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Qui se souvient de la fusillade de la rue de Paris ?

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  • Qui se souvient de la fusillade de la rue de Paris ?

    Le 20 août 1955 à Skikda,Qui se souvient de la fusillade de la rue de Paris ?

    Quand on quitte la maison Boumendjel, à l’ex-rue de Paris (actuelle rue des frères Halhaz) sur les hauteurs du vieux Skikda, on emporte inévitablement avec soi une partie de l’histoire de cette ville.

    On n’en revient pas indemne ! Et ce n’est que par la suite qu’on commencera à comprendre les tenants de cet embargo inavouable que subissent cette ville et ses habitants qu’on tente de défaire de toutes leurs gloires. Dans cette paisible maison Boumenjel, rue de Paris, 14 jeunes martyrs ont laissé leur vie dans un accrochage des plus héroïques qui a duré plus de 5 heures, le 20 août 1955. Pourtant, cet acte de résistance reste méconnu à Skikda et il a fallu suivre Saci Belgat, le fils d’un des 14 martyrs de la fusillade pour remonter le temps et oser un retour sur les traces de l’événement. La maison Boumenjel était partagée par deux amis pères de famille : Daïboune Sahel Moussa et Ramdane Boumenjel. La maison encore intacte garde à ce jour, à travers une plaque de marbre, son ancienne dénomination : Villa Albine. Elle garde aussi les traces visibles des impacts des balles. C’était la seule demeure habitée par des Algériens au milieu d’autres villas d’Européens. Disposant de deux entrées principales donnant sur deux rues différentes, elle se situe à moins de 300 m seulement au nord-ouest de la prison de Skikda. Cette même prison qui alla constituer le prélude, voire l’essence même de la fusillade.

    En ce 20 août donc, vers midi selon plusieurs recoupements, 80 résistants algériens venus de Beni Malek passent par la porte des Aurès pour aller s’attaquer à la gendarmerie et à la prison afin de libérer des détenus algériens.
    Empruntant la rue du Ravin qui longe le flanc sud de la prison, ils essuient les tirs nourris des gendarmes. Ils ripostent et finissent par rebrousser chemin. M. Balaska, un habitant de la rue du Ravin, se souvient et raconte : «Regardez, les murs de plusieurs bâtisses de la rue du Ravin gardent encore des impacts des balles. Je me souviens d’un groupe armé qui courait avant de se diriger vers la rue de Paris pour se réfugier dans la maison de Boumenjel. On apprendra par la suite qu’un impressionnant accrochage a eu lieu. Si vous voulez savoir davantage, vous devez vous rendre à cette maison.»

    On emprunte la petite pente qui mène au lieu pour trouver Mme Daiboune Sahel Zakia, la propre fille de Moussa, à l’accueil. Avec ses lunettes qui ajoutent à un air de bonhomie naturel, elle entame, dans les deux langues, le récit de la bataille. «En 1955, j’avais 17 ans et je me souviens très bien de cette fusillade pour l’avoir vécue. D’ailleurs, à ce jour, je garde encore en mémoire les visages de ces martyrs que j’ai vu combattre et mourir», prélude-t-elle comme pour dire que sa mémoire est encore fertile. «C’est vers 13h qu’ils sont rentrés chez nous sous les youyous. Ils étaient 14 et l’un d’eux était blessé au front. Il s’agit de Belgat Messaoud que j’ai soigné par la suite en lui mettant de la poudre de café sur sa blessure pour arrêter le saignement. On a vite compris qui ils étaient ; d’ailleurs, on a reconnu plusieurs d’entre eux. Il y avait Belgat, Chebli, Khalfa, Laïfa, Daïboune, Ramdane… Certains étaient armés et d’autres n’avaient que des armes blanches.»

    Massacre au mortier

    Une voisine européenne qui a remarqué l’incursion du groupe alerte les militaires et, aussitôt, la maison de Boumenjel est cernée par les parachutistes. «Il y avait beaucoup de militaires qui ont utilisé tous les balcons des maisons avoisinantes pour pouvoir tirer sur les moudjahidine. L’accrochage était intense. Et même si les paras usaient de mitraillettes, de grenades et de mortiers, les nôtres ripostaient et sont même parvenus à blesser un militaire gradé.» Cette information est d’ailleurs mentionnée dans le Journal de la Commune de Philippeville du 20 août 1955 où on peut lire : «13h 40. Une bande de 80 rebelles s’infiltre entre l’hospice et la gendarmerie. Quatorze rebelles se retranchent, rue de Paris, dans une maison occupée par des musulmans. Les youyous des femmes stimulent l’ardeur des hors-la-loi. Les militaires et les gardiens de la paix en font le siège pendant plus de quatre heures, faisant usage de gaz lacrymogènes et de grenades. Un militaire est blessé, l’adjudant-chef Maurice Giraud de l’état-major de la 41e DBP. Tous les rebelles sont abattus.»

    Cette farouche résistance est également citée par Benjamin Stora, historien spécialiste du Maghreb, qui rapporte : «Dans la rue de Paris aussi, il faudra cinq heures aux parachutistes de l’armée française pour anéantir un commando d’une quinzaine d’hommes qui, réfugiés dans une maison, tirent sur tout ce qui bouge et refusent de se rendre.» L’historienne Claire Mauss-Copeaux cite également cette fusillade sans la nommer, en citant : «Le rapport du colonel de Wisme, daté du 25 août 1955, signale les casernes et les commissariats attaqués mais se tait sur les civils tués à Philippeville. Il souligne en revanche la résistance de petits groupes rebelles. Retranchés dans des maisons et dans un café maure, ils combattent jusqu’à l’anéantissement.» Un autre témoin oculaire, Meksen Abdelkader qui avait 18 ans à l’époque, rapporte d’autres détails : «J’habitais à Dar Bellabès (près de Bel Air) à moins de 500 m à vol d’oiseau de la rue de Paris. Ce jour-là, les militaires avaient froidement abattu notre voisin Brahim Boucharbet.

    On était sur une dalle et on était attiré par les tirs provenant de Dar Boumenjel. On a d’abord vu les gardes mobiles en short qui couraient en direction de la rue de Paris. Après, on apercevait facilement les militaires, vers la fin de l’accrochage ils sont montés au 1er étage pour casser les persiennes des fenêtres et jeter aveuglement des grenades. Ils n’ont à aucun moment usé de gaz lacrymogène, mais uniquement d’armes lourdes. Nous avons appris par la suite que tous les Algériens qui se trouvaient dans cette maison étaient morts. En plus des noms que vous citez, il y avait aussi un deuxième Ramdane et un Grine.» Revenons à Mme Daïboune pour écouter la suite de son récit : «A la fin de la fusillade et la mort des combattants algériens, les militaires sont venus nous chercher. On nous a fait sortir pour nous aligner sur ce trottoir en face. Ils allaient nous fusiller.

    Un voisin pied noir, un brigadier italien nommé Coranno, est alors intervenu pour qu’on nous laisse la vie sauve, mais on n’a plus été autorisés à regagner nos demeures ni même emporter nos quelques biens. On a tout laissé, nos bijoux, nos meubles… On a été carrément chassé et il nous fallait alors trouver un refuge pour passer la nuit. Après un bref séjour au magasin de mon père, puis dans un garage, on a été hébergé par Grine Belkacem. Quand on nous a enfin accordé l’autorisation de retourner chez nous, on a retrouvé une maison totalement vide…»

    Le récit se poursuit encore pour raconter l’horreur, mais on n’a pas encore tout dit à propos de cet acte héroïque. Le 20 Août reste donc à écrire à Skikda. Il persiste encore beaucoup de faits d’armes et de sacrifices qu’il faudra rapporter un jour en donnant enfin la parole à ceux qui ont «fait» et à ceux qui «y étaient» pour faire barrage aux récupérateurs des gloires d’autrui.

    ParKhider Ouahab, El Watan.

  • #2
    C’est honteux qu’aucune plaque commémorative ne singularise cette résistance»

    Saci Belgat. Chercheur universitaire et fils d’un des martyrs
    -
    Dans vos écrits relatifs à la fusillade de la rue de Paris, on ressent, en plus d’une grande fierté, un sentiment de rancœur. Pourquoi ?


    De la fierté certainement, non seulement parce que mon père était parmi les quinze martyrs résistants de la rue de Paris, mais aussi pour le fait que cette bataille fut éclatante à tous points de vue. J’avoue que c’est très complexe. D’un côté, je suis par filiation génétique concerné au premier chef, mais dans le même temps, je me suis toujours imposé une forme de distance pour justement ne pas sombrer dans la quête d’avantages et de gloriole clanique. J’ai toujours considéré que mon père, en tant que martyr, ne m’appartient pas, son combat comme celui d’ailleurs de toutes celles et ceux qui ont hissé l’Algérie au rang des nations libres dépasse le cercle de la famille. D’ailleurs, je déteste ce vocable «famille révolutionnaire» par lequel on désigne les moudjahidine et les ayants droit. C’est une forme éhontée de récupération d’une lutte nationale au bénéfice que l’on sait. Comme il appartient à la nation, c’est à celle-ci et à ses représentants d’honorer son combat et j’en viens à la deuxième partie de la question.

    Ce n’est pas de la rancœur que j’éprouve, ce serait mal lui rendre honneur et hommage à lui et à ses compagnons. C’est de la tristesse et de la consternation quand, 50 ans après, leurs compagnons ou supposés tels sont encore dans les manipulations et l’utilisation de cette lutte chaque fois que le sol se dérobe sous leurs pieds. A l’évidence, ils sont incapables de leur rendre l’hommage qu’ils méritent et à se demander légitimement si cette histoire héroïque fut aussi la leur…

    - Qu’entendez-vous par «histoire sélective et manipulée» que vous citez dans votre contribution-témoignage ?



    L’histoire héroïque de la guerre de Libération fut de bout en bout manipulée. Le premier acte – les usurpateurs ont voulu la vider de ces hommes et de ces femmes exceptionnels en l’aseptisant par cette formule «un seul héros, le peuple». Puis vint le deuxième acte – la récupération par des zozos sortis de je ne sais où. Chacun a commencé par se construire sa propre fable au point de faire douter les jeunes sur cette grande épopée. C’est en ça que les manipulateurs, les révolutionnaires de la vingt cinquième heure craignent par-dessus tout l’accès aux archives. Il est triste et honteux qu’aucune plaque commémorative ne singularise la résistance de la rue de Paris, l’une des plus parlantes de tous les événements au point où le colonel Vismes a reconnu en eux le «mordant» et la détermination. N’est-ce pas suffisant pour qu’en d’autres lieux et pays on aurait érigé cette maison en symbole de la mémoire collective. Mais cela, il aurait fallu que les martyrs aient eu d’autres compagnons que ceux qui s’accrochent à leurs petits privilèges.



    Par Khider Ouahab,El Watan.

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