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Le monologue d'un harrag désabusé

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  • Le monologue d'un harrag désabusé

    «L'envie de cesser de souffrir est plus forte que le désir de vivre» Justine Lévy in «Rien de grave».

    Si l'on prend par hasard une plume pour narrer le fait divers d'un harrag, sans doute, on interpellerait cette placide conscience qui germe dans les coeurs et ce serait «un coup de hache dans la mer gelée qui est en nous» pour reprendre à mon compte une expression du romancier tchèque Franz Kafka (1883-1924) car plus personne ne vit ni ne sent en vrai une réalité qui n'est pas forcément sienne à moins d'être béni d'un don d'ubiquité aussi bien en vécus qu'en sentiments. Mais est-ce seulement un hasard d'écrire sur un malheur social les «harragas» s'entend ou seulement le hasard d'un constat sur une vie dans ce même abcès purulent où tout un monde indifférent côtoie en permanence des drames humains persistants qui m'aurait amené à la retranscription des paroles d'un triste monologue en mots écrits et noircis sur papier? Voilà un diptyque sur lequel la sensibilité de tout auteur serait mise cruellement à rude épreuve. Tout au plus serait-ce une défausse inexcusable de vouloir changer sans réfléchir le cours de ce «double hasard» d'autant que la réalité du harrag, si saturée d'amertumes, de vomis de douleurs et de fiel de regrets, est le point d'orgue de «l'humaine condition» dans tous ses replis et bouleversements. Le harrag, c'est un clandestin déchiré par les griffes de ses ignares gouvernants, un héros négatif d'une romance inachevée, un protagoniste virtuel d'un destin en lambeaux, une brûlure dans les chandelles de l'espoir, un amour enfoui dans les interstices de la haine. Le harrag, c'est une voix errante dans la symphonie de l'espoir, un corps chancelant dans les dédales de la souffrance, une sensibilité en déshérence, une mémoire bégayante peuplée d'ombres mais dépourvue de lumière...

    Le harrag, c'est un oubli en fuite, une âme rebelle qui non seulement bouscule les évidences mais aussi remet en cause les balises et les tabous sculptés de notre société. Un harrag, c'est l'amas enchevêtré des coulisses algériennes, tristement exposées au grand jour.

    C'est également, on le sait tous, le mot en verlan du «hagar», cet être orgueilleux et psychopathe qui, au nom de légitimités héritées ou fabriquées de toutes pièces, aurait réduit au chaos la patrie et les principes qui la fondent eux-mêmes. C'est pourquoi, le harrag est le contradicteur du mensonge, si fertile dans nos terres et cerveaux arides, l'amateur de vérités en friche, le cultivateur des rêves, le fan des utopies, le marin des océans, le collecteur des misères, le transgresseur de barrières, le dédouaneur des frontières, la sentinelle du sommeil, le dissipateur du brouillard. Le harrag, c'est le revers hideux de la rationalité du monde, le flottement impétueux des eaux durant une déclinaison d'un navire, le ressac des vagues à la tombée de la nuit, un rivage qui ne se marierait plus aux mirages, un visage toujours hagard, une révélation solennelle mais combien spontanée des vices de nos dictatures fades et sans fard...

    La tragédie du harrag, c'est grosso modo un succinct résumé de tous les bas instincts des corrupteurs et des pilleurs des richesses du peuple. Elle est notre mal viscéral représenté en son extériorité la plus abominable, une légende contemporaine sertie de mille et une péripéties rocambolesques. Elle est une mort, une hystérie, des cadavres, des peurs et tout ce qui s'en suit. La tragédie du harrag est somme toute un théâtre de fantômes jonché de miroirs. Des miroirs aux alouettes certainement. Elle est «la honte nationale de tous nos responsables» à tous les échelons hiérarchiques qui, à dessein ou par dépit, s'ingénient à recoudre par des points de suture nos déchirures et blessures sans fin. Mais y-a-t-il quelqu'un de plus pauvre qu'un harrag qui habite un abîme de complexité dans un insoutenable face-à-face avec l'adversité, lequel l'a conduit à s'inventer nombre d'échappatoires pour lever l'hypothèque sur son présent en offrant une sépulture à ses secrets après les avoir lavés, ensevelis, et précieusement gardés ? On en est toujours dans l'expectative!! La harrag est un insoluble mystère dans la mesure où la pesanteur d'un temps fini, foncièrement obscène et malveillant a pignon sur rue dans sa cervelle. Ainsi, tout est calculé mais rien n'est garanti, tout est planifié mais rien n'est suivi. Chez lui, les certitudes sont serviles, l'improvisation, une routine, et le doute, un maître incontesté. Le harrag, en voulant se libérer, rêve

    de s'égarer n'importe où, de se marier avec n'importe qui, de faire n'importe quoi par n'importe comment dans n'importe quel pays à part le sien dans le seul et unique objectif de réussir sa vie, «une vie de décence et d'humilité» prétend-t-il. Mais sait-il alors que celle-là qu'il avait rêvée depuis belle lurette, est parsemée d'embûches, minée de mauvaises intentions et comble d'ironie transformée par l'égoïsme des politiques en une jungle de fauves?

    «...Pleure ma mère, je suis déçu, pleure ma mère, l'Algérie perdue. Pleure ma mère, je suis grillé, pleure ma mère mes desseins ternis. Pleure ma mère mais sèche vite tes larmes car la tristesse d'aujourd'hui se transformerait demain peut-être en rayons d'allégresse. Pleure ma mère ces milliards que l'on dilapide à tire larigot alors que ton fils croule sous le fumier de la misère. Pleure ma mère et contemple bien les cals de mes mains, tu y liras les chemins de ma galère. Pleure ma mère, le temps que je m'en vais loin de toi, loin de ton odeur, de ta sueur, de tes chagrins et de tes joies. Pleure ma mère et laisse moi, laisse à moi, ton fils égaré une dernière chance pour te raconter mon calvaire, mes douleurs et mes peines. Moi, je pleure en me délectant de ta berceuse, je pleure en dormant avec tes conseils, je pleure en me claudiquant sur ton amour. Tu es l'odeur d'une enfance évanouie, l'espoir d'un présent incertain, le parfum d'un avenir sur des nuages. Je te pleure en cachette quand le noir voile mes yeux, quand les étoiles fondent de tristesse, quand la rouille entame tes amulettes. Je pleure parce que j'ai peur de mon courage, peur de mon aventure, peur de tout ce qui fait allusion à la vie. Je crains de te perdre à regret, mère de mon destin, parce que tu es hélas une bougie que viole le feu, une braise qu'éteignent les flots, un écho que rejette mon égo...

    Je veux que tu attrapes cette rage étranglée au fond de ma gorge, que tu saches que ton fils est jeté en pâture comme un sacrifice propitiatoire à cette hydre à têtes multiples (chômage, hogra, malvie, manque de loisirs, absence d'horizons...). Je veux, chère mère, que tu pourchasses par ta finesse et ta tendresse les noires idées qui m'embrument la cervelle et que tu me fasses par là découvrir mes incohérences et mes abîmes. Je suis un grand harrag ma mère mais j'en suis médiocrement fier car cela gronde en moi comme un affront d'orgueil surtout quand les grilles de la solitude se referment sur moi et que je me rends compte qu'il n'y a que ton vaste coeur qui puisse m'héberger, me nourrir et me choyer.

    Pas un autre de rechange !! Je suis comme un déraciné de toutes les passions, je suis un coeur de basalte vide d'émotions, je suis ce «rocher de Tanios» dont parle si élégamment Amin Maalouf. Tu sais, si j'étais parti naguère à la conquête de ce territoire invisible, cet au-delà du fric, du cul et de cuites, cette utopie que j'avais plantée comme un fanion dans mes intimes pensées, c'est parce que je suis un «fanatique de l'absence»(1) qui refuse de panser les saignées de ses blessures. En conséquence, j'ai transformé mes malaises en socle résistance, mes horreurs en forteresse d'existence et mes déceptions en citadelle d'endurance. Tu te rends compte, ma mère, c'est moi-même, ton fils chéri et gâté, qui étais allé récupérer la «Poste restante» de Boulam Sansal ! Néanmoins, je le reconnais devant toi maman, je n'ai intégré la race des purs et des durs que lorsque j'ai battu à plate couture mes angoisses matricides et que ma mémoire, délicieusement meurtrie par tes gifles, tes sermons et tes blâmes, a recouvré sa virginité de jeune fille. Oui ma mère, peut-être l'ignores-tu encore, ma mémoire est une semence féminine dont ton prénom évoque à mes oreilles non seulement mes origines et mes racines mais surtout l'étrangeté de mon destin, cruellement séparé du tien. Je t'aime ma mère, je t'aime, je t'aime... /......
    Dernière modification par Chegevara, 02 août 2012, 09h12. Motif: erreur dutitre
    عيناك نهر من جنون... عيناك أرض لا تخون
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