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Face au chaos syrien : L'effondrement de la conscience politique arabe

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  • Face au chaos syrien : L'effondrement de la conscience politique arabe

    source: Algeria watch
    Khaled Satour, 17 août 2012

    Cela fait des mois que je m'intéresse à la position prise par l'intelligentsia arabe et particulièrement syrienne à propos des événements de Syrie. Sur une vidéo mise en circulation sur Internet, j'ai entendu l'un des plus illustres opposants à Bachar El Assad, Michel Kilo, déclarer que les intellectuels syriens étaient "pour la révolution". Ce que mes propres observations tendent à confirmer car j'ai suivi avec toute la constance possible, à travers la presse arabe où ils s'expriment le plus volontiers, leurs prises de position et leurs analyses. Il m'est arrivé d'en conclure que, si la parole qu'ils exprimaient et leur conception de l'opposition au régime de Damas qu'ils préconisaient avaient la pertinence patriotique qu'ils leur attribuaient, c'est que j'étais démuni de certaines composantes du logiciel politique approprié, qu'eux-mêmes n'ont pas manqué, tous, de recevoir en partage. J'ai aussi parfois mis mon incapacité à comprendre sur le compte de la complexité des données de cette région du monde arabe où s'entremêlent tant d'intérêts et d'influences.
    Mais j'ai résolu pour finir de risquer un certain nombre d'observations. Car la situation est telle que la seule vérité indiscutable est que la Syrie, peuple, nation et Etat – et pas seulement le régime qui la gouverne de moins en moins – fait l'objet d'une agression étrangère multiforme destinée à l'anéantir. Cette agression ne diffère de l'entreprise lancée en 2003 contre l'Irak et en 2011 contre la Libye que par deux faux-semblants : la préexistence d'une prétendue révolution populaire pacifique qui aurait duré un an et l'échec fait à une intervention militaire de l'OTAN.
    UNE VERITABLE INVASION MILITAIRE

    Jusqu'au tournant de l'année en cours, des manifestations civiles, dont l'ampleur a sans doute été exagérée, brouillaient le jugement en imposant, grâce à une information sélective puissamment relayée, la vision d'un soulèvement populaire généralisé réprimé violemment. Le discours de l'opposition et des intellectuels pouvait alors avoir un semblant de justification. Mais qu'en est-il aujourd'hui? La guerre s'est étendue et les données relatives à l'identité des forces qui combattent l'armée régulière ne sont plus contestées :
    - Depuis le début du mois d'août, on a appris qu'Obama avait ordonné aux services secrets américains d'apporter toute leur aide aux insurgés et des sources britanniques ont confirmé que les forces spéciales américaines et britanniques se trouvaient sur le terrain pour appuyer l'armée syrienne libre qui serait la principale force engagée dans les combats. Avec le déclenchement de la bataille d'Alep, le nord du pays est ouvert à l'infiltration massive de groupes armés encouragée par la Turquie qui multiplie les manœuvres militaires agressives à la frontière. Dans le même temps, des forces armées occidentales affichent leur présence menaçante en Jordanie depuis mai dernier lorsque les Etats-Unis ont organisé des manœuvres avec l'armée du royaume.
    - Auparavant, en juillet, alors que les pires scénarios de partition du pays étaient évoqués, deux thèmes avaient été mis en avant d'une manière concomitante qui peuvent à tout moment servir de prétexte à une intervention militaire ouverte : l'entrée massive de combattants d'Al Qaéda en Syrie et le sort des armes chimiques détenus par le régime. Le journal El Quds El Arabi du 22 juillet n'excluait pas que les Etats occidentaux et/ou Israël envisagent une action militaire pour empêcher les groupes djihadistes (ou encore le Hezbollah) de s'emparer des "armes de destruction massive".
    Ces groupes étaient présentés contre toute vraisemblance comme une tierce partie au conflit, des intrus qui se seraient librement invités à la curée. En somme des ennemis de l'Occident et d'Israël, avant tout! En mai dernier, le secrétaire américain à la Défense s'alarmait de ce que les attentats de Damas "portaient l'empreinte d'Al Qaéda", ajoutant que l'organisation tirait profit du chaos qui régnait dans le pays. Le journal El Quds précisait dans son édition des 21/22 juillet que 6000 combattants de l'organisation, de différentes nationalités arabes, étaient entrés dans le pays, par la Turquie et l'Irak, pour s'assurer le contrôle de l'"Emirat de Syrie". Des informations concordantes, validées par les experts de la désinformation occidentaux eux-mêmes et notamment français, laissaient entendre que l'armée syrienne libre, pour l'essentiel cantonnée en Turquie, n'était qu'un figurant dans les combats.
    On choisit ainsi par moments de mettre en avant la présence d'Al Qaéda qui n'est pas douteuse à condition bien sûr de comprendre qu'on étiquette sous ce label quelque peu anachronique les cohortes de djihadistes formées et commandées par les Etats du Golfe, sous la supervision des Etats occidentaux, celles-là mêmes qui ont dévasté l'Irak et le Yémen pendant des années, abattu le régime de Kadhafi, avec le concours de l'OTAN, en attendant de mettre le Sahel et peut-être le Maghreb à feu et à sang.
    - Cette infiltration de mercenaires n'a d'ailleurs pas commencé en cet été 2012. Elle remonte à l'année dernière mais les organes de la désinformation refusaient alors de reconnaître la guerre d'envergure menée contre le régime[1].
    Des affrontements sans merci avaient alors lieu, dont les populations civiles étaient massivement victimes. Ce fut le cas notamment à Homs[2].
    Avant que le journal britannique The Guardian ne confirme en janvier l’existence d’un soutien militaire extérieur, en particulier américain, à l’insurrection syrienne[3], son homologue, le Daily Telegraph, avait révélé que le chef du conseil militaire libyen à Tripoli, Abdelhakim Belhadj, avait été dépêché par le conseil national de transition en Turquie où il avait discuté avec les chefs de l’ "armée syrienne libre" de "l’envoi de combattants libyens pour entraîner ses soldats"[4].
    Cela fait à ce jour plusieurs mois que la « révolution » syrienne a opéré sa jonction militaire avec les acteurs de l’insurrection libyenne et leur encadrement arabe et occidental.
    UNE "REVOLUTION" PRIVEE DE DIRECTION POLITIQUE?

    Il faudrait donc en bonne logique requalifier les faits qui se déroulent en Syrie. Si jamais une révolution populaire a bel et bien commencé dans ce pays en mars 2011, qu'en reste-t-il à l'heure des combats menés par des djihadistes de tous poils, par les groupes qu'ont acheminés de Libye et d'ailleurs les monarchies du Golfe, par les services secrets et les forces spéciales occidentales? Et c'est de l'opposition et de l'intelligentsia syriennes que devrait venir une réponse. Peuvent-elles persister à ne se définir que comme l'opposition au régime, au mépris de leur devoir patriotique? Pour les branches qui refusaient l'ingérence militaire, la priorité n'est-elle pas aujourd'hui de dire non à l'invasion armée étrangère qui, pour n'avoir pu se matérialiser sous la forme de bombardements de l'OTAN, n'en menace pas moins l'existence souveraine et unie du pays? Force est de constater que non : l'opposition continue à conceptualiser par une démarche voulue unitaire une transition illusoire dont les données et les perspectives lui échappent totalement.
    Le Syrien Ammar Dioub, dont j'ai lu plusieurs articles publiés depuis le début de la crise, faisait le 13 juillet dernier l'observation suivante à propos des multiples rencontres organisées par l'opposition depuis plusieurs mois :
    Ces conférences ont manqué à leur unique justification: la détermination précise des objectifs de la révolution (…) Et de ce fait, la révolution était et demeure orpheline d'une opposition véritable qui la représente[5].
    Ce simple constat, qui attriste l'auteur en sa qualité d'adepte de la dite "révolution", résume l'irréductible contradiction qui fait de l'attitude de cette opposition (mais aussi de l'écrasante majorité de l'intelligentsia syrienne), plus qu'une énigme, un véritable défi à la raison. Voilà une révolution, dénommée et labellisée d'emblée comme telle qui n'aurait jamais eu de direction politique (dans le double sens de l'expression). Ce constat est fait aujourd'hui, alors que ce sont des insurgés en armes qui combattent le régime. Mais il vaut pour les longs mois durant lesquels on nous représentait la scène syrienne comme le théâtre de manifestations populaires pacifiques.
    Il suppose que soient vérifiées deux hypothèses :
    - D'une part que la mutation du conflit soit dans l'ordre des choses : depuis mars 2011, coulerait sans interruption le fleuve d'une seule et même révolution, recueillant après une période de protestations civiles les affluents de violences armées qui ont gonflé son cours démesurément mais sans jamais lui faire quitter son lit.
    - Et, d'autre part, que les groupes armées aient légitimement pris le relais du peuple pacifiquement révolté, dans une continuité révolutionnaire qui ne s'est pas démentie, sans qu'une direction politique n'ait jamais rien supervisé, sans qu'elle n'ait mis au point cette "détermination précise des objectifs" dont l'auteur déplore l'absence.
    Or, l'examen des prodromes "civils" de la confrontation armée suggère que la violence y était contenue en germe.
    Car, si l’on considère que la seule alternative à une généralisation de la violence était l’option politique, force est de constater que celle-ci était exclue du fait même de la nature de l’insurrection à son déclenchement. La contestation a été conçue de telle sorte qu'elle ne laisse aucune marge d'initiative à la politique et il n'est pas fortuit qu'on l'ait déclenchée à l’insu et à la surprise des nombreuses forces d’opposition existantes[6], même si certaines en ont revendiqué la représentation a posteriori. Le phénomène est d'autant plus édifiant qu'il est commun aux principales « révolutions » arabes. On peut le dégager de certaines des nombreuses analyses publiées par des familiers de la scène syrienne.
    UNE DONNEE DE BASE : L'INCONNU

    Mais il faut d'abord réfuter la principale explication de la genèse du soulèvement qui se fonde sur les faits déclencheurs les plus immédiats et fait l'objet d'un consensus très large. Elle évoque des événements que le journal El Quds El Arabi avait rapportés le 24 mars 2011 comme suit :
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