A l’occasion du 50e anniversaire, un regard sur le point de départ économique de l’Algérie indépendante me paraît de quelque intérêt.
J’ai eu la chance de pouvoir me consacrer au «Plan» avec d’autres jeunes adultes, souvent d’une trempe humaine exceptionnelle, à la confection d’une politique de développement de l’Algérie, la Stratégie globale du développement, «la SGD de 1966», C’est cette expérience d’une «équipe du plan» que je voudrais transmettre aux lecteurs de 2012, m’interroger sur les leçons qu’on peut encore en tirer aujourd’hui.L’économie du pays était, rappelons-le, marquée au départ par des structures sous-développées, obéissant au schéma d’exploitation du «pacte colonial», c’est-à-dire sans industrialisation, mais surtout où la ressource humaine, facteur déterminant pour le développement, était laissée en friche, reléguée dans un «secteur traditionnel» dominé par l’analphabétisme et l’absence de toute formation professionnelle.
Pour mettre en œuvre cette «Stratégie», l’«équipe du plan» a proposé une méthode, «la planification», établie d’une façon pragmatique par de jeunes Algériens, sans rien rejeter des expériences internationales ou des théories économiques, dont nous pouvions nous inspirer. Cette politique à long terme a été concrètement élaborée, et s’est effectivement mise en œuvre, au travers de plusieurs plans à moyen terme entre 1967 et 1980. Le 1er plan quadriennal, 1970/1973, pour confirmer ce choix politique de la planification comme méthode pour mener «une politique économique résolument orientée vers le développement», a fait l’objet d’ailleurs d’une réunion solennelle sous la forme d’une ordonnance signée en grande pompe au Palais du peuple le 20 janvier 1970.
Dans les faits, cette politique économique de février 1966 entendait insuffler la croissance à partir de l’investissement public, «clé du développement». Nous visions surtout à construire une économie nationale, qui puisse être capable, dans la durée, de satisfaire les besoins de base matériels et non matériels de la majorité d’une population à forte croissance démographique et largement dominée en 1962 par des pauvres, des démunis, des «paysans dépaysanés» (Bourdieu). Il fallait édifier une économie capable de croître d’une façon «auto-entretenue», d’où l’importance de cet objectif stratégique d’ «amorce de l’intégration économique» (sur lequel je reviens à différents endroits de mes ouvrages*, et qui sans doute a été très peu compris).
Il fallait certes implanter des industries dont le pays était totalement démuni à ce point de départ. Mais «l’industrialisation en profondeur» ne signifiait pas seulement l’implantation d’industries, mais la modernisation de toutes les activités économiques. Je réfute en conséquence les clichés sur «l’agriculture sacrifiée» par les planificateurs algériens. Mais surtout la modernisation synonyme d’«industrialisation en profondeur» exigeait une préparation éducative et professionnelle intensive des femmes et des hommes. Il fallait, en effet, rapidement faire face à l’handicap majeur au sortir de la colonisation : l’analphabétisme à plus de 90%.
Au bout de quelques années, à la faveur d’un investissement public massif, mais aussi des conditions brutales de la décolonisation de l’économie, un véritable «miracle» commençait à se concrétiser, malgré donc un bien lourd héritage du point de départ : une capacité nationale de réaliser, commençait à émerger. Grâce à un «nouvel appareil de formation», un des 4 axes de la «SGD», mais aussi, et surtout par la formation sur le tas de jeunes adultes, qui, souvent, se sont donnés à fonds durant ces deux décennies 60/70, pour apprendre et se hisser à hauteur des postes de responsabilités qui s’offraient à eux dans une économie, à larges pans modernes, jusque-là quasi uniquement gérée par les Européens d’Algérie, cadres supérieurs, moyens, techniciens.
En quelques semaines, ces cadres algériens ont, au pied levé, assuré la relève de ce départ massif et précipité par l’OAS de ces Européens d’Algérie, de l’essentiel de l’encadrement administratif et économique du pays. Qui de nos jours se souvient vraiment de ces jeunes adultes et de leur dévouement pour l’intérêt général ? Grâce à eux, une esquisse d’une administration moderne s’est mise en place. Beaucoup d’étrangers visitant le pays durant ces deux premières décennies ne manquaient pas d’exprimer leur grand étonnement et admiration devant cette soif d’apprendre et de se former «sur le tas» de ces jeunes adultes.
Certes bien d’autres, peut-être même plus nombreux, pensaient déjà plus à leur avenir personnel. Malheureusement pour le pays, une grande partie de cet encadrement qui a surgi les années post-indépendance a été poussé à l’exode par «la décennie noire», ou a été «déclassé» ou marginalisé par une politique économique dite d’«ajustement structurel» durant la décennie 90. Sans conteste, cette Stratégie globale de développement de 1966 a tourné court. Je tente deux explications, liées entre elles, pour «pointer du doigt» les raisons de l’échec de cette expérience de développement. Au fur et à mesure de la réalisation des premiers plans, des déviations apparaissaient. Parce qu’on a d’abord en quelque sorte péché par excès : «Le plus l’a emporté sur le mieux».
C’est ainsi que le «taux d’investissement», ou d’accumulation du capital (ratio entre les dépenses d’investissements et le PIB), après un niveau médiocre durant le plan triennal, a connu des bonds importants jusqu’à atteindre la norme internationale fantastique de 55% en 1978. La non-maîtrise des dépenses sur investissements publics entraînant toutefois des dérives et des effets pervers, comme la corruption autour des marchés publics, un des effets pervers, sinon le plus grand ennemi du développement.
«L’amorce de l’intégration économique» a été fortement contrariée par la préférence généralisée des méthodes de réalisation des investissements publics, dont la réalisation était en quelque sorte déléguée, remise aux soins des étrangers sous la forme de contrats «clés ou produit en main». Cette pratique qui s’est généralisée mettait de côté le précieux apprentissage qu’aurait pu tirer la capacité nationale latente, la capacité nationale à réaliser. En définitive des 4 axes qui ordonnaient les objectifs de la Stratégie de 1966, seul «l’élargissement des moyens de paiement extérieurs», a été largement atteint.
J’ai eu la chance de pouvoir me consacrer au «Plan» avec d’autres jeunes adultes, souvent d’une trempe humaine exceptionnelle, à la confection d’une politique de développement de l’Algérie, la Stratégie globale du développement, «la SGD de 1966», C’est cette expérience d’une «équipe du plan» que je voudrais transmettre aux lecteurs de 2012, m’interroger sur les leçons qu’on peut encore en tirer aujourd’hui.L’économie du pays était, rappelons-le, marquée au départ par des structures sous-développées, obéissant au schéma d’exploitation du «pacte colonial», c’est-à-dire sans industrialisation, mais surtout où la ressource humaine, facteur déterminant pour le développement, était laissée en friche, reléguée dans un «secteur traditionnel» dominé par l’analphabétisme et l’absence de toute formation professionnelle.
Pour mettre en œuvre cette «Stratégie», l’«équipe du plan» a proposé une méthode, «la planification», établie d’une façon pragmatique par de jeunes Algériens, sans rien rejeter des expériences internationales ou des théories économiques, dont nous pouvions nous inspirer. Cette politique à long terme a été concrètement élaborée, et s’est effectivement mise en œuvre, au travers de plusieurs plans à moyen terme entre 1967 et 1980. Le 1er plan quadriennal, 1970/1973, pour confirmer ce choix politique de la planification comme méthode pour mener «une politique économique résolument orientée vers le développement», a fait l’objet d’ailleurs d’une réunion solennelle sous la forme d’une ordonnance signée en grande pompe au Palais du peuple le 20 janvier 1970.
Dans les faits, cette politique économique de février 1966 entendait insuffler la croissance à partir de l’investissement public, «clé du développement». Nous visions surtout à construire une économie nationale, qui puisse être capable, dans la durée, de satisfaire les besoins de base matériels et non matériels de la majorité d’une population à forte croissance démographique et largement dominée en 1962 par des pauvres, des démunis, des «paysans dépaysanés» (Bourdieu). Il fallait édifier une économie capable de croître d’une façon «auto-entretenue», d’où l’importance de cet objectif stratégique d’ «amorce de l’intégration économique» (sur lequel je reviens à différents endroits de mes ouvrages*, et qui sans doute a été très peu compris).
Il fallait certes implanter des industries dont le pays était totalement démuni à ce point de départ. Mais «l’industrialisation en profondeur» ne signifiait pas seulement l’implantation d’industries, mais la modernisation de toutes les activités économiques. Je réfute en conséquence les clichés sur «l’agriculture sacrifiée» par les planificateurs algériens. Mais surtout la modernisation synonyme d’«industrialisation en profondeur» exigeait une préparation éducative et professionnelle intensive des femmes et des hommes. Il fallait, en effet, rapidement faire face à l’handicap majeur au sortir de la colonisation : l’analphabétisme à plus de 90%.
Au bout de quelques années, à la faveur d’un investissement public massif, mais aussi des conditions brutales de la décolonisation de l’économie, un véritable «miracle» commençait à se concrétiser, malgré donc un bien lourd héritage du point de départ : une capacité nationale de réaliser, commençait à émerger. Grâce à un «nouvel appareil de formation», un des 4 axes de la «SGD», mais aussi, et surtout par la formation sur le tas de jeunes adultes, qui, souvent, se sont donnés à fonds durant ces deux décennies 60/70, pour apprendre et se hisser à hauteur des postes de responsabilités qui s’offraient à eux dans une économie, à larges pans modernes, jusque-là quasi uniquement gérée par les Européens d’Algérie, cadres supérieurs, moyens, techniciens.
En quelques semaines, ces cadres algériens ont, au pied levé, assuré la relève de ce départ massif et précipité par l’OAS de ces Européens d’Algérie, de l’essentiel de l’encadrement administratif et économique du pays. Qui de nos jours se souvient vraiment de ces jeunes adultes et de leur dévouement pour l’intérêt général ? Grâce à eux, une esquisse d’une administration moderne s’est mise en place. Beaucoup d’étrangers visitant le pays durant ces deux premières décennies ne manquaient pas d’exprimer leur grand étonnement et admiration devant cette soif d’apprendre et de se former «sur le tas» de ces jeunes adultes.
Certes bien d’autres, peut-être même plus nombreux, pensaient déjà plus à leur avenir personnel. Malheureusement pour le pays, une grande partie de cet encadrement qui a surgi les années post-indépendance a été poussé à l’exode par «la décennie noire», ou a été «déclassé» ou marginalisé par une politique économique dite d’«ajustement structurel» durant la décennie 90. Sans conteste, cette Stratégie globale de développement de 1966 a tourné court. Je tente deux explications, liées entre elles, pour «pointer du doigt» les raisons de l’échec de cette expérience de développement. Au fur et à mesure de la réalisation des premiers plans, des déviations apparaissaient. Parce qu’on a d’abord en quelque sorte péché par excès : «Le plus l’a emporté sur le mieux».
C’est ainsi que le «taux d’investissement», ou d’accumulation du capital (ratio entre les dépenses d’investissements et le PIB), après un niveau médiocre durant le plan triennal, a connu des bonds importants jusqu’à atteindre la norme internationale fantastique de 55% en 1978. La non-maîtrise des dépenses sur investissements publics entraînant toutefois des dérives et des effets pervers, comme la corruption autour des marchés publics, un des effets pervers, sinon le plus grand ennemi du développement.
«L’amorce de l’intégration économique» a été fortement contrariée par la préférence généralisée des méthodes de réalisation des investissements publics, dont la réalisation était en quelque sorte déléguée, remise aux soins des étrangers sous la forme de contrats «clés ou produit en main». Cette pratique qui s’est généralisée mettait de côté le précieux apprentissage qu’aurait pu tirer la capacité nationale latente, la capacité nationale à réaliser. En définitive des 4 axes qui ordonnaient les objectifs de la Stratégie de 1966, seul «l’élargissement des moyens de paiement extérieurs», a été largement atteint.
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