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Yvan Canoa Martinez, lycéen sans-papiers

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  • Yvan Canoa Martinez, lycéen sans-papiers

    On parle d'immigré clandestins d'expulsions de régularisations de sans papiers. Derrières les mots froids et sans vie se cachent des destins palpables ,des souffrances aussi. La Loi Sarkozy est pourtant là comme une épée de Damoclès posés sur leurs avenirs et sur leurs vies.

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    Il a posé sur la table du salon un arbre généalogique retraçant en couleurs l'histoire de sa famille. "J'ai mis en rose ceux qui sont en situation régulière en France et en violet ceux qui sont naturalisés français, explique Yvan Canoa Martinez. Pour mes cousins suédois, j'ai mis du orange." Sa grand-mère, son grand-oncle et deux de ses cousins vivent en France avec des papiers en règle, tandis que sa grand-tante et vingt de ses cousins possèdent un passeport français. Sur l'arbre généalogique, les noms d'Yvan, de sa soeur et de ses parents sont les seuls à être écrits en vert : depuis leur départ de Colombie, en 2000, ils sont sans-papiers.

    Il y a encore cinq ans, Yvan vivait à Bogota, où son père était boulanger. "J'ai travaillé dans la même entreprise pendant vingt ans, mais j'ai été licencié, soupire son père. C'est difficile de trouver du travail en Colombie. La vie, là-bas, c'est dur, très dur." Lors d'une visite à Bogota, l'oncle d'Yvan, qui vit en France depuis longtemps, leur propose de rejoindre le reste de la famille à Paris. "J'avais 15 ans, et, pour nous, la France, c'était un rêve, sourit Yvan Canoa Martinez. Je m'imaginais à Paris, je me voyais en train de parler français, de me promener dans les rues."

    Le père d'Yvan décide de partir le premier pour trouver du travail et un logement. En juin 2000, il prend un premier billet pour Londres, mais il reste bloqué à l'aéroport de Bogota faute de visa. Quelques jours plus tard, il monte dans un avion pour New York dans l'espoir d'y faire escale mais il est arrêté et renvoyé le jour même en Colombie. Le 2 juillet, il tente une troisième fois de rallier l'Europe en passant par Madrid, grâce à l'invitation d'une cousine qui vit en Espagne.

    Cette fois, M. Canoa Martinez sort de l'aéroport sans difficulté et prend immédiatement un train pour Irún. "C'était le 2 juillet 2000, la France venait de gagner la Coupe d'Europe de football, sourit-il. J'ai passé la frontière française en train, de nuit. Le contrôleur m'a demandé mon billet mais pas mes papiers." Arrivé au petit matin à la gare Montparnasse, il prend un taxi jusqu'à la porte de Clichy, où vit son frère. "C'était le jour de chance du chauffeur. Il n'avait plus de monnaie et je n'avais qu'un billet de 100 dollars. J'étais tellement soulagé d'être arrivé que je le lui ai laissé !"

    Yvan et sa soeur Maira finissent leur année scolaire en Colombie avant de se lancer dans l'aventure avec leur mère. Le 19 décembre 2000, ils prennent un avion pour Madrid et rejoignent en train une ville frontière espagnole, où leur oncle vient les chercher, de nuit, dans le hall de la gare. "Pendant qu'on l'attendait, la police est passée et elle a chassé un clochard qui dormait sur un banc, raconte Yvan. On était pétrifiés de peur mais elle ne nous a rien demandé." Quelques heures plus tard, ils passent en voiture devant le panneau "Bienvenue en France". "Au petit matin, on s'est arrêtés dans une cafétéria. C'était bientôt Noël, il y avait des lumières partout, on était enfin arrivés."

    En attendant sa femme et ses enfants, le père d'Yvan, qui a trouvé un travail au noir dans la peinture, s'est installé dans l'appartement de son frère, porte de Clichy. Commence alors une vie de clandestin : ses parents n'osent pas sortir de la région parisienne, évitent de parler aux voisins, s'éloignent discrètement dès qu'ils aperçoivent un policier. "Ma mère n'ose même pas traverser au vert de peur d'attirer l'attention !", plaisante son fils.

    Yvan, qui ne connaît pas un mot de français, commence sa scolarité par une classe de 4e d'aide et de soutien à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Il apprend rapidement la langue, finit l'année en tête de classe, passe en troisième, puis en seconde et réussit si bien sa scolarité qu'il rejoint en septembre 2005 une terminale S (scientifique) au lycée Jules-Ferry, à Paris. "J'ai beaucoup d'amis qui ont arrêté l'école en troisième, qui bossent dans la peinture, ou qui font des BEP. Moi, je me suis fixé un but : je veux être ingénieur informatique."

    Aucun établissement scolaire ne lui demande ses titres de séjour, mais Yvan veut régulariser sa situation et celle de sa famille. En juin 2005, il décide de se rendre seul au centre de réception des étrangers de la rue Truffaut, dans le 17e arrondissement. "Mes parents n'étaient pas d'accord, ils avaient peur, raconte-t-il. Je savais que c'était risqué mais je me disais qu'il fallait tenter le coup. J'avais plus de chance qu'eux d'obtenir mes papiers à cause de ma scolarité et je me disais qu'ils les auraient plus facilement ensuite."

    Neuf mois plus tard, en mars 2006, Yvan Canoa Martinez reçoit une lettre de la préfecture : il est invité à quitter le territoire français dans un délai d'un mois. "Il est venu me voir un lundi matin, son avis d'expulsion à la main, raconte sa professeure principale, Jacqueline Campagne. J'étais stupéfaite : je savais qu'il était colombien mais je n'avais pas imaginé qu'il était sans-papiers." Elle prévient la proviseure, Marie Ange Henry, qui reçoit Yvan dans son bureau. "Je connaissais son nom, mais je ne l'avais pas rencontré, ce qui est plutôt bon signe. Les proviseurs connaissent surtout ceux auxquels il faut remonter les bretelles !"

    La proviseure et les enseignants contactent la préfecture, la mairie du 9e arrondissement, le rectorat et le Réseau éducation sans frontières (RESF), qui organise des mouvements de soutien aux sans-papiers dans les écoles, les collèges et les lycées. Pétitions, constitutions de dossiers, parrainage républicain : la mobilisation s'organise. "On est passés dans toutes les classes pendant les cours d'histoire-géo, raconte un ami d'Yvan, Tom Andres. Yvan racontait son histoire, on répondait aux questions et on faisait circuler les pétitions." La présidente de la FCPE de Jules-Ferry se démène, elle aussi. "J'ai donné des pétitions à une amie qui allait à une réunion des nouveaux adhérents du PS, j'en déposais dans le café à côté du lycée, j'en ai même distribué à l'école de théâtre en bas de chez moi !, raconte Catherine Ferrandon. Nous avons recueilli plus de 4 000 signatures." Le 9 juin, le lycéen obtient une autorisation provisoire de séjour de trois mois.

    Aujourd'hui, Yvan Canoa Martinez conserve précieusement sa carte verte toute neuve, comme il avait conservé jadis son premier ticket de métro parisien. Il a bon espoir que sa famille soit régularisée en septembre mais il a, entretemps, raté son baccalauréat. "Il n'a pas pu travailler pendant le troisième trimestre, regrette la proviseure, Marie Ange Henry. Cette histoire a occupé tout son temps et l'a énormément stressé." Yvan est déçu, mais il reprendra l'année prochaine une terminale "tranquille". "Je n'aurai plus ces soucis, sourit-il. La clandestinité, ce sera bientôt fini."

    Par le Monde
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