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Maroc L'avenir Incertain

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    Casablanca

    – Monsieur, vous permettez que je vous pose une question ? Est-ce qu’il y a un avenir pour nous les jeunes ?

    Je suis en train de ranger mes affaires après avoir présenté à l’assistance l’appui que nous apportons aux jeunes porteurs de projets dans cette localité rurale du sud de Casablanca. Les gens se sont levés et discutent en petits groupes. Je me retourne et reconnais la jeune fille. Elle était assise au fond de la salle. Sa question m’a pris de court. Elle doit penser que j’ai réponse à tout ! Me voyant silencieux, elle me relance :

    – On est désorienté Monsieur. On ne sait pas ce qui nous attend.
    Je la dévisage, perplexe.

    – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il n’y aurait pas d’avenir pour vous ? rétorqué-je avec un sourire que je veux apaisant, conscient que ce n’est pas une question qu’elle attend de ma part.

    Elle me tend un journal et me désigne le constat d’une enquête officielle. Le titre annonce sans ambages le contenu : «Jeunes désorientés et sans perspectives d’avenir». Le reste est du même cru : «La jeunesse doute de son présent, et appréhende l’avenir, elle n’a pas de repères et ne s’identifie à aucune personnalité.

    Le chômage sévit et le célibat est répandu. Des centaines de milliers, mariés ou pas, continuent de vivre avec leurs parents. Les jeunes s’intéressent peu à la chose publique. Leur principale priorité : l’emploi et l’égalité des chances. Leur principal souci d’avenir : la cherté de la vie et le chômage.»

    La suite est accablante. Les deux tiers des jeunes interviewés déclarent ne pas s’identifier à une valeur ou à une personnalité. Comment peuvent-ils alors nourrir un espoir, se fixer une voie, avoir un idéal ?

    – Pourtant, me dit-elle avec des yeux devenus subitement enflammés, notre pays est riche ! Nous les jeunes, nous pouvons être un moteur de développement ! Qu’avons-nous fait pour mériter un tel sort ?

    Pendant que je la dévisage, je songe aux décennies passées. Je songe aux critiques et mises en garde d’intellectuels et de penseurs, ou simplement de citoyens qui, par amour du pays, clamaient la vérité, bravaient les vicissitudes réservées aux voix libres et indépendantes. Leurs prédictions sont aujourd’hui avérées.

    Des politiques menées à ce jour, nos jeunes, insuffisamment préparés, ont hérité un système éducatif en faillite, une économie en panne, un dispositif de santé en ruine, une justice incertaine. Âgée de moins de vingt-cinq ans, la moitié de la population est désorientée, sans horizons. Puis je songe aux politiques d’aujourd’hui, leurs jérémiades, leurs luttes grotesques pour le pouvoir, leur avidité pour les rentes politiques et économiques.

    – Monsieur, vous nous avez parlé de création d’entreprises. Vous savez donc que l’emploi gouverne tout : sans travail, pas de salaire, pas d’autonomie personnelle, pas de projets d’avenir.

    Je ne pipe mot. Devant son insistance, j’hésite entre l’inviter à nous comparer à des pays bien moins lotis et apprécier notre bonheur ; car, quel est ce pays qui n’a pas son lot de difficultés ! Ou bien à nous mettre en perspective avec des démocraties qui offrent des chances égales aux citoyens. Pas facile ! Y a-t-il un avenir pour les jeunes ? La question finit par vous hanter sans cesse. Insidieuse, elle déchire le voile derrière lequel vous pensez avoir jeté à jamais vos incertitudes, remisé vos angoisses. Par commodité, par paresse, par lâcheté. Elle oblige à tout remettre à plat, à fouiller au fond de soi-même.

    – Tu t’appelles comment ? finis-je par demander à la jeune fille.

    – Amina.

    – Écoute Amina. Je ne peux répondre à ta question en une phrase. Il me faut un bouquin pour ça. Mais une chose est sûre. Nous, vos parents, nous avons failli à préparer votre futur.

    – Alors, il n’y a pas d’avenir ? dit-elle, catastrophée.

    – Si, il y en a un. Il y a toujours un. Mais c’est à vous de le construire. Avec vos valeurs. Vos idéaux. Vos ambitions. Ne comptez pas sur nous. Nous n’avons pas su. Et nous ne saurons pas. Trop tard.

    Lamrini Rida. 12.08.2012
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