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«Le Mali est le banc d’essai de la stratégie à long terme d’AQMI»

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  • «Le Mali est le banc d’essai de la stratégie à long terme d’AQMI»

    Modibo Goïta est conseiller à la direction des écoles militaires, chargé élaboration, de l’enseignement et de la supervision des programmes de cours et conférences en droit international, droits de l’homme, droit international humanitaire et histoire militaire dans les écoles militaires supérieures de formation des Forces armées maliennes. Il a été détaché par le ministère de la Défense et des Anciens Combattants à l’Ecole de maintien de la paix (Mali), en janvier 2010.

    Il livre, dans un entretien accordé à El Watan, un état des lieux sans complaisance sur la situation sécuritaire dans la région subsaharienne.



    - Quel est le rapport de forces qui sévit en ce moment au Mali ?


    A l’heure actuelle, le rapport de forces semble pencher en faveur d’AQMI et ses alliés, entendez les radicaux islamistes Ançar Eddine, Mujao, Boko Haram et Shebab.
    S’agissant du MNLA, qui avait donné l’impression d’être le belligérant majeur, sa défaite cuisante à Gao et son éviction des autres villes l’ont ramené au rang d’outsider ; il devra en conséquence revoir son agenda. Quant à l’armée malienne, elle doit résoudre un énorme déficit logistique avant d’envisager une offensive quelconque. Sur la scène politique, les 172 partis politiques officiels peinent à taire leurs divergences pour faire l’union sacrée au sein d’un gouvernement, qui aurait pour tâche essentielle de s’atteler à la recherche d’une solution. Ce vide est de plus en plus occupé par le Haut-Conseil islamique, qui devient la force montante capable de mobilisation et a réussi à libérer des centaines de prisonniers gouvernementaux des mains d’Ançar Eddine et même pris l’initiative d’engager des pourparlers avec ce groupe, qu’il considère comme des Maliens ayant une autre lecture de l’islam.



    - La médiation algérienne avait permis, notamment en juillet 2006, de pacifier la situation. Pourquoi cela n’est-il plus possible ?


    L’Algérie a, par le passé, joué un rôle de premier plan dans les négociations de paix entre le gouvernement malien et les groupes rebelles. On rappellera Djanet, Tamanrasset, des pourparlers ayant abouti à la signature du Pacte national, de l’accord dit d’Alger.
    Actuellement, force est de reconnaître que cette position de médiatrice incontournable s’éclipse considérablement au profit de la Cédéao qui, dès la reprise du confit, a entrepris des démarches pour trouver une solution par le dialogue, à défaut par les armes. Il est à noter que le MNLA, qui paraissait contrôler le terrain, et Ançar Eddine ont affiché leur préférence pour la Mauritanie et le président du Burkina Faso comme médiateurs. Côté malien, on observera qu’une bonne partie de la classe politique et l’immense majorité de la population ont mal digéré la position d’impartialité proclamée par l’Algérie et son refus d’apporter son soutien miliaire. Au demeurant, l’exfiltration héliportée de ses instructeurs de Tessalit, juste avant la chute de cette ville, fut durement ressentie par les Maliens. Certains ont même rappelé les mots du regretté président Ahmed Ben Bella : «Nous avons eu notre indépendance parce que les Maliens ont accepté de mourir un peu pour nous.»



    - L’Algérie avait peut-être de bonnes raisons d’agir ainsi…


    A mon humble avis, l’attitude algérienne ne pourrait s’expliquer que par le manque total de confiance à l’endroit de l’ancien Président. Lequel avait publiquement admis que certains députés maliens étaient en collusion avec les trafiquants de drogue et AQMI. La reconnaissance de la présence de bases logistiques d’AQMI et la relaxe de suspects terroristes réclamés par l’Algérie et la Mauritanie n’ont pas été de nature à faciliter la compréhension mutuelle. Cependant, il faudra se rendre à l’évidence que toute solution négociée durable passe par l’Algérie qui, en raison de sa position et de son poids, reste, comme l’a reconnu le ministre burkinabé des Affaires étrangères Djibril Bassolé, incontournable dans la recherche d’une solution durable.
    Il reviendra alors au nouveau chef de l’Etat de redonner des gages de confiance à l’Algérie.



    - Est-il encore concevable de trouver une solution politique à la crise malienne ?


    La recherche d’une solution négociée à la crise fait l’unanimité. Le Mali, les Nations unies, l’Union africaine, la Cédéao, les Etats-Unis, la France, l’Algérie ont tous proclamé leur attachement à une telle solution, dans le cadre du strict respect de l’intégrité territoriale. Dans le pire des cas, le recours à la force. Au regard du rapport de forces actuel, les groupes islamistes pourraient faire monter les enchères en avançant des exigences irrecevables pour le gouvernement malien. Aussi, les négociations pourraient traîner en longueur sans résultat. Situation qui ne laissera aucune autre alternative que le recours à la force.



    - Une intervention militaire au Mali ne serait-elle pas la boîte de Pandore, dont les répercussions s’étendraient à tous les pays de la région ?


    En janvier 2012, j’avais publié un article prévoyant qu’un chaos émergerait du flanc sud algérien et préconisé que l’Algérie prenne assez d’initiatives et, si besoin était, qu’elle établisse un partenariat avec le Maroc afin d’endiguer cette menace. Une intervention militaire s’imposerait dès lors que les chances d’aboutir à un règlement pacifique seront épuisées. Toutefois, l’armée malienne ne serait pas seule capable de se lancer dans une phase militaire sans résoudre l’énorme défi logistique. C’est pourquoi une intervention militaire à partir du Sud algérien ou une campagne aérienne en appui et soutien aux attaques terrestres serait en mesure de stopper un embrasement régional, autrement dit l’implication d’autres forces armées. C’est dire que l’Algérie détient la solution à la crise.



    - Qui est le Mujao ?



    Le Mujao a émergé comme groupe terroriste, en 2012, par sa prise d’otages dans le Sahara. Il se caractérise par sa composition (des ressortissants d’Afrique de l’Ouest). Sous l’aspect d’un groupe autonome, il constitue, en fait, la légion étrangère d’AQMI et a pour mission la pénétration et l’expansion en Afrique de l’Ouest d’AQMI. Il opère à travers un vaste réseau ayant des ramifications et des connexions avec le milieu du trafic de drogue d’armes et des kidnappings et disposerait de solides complicités dans les milieux politique et militaire de certains Etats de la région. Enfin, il maintiendrait en hibernation des taupes, des cellules dormantes et des planques sûres grâce à l’argent récolté des rançons et du trafic de drogue.



    - Pourquoi cible-t-il principalement l’Algérie ?


    L’Algérie n’est pas, à mon avis, la cible principale du Mujao, qui est le Mali. Pour preuve, il occupe la ville de Gao et a soumis la population aux pires exactions. Le Mujao n’a rien à gagner à dresser le géant algérien contre lui. Quant à l’enlèvement le 6 avril dernier de 7 membres du consulat d’Algérie à Gao par le Mujao, j’ai du mal à accepter un pareil ratage de la part des services de sécurité algériens. Il est totalement inadmissible de laisser sur place de si hauts représentants de l’Etat à la merci d’un groupe considéré comme ennemi.

  • #2
    Le Mali est le banc d’essai de la stratégie à long terme d’AQMI»


    - Qui est Ançar Eddine ? Pourquoi a-t-il pu avoir tant d’influence en si peu de temps ?



    Je considère qu’Ançar Eddine, qui s’est fait connaître en mars dernier comme groupe autonome, n’est que la branche locale d’AQMI ayant pour mission primordiale de réaliser son implantation au Mali sous le voile de la propagation violente d’un islam radical. Il bénéficierait de complicités dans certains Etats arabes qui n’ont condamné que du bout des lèvres la destruction de «sites classés au patrimoine mondial de l’humanité».
    On pourrait affirmer que le Mali est donc devenu le banc d’essai de la stratégie à long terme d’AQMI. En ce qui concerne la force et l’influence d’Ançar Eddine, elles ne reposent en réalité que sur AQMI qui exerce sur lui le commandement opérationnel et le contrôle tactique. C’est la raison pour laquelle le médiateur de la Cédéao insiste pour qu’il se démarque d’AQMI.



    - Les rebelles touareg pourront-ils encore créer leur Etat indépendant, l’Azawad ?


    Les rebelles touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) avaient proclamé un «Etat» indépendant de l’Azawad le 6 avril 2012, mais il ne fut reconnu par aucun pays de la communauté internationale ; sa création fut rejetée par les Nations unies, l’Union africaine et la Cédéao. D’ailleurs cet «Etat» n’a survécu que deux mois, car ses éléments ont été défaits et boutés hors des villes principales par Ançar Eddine et le Mujao qui affichent comme agenda l’imposition de la charia, mais pas la création d’un Etat islamiste pour le moment. Je pense que l’hypothèse d’une indépendance ne pourrait intervenir que dans le cadre d’un référendum, organisé sous supervision internationale dûment acceptée par le Mali. Or, cette probabilité est mince du fait que les Touareg sont loin de constituer la majorité de la population vivant dans ces régions. Pire, le MNLA a énormément perdu de la sympathie dont il jouissait au sein de la population qui, désormais, pense qu’il est la cause de tous les malheurs.



    - Le Mali sera-t-il l’Afghanistan du Sahel ?


    Il existe des risques pour que le Mali devienne ce que j’avais surnommé le «Waziristân du Sahel». L’on ne pourra prévenir un tel scénario que s’il y a recours à des mesures collectives énergiques de la part des Etats du champ. Or, la Mauritanie, un partenaire majeur, a officiellement annoncé sa non-participation et son scepticisme vis-à-vis d’une force d’intervention, même si le Niger y est favorable. Il reste que seule une participation de l’Algérie pourrait considérablement garantir un succès. Alors, en ce qui concerne les négociations, je ne suis pas très optimiste sur leurs chances de succès et de voir Ançar Eddine revenir sur son exigence d’exercer la charia et de permettre un retour de l’armée malienne dans les garnisons et les camps militaires.
    Dans l’éventualité d’un recours à la force, le Mali ne peut, pour le moment, compter que sur ses propres forces et, dans une moindre mesure, sur celles annoncées par la Cédéao de 3500 hommes, donc une force de combat de 850 sur la base du ratio de 1/5. On retiendra que la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont signifié leur non-participation. Il est peu probable que le Nigeria puisse y participer du fait des violences provoquées par Boko Haram.



    - Les populations maliennes accepteront-elles l’établissement de la charia dans leur pays ?


    Certes, on assiste à une intensification des protestations et manifestations de populations et principalement des jeunes contre l’application des mesures de la charia. L’éventualité d’un soulèvement général suivi d’une violente répression de la part des groupes radicaux n’est pas à écarter, car ces derniers ne reculeront pas devant l’usage excessif de la force pour soumettre les populations.
    Lors d’une récente réunion des imams à Gao, le Mujao a souligné qu’il ne permettra aucune transgression sur l’application stricte de la charia.



    - Quels sont, d’après vous, les scénarios de sortie de crise qui se profilent ?


    Il y a plusieurs hypothèses : si les négociations aboutissent avec la mise en place d’une large autonomie des régions Nord, le pouvoir central conserverait les prérogatives de la Défense et les Affaires étrangères, les Finances et la Justice.
    L’échec des négociations pour une solution pacifique entraînerait une intervention militaire avec l’appui et le soutien de la Cédéao et de l’Algérie. Si les négociations échouent à cause du refus des radicaux islamistes de renoncer à l’imposition de la charia et leur rejet d’une présence de l’armée dans les régions Nord, alors s’impose une offensive de l’armée avec les troupes de la Cédéao et surtout un soutien et appui de l’Algérie.

    Sous peine d’essuyer une défaite cuisante, ce cas de figure obligerait les groupes à revenir à la table des négociations. Le scénario de l’intervention militaire sans la participation de l’Algérie conduirait à une impasse sur le terrain. En effet, une offensive militaire, sans la participation de l’Algérie, pourrait aboutir à une impasse sur le terrain et les affrontements militaires déborderaient les frontières maliennes et prendraient la forme d’actes sporadiques de violence et d’actes terroristes visant principalement les intérêts des pays occidentaux et des Etats impliqués dans l’intervention. Devant la gravité de la situation, le Mali pourrait rechercher des alliances contre nature, voire accepter l’installation de bases étrangères si son existence venait à être en cause. Cette situation provoquerait une déstabilisation dans les pays voisins, avec pour conséquence une catastrophe humanitaire. On recense à l’heure actuelle plus de
    250 000 réfugiés maliens en Algérie, au Niger, au Burkina Faso et plus de 174 000 déplacés internes. Combien seront-ils dans l’hypothèse d’un embrasement régional ? Il ne resterait aux Nations unies que d’autoriser une intervention armée humanitaire sous les auspices de l’OTAN, qui est la seule organisation capable d’entreprendre une telle opération.


    Par Amel Blidi, el watan

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