sur Facebook est enregistré sous le nom de MEN (pour Mujahideen Electronic Network), un forum militant qui dispose de la plus grande plate-forme de langue anglaise. Il s’agit du «principal web-site affilié à Al-Qaïda affilié à des pages Facebook», précise l’auteure. Sa démarche est carrément assimilée à celle des grands groupes de médias, comme la BBC, CNN et Al-Jazeera qui disposent de plates-formes sur Facebook. Fait sans précédent dans les médias djihadistes : MEN développe des liens directs sur son forum vers les célèbres sites de médias sociaux. «Dans un sens, les médias djihadistes étaient en compétition avec les médias grand public comme jamais auparavant», s’autorise à relever l’auteure. Encore une fois, le succès fut de courte durée, pour les mêmes raisons qui ont conduit à l'échec de la première tentative sur Facebook : un groupe djihadiste ou une page qui affiche ouvertement sa coloration djihadiste n’est pas tolérée. La page a donc été fermée. Commence la phase III pour une nouvelle invasion de Facebook. Sa nouveauté : le huis clos. Elle commence en septembre 2010 par la circulation sur plusieurs forums djihadistes d’un manifeste militant très fouillé intitulé : «Comment mener le djihad sur Facebook». Nous ne sommes plus dans le cas précédent d’une invasion ouverte, mais d’une opération d'infiltration censée franchir les filtres de la surveillance et de la détection. La phase III se veut plus sophistiquée, ambitieuse et cherche à faire un usage extrême des outils de communication qu’autorise le site de réseautage social le plus réputé. Contrairement à la phase I – qui n’a attiré que des djihadistes, et inévitablement quelques «gorges profondes» des services de renseignement sur leurs traces – la phase III cible un public complètement différent et cherche à élargir son audience. Y sont particulièrement visés les publics occidentaux dans l’espoir qu’ils mettent la pression sur leurs gouvernements pour se retirer des pays musulmans occupés, comme l'Irak et l'Afghanistan. La stratégie d'infiltration par petites cellules clandestines appelle tous les djihadistes aguerris à s'inscrire sur Facebook, à consacrer un mois entier pour se familiariser avec, avant d’entrer en action et procéder à des recrutements. Pour y parvenir, les djihadistes sont fortement invités à maîtriser deux compétences :
    1. L'art du recrutement et de la persuasion, ce pour quoi la référence première demeure le livre d'Abou Omar al-Qaedi, «L'art du recrutement».
    2. La vigilance extrême pour prévenir les dispositifs de surveillance et de détection, par référence à la célèbre «Encyclopédie d’Abou Zubéida sur la sécruité».
    Peine perdue. Un expert en terrorisme, Dr Thomas Hegghammer, soutient que Facebook se prête mal à la propagande djihadiste, parce qu’il accueille des gens de divers horizons et de diverses croyances et convictions, créant ainsi les conditions pour démasquer les points de vue extrémistes. Aussi, tout comme les djihadistes et autres groupes, Facebook offre de bonnes opportunités d’intervention pour les agents de sécurité afin de recueillir des renseignements, identifier les djihadistes réels ou supposés, et audelà, communiquer et recruter des informateurs. Dressant le profil type des djihadistes de Facebook, l’auteure conclut : «Ils sont jeunes, naïfs, impulsifs, prêts à faire confiance au premier venu et faciles à influencer, et avec leur peu de connaissance des fondements de l'Islam, ils ont toujours été des cibles idéales pour le recrutement.» Même si l’intérêt pratique de l’étude est indéniable, elle s’interdit toutefois de se poser la question de l’attitude des Etats des pays d’origine. Comment expliquer le paradoxe frappant que des Etats habituellement répressifs, censeurs et coupables des pires restrictions en matière de libertés autorisent de telles «orgies» sur la Toile ? Peut-on raisonnablement admettre leur incapacité à réagir ou leur impuissance face à de jeunes activistes ? Enfin, au-delà des considérations sécuritaires, les réseaux sociaux qui abritent diverses formes d’activisme politique soulèvent la question lancinante de l’impact des nouveaux supports sur l’avenir du militantisme politique. Si les médias, ce sont les médiums, comme le prédisait Mac Luhan dans les années 1960, il reste à cerner la particularité de l’action politique, désormais virtuelle car adossée à des supports électroniques. Pour l’instant, ce qui semble la singulariser, c’est sa spontanéité, son instantanéité. Son inconsistance aussi. Comparativement aux institutions qui ont pour habitude de porter et de légitimer l’action politique (les partis, les parlements et autres tribunes hérités de la démocratie bourgeoise), les nouveaux supports s’embarrassent peu des «armistices sociaux», des constituantes et du droit de la guerre. Ici, la guerre n’est pas déclarée, elle est ouverte, permanente, sans règles et tous les coups y sont permis, mais elle est éphémère et sans issue.
    A. B.
    (*) Mina Al-Lami, Undercover Jihadists Invite You to Be Friends on Facebook: the Challenge of Clandestine Cells, accessible en langue anglaise sur http://www.zak.kit.edu/img/ZAK_KG15_Al -Lami.pdf
    Par Ammar Belhimer-lesoirdalgerie
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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