Par le Pr Abdelkrim Chelghoum,
(Eng, CHEC, CHEM, MsC, PhD, DIC, DrEt)*
L’intervention récente du ministre des Affaires religieuses à travers les médias (presse écrite et télévision) lors de la «célébration du début des travaux de bétonnage de 800 m2» m’interpelle, cependant, à plus d’un titre :
- D’abord en tant que premier expert à avoir soulevé l’interrogation portant sur la constructibilité du terrain choisi pour ce projet.
- Ensuite, en tant qu’acteur actif à tous les niveaux de l’acte de bâtir en Algérie depuis plus de trois décennies.
- Enfin, en tant que chercheur et formateur de centaines d’ingénieurs, magisters et docteurs dans le domaine du génie parasismique et du numérique, cadres qui ont, largement, fait leurs preuves à l’échelle tant nationale qu’internationale. Afin de lever toute ambiguïté, je reproduis in extenso la déclaration de ce responsable telle que rapportée par la presse écrite, à savoir : «Des personnes qui ne sont pas habilitées s’expriment sur le choix du terrain alors que nous avons fait appel à des spécialistes issus de pays à forte activité sismique, notamment le Japon et les USA (Los Angeles), qui ont tous conclu que la qualité du sol est tout à fait appropriée et que sa résistance est formidable», non sans insister : «Même si un séisme de 9 sur l’échelle de Richter survenait, la construction ne subirait le choc que d’un niveau 3 sur la même échelle.» Concernant le premier point, il y a lieu de noter une contradiction des plus flagrantes. Si la qualité du sol est si appropriée et sa résistance si formidable, pourquoi avoir recours au système d’appuis parasismiques au niveau de l’infrastructure, bel et bien prévus ?? Cette disposition, pour mémoire, n’est préconisée que lorsque les sols sont mauvais et lâches car son impact financier est exorbitant sur le coût global de l’ouvrage. Est-il besoin de souligner le ridicule du commentaire émis à propos de l’atténuation de 70% du choc primaire d’un séisme via un système d’isolateurs ? Une conférence serait sans doute nécessaire pour expliquer aux conseillers et aux experts comment quantifier et évaluer les effets engendrés par une secousse sismique, puis quels en sont les paramètres qui sont susceptibles d’être atténués par un isolateur et dans quelle proportion. Le deuxième point soulevé par ce responsable, relatif à la stabilité de l’ouvrage sous une secousse de 9 sur l’échelle de Richter, relève d’un esprit avéré d’irresponsabilité. Voilà, pour information, comment sont définis les dommages et désordres subis sous une magnitude de 8,5 à 9 sur l’échelle ouverte de Richter : «Rien ne demeure plus des œuvres humaines, tout l’environnement est bouleversé avec un changement radical dans la topographie de la région, disparition de collines et apparition d’autres, formation de grandes failles, dislocations horizontales et cisaillement des couches de sol dans toutes les directions, rivières et oueds détournés de leurs cours initiaux.» Sur la base de cette définition universelle, comment peut-on accepter des propos aussi fantaisistes émanant d’un responsable gouvernemental, des propos qui tiennent plutôt de la «fiction» dans un pays soumis régulièrement à l’occurrence d’au moins 10 risques majeurs sur les 14 identifiés par l’ONU à travers le monde ?Cela dit, je vais essayer d’apporter quelques éclairages à propos de la troisième réflexion émise par ce responsable relative et se rapportant à la compétence des experts algériens («des personnes qui ne sont pas habilitées s’expriment sur le choix du terrain alors que nous avons fait appel à des experts japonais et américains») :
- Primo : dans la gestion et la conduite de ce projet, il y a des responsabilités définies par la loi pour tous les intervenants (maître de l’ouvrage, maître de l’œuvre, l’organe de contrôle technique, l’organe de suivi, le laboratoire de sol) ; quelle est la responsabilité de ces soi-disant experts dans le cas d’une catastrophe ? ?
- Secundo : si ces experts endossent la responsabilité de ces commentaires techniques, ceci constitue à mon avis une situation gravissime dans la gestion des affaires de l’Algérie, et donc on est en droit de demander la publication des CV de ces experts avec tous les détails et les preuves qu’ils ont eu à gérer techniquement des projets réels importants (conception, suivi, contrôle et réalisation) et élaborer des études géotechniques dans le domaine dynamique. Je tiens à noter que l’expérience académique seule est irrecevable sachant pertinemment que le domaine en question (la construction) est un corps de métier et non un cours magistral de philosophie ou un simple prêche religieux. Aussi, il serait important dans un souci de transparence de publier également les honoraires alloués par jour à ces experts ainsi que le montant global de leur prise en charge (si possible sur l’échelle ouverte de Richter ou l’échelle MMT).
- Tertio : pour ce qui du jugement de valeur unilatéral et sans équivoque relatif à la non-habilitation des experts indépendants à s’exprimer sur la faisabilité de ce projet, je m’octroie la permission de poser cette question à Monsieur. le ministre en charge du projet : «Où étiez-vous quand ces mêmes ingénieurs et spécialistes (ils sont des centaines) ont réalisé : • Les universités de Bab Ezzouar, Oran (USTO) et Constantine ;
• La mosquée Emir- Abdelkader de Constantine avec tous les aléas géotechniques et les glissements de grande ampleur (décortiqués, analysés et résolus en temps réel).
• L’Académie inter-armes de Cherchell.
• Le projet OMRC relatif à la conception la réalisation le contrôle et le suivi de 160 lycées et CEM (livraison CRAIE en main) en un temps record dans la wilaya d’Alger.
• L’expertise et les études de renforcement de centaines d’ouvrages endommagés par les séismes de 1980 et 2003… M. le ministre, à l’évidence, a cédé à la nervosité car il était en butte à un dossier sur lequel il ne détient pas de maîtrise sur les plans technique et financier. C’est, probablement, ce qui l’a entraîné vers un état second, caractérisé par des dérapages verbaux de dénigrement envers cette catégorie de professionnels indépendants qui essayent, à chaque fois que les repères de vigilance sont bafoués, d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques encourus et la dangerosité des options retenues. Pour l’accomplissement de cet honorable ouvrage selon les règles de l’art et sans vices cachés, revenons maintenant au questionnement relatif à la gestion propre de ce chantier :
1) Sur la base de quel référentiel le contrôle technique sera conduit étant donné que les règles en vigueur (RPA) sont obsolètes et inapplicables dans ce cas.
2) L’investigation géotechnique élaborée sur ce site ignore totalement l’aspect dynamique des sols, comment pallier cette carence de taille ?
3) Quel est l’organe chargé du suivi de la réalisation ? Celui-ci doit être en mesure de contrôler l’entreprise à chaque instant sur les plans technique, approvisionnement, métré, conformité des matériaux, réception du ferraillage, contrôle de la qualité du béton. C’est une mission stratégique pour tout projet d’envergure afin d’éviter les déboires techniques connus, répertoriés et très répandus au niveau de tous les chantiers en Algérie et dus essentiellement à une non-maîtrise des dossiers techniques et un suivi aléatoire complaisant de la part du maître de l’ouvrage. Je citerai dans la classe des édifices religieux le cas épatant de la grande mosquée d’Oran qui connaît à l’heure actuelle un rafistolage continu de sa structure à partir des fondations (impact direct sur le coût global, les délais et la stabilité).
4) Absence d’une étude d’impact sur l’environnement (cette étude est un prérequis universel avant la projection d’un projet important). 5) Ce projet est spécifique à un regroupement humain important et de surcroît à quelques encablures de l’autoroute ; Alors, comment les principes de précaution, de prudence et de concomitance (clairement définis par la loi de prévention des catastrophes de 2004) sont incorporés dans le dossier technique global ?? C’est une question à laquelle l’institution chargée de la sécurité nationale est en devoir de répondre. En espérant, à travers cette mise au point, avoir concouru à relever le prestige de mon pays et de ses compétences nationales, j’ose encore croire que la future Grande- Mosquée d’Alger sera entourée de toute l’attention que doit revêtir l’édification d’une œuvre aussi monumentale qu’historique.
A. C.
*Directeur de recherche (USTHB). Directeur du Laboratoire GPDS (génie parasismique dynamique et sismologie). Président du Club des risques majeurs. Consultant Principal Gaim Ltd Derbyshire (GB). Ancien recteur de l’Université de Boumerdès. Ancien directeur du Laboratoire central et du contrôle technique (BCT /DNC).
(Eng, CHEC, CHEM, MsC, PhD, DIC, DrEt)*
L’intervention récente du ministre des Affaires religieuses à travers les médias (presse écrite et télévision) lors de la «célébration du début des travaux de bétonnage de 800 m2» m’interpelle, cependant, à plus d’un titre :
- D’abord en tant que premier expert à avoir soulevé l’interrogation portant sur la constructibilité du terrain choisi pour ce projet.
- Ensuite, en tant qu’acteur actif à tous les niveaux de l’acte de bâtir en Algérie depuis plus de trois décennies.
- Enfin, en tant que chercheur et formateur de centaines d’ingénieurs, magisters et docteurs dans le domaine du génie parasismique et du numérique, cadres qui ont, largement, fait leurs preuves à l’échelle tant nationale qu’internationale. Afin de lever toute ambiguïté, je reproduis in extenso la déclaration de ce responsable telle que rapportée par la presse écrite, à savoir : «Des personnes qui ne sont pas habilitées s’expriment sur le choix du terrain alors que nous avons fait appel à des spécialistes issus de pays à forte activité sismique, notamment le Japon et les USA (Los Angeles), qui ont tous conclu que la qualité du sol est tout à fait appropriée et que sa résistance est formidable», non sans insister : «Même si un séisme de 9 sur l’échelle de Richter survenait, la construction ne subirait le choc que d’un niveau 3 sur la même échelle.» Concernant le premier point, il y a lieu de noter une contradiction des plus flagrantes. Si la qualité du sol est si appropriée et sa résistance si formidable, pourquoi avoir recours au système d’appuis parasismiques au niveau de l’infrastructure, bel et bien prévus ?? Cette disposition, pour mémoire, n’est préconisée que lorsque les sols sont mauvais et lâches car son impact financier est exorbitant sur le coût global de l’ouvrage. Est-il besoin de souligner le ridicule du commentaire émis à propos de l’atténuation de 70% du choc primaire d’un séisme via un système d’isolateurs ? Une conférence serait sans doute nécessaire pour expliquer aux conseillers et aux experts comment quantifier et évaluer les effets engendrés par une secousse sismique, puis quels en sont les paramètres qui sont susceptibles d’être atténués par un isolateur et dans quelle proportion. Le deuxième point soulevé par ce responsable, relatif à la stabilité de l’ouvrage sous une secousse de 9 sur l’échelle de Richter, relève d’un esprit avéré d’irresponsabilité. Voilà, pour information, comment sont définis les dommages et désordres subis sous une magnitude de 8,5 à 9 sur l’échelle ouverte de Richter : «Rien ne demeure plus des œuvres humaines, tout l’environnement est bouleversé avec un changement radical dans la topographie de la région, disparition de collines et apparition d’autres, formation de grandes failles, dislocations horizontales et cisaillement des couches de sol dans toutes les directions, rivières et oueds détournés de leurs cours initiaux.» Sur la base de cette définition universelle, comment peut-on accepter des propos aussi fantaisistes émanant d’un responsable gouvernemental, des propos qui tiennent plutôt de la «fiction» dans un pays soumis régulièrement à l’occurrence d’au moins 10 risques majeurs sur les 14 identifiés par l’ONU à travers le monde ?Cela dit, je vais essayer d’apporter quelques éclairages à propos de la troisième réflexion émise par ce responsable relative et se rapportant à la compétence des experts algériens («des personnes qui ne sont pas habilitées s’expriment sur le choix du terrain alors que nous avons fait appel à des experts japonais et américains») :
- Primo : dans la gestion et la conduite de ce projet, il y a des responsabilités définies par la loi pour tous les intervenants (maître de l’ouvrage, maître de l’œuvre, l’organe de contrôle technique, l’organe de suivi, le laboratoire de sol) ; quelle est la responsabilité de ces soi-disant experts dans le cas d’une catastrophe ? ?
- Secundo : si ces experts endossent la responsabilité de ces commentaires techniques, ceci constitue à mon avis une situation gravissime dans la gestion des affaires de l’Algérie, et donc on est en droit de demander la publication des CV de ces experts avec tous les détails et les preuves qu’ils ont eu à gérer techniquement des projets réels importants (conception, suivi, contrôle et réalisation) et élaborer des études géotechniques dans le domaine dynamique. Je tiens à noter que l’expérience académique seule est irrecevable sachant pertinemment que le domaine en question (la construction) est un corps de métier et non un cours magistral de philosophie ou un simple prêche religieux. Aussi, il serait important dans un souci de transparence de publier également les honoraires alloués par jour à ces experts ainsi que le montant global de leur prise en charge (si possible sur l’échelle ouverte de Richter ou l’échelle MMT).
- Tertio : pour ce qui du jugement de valeur unilatéral et sans équivoque relatif à la non-habilitation des experts indépendants à s’exprimer sur la faisabilité de ce projet, je m’octroie la permission de poser cette question à Monsieur. le ministre en charge du projet : «Où étiez-vous quand ces mêmes ingénieurs et spécialistes (ils sont des centaines) ont réalisé : • Les universités de Bab Ezzouar, Oran (USTO) et Constantine ;
• La mosquée Emir- Abdelkader de Constantine avec tous les aléas géotechniques et les glissements de grande ampleur (décortiqués, analysés et résolus en temps réel).
• L’Académie inter-armes de Cherchell.
• Le projet OMRC relatif à la conception la réalisation le contrôle et le suivi de 160 lycées et CEM (livraison CRAIE en main) en un temps record dans la wilaya d’Alger.
• L’expertise et les études de renforcement de centaines d’ouvrages endommagés par les séismes de 1980 et 2003… M. le ministre, à l’évidence, a cédé à la nervosité car il était en butte à un dossier sur lequel il ne détient pas de maîtrise sur les plans technique et financier. C’est, probablement, ce qui l’a entraîné vers un état second, caractérisé par des dérapages verbaux de dénigrement envers cette catégorie de professionnels indépendants qui essayent, à chaque fois que les repères de vigilance sont bafoués, d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques encourus et la dangerosité des options retenues. Pour l’accomplissement de cet honorable ouvrage selon les règles de l’art et sans vices cachés, revenons maintenant au questionnement relatif à la gestion propre de ce chantier :
1) Sur la base de quel référentiel le contrôle technique sera conduit étant donné que les règles en vigueur (RPA) sont obsolètes et inapplicables dans ce cas.
2) L’investigation géotechnique élaborée sur ce site ignore totalement l’aspect dynamique des sols, comment pallier cette carence de taille ?
3) Quel est l’organe chargé du suivi de la réalisation ? Celui-ci doit être en mesure de contrôler l’entreprise à chaque instant sur les plans technique, approvisionnement, métré, conformité des matériaux, réception du ferraillage, contrôle de la qualité du béton. C’est une mission stratégique pour tout projet d’envergure afin d’éviter les déboires techniques connus, répertoriés et très répandus au niveau de tous les chantiers en Algérie et dus essentiellement à une non-maîtrise des dossiers techniques et un suivi aléatoire complaisant de la part du maître de l’ouvrage. Je citerai dans la classe des édifices religieux le cas épatant de la grande mosquée d’Oran qui connaît à l’heure actuelle un rafistolage continu de sa structure à partir des fondations (impact direct sur le coût global, les délais et la stabilité).
4) Absence d’une étude d’impact sur l’environnement (cette étude est un prérequis universel avant la projection d’un projet important). 5) Ce projet est spécifique à un regroupement humain important et de surcroît à quelques encablures de l’autoroute ; Alors, comment les principes de précaution, de prudence et de concomitance (clairement définis par la loi de prévention des catastrophes de 2004) sont incorporés dans le dossier technique global ?? C’est une question à laquelle l’institution chargée de la sécurité nationale est en devoir de répondre. En espérant, à travers cette mise au point, avoir concouru à relever le prestige de mon pays et de ses compétences nationales, j’ose encore croire que la future Grande- Mosquée d’Alger sera entourée de toute l’attention que doit revêtir l’édification d’une œuvre aussi monumentale qu’historique.
A. C.
*Directeur de recherche (USTHB). Directeur du Laboratoire GPDS (génie parasismique dynamique et sismologie). Président du Club des risques majeurs. Consultant Principal Gaim Ltd Derbyshire (GB). Ancien recteur de l’Université de Boumerdès. Ancien directeur du Laboratoire central et du contrôle technique (BCT /DNC).
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