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«L’Algérien préfère l’action individuelle en dehors de la loi !»

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  • «L’Algérien préfère l’action individuelle en dehors de la loi !»

    Entretien réalisé par Mekioussa Chekir


    La Tribune : Le phénomène de l’insécurité s’étend et prend des proportions inquiétantes dans notre pays. Selon vous, à quoi est due cette situation ?
    Nacer Djabi : Il n’est pas aisé de donner une explication complète du phénomène de la violence en Algérie, ce phénomène dont on a pris connaissance depuis quelques années à travers les nombreux comptes-rendus des médias, de sorte à donner un aperçu sur l’ampleur du phénomène. La première observation nous révèle, cependant, que les proportions du phénomène diffèrent d’une wilaya à une autre, voire même d’un quartier à un autre dans la même wilaya. Il en est ainsi pour des villes comme Oran ou Annaba, ce qui peut nous amener à faire le lien avec le phénomène de la consommation de la drogue dans ces wilayas. Le phénomène est également différent, qu’il s’agisse d’un quartier comme Belouizdad ou comme celui de Hydra ou encore qu’il s’agisse de la ville ou de la campagne. Il en est de même pour les saisons, étant donné que, pendant l’été, il a été constaté plus de violence. Idem durant le mois de Ramadhan en raison des caractéristiques observées chez les Algériens qui pratiquent le jeûne plus pour des considérations sociales que religieuses. Je voudrais ici aborder certains rapports qui pourraient aider à mieux comprendre le phénomène de la violence. Il apparaît que celui-ci, ou du moins certains de ses aspects sont plus liés à la jeunesse et à la consommation de la drogue : le voleur est souvent devenu criminel en raison de la drogue. La violence n’est, par ailleurs, pas restée le monopole des hommes dés lors que des femmes y sont impliquées. A mon avis, les raisons de la propagation du phénomène est la perte de l’autorité du père au sein de la famille algérienne au moment où le quartier ou la «houma» n’est plus en mesure de contrôler et de maîtriser les attitudes comme ce fut le cas par le passé. La famille algérienne vit une division par sexe brutale de sorte que la mère est au foyer, le père au café et l’enfant dans la rue. C’est cela le style d’une famille algérienne, alors que l’insécurité règne dans la rue et où sont absentes les valeurs d’antan. La situation économique vécue par les familles des quartiers populaires a contribué à augmenter l’ampleur de la violence, si bien que l’enfant qui quitte les bancs de l’école pour aller se débrouiller dans le marché informel est prédisposé à produire la violence. Le phénomène démographique est également un facteur aggravant au moment où les jeunes se plaignent de chômage et de l’échec scolaire. D’autres considérations peuvent expliquer l’ampleur de la violence, à savoir les transformations sociales vécues par notre société dans son ensemble. Nous vivons une période d’existence de différences sociales, injustifiées et illégales aux yeux de certains Algériens (voitures de luxe, belles filles…). Cela, au moment où les jeunes sont victimes de frustrations sexuelles aiguës qui ne trouvent pas d’exutoire. Ce qui accentue le degré de violence qui se traduit par le refus d’acceptation de ce nouvel ordre social.

    Certains sociologues, psychiatres...expliquent en partie cela par les conséquences de la décennie noire. Or, une bonne partie des auteurs de ces violences sont nés après cette période ou étaient à peine nés. Pensez-vous que cette thèse soit suffisante pour expliquer ce phénomène ou faut-il chercher les raisons ailleurs ?
    La banalisation de la violence aux multiples facettes, vécue pendant des années, avec le terrorisme, comme l’une des formes de violence sociale, peut aider à expliquer cette situation mais pas l’expliquer entièrement. Pour comprendre le phénomène de la violence en Algérie, il faut revenir aux deux dernières décennies où la société a vécu des transformations économiques qui ont affecté le rôle et l’intervention de l’Etat auxquels les Algériens se sont longtemps habitués. Une situation qui a conduit à ce que beaucoup d’Algériens perdent leur position sociale alors qu’une minorité en a profité et à commencé à afficher des signes agressifs et ostentatoires de richesse, souvent mal perçus car considérés comme n’étant pas le résultat d’efforts mérités ou comme étant une des formes de corruption. C’est pourquoi je considère la violence intimement liée aux transformations sociales, économiques et politiques de ces dernières années dans le sens où la société algérienne est en train de vivre une phase de «reproduction» qui ne profite pas à toutes ses catégories. Une phase à l’opposé de ce qu’avait connu la société jusqu’aux années 80, à savoir la phase de «production» qui était plus légitime et plus collective. La violence peut être l’expression d’un mécontentement de n’avoir pas bénéficié de cette «reproduction» qui prend des allures effrénées et peu connues des Algériens. Cela d’autant plus que dans notre société, le rapport à l’argent demeure conflictuel et que cette dernière a connu des transformations radicales en ce sens qu’elle est passée d’une société où la quête de l’argent n’était pas appréciée à une société où cette quête est devenue le mobile d’attitudes immorales.

    Beaucoup d’actes de violence sont enregistrés dans les nouvelles cités à la périphérie de la capitale, notamment. C’est à se demander si le déracinement de ses habitants y est pour quelque chose ? Qu’en pensez-vous, personnellement ?
    Il est- vrai que l’Etat offre des logements mais ce faisant, il déracine une famille de son environnement social et culturel dans lequel elle a évolué pendant des années durant. Le déracinement vers des cités qui ne disposent pas du minimum de commodités en termes de transport, de voierie, d’écoles…est vécu par la famille entière mais ce sont les jeunes qui tentent d’exprimer ce malaise dû à la perte de leur ancien monde fait de relations conviviales, d’autant que ces derniers passent le plus clair de leur temps dans le quartier, devenu au fil des années, un marché ouvert pour l’informel. Ce déracinement contribue à enlever la «citadinité» de ces familles, acquise à la suite de l’indépendance pour laisser place à une sorte de «ruralisation» de la ville que les jeunes vivent mal, qui se sentent rejetés par leur milieu d’accueil. Ce sentiment vécu par un jeune de Bab-El-Oued, en arrivant à Birtouta ou Sebbala, par exemple, peut générer de la violence. Ce dernier est accusé de ne pas respecter les codes du nouveau quartier, ses filles, ses traditions…ce qui peut créer des relations conflictuelles. Nous avons des cas concrets avec ce qu’ont connu les déplacés d’El-Hamma durant les années 80 à Ain-Nâadja ou encore ceux de la Casbah qui ont été relogés à Bordj-El-Kiffan où des actes de violence, vols… ont été observés. Ceci, on n’omettant pas le fait que l’entrée en ville se fait traditionnellement en Algérie de manière physique comme si le concerné devait prouver son mérite pour son nouvel environnement. Ce qui l’amène à adopter les habitudes vestimentaires et le langage propres à celui-ci, une période qui peut s’étaler dans la durée et durant laquelle il peut être sujet de moqueries ou d’agressions avant que ne lui soit attribuée l’attestation de «fils de la ville». Le plus dur, c’est lorsqu’il est demandé à des Algérois de souche, par exemple, de prouver leur «algéroisité», eux qui se considéraient comme «Ouled el Qâa oual Bâa», comme il se dit.

    Lorsque la violence prend la forme de bandes et de gangs organisés, avec utilisation de sabres, épées....que cherchent, selon vous, à exprimer ainsi ces jeunes de la sorte ? La violence est-elle dans les gênes des Algériens, comme le pensent certains ?
    Je ne pense pas que les Algériens soient violents de nature. Pour preuve, leur comportement jusqu’aux années 80 car nous ne connaissions pas une violence avec une telle ampleur. Les études internationales comparatives du phénomène de la violence attestent que nous ne sommes pas comme les sociétés d’Amérique latine ou même en Afrique. Cela étant, nous sommes passés ces dernières années des formes d’expression élémentaires de violence à des formes plus organisées et plus collectives avec la constitution de gangs liés à la drogue, au banditisme et au crime organisé, parfois transfrontalières. Nous avons entendu parler, récemment, de braquage de banques et d’institutions financières à la façon américaine, ce que nous ne connaissions pas avant.

    Pensez-vous que le fait que l’Algérie soit toujours en quête de démocratie puisse expliquer en partie ce phénomène ? A observer les sociétés ayant connu le printemps arabe, on se demande si l’on ne connaît pas la même violence post-révolution bien que nous n’ayons pas connu ces bouleversements ? Autrement dit, le fait de ne pas connaître une révolution ne signifie nullement que les ingrédients pour cela n’existent pas en Algérie et qu’on en est à l’abri ?
    Les sociétés qui ont connu le «printemps arabe», comme en Egypte et en Tunisie, commencent à ressembler à notre pays, s’agissant des rapports qu’entretient le citoyen avec certaines institutions, comme la police. Les Tunisiens et les Egyptiens ne craignent plus la police et ne respectent plus la loi, tout comme les Algériens et osent la braver ou à dénoncer à haute voix ce qu’ils n’aiment pas. La relation entre l’Etat en tant qu’institution et le citoyen est devenue plus équilibrée et le citoyen ne craint plus, forcément, tout ce qui représente l’Etat. En Algérie, nous vivons cette situation depuis assez longtemps : le citoyen qui ne peut pas imposer que les institutions de l’Etat le respectent en tant que tel se venge à travers le ou l’employé (e) de bureau et devient ainsi un «haggar» et a recours au clientélisme ou la moindre de ses affaires. En fait, il considère qu’il a le droit de ne pas respecter la loi dés lors que la loi ne l’a pas respecté, qu’il n’en est pas satisfait et que celle-ci ne s’applique pas à tous. En conclusion, je dirais qu’au lieu d’un travail collectif en vue de changer la loi, l’Algérien préfère l’action individuelle en dehors de la loi et qu’en place et lieu de la révolution qu’il n’a pas réussie à faire en vue de changer les données politiques, il réussirait à créer le désordre et l’insécurité.



    La Tribune d'Algérie
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